Décarie, Hébert & Cie (p. 58-70).

VI


Pendant plusieurs semaines, on avait considéré Thomas Craik comme perdu ; un jour, on fut donc très surpris d’apprendre qu’il était hors de danger, sauvé presque par miracle — un de ces miracles qu’opèrent quelquefois sur les riches les médecins qui ont du bonheur. Durant cette maladie, George, désappointé de voir qu’il y avait encore tant de vitalité chez son ennemi, vint fréquemment prendre des nouvelles, et M. Craik fut très sensible à ces démarches répétées.

Il n’échappa pas non plus au vieillard qu’à mesure qu’il allait mieux, l’espérance semblait abandonner sa sœur Totty, et qu’à ses accès de joie et à ses effusions exagérées à propos de sa guérison succédaient des périodes d’abattement pendant lesquelles elle paraissait considérer avec regret une vision de bonheur qui s’évanouissait lentement.

Mme Sherrington Trimm n’avait vraiment pas lieu d’être enchantée. La convalescence inattendue de son frère lui enlevait d’abord toute perspective immédiate d’héritage et elle soupçonnait encore que pendant sa maladie il avait dû faire certains changements dans ses dernières dispositions. Cette croyance s’était formée dans son esprit on ne sait comment, car son mari avait scrupuleusement gardé le secret à l’égard du testament.

D’ailleurs, le sentiment d’honneur de M. Trimm se trouvait satisfait du changement survenu dans les dernières volontés de son beau-frère. De telles dispositions existent beaucoup plus souvent chez les Américains que ne le pense la philosophie européenne. Pour elle, nous sommes une nation d’hommes d’affaires, mais elle oublie généralement, que nous ne sommes pas une nation de boutiquiers, et que, si nous estimons autant un négociant qu’un soldat ou un avocat, c’est que nous savons par expérience que les mains qui manient l’argent doivent rester aussi nettes que celles qui tirent le sabre ou tiennent, la plume. Chez les races fortes, l’homme ennoblit le métier, et le métier ne dégrade pas l’homme. Si Thomas Craik était malhonnête, Jonah Wood et Sherrington Trimm étaient tous deux des hommes d’honneur à toute épreuve. Il n’était pas au pouvoir de Jonah Wood de rentrer dans tout ce qui lui avait été pris par des pratiques échappant à la justice, les lois existantes n’ayant pas prévu de semblables cas, pas plus qu’il ne pouvait être dans les desseins de Sherrington Trim de peser sur la conscience de Tom Craik dans l’intérêt poétique d’une réparation. Mais l’honorabilité de Trimm était assez désintéressée pour qu’il se réjouit à la perspective de voir l’argent volé rendu à son propriétaire, au lieu d’être donné à sa femme, et la noblesse de son caractère était telle, que, même si sa situation personnelle eût été moins florissante, il eût éprouvé la même satisfaction de cet acte.

Totty pensait fort différemment sur tout cela. L’amour de l’argent — qui, dans l’acception américaine, signifie essentiellement l’amour de ce que l’argent peut donner — dominait son caractère et gâtait les bonnes qualités dont elle était incontestablement douée. Son instinct des plus fins l’avertissait que quelque chose avait dû être changé dans son atmosphère financière, et, comme elle savait qu’il était inutile d’interroger son mari, un élément de doute et d’inquiétude encore inconnu se glissait dans sa vie. Tom Craik soupçonnait que ce changement , qu’il remarquait sur sa figure, était le résultat de sa guérison, il ne regrettait donc pas ce qu’il avait fait et résolut de s'y tenir.

Pendant ce temps, George Wood variait l’aridité de sa vie de travail en allant à la maison de Washington Square aussi souvent qu’il l'osait, et bientôt ses visites prirent une régularité singulière. S’il avait encore éprouvé quelque incertitude sur ce qui se passait dans son cœur à la fin des premiers mois, il n’en éprouvait plus aucune à mesure que le printemps s’avançait. Il était amoureux de Constance. La jeune fille ne l’ignorait pas ni sa sœur non plus. Mais celle-ci désapprouvait ouvertement cet amour.

« Pourquoi ne congédies-tu pas ce jeune homme ? demanda Grâce un soir qu’elles étaient seules.

