Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 46

Charpentier (p. 230-236).
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XLVI

Tous les arts descendant du dessin, Hokousaï veut que son imagination aille à ces arts, que son pinceau y touche, que sa main en donne des modèles. C’est ainsi qu’en 1836, le vieux peintre qui signe : le vieillard fou de dessin, publie le Shin-Hinagata, Nouveaux Modèles de dessins d’architecture, et écrit en tête, cette préface :

Depuis l’antiquité, l’homme a copié la forme des choses : ainsi dans le ciel il a pris le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les montagnes, les arbres, les poissons, et puis les maisons, les champs ; et ces images simplifiées, modifiées, dénaturées, sont devenues les caractères de l’écriture. Mais celui qui se fait appeler un dessinateur doit respecter la forme originale des choses, et ce dessinateur quand il dessine les maisons, les palais, les temples, il est de toute nécessité qu’il sache comment les charpentes sont agencées.

Il existait un ouvrage fait par un architecte, sous ce titre : les Modèles de l’architecture, mon éditeur m’a demandé de dessiner le second volume. Le premier a été fait par un homme du métier, avec des données techniques. Moi, ce que j’ai fait dans ce volume, est plutôt du domaine de l’art ; toutefois si, grâce à mon enseignement, les jeunes dessinateurs arrivent à ne pas faire un chat à la place d’un tigre, un tombi à la place d’un faucon, quoique mon travail ne soit qu’un caillou à côté d’une montagne, je serai glorieux de ce résultat devant la postérité.

Et à l’appui de la préface, après la représentation du fil à plomb : ce sont des modèles de constructions en bois, à la légère et élégante menuiserie ; ce sont des terrasses, aux balcons complètement ajourés, aux escaliers aériens ; ce sont des toits, aux souplesses courbes d’une toile de tente, avec de jolis auvents de bambous ; ce sont des modèles de cloches pour bonzeries, au bronze sillonné de dragons fantastiques de la mer ; ce sont de riches frontons, formés de deux énormes taï accolés et affrontés ; ce sont des ponts de cordage, passant au-dessus des arbres ; ce sont des lanternes de jardin, faites de la pyramide de trois enfants japonais, montés l’un sur l’autre ; ce sont les développements d’un temple bouddhique dans toute sa hauteur : — dessins précédés de la figuration, en son riche et nobiliaire costume, de l’architecte officiel du palais impérial, et des charpentiers travaillant sous ses ordres. Le volume gravé par Yégawa, l’habile graveur des Cent Vues du Fouzi-yama, eut une seconde édition, faite postérieurement et teintée de rose. À la fin de l’édition en noir, l’éditeur annonçait la publication de trois volumes qui devaient suivre, et qui n’ont pas paru.

Détail curieux, le professeur d’architecture d’Hokousaï, fut un des élèves de son atelier, nommé Hokou-oun, qui s’assimila tellement la manière de son maître, qu’il publia une Mangwa, où des pages de croquis seraient données par les plus fins connaisseurs à Hokousaï.

