Journal (Eugène Delacroix)/21 février 1832

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 154-157).

Mardi 21 février. — La noce juive[1]. Les Maures et les Juifs à l’entrée. Les deux musiciens. Le violon, le pouce en l’air, le dessous de l’autre main très ombré, clair derrière, le haïjck sur la tête, transparent par endroits ; manches blanches, l’ombre au fond. Le violon ; assis sur ses talons et la gélabia. Noir entre les deux en bas. Le fourreau de la guitare sur le genou du joueur ; très foncé vers la ceinture, gilet rouge, agréments bruns, bleu derrière le cou. Ombre portée du bras gauche qui vient en face, sur le haïjck sur le genou. Manches de chemise retroussées de manière à laisser voir jusqu’au biceps ; boiserie verte ; à côté verrue sur le cou, nez court.

A côté du violon, femme juive jolie ; gilet, manches, or et amarante. Elle se détache moitié sur la porte, moitié sur le mur. Plus sur le devant, une plus vieille avec beaucoup de blanc qui la cache presque entièrement. Les ombres très reflétées, blanc dans les ombres.

Un pilier se détachant en sombre sur le devant. Les femmes à gauche étagées comme des pots de fleurs. Le blanc et l’or dominent et leurs mouchoirs jaunes. Enfants par terre sur le devant.

A côté du guitariste, le Juif qui joue du tambour de basque. Sa figure se détache en ombre et cache une partie de la main du guitariste. Le dessous de la tête se détache sur le mur. Un bout de gélabia sous le guitariste. Devant lui, les jambes croisées, le jeune Juif qui tient l’assiette. Vêtement gris. Appuyé sur son épaule un jeune enfant juif de dix ans environ.

Contre la porte de l’escalier, Prisciada ; mouchoir violâtre sur la tête et sous le cou. Des Juifs assis sur les marches ; vus à moitié sur la porte, éclairés très vivement sur le nez, un tout debout dans l’escalier ; ombre portée reflétée et se détachant sur le mur, reflet clair jaune.

En haut, les Juives qui se penchent. Une à gauche, nu-tête, très brune, se détachant sur le mur éclairé du soleil. Dans le coin, le vieux Maure à la barbe de travers : haïjck pelucheux, turban placé bas sur le front, barbe grise sur le haïjck blanc. L’autre Maure, nez plus court, très mâle, turban saillant. Un pied hors de la pantoufle, gilet de marin et manches idem.

Par terre, sur le devant, le vieux Juif jouant du tambour de basque ; un vieux mouchoir sur la tête ; on voit la calotte noire. Gélabia déchirée ; on voit l’habit déchiré vers le cou.

Les femmes dans l’ombre près de la porte, très reflétées.

21 février, le soir. — En sortant pour aller à la noce juive, les marchands dans leur boutique. Les lampes les unes au mur, le plus souvent pendues en avant à une corde, des pots sur une planche, des palancos. Ils prennent le beurre avec les mains et le mettent sur une feuille. En entrant dans la rue à droite, il y en avait un dont la lampe était cachée par un morceau de toile qui pendait de l’auvent.

Avant le dîner, en allant au jardin de Suède, les fusils pendus et le fourreau pendu à côté ; grande cruche à côté.

Le soir, toilette de la Juive. La forme de la mitre. Les cris des vieilles. La figure peinte, les jeunes mariées qui tenaient la chandelle pendant qu’on la parait. Le voile lancé sur la figure. Les filles sur le lit, debout.

Dans la journée, les nouvelles mariées contre le mur, leur proche parent en guise de chaperon. La mariée descendue du lit. Ses compagnes restées dessus. Le voile rouge. Les nouvelles mariées quand elles arrivaient dans leur haïjck. Les beaux yeux.

La venue des parents. Torches de cire ; les deux flambeaux peints de différentes couleurs. Tumulte. Figures éclairées. Maures confondus. La Juive tenue par les deux côtés ; un par derrière soutient la mitre.

En chemin, les Espagnols regardant par la fenêtre. Deux Juives ou Mauresques sur des terrasses se détachant sur le noir du ciel. — Donné à la fille de M. Hay le dessin de femme maure assise. — Les vieux Maures montés sur les pierres du chemin. Les lanternes. Les soldats avec des bâtons. Le jeune Juif qui tenait deux ou plusieurs flambeaux, la flamme lui montant dans la bouche.

Chez Abraham, les trois Juifs jouant aux cartes. — Femmes près de la porte de la ville, vendant oranges, branches de noisettes. Chapeaux de paille. — Paysans tête nue, accroupis avec leurs pots de lait.

  1. Cette scène inspira à Delacroix l’admirable toile qui figure au musée du Louvre sous le titre : Noce juive dans le Maroc. Voici le texte explicatif fourni par Delacroix au livret du Salon de 1841 : « Les Maures et les Juifs sont confondus. La mariée est enfermée dans les appartements intérieurs, tandis qu’on se réjouit dans le reste de la maison. Des Maures de distinction donnent de l’argent pour des musiciens qui jouent de leurs instruments et chantent sans discontinuer le jour et la nuit ; les femmes sont les seules qui prennent part à la danse, ce qu’elles font tour à tour, et aux applaudissements de l’assemblée. » Ce tableau avait été commandé au maître par le marquis Maison, qui n’en fut pas satisfait et trouva trop élevé le prix Je 2,000 francs que Delacroix lui en demandait. Il fut acheté 1,500 francs par le duc d’Orléans, qui le donna au musée du Luxembourg. De là il passa au Louvre. (Voir Catalogue Robaut.)