— Pourquoi le congédierais-je ? répondit Constance d’une voix calme, mais en changeant légèrement de couleur.

— Parce que tu flirtes avec lui, et qu’il ne peut en résulter rien de bon, répondit Grâce brusquement.

— Je flirte ?… Moi ?… »

La sœur aînée leva les sourcils d’un air d’innocence surprise. Cette idée évidemment nouvelle pour elle ne lui était nullement agréable.

« Oui, tu flirtes. Il n’y a pas d’autre mot. Il vient pour te voir,… voyons ! tu ne peux le nier. Ce n’est pas pour moi. Il sait que je suis fiancée : et d’ailleurs, je crois qu’il s’est aperçu qu’il ne me plaît pas… il vient donc uniquement pour te voir. Tu le reçois, tu lui souris, tu causes avec lui, tu t’intéresses à tout ce qu’il fait… Je t’ai même entendue lui donner des conseils l’autre jour. N’est-ce pas là du flirtage ? Il est amoureux de toi, ou fait semblant de l’être, ce qui est la même chose, et tu l’encourages.

— Il fait semblant ?… Pourquoi ferait-il semblant ? »

Constance faisait ces questions d’un air un peu rêveur, comme si elle se les posait à elle-même et en connaissait presque la réponse. Grâce se mit à sourire.

« Parce que tu en vaux tout à fait la peine, répliqua-t-elle. Te figures-tu qu’il viendrait aussi souvent si tu étais pauvre comme lui ?

— Ce que tu dis là est peu charitable, » observa Constance en reprenant son livre.

Il y avait très peu de surprise dans son ton, cependant, et Grâce fut bien aise de le constater. Sa sœur était moins naïve qu’elle ne l’avait supposé.

« Peu charitable ! s’écria-t-elle. Qu’est-ce que la charité a à voir là-dedans ? Crois-tu que M. Wood vient ici par charité ? Il veut t’épouser, ma chère. Comme ce mariage est impossible, il faut donc que tu le congédies.

— Si je l’aimais, je l’épouserais.

— Oui, mais tu ne l’aimes pas. D’ailleurs, c’est absurde ! Un homme sans situation de famille, sans fortune, surtout sans profession.

— La littérature est une profession.

— La littérature,… oui. Évidemment. Mais ses malheureux petits articles ne sont pas de la littérature. Pourquoi n’écrit-il pas un livre, ou n’entre-t-il pas dans un journal ?

— Il le fera peut-être. C’est le conseil que je lui donne toujours. En tout cas, c’est un gentleman, qu’il aime ou non à aller dans le monde. Son père était de la Nouvelle-Angleterre, je crois… et j’ai entendu notre pauvre papa en dire beaucoup de bien… Sa mère était une Winton, cousine de Mme Trimm. Il n’y a rien de mieux, je pense ?

— Oui, cette odieuse Totty ! s’écria Grâce d’un ton de mépris exagéré. C’est elle qui l’a amené ici dans l’espoir que l’une de nous s’amouracherait de son parent pauvre et l’aiderait à sortir de la misère. Oh ! cette femme ! c’est la plus sotte et la plus insipide créature que je connaisse !

— D’accord. Je ne suis pas folie d’elle. Mais tu es injuste envers M. Wood. Il a beaucoup de talent et travaille énormément.

— À quoi ?… à ces misérables petits articles ? J’en écrirais une douzaine à l’heure.

— Pas moi, car il faut commencer par lire les livres.

— Allons,… mets deux heures si tu veux, mais pas plus. Quel fatras, ma chère. Tu es éblouie par sa conversation, voilà tout. Il cause assez bien, quand il veut. Je l’admets.

— Enfin ! je suis charmée que tu veuilles bien lui accorder quelque chose, dit Constance. Quant à l’épouser, c’est une autre affaire. Je n’en ai pas la plus légère idée… Mais je t’avouerai en toute franchise que j’ai déjà pensé qu’il pourrait bien désirer ce mariage.

— Et pourtant tu le laisses venir ?

— Oui, je n’ai aucune raison pour lui dire de ne pas venir ici, et je l’estime trop pour vouloir le désobliger par une froideur ou une impolitesse calculées en vue de le congédier. Si jamais il parle, il sera temps de lui dire ce que je pense. S’il ne parle pas, cela ne lui fait pas de mal… ni à moi non plus, à ce que je crois.

