V

L’ACCIDENT


Kersac.

Tu m’as porté bonheur, mon garçon ; j’ai fait une affaire magnifique avec mes petits cochons. De la plus belle espèce : ils viennent de Kermadio. J’en ai eu quarante pour deux cent quarante francs ! à six francs pièce ; ce que j’aurais payé partout ailleurs quatre à cinq cents francs pour le moins. Si je fais aussi bien à Malansac, j’aurai fait une fière journée.

Jean.

C’est le bon Dieu qui vous a récompensé, monsieur, de votre charité envers nous.

Kersac.

Et c’est pourquoi je dis que tu m’as porté bonheur.

Jean.

Pas moi seul, monsieur, Jeannot est de moitié.

Kersac.

Hem ! hem ! tu crois ? Il n’a pas une mine à porter bonheur. Regarde-le donc ; il dort comme un loir, et, tout en dormant, il boude et il rage. »

Jean se retourna en souriant et trouva, en effet, une mine si irritée et si maussade à son cousin Jeannot, qu’il ne put s’empêcher de rire tout haut ; sa gaieté gagna Kersac, que son marché de petits cochons avait mis de belle humeur, et tous deux rirent si bruyamment que Jeannot se réveilla. Il regarda autour de lui.

« Qu’y a-t-il donc ? Pourquoi riez-vous si fort ? »

On riait trop pour pouvoir lui répondre, ce que Jeannot trouva mauvais ; il se recoucha, referma les yeux, et les rouvrit de temps en temps pour leur lancer un regard irrité, qui ne faisait qu’exciter les rires de Jean et de Kersac.

Le cheval trottait toujours ; Kersac remarqua qu’il avait beau poil, qu’il avait été bien bouchonné, bien soigné.

« Sais-tu, mon garçon, que tu me reviens beaucoup ? dit-il à Jean. J’ai bonne envie de te garder.

Jean.

Oh ! monsieur, c’est impossible !

Kersac.

Pourquoi donc ?

Jean.

Et Jeannot ?

Kersac.

Tiens, c’est vrai ! Ce diable de Jeannot ? Je voudrais bien t’en voir débarrassé.

Jean.

Il ne m’embarrasse pas, monsieur, au contraire ; je sais que je lui suis utile.

Kersac.

Il ne peut pas en dire autant pour toi… Écoute, Jean, ajouta-t-il après quelques instants de réflexion, veux-tu faire une chose ? Ne va pas à Paris, reste avec moi ; je te serai un bon maître ; j’aurai soin de ta mère. Et je ramènerai ton Jeannot chez lui.

Jean.

Vous êtes bien bon, monsieur, je suis très reconnaissant, mais je ne peux pas, monsieur.

Kersac.

Pourquoi ça ?

Jean.

Parce que maman m’a fait partir pour m’envoyer à Paris ; mon frère Simon nous attend tous deux, Jeannot et moi. Il faut que j’obéisse à maman ; je ne sais pas quelles sont ses raisons pour nous envoyer à Simon ; peut-être serait-elle mécontente si j’entrais chez vous sans l’avoir consultée. Et puis, le pauvre Jeannot, que deviendrait-il sans moi ?

Kersac.

Il resterait au pays ! Pas plus malheureux que ça.

Jean.

Mais, monsieur, ma tante n’a pas de quoi le nourrir, ni maman non plus. Il faut qu’il travaille ; et chez nous, nous ne trouvons pas d’ouvrage.

Kersac.

Alors n’en parlons plus. Peut-être te retrouverai-je plus tard, et sans Jeannot, pour le coup. Il dort toujours, le paresseux ! »

Jeannot ne dormait pas, il avait tout entendu ; la générosité de Jean le toucha : il se promit de lui venir en aide à l’avenir et de ne plus être maussade comme il l’avait été.

La route s’acheva gaiement pour Jean, qui questionnait Kersac sur le pays qu’ils parcouraient. Celui-ci lui répondait amicalement et revenait sans cesse sur son désir de l’avoir à son service. Jean le remerciait et répétait son refrain :

« Et Jeannot ? »

Si bien qu’en arrivant à Malansac, Kersac ne pouvait plus souffrir Jeannot, qui le lui rendait bien.

