Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Première partie/23

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 57-58).


CHAPITRE XXIII

QU’IL SE FAUT PURGER DE L’AFFECTION
AUX CHOSES INUTILES ET DANGEREUSES


Les jeux, les bals, les festins, les pompes, les comédies, en leur substance ne sont nullement choses mauvaises ains indifférentes, pouvant être bien et mal exercées ; toujours néanmoins ces choses-là sont dangereuses, et de s’y affectionner, cela est encore plus dangereux. Je dis donc, Philothée, qu’encore qu’il soit loisible de jouer, danser, se parer, ouïr des honnêtes comédies, banqueter, si est-ce que d’avoir de l’affection à cela, c’est chose contraire à la dévotion et extrêmement nuisible et périlleuse. Ce n’est pas mal de le faire, mais oui bien de s’y affectionner. C’est dommage de semer en la terre de notre cœur des affections si vaines et sottes : cela occupe le lieu des bonnes impressions, et empêche que le suc de notre âme ne soit employé ès bonnes inclinations.

Ainsi les anciens Nazariens[1] s’abstenaient non seulement de tout ce qui pouvait enivrer, mais aussi des raisins et du verjus ; non point que le raisin et le verjus enivre, mais parce qu’il y avait danger en mangeant du verjus d’exciter le désir de manger des raisins, et en mangeant des raisins, de provoquer l’appétit à boire du moût et du vin. Or, je ne dis pas que nous ne puissions user de ces choses dangereuses ; mais je dis bien pourtant que nous ne pouvons jamais y mettre de l’affection sans intéresser la dévotion. Les cerfs ayant pris trop de venaison s’écartent et retirent dedans leurs buissons, connaissant que leur graisse les charge en sorte qu’ils ne sont pas habiles à courir, si d’aventure ils étaient attaqués : le cœur de l’homme se chargeant de ces affections inutiles, superflues et dangereuses, ne peut sans doute promptement, aisément et facilement courir après son Dieu, qui est le vrai point de la dévotion. Les petits enfants s’affectionnent et s’échauffent après les papillons ; nul ne le trouve mauvais, parce qu’ils sont enfants. Mais n’est-ce pas une chose ridicule, ains plutôt lamentable, de voir des hommes faits s’empresser et s’affectionner après des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j’ai nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en péril de nous dérégler et désordonner à leur poursuite ? C’est pourquoi, ma chère Philothée, je vous dis qu’il se faut purger de ces affections ; et, bien que les actes ne soient pas toujours contraires à la dévotion, les affections néanmoins lui sont toujours dommageables.

  1. Il faudrait Naziréens : c’était une secte juive.