— Je ne sais pas. Il me semble, en tout cas, qu’il y a une certaine indélicatesse à encourager un homme, pour le planter là ensuite quand il ne peut plus se taire.

— Je n’avais pas encore compris, ma chère, que tu discutais dans l’intérêt de M. Wood.

— Non, n’en crois rien, répliqua Grâce en riant. Je suis même assez cruelle pour espérer que tu seras désagréable avec lui avant qu’il se soit offert. Mais tu es une petite personne tout à fait impénétrable, Conny, et je donnerais je ne sais quoi pour découvrir ce que tu penses réellement. »

Constance ne répondit pas, mais sourit légèrement et se remit à lire, comme si elle ne se souciait pas de continuer la conversation. Grâce n’insista pas pour la renouer.

C’est vers cette époque que se passa un incident qui devait avoir une importance décisive sur la vie de George Wood. Un après-midi de mai, George descendait la Cinquième Avenue pour se rendre à Washington Square quand il se trouva tout à coup face à face avec le vieux Thomas Craik qui sortait d’un club.

Le vieillard n’était pas aussi droit qu’avant sa maladie, mais il était beaucoup moins cassé que George ne l’avait supposé. Il avait l’habitude, avec ses yeux perçants, de regarder curieusement le visage des passants et frappait à chaque pas sa canne par terre avec un coup sec. Avant que George eût pu éviter cette rencontre, comme il l’eût instinctivement fait s’il en avait eu le temps, il se sentit enveloppé par le regard inquisiteur de son parent. Il n’était pas sûr que ce dernier le reconnaissait, mais la chose était possible. Dans ces conditions, il ne pouvait se dispenser de saluer l’ennemi de son père, qui sans doute était instruit de ses nombreuses visites. George leva poliment son chapeau et allait passer outre, mais, à sa grande surprise, le vieux gentleman l’arrêta et lui tendit sa main fine, étroitement serrée dans un gant jaune-paille. Il se permettait certaines exagérations de toilette qui, toutefois, n’étaient pas trop déplacées chez lui.

« Vous êtes bien George Wood ? » demanda-t-il.

George fut frappé par le son désagréable de cette voix, que son interlocuteur avait pourtant l’intention évidente de rendre plus agréable.

« Oui, monsieur Craik, répondit le jeune homme encore un peu embarrassé par la soudaineté de la rencontre.

— Je suis aise de vous voir. Vous avez été bien bon de venir prendre de mes nouvelles quand j’étais malade ; je vous remercie. Cela dénote un bon cœur. »

Tom Craik était sincère et sur le parchemin qui recouvrait ses traits fatigués et dans cette voix cassée, George chercha en vain la trace d’un rire moqueur. Le jeune homme éprouvait un vif sentiment de remords. Ce qu’il avait voulu faire comme un reproche avait été mal compris et à présent on l’en remerciait.

« Je vous hais et j’ai demandé de vos nouvelles dans l’espoir qu’on m’annoncerait votre mort. »

Ces mots étaient dans son esprit, il s’entendait presque les prononcer, mais il ne pouvait les dire. Une rougeur de honte lui monta au visage.

« Il m’a paru tout naturel d’aller prendre de vos nouvelles, » dit-il après un moment d’hésitation. Cela lui avait semblé tout naturel, il s’en souvenait.

« Vraiment ? Eh bien, j’en, suis heureux, alors. Cela n’eût pas paru aussi naturel à d’autres jeunes gens dans votre position, bien le bonjour,… bien le bonjour. Venez me voir, vous me ferez plaisir. »

De nouveau la fine main gantée serra la main de George et il demeura seul sur le trottoir, écoutant le coup sec de la canne s’éloigner rapidement. Il resta un moment à la même place, puis continua à descendre l’Avenue.

Il était plus que contrarié, il était sincèrement affligé. S’il avait pu deviner quel était le résultat pratique de ses visites, il serait assurément revenu sur ses pas pour rattraper Tom Craik et lui expliquer avec une brutale franchise que c’était en ennemi mortel qu’il s’était présenté chez lui. Mais, comme il ne pouvait imaginer ce qui s’était passé, toute explication lui paraissait une brutalité parfaitement gratuite, il était peu probable qu’il rencontrât souvent le vieillard, il n'y aurait donc plus d’occasions d’un nouvel échange de politesses. Il souffrait d’autant plus dans son orgueil qu’il lui faudrait dorénavant accepter l’honneur d’avoir semblé généreux.

