Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Cinquième partie/01

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 333-335).


CHAPITRE I

QU’IL FAUT CHAQUE ANNÉE RENOUVELER
LES BONS PROPOS PAR LES EXERCICES SUIVANTS


Le premier point de ces exercices consiste à bien reconnaître leur importance. Notre nature humaine déchoit aisément de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de notre chair, qui appesantit l’âme et la tire toujours contre-bas, si elle ne s’élève souvent en haut à vive force de résolution : ainsi que les oiseaux retombent soudain en terre, s’ils ne multiplient les élancements et traits d’ailes, pour se maintenir au vol. Pour cela, chère Philothée, vous avez besoin de réitérer et répéter fort souvent les bons propos, que vous avez faits de servir Dieu, de peur que, ne le faisant pas, vous ne retombiez en votre premier état, ou plutôt en un état beaucoup pire ; car les chutes spirituelles ont cela de propre, qu’elles nous précipitent toujours plus bas que n’était l’état, duquel nous étions montés en haut à la dévotion.

Il n’y a point d’horloge, pour bonne qu’elle soit, qu’il ne faille remonter ou bander deux fois le jour, au matin et au soir ; et puis, outre cela, il faut qu’au moins une fois l’année, l’on la démonte de toutes pièces, pour ôter les rouillures qu’elle aura contractées, redresser les pièces forcées et réparer celles qui sont usées. Ainsi celui qui a un vrai soin de son cher cœur, doit le remonter en Dieu au soir et au matin, par les exercices marqués ci-dessus ; et outre cela, il doit plusieurs fois considérer son état, le redresser et accommoder ; et enfin, au moins une fois l’année, il le doit démonter, et regarder par le menu toutes les pièces, c’est-à-dire toutes les affections et passions d’icelui, afin de réparer tous les défauts qui y peuvent être. Et comme l'horloger oint avec quelque huile délicate les roues, les ressorts et tous les mouvants de son horloge, afin que les mouvements se fassent plus doucement et qu’il soit moins sujet à la rouillure, ainsi la personne dévote, après la pratique de ce démontement de son cœur, pour le bien renouveler, le doit oindre par les sacrements de confession et de l’eucharistie. Cet exercice réparera vos forces abattues par le temps, échauffera votre cœur, fera reverdir vos bons propos et refleurir les vertus de votre esprit.

Les anciens chrétiens le pratiquaient soigneusement au jour anniversaire du baptême de Notre Seigneur, auquel, comme dit saint Grégoire, évêque de Nazianze, ils renouvelaient la profession et les protestations qui se font en ce sacrement : faisons-en de même, ma chère Philothée, nous y disposant très volontiers, et nous y employant fort sérieusement.

Ayant donc choisi le temps convenable, selon l’avis de votre père spirituel, et vous étant un peu plus retirée en la solitude, et spirituelle et réelle, que l’ordinaire, vous ferez une ou deux ou trois méditations sur les points suivants, selon la méthode que je vous ai donnée en la seconde Partie.