« Pourquoi ce méchant homme veut-il absolument forcer Jean à m’abandonner ? se demandait Jeannot. Il n’est pas possible qu’il tienne beaucoup à Jean, qu’il ne connaît pas ; c’est donc pour le plaisir de me faire du mal, pour me jeter tout seul sur la grande route ! Que je déteste cet homme ! Si jamais je le rencontre quand je serai grand et fort je lui jouerai un tour, un mauvais tour, si je le puis. »

Ils arrivèrent à Malansac. Jean offrit à Kersac de soigner son cheval encore cette fois ; Kersac accepta.

Il était près de huit heures, mais il faisait grand jour encore. Lorsque Kersac, aidé de Jean, eut fini d’arranger son cheval, il lui proposa de faire une promenade hors de la ville.

« J’ai les jambes engourdies d’avoir été assis toute la journée ; si tu veux venir avec moi, nous irons dans la campagne voir les environs ; on dit que le pays est joli. »

Jean accepta avec joie ; il eut bien envie de dire :

« Et Jeannot ? »

Mais il n’osa pas ; il voyait l’antipathie de Kersac pour son cousin.

Ils partirent donc, laissant à l’auberge Jeannot, qui, cherchant à se rendre utile comme Jean, s’offrit pour faire boire le cheval quand il aurait mangé son avoine. Kersac fut surpris de l’obligeance de Jeannot, mais il accepta d’après un regard et un geste suppliant de Jean.

« Au fait, dit-il, nous aurons plus de temps pour nous promener, n’ayant plus à nous inquiéter du cheval. »

Et ils se dirigèrent hors de la ville. Il faisait un temps magnifique ; le soleil se couchait ; la chaleur était passée ; le pays était joli ; ils marchèrent assez longtemps, causant de choses et d’autres ; il amusait et intéressait Kersac par mille petits récits de son enfance et de sa famille. Plus Jean se faisait connaître à Kersac, plus celui-ci s’y attachait et désirait l’attacher à son service.

« Il y a si longtemps, dit-il, que je cherche un garçon tout jeune à former, et je le cherche intelligent, serviable, actif comme toi.

Jean.

Vous vous faites illusion, monsieur ; je n’ai pas les qualités que vous me croyez.

Kersac.

Si fait, si fait, je m’y connais ; j’en ai eu plus de dix à mon service ; je ne me trompe plus maintenant. »

Ils retournaient sur leurs pas et reprenaient la grande route de Malansac, lorsqu’ils entendirent le galop précipité d’un cheval. Quand il approcha, Kersac reconnut le sien qui arrivait ventre à terre. Il se jeta sur la route pour lui couper le chemin, saisit la bride, mais le cheval était lancé ; Kersac, malgré sa force, ne put l’arrêter sur le coup, et il se trouva jeté par terre, traîné et en danger d’être piétiné. Jean, voyant l’imminence du péril, se jeta au-devant du cheval et se suspendit à ses naseaux, ce qui le fit arrêter, à moitié calmé, immédiatement.

Kersac voulut se relever, mais il retomba ; il avait un pied foulé.

Jean commença par attacher à un arbre l’animal essoufflé et tremblant, et courut à Kersac, qui était pâle et prêt à défaillir. Jean aperçut une fontaine près de la route ; il y courut, trempa son mouchoir dans cette eau fraîche et limpide, et revint en courant pour bassiner le front et les tempes de Kersac. Deux fois encore il retourna à la fontaine ; ce ne fut qu’à la troisième fois que Kersac rouvrit les yeux et reprit connaissance.

Il serra la main de Jean et essaya de se lever ; ce fut avec une grande difficulté et après plusieurs essais qu’il put y parvenir ; il se tint debout, appuyé sur son bâton, mais il ne pouvait marcher.

« N’essayez pas, n’essayez pas, monsieur, dit Jean ; je vais calmer votre cheval ; je l’approcherai tout près de vous, et si vous pouvez monter dessus, nous sommes sauvés. »

Kersac était au bord du fossé qui bordait la route. Jean détacha le cheval, le caressa, le flatta, lui présenta une poignée d’herbe, et, pendant que l’animal mangeait, il le fit descendre dans le fossé, l’arrêta en face de Kersac, et le maintint par la bride pendant que Kersac cherchait à le monter. Il n’y parvenait pas, parce qu’il ne pouvait s’appuyer sur son pied foulé.