« Je viens de recevoir la récompense de mes iniquités, dit-il en entrant chez les Fearing, et en regardant le visage délicat de Constance.

— Que vous est-il arrivé ? demanda celle-ci en levant les yeux avec un intérêt évident.

— Vous rappelez-vous la première fois que je suis venu ici,… la seconde fois, veux-je dire,… quand Tom Craik était si mal, et que j’espérais qu’il allait mourir ? Vous rappelez-vous que je vous ai dit que j’allais mettre une carte et prendre de ses nouvelles, et que vous m’avez conseillé de n’en rien faire. J’y suis allé,… j’y suis même allé plusieurs fois.

— Vous ne me l’avez jamais dit. Du reste, cela ne me regardait pas.

— Je voudrais bien avoir suivi votre conseil. Le vieillard s’est rétabli, et tout à l’heure, en venant ici, je me suis heurté contre lui dans la rue. Le croiriez-vous ! il a pris mes visites au sérieux,… il s’est imaginé qu’elles étaient dues à une pure bonté d’âme,… il m’a remercié très aimablement et m’a engagé à aller le voir ! Je suis resté tout sot. »

Constance se mit à rire, et, pour une raison ou pour une autre, le timbre vibrant et musical de son rire ne causa pas à George autant de satisfaction qu’à l’ordinaire.

« Qu’avez-vous fait ? demanda-t-elle un instant après.

— Je ne sais trop. Je ne pouvais vraiment pas lui dire en face qu’il n’avait pas su apprécier mon genre de plaisanterie. Je crois que j’ai dit quelque chose de poli,… de honteusement poli, même. Ah ! vous m’avez mis là dans une jolie impasse !

— Je vous ai mis dans une impasse ?

— Certainement ! Je ne suis allé sonner à la porte de Tom Craik que par esprit de contradiction, parce que vous m’aviez conseillé de ne pas le faire,… voilà tout. Je ne vous connaissais que depuis très peu de temps, alors… et… »

Il s’arrêta et regarda fixement la jeune fille.

« Je savais très bien que j’avais tort de vous donner un conseil à cette époque, répondit Constance en rougissant légèrement au souvenir de sa conduite lors de ce mémorable après midi.

— Non. Vous aviez raison et j’aurais dû le comprendre. Si vous me donniez un conseil à présent…

— J’aime mieux ne pas vous en donner, interrompit la jeune fille.


— Je le suivrais, je vous assure, dit George d’un air sérieux. Il y a une grande différence entre ce temps-là et à présent.

— Vraiment ?

— Oui. Ne le sentez-vous pas ?

— Je vous connais mieux qu’alors.

— Et moi aussi, je vous connais mieux,… hier… bien… mieux.

— Alors, vous êtes disposé maintenant, à suivre les conseils sensés…

— Les vôtres seulement, mademoiselle.

— Les miens ? Mais je ne vous en donnerai plus jamais. Je vous en ai déjà beaueoup trop donné.

Constance posa l’ouvrage qu’elle tenait et regarda par la fenêtre. Il y avait une expression singulière sur son visage, comme si elle hésitait entre la crainte et la satisfaction.

— J’aimerais mieux des conseils… que rien, dit George à voix basse.

— Que pourrais-je vous donner ? »

Sa voix avait un accent de surprise Elle paraissait stupéfaite.

« Ce que vous ne me donnerez jamais, j’en ai peur,… ce que j’ai bien peu le droit de demander. »

« Monsieur Wood, dit-elle soudainement, vous allez me faire une déclaration…

— Précisément, répondit-il avec une singulière rudesse.

Puis tout à coup sa voix s’adoucit complètement.

« Je m’y prends mal… pardonnez-moi… J’ai pu résister jusqu’ici,… mais je ne le peux plus. Permettez-moi de m’exprimer une seule fois,… cette fois-ci seulement… Mademoiselle, je vous aime de tout mon cœur. »

Ce fut avec un grand soulagement que George prononça cet aveu qui l’étouffait depuis longtemps, mais dans la chaleur même de sa voix il y avait encore du calme. Il l'aimait, c’est vrai, mais d’un amour qui tenait plus de l’admiration que de la passion. Les perceptions plus délicates de la jeune fille devinaient cette différence sans la comprendre.

