Jean-Daniel Dumas, le héros de la Monongahéla/Année 1758

G. Duchamps, libraire-éditeur (p. 91-93).

Année 1758


L’année 1758 s’ouvrait au Canada sous des auspices à la fois heureux et inquiétants. L’avantage de la campagne de l’année précédente était, certes, demeuré aux Français ; mais l’avenir s’annonçait sombre à cause de la famine qui sévissait dans le pays. Les récoltes n’avaient presque rien produit, et les secours en vivres attendus de France n’arrivaient pas. On savait de plus que l’Angleterre organisait des préparatifs formidables en vue de la prochaine campagne, et qu’elle disposerait de forces bien supérieures en nombre à celles de l’année précédente.

De plus, des lettres du fort Duquesne indiquaient que l’ennemi faisait de grands efforts pour détacher les Sauvages des Français. « Le commandant actuel du fort Duquesne ne paraît pas réussir aussi bien avec eux que son prédécesseur » (M. Dumas), écrivait le marquis de Montcalm.[1] Il y avait donc lieu d’être inquiet et de craindre l’avenir qui s’annonçait sous de sombres pronostics.

M. Dumas, à qui on avait demandé son avis sur la défense du fort Duquesne, avait répondu que ce poste ne pouvait que déshonorer l’officier qui serait chargé de la défendre.[2] Aussi M. de Ligneris, qui avait succédé à M. Dumas comme commandant de ce fort, ayant appris, le 23 novembre, que le brigadier général Forbes marchait contre lui à la tête de 2500 hommes, et en ayant à peine 400 à lui opposer, fit sauter le fort et se retira à celui de Machault.[3]

M. de Vaudreuil n’avait pu donner suite à son projet de reconstruire le fort Duquesne, quoique son plan eût reçu l’approbation du Ministre. Le 14 février 1758, celui-ci lui avait, en effet, écrit ce qui suit : « Il est fâcheux que lorsqu’on a construit le fort Duquesne on ne l’ait pas mieux placé, qu’on l’ait fait trop petit, et qu’on ne l’ait pas tout d’un coup mis en état de défense. Je sens combien il est important d’avoir là un fort qui puisse arrêter les Anglois, j’approuverai donc que vous suiviez votre idée, et que vous fassiez exécuter les ouvrages que vous jugerez nécessaires pour la défense de cette partie. Je vous recommande seulement de le faire avec toute l’économie possible, et de manière cependant que ces ouvrages ne deviennent pas inutiles par la suite, et que les dépenses qu’ils occasionneront ne soient pas perdues, comme cela est arrivé plusieurs fois, depuis qu’on a multiplié les forts dans la Colonie ».

M. Dumas ne prit point une part active à la campagne de cette année. Il continua de s’occuper avec un soin attentif et persévérant de l’organisation et de l’instruction des milices, dont le concours devenait de plus en plus important et précieux, dans la lutte acharnée que se livraient les deux nations rivales pour la possession du continent américain. Le chevalier de Lévis fut si content de lui qu’il proposa au Ministre d’étendre ses pouvoirs et de lui confier l’entière direction des milices de toute la colonie.

Cette vie de garnison, toujours uniforme, n’offre aucun fait digne de mention. La routine du service remplissait la plus grande partie de son temps. Un événement, religieux ou social, venait de temps à autre en rompre un peu la monotonie.

La campagne de 1758 avait été désastreuse pour les armes françaises, malgré le brillant exploit de Montcalm à Carillon, lequel n’avait été, pour ainsi dire, qu’une immense lueur éclairant un moment, d’un jour sinistre, les ténèbres de l’adversité qui avait poursuivi les armes de la France dans le cours de cette année en Amérique, et qui devait atteindre son apogée deux ans plus tard par la perte de plus des trois quarts d’un vaste continent.



  1. Lettre à M. de Paulmy, 10 avril 1758.
  2. M. Doreil à M. de Crémille, 28 juillet 1758, dans Documents relating to the Colonial History of the State of New York, Paris Documents, vol. x, p. 762.
  3. Le chevalier de Lévis au maréchal de Belle-Isle, 15 avril 1759.