Jean.

Couchez-vous en travers sur le cheval, monsieur, et quand vous y serez, passez votre jambe blessée. »

Kersac suivit le conseil de Jean et se trouva solidement placé sur le dos du cheval. Jean lui fit remonter le fossé avec précaution et le mena par la bride. Ils arrivèrent à Malansac à la nuit ; le premier objet que vit Kersac fut Jeannot se tenant à moitié caché derrière la porte de l’écurie.

« Viens ici, polisson ! » lui cria Kersac.

Jeannot aurait bien voulu se sauver ; mais par où passer ? et que deviendrait-il ensuite ? Il faudrait bien qu’il finît par se retrouver en face de Kersac. Il prit donc le parti d’obéir ; il avança jusqu’à la tête du cheval.

Kersac.

Pourquoi et comment as-tu laissé échapper mon cheval ?

Jeannot, tremblant.

Monsieur, ce n’est pas ma faute.

Kersac.

Ce n’est pas ta faute ? Menteur ! Réponds : Comment le cheval s’est-il échappé ?

Jeannot.

Monsieur, je l’ai mené boire ; il ne voulait pas sortir de l’abreuvoir ; je l’ai tiré, puis je l’ai un peu fouetté ; alors il a sauté et rué ; alors j’ai fouetté plus fort pour le corriger ; alors il s’est cabré ; alors j’ai eu peur qu’il ne cassât la longe que je tenais, alors je l’ai fouetté sous le ventre ; alors il a cassé la longe, comme je le craignais, et alors il est parti comme un enragé qu’il est.

Kersac.

Petit gredin ! petit drôle ! Avise-toi de toucher mon cheval du fouet et je te donnerai une correction dont tu te souviendras longtemps. Si je n’avais le pied foulé, grâce à toi, animal, imbécile, je te donnerais une raclée qui te ferait danser jusqu’à demain. Va-t’en, et ne te présente plus devant moi, oiseau de malheur ! »

Jeannot ne se le fit pas répéter ; il avait hâte aussi d’échapper aux regards courroucés de Kersac, et ne quitta le coin le plus obscur de l’écurie que lorsque son ennemi eut lui-même disparu.

Jean avait appelé du monde pour aider Kersac à descendre du cheval ; il était grand et fort, on eut de la peine à y arriver et à l’établir dans une chambre du rez-de-chaussée qui se trouvait heureusement libre.

Quand il y fut installé, Jean s’assit sur une chaise.

Kersac.

Eh bien ? que fais-tu, mon ami ? Tu ne vas pas rester là, je pense ?

Jean.

Pardon, monsieur ; à moins que vous ne me chassiez, je resterai près de vous pour vous servir, jusqu’à ce que vous soyez en état de monter en carriole pour retournez chez vous.

Kersac.

Mais, mon ami, tu vas t’ennuyer comme un mort. Rester là, à quoi faire ?

Jean.

À vous servir, monsieur. Les gens de l’auberge sont bien assez occupés, ils vous négligeraient, non par mauvaise volonté, mais parce qu’ils ne pourraient pas faire autrement ; et c’est triste d’être hors de chez soi sans pouvoir mettre un pied l’un devant l’autre, et personne pour vous donner ce qui vous manque et pour vous aider à passer le temps.

Kersac.

Et ton voyage à Paris ? et ton frère Simon ?

Jean.

Mon voyage durera quelques jours de plus, monsieur, voilà tout. Et mon frère sait bien que lorsqu’on fait la route à pied, on n’arrive pas à jour fixe ; il nous attend à un mois près. Et ainsi, monsieur, si je ne vous suis pas désagréable, si vous voulez bien accepter mes services, je serai bien heureux de vous être utile.

Kersac.

Quant à m’être désagréable, mon ami, tu m’es, au contraire, fort agréable ; j’accepte tes services et je t’en remercie d’avance. Et je commence par te demander un verre d’eau, car je meurs de soif. »

Jean alla chercher de l’eau ; on lui donna un cruchon plein et un verre. Quand Kersac eut bu ses deux verres d’eau, il songea à dîner.

