Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Cinquième partie/10

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 348-350).


CHAPITRE X

CONSIDÉRATION PREMIÈRE : DE L’EXCELLENCE DE NOS AMES


Considérez la noblesse et excellence de votre âme, qui a un entendement, lequel connaît non seulement tout ce monde visible, mais connaît encore qu’il y a des anges et un paradis ; connaît qu’il y a un Dieu très souverain, très bon et ineffable ; connaît qu’il y a une éternité, et de plus connaît ce qui est propre pour bien vivre en ce monde visible, pour s’associer aux anges en paradis et pour jouir de Dieu éternellement.

Votre âme a de plus une volonté toute noble, laquelle peut aimer Dieu et ne le peut haïr en soi-même. Voyez votre cœur comme il est généreux, et que, comme rien ne peut arrêter les abeilles de tout ce qui est corrompu, ains s’arrêtent seulement sur les fleurs, ainsi votre cœur ne peut être en repos qu’en Dieu seul, et nulle créature ne le peut assouvir. Repensez hardiment aux plus chers et violents amusements qui ont occupé autrefois votre cœur, et jugez en vérité s’ils n’étaient pas pleins d’inquiétude moleste et de pensées cuisantes et de soucis importuns, emmi lesquels votre pauvre cœur était misérable.

Hélas ! notre cœur courant aux créatures, il y va avec des empressements, pensant de pouvoir y accoiser ses désirs ; mais sitôt qu’il les a rencontrées, il voit que c’est à refaire et que rien ne le peut contenter, Dieu ne voulant que notre cœur trouve aucun lieu sur lequel il puisse reposer, non plus que la colombe sortie de l’arche de Noé, afin qu’il retourne à son Dieu duquel il est sorti. Ah ! quelle beauté de nature y a-t-il en notre cœur ! et donc, pourquoi le retiendrons-nous contre son gré à servir aux créatures ?

O ma belle âme, devez-vous dire, vous pouvez entendre et vouloir Dieu, pourquoi vous amuserez-vous à chose moindre ? vous pouvez prétendre à l’éternité, pourquoi vous amuserez-vous aux moments ? Ce fut l’un des regrets de l’enfant prodigue, qu’ayant pu vivre délicieusement en la table de son père, il mangeait vilainement en celle des bêtes. O mon âme, tu es capable de Dieu, malheur à toi si tu te contentes de moins que de Dieu ! Élevez fort votre âme sur cette considération ; remontrez-lui qu’elle est éternelle et digne de l’éternité ; enflez-lui le courage pour ce sujet.