Journal (Eugène Delacroix)/26 avril 1847

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 300-301).

26 avril. — Reçu une lettre de V…, qui m’a fait plaisir et montré, par cette prévenance, qu’il était sous l’empire du même sentiment que moi.

— Vers une heure, chez Villot, à son atelier, et bonne après-midi ; je suis revenu assez gaillardement.

— Le soir, Pierret est venu passer une partie de la soirée. En somme, bonne journée.

Il me parle de sa soirée chez Champmartin, où Dumas a démontré la faiblesse de Racine, la nullité de Boileau, le manque absolu de mélancolie chez les écrivains du prétendu grand siècle. J’en ai entrepris l’apologie.

Dumas ne tarit pas sur cette place publique banale, sur ce vestibule de palais, où tout se passe chez nos tragiques et dans Molière. Ils veulent de l’art sans convention préalable. Ces prétendues invraisemblances ne choquaient personne ; mais ce qui choque horriblement, c’est, dans leurs ouvrages, ce mélange d’un vrai à outrance que les arts repoussent, avec les sentiments, les caractères ou les situations les plus fausses et les plus outrées… Pourquoi ne trouvent-ils pas qu’une gravure ou qu’un dessin ne représente rien, parce qu’il y manque la couleur ?… S’ils avaient été sculpteurs, ils auraient peint les statues et les auraient fait marcher par des ressorts, et ils se seraient crus beaucoup plus près de la vérité.