Kersac.

« Tu me demanderas quelque chose de léger, à cause de ma chute. Une soupe aux choux et au lard, et un fricot à l’ail. »

Jean allait sortir ; Kersac le rappela.

« Et toi donc, mon garçon, tu n’as pas dîné ? Demande pour deux ; nous mangerons ensemble.

Jean.

Merci bien, monsieur ; j’ai dîné avec Jeannot avant de quitter Vannes.

Kersac.

Dîné ? où donc ? avec quoi ?

Jean.

Nous avons dîné à l’écurie, monsieur ; nous avions de quoi. Maman nous avait donné les restes du lapin, qui nous avait déjà fait un fameux souper hier soir. Il nous en reste encore une cuisse, et puis du pain et de la galette.

Kersac.

Et tu crois que je vais m’empâter de bonnes choses, et que je te laisserai manger un vieux morceau de lapin et boire de l’eau ?

Jean.

Il n’est pas vieux, monsieur, il est d’hier ; et, quant à l’eau, nous y sommes habitués, Jeannot et moi. Et puis, à Vannes, la bonne dame de l’hôtel m’a donné une bouteille de cidre qui était fièrement bon.

Kersac.

Je te dis que ce ne sera pas comme ça ; tu mangeras avec moi ; les bouchées que j’avalerais me resteraient dans le gosier si je me donnais un bon dîner pendant que tu grignoterais des os et du pain dur. Demande deux couverts… entends-tu ? Deux couverts ! »

Jean restait immobile ; il semblait vouloir parler et ne pas oser.

Kersac.

Voyons, Jean, as-tu quelque chose qui ne veut pas sortir. Qu’est-ce que c’est ? Parle.

Jean.

Monsieur… C’est que je crains…

Kersac.

N’aie pas peur, je te dis. Parle… Parle donc !

Jean, souriant.

Puisque vous l’ordonner, monsieur… Et Jeannot ?

— Encore ! s’écria Kersac, s’agitant sur sa chaise. Toujours ce pendard que tu me jettes au nez ! Je ne veux pas de ton Jeannot ; et je ne veux pas en entendre parler.

Jean.

C’est parce qu’il vous a offensé, monsieur, que vous ne l’aimez pas. Mais Notre Seigneur nous pardonne bien quand nous l’offensons, et il nous aime tout de même, et il nous fait du bien. Et il nous ordonne de faire comme lui.

Kersac.

Ah çà ! vas-tu me prêcher comme notre curé ? Ton Jeannot ne me va pas, et je n’en veux pas. »

Jean soupira et sortit lentement.

Kersac le suivit des yeux et resta pensif.

« Il a tout de même raison, cet enfant… Et de penser que c’est un garçon de quatorze ans qui m’en remontre, à moi qui en ai trente-cinq !… C’est qu’il a raison,… parfaitement raison… Mais comment faire pour revenir sur ce que j’ai dit !… Il se moquerait de moi… Et pourtant il a raison. Et c’est une brave garçon si jamais il en fut… Il faut absolument qu’il vienne chez moi… Il a dans la physionomie quelque chose…, je ne sais quoi,… qui fait plaisir à regarder. Je l’entends qui vient. »

Jean arriva en effet ; il apportait de quoi mettre le couvert… un seul couvert !

Kersac s’en aperçut.

Kersac.

Jean, qu’est-ce que c’est que ça ?

Jean.

Quoi donc, monsieur ?

Kersac.

Un seul couvert ? Pourquoi un seul ?

Jean.

Parce qu’il n’y a que vous, monsieur, qui n’ayez pas dîné.

Kersac.

Et toi tu n’as pas soupé… Jean, écoute-moi et regarde-moi bien en face. Tu as raison et j’ai tort. Tu m’as fait la leçon, et tu as bien fait, et je t’en remercie. Demande trois couverts et va chercher ton Jeannot. »

Jean le regardait, il ne pouvait en croire ses oreilles. Il s’approcha tout près de lui. Son air étonné et joyeux fit sourire Kersac.

Kersac.

Tu ne vas pas te moquer de moi, d’avoir bien fait ?

Jean.