Constance ne répondit rien, mais elle se leva, après un moment de silence, et alla regarder les objets qui se trouvaient sur la cheminée. George se leva aussi, et s’approchant d’elle pour essayer de voir son visage :

« Êtes-vous fâchée ? demanda-t-il doucement. Vous ai-je offensée ?

— Non, je ne suis pas fâchée, répondit-elle. Mais… mais… pourquoi avoir parlé ?

— Vous ne m’aimez donc pas du tout ? Vous ne tenez pas à ce que je vienne, alors ? »

Elle eut pitié de lui, car son désappointement était sincère et elle savait qu’il souffrait, quoique ce ne dût pas être grand’chose.

« J’ignore ce qu’est l’amour, dit-elle d’un air pensif. Je suis heureuse de vous voir,… je m’intéresse à ce que vous faites,… mais je n’éprouve pas… ce qu’on doit éprouver quand on aime

— Peut-il se faire qu’un jour vous ayez de l’amour pour moi ?

— Peut-être. Je ne saurais dire. Je vous connais depuis bien peu de temps.

— Il me semble qu’il y a longtemps ; mais vous me donnez plus que je n’avais le droit de demander, … vous me permettez d’espérer. Je vous remercie de tout mon cœur.

— Il n’y a guère de quoi me remercier. Je n’en pense pas plus que je n'en dis… »

Puis, tournant la tête et Je regardant fixement :

« Et je ne vous promets rien.

— Que pourriez-vous me promettre, puisque vous ne m’épouseriez pas, même si vous m’aimiez comme je vous aime ?

— Vous avez tort. Si je vous aimais, je vous épouserais… si j’étais sûre que votre amour fût réel. Mais il ne l’est pas, Vous vous trompez vous-même… »

Le visage sombre du jeune homme sembla s’assombrir encore, et dans ses yeux il y avait de la passion à présent, mais ce n’était pas celle de l’amour. Sa nature extrêmement impressionnable avait déjà ressenti l’offense.

« Arrêtez, je vous prie, mademoiselle, dit George à voix basse et tremblant de colère. Vous en avez déjà trop dit. »

Constance recula liés surprise et eut l’air de l’avoir mal compris.

« Pourquoi ?… qu’ai-je dit ? demanda-t-elle. Vous le savez bien. Vous êtes cruelle et injuste. »

Le premier mouvement de la jeune fille fut de quitter le salon, car la colère du jeune homme l’effrayait. Mais elle pensa qu’elle le connaissait trop peu pour laisser passer une pareille scène sans explication. Elle rassembla tout son courage et le regarda de nouveau en face.

Monsieur Wood, dit-elle avec une fermeté qu’il ne lui avait jamais vue, je vous donne ma parole que je n’ai eu aucune intention malveillante. C’est vous qui me jugez mal. J’ai le droit de savoir ce que vous avez compris dans mes paroles.

— Quelle pouvait être votre intention alors ? demanda-t-il froidement. Vous êtes, je crois, très riche, et tout le monde sait que je suis pauvre. En disant que mon amour n’est, pas réel…

— Bonté divine ! s’écria Constance, je n’ai jamais voulu dire cela… je ne l'ai jamais dit… je n’aurais pas même voulu le penser. »

Il y avait un peu d’exagération dans ces derniers mots. Elle l’avait pensé, et cela récemment, bien que ce ne fut, pas quand elle l’avait dit. Cela suffit cependant. George la croyait et le nuage disparut de son visage. Ce fut elle qui lui prit la main la première, et la chaleur de son étreinte fut presque affectueuse.

« Vous ne penserez jamais cela de moi ? demanda-t-il très sérieusement.

— Jamais ! Pardonnez-moi si une seule de mes paroles a pu sembler avoir une intention que je n’avais pas.

— Merci, répondit-il. Cela vient de ma sotte susceptibilité et c’est à moi qu’il faut pardonner. Les choses peuvent changer un jour.

— Oui, répondit Constance avec un peu d’hésitation,… un jour. »

Un instant après, George quittait la maison, avec la sensation d’un soldat qui est allé au feu pour la première fois.