Me moquer de vous ? moi, monsieur ? Rire de vous au moment où vous agissez comme Notre Seigneur ? au moment où je vous admire, où je vous aime ? Oh ! monsieur ! »

Jean saisit la main de Kersac et la baisa ; Kersac prit la tête de Jean dans ses mains et le baisa au front.

« Va, mon ami, dit-il d’une voix émue, va chercher deux couverts de plus… et Jeannot », ajouta-t-il avec un soupir.

Jean sortit cette fois en courant et ne fut pas longtemps à revenir avec les couverts et Jeannot. Ce dernier osait à peine entrer et lever les yeux.

« N’aie pas peur, Jeannot, dit Kersac en riant ; à tout péché miséricorde. J’ai eu tort de te confier un cheval un peu vif, à toi qui n’y entends rien. N’y pensons plus et mangeons bien et gaiement. C’est Jean qui nous sert, je suis hors de combat, moi. »

Jeannot prit courage ; Jean était radieux ; il regardait Kersac avec reconnaissance et affection. Kersac s’en aperçut, sourit et fut satisfait d’avoir bien agi et d’avoir accepté, lui homme fait, les observations d’un enfant. Il en savait bon gré à Jean, qu’il aimait réellement de plus en plus.

Jean.

Voici le couvert mis ; viens m’aider, Jeannot, à apporter les plats. Faut-il demander du cidre pour vous, monsieur ?

Kersac.

Certainement, et du bon. Mais pas pour moi seul ; pour trois. »

Jean et Jeannot sortirent.

Jean.

Eh bien ! Jeannot, pas vrai qu’il est bon, M. Kersac ? Tu vas être gentil pour lui, j’espère ?

Jeannot.

Je ferai de mon mieux, Jean : mais tu sais que j’ai du malheur et qu’il ne m’arrive jamais rien de bon.

Jean.

Laisse donc ! du malheur ! pas plus que moi ? Tu te figures toutes sortes de choses ; puis tu es triste, tu as l’air mécontent et maussade ; c’est ça qui repousse, vois-tu !

Jeannot.

C’est pas ma faute ; c’est mon caractère comme ça. Je ne peux pas toujours rire, toujours prendre les choses gaiement, comme tu le fais, toi. Tu es gai, je suis triste. Tu as confiance en tout le monde, moi je me défie. Je ne peux pas faire autrement.

Jean.

Défie-toi si tu veux, gémis tout bas, mais sois obligeant et agréable aux autres… Portons nos plats ; les voici tout prêts sur le fourneau. »

Jean prit la soupe aux choux et le cidre ; Jeannot prit le fricot ; Kersac les attendait avec impatience.

Kersac.

Enfin ! voilà notre souper ; ne perdons pas de temps ; j’ai une faim d’enragé. »

Kersac prouva la vérité de ces paroles en mangeant comme un affamé, Jean et Jeannot lui tinrent compagnie ; quand le repas fut terminé, il ne restait plus rien dans les plats, rien dans les carafes. Jean et Jeannot desservirent la table et reportèrent le tout à la cuisine.

Lorsque Jean rentra, il dit à Kersac que Jeannot allait coucher à l’écurie, sur de la paille qu’on allait lui donner.

« Et toi, Jean, avant d’aller te coucher, aide-moi à me dévêtir et à gagner mon lit. »

Jean l’aida de son mieux, avec beaucoup d’adresse et de soin. Lorsque Kersac fut couché, Jean s’assit sur une chaise.

Kersac.

Eh bien ! que fais-tu là ? Tu ne vas pas te coucher, comme Jeannot ?

Jean.

Je vais coucher près de vous, monsieur, je dormirai très bien sur une chaise.

Kersac.

Es-tu fou ? Passer une nuit sur une chaise ? pour une foulure au pied ? Va te coucher, je te dis.

Jean.

Mais, monsieur, vous ne pouvez pas vous lever ni vous faire entendre. S’il vous prenait quelque chose la nuit ?

Kersac.

Que veux-tu qu’il me prenne ? Je vais dormir jusqu’à demain. Bonsoir, et va-t’en. »

Jean ne dit rien, souffla la chandelle et fit semblant de sortir. Mais il rentra sans faire de bruit, s’étendit sur trois chaises, et ne tarda pas à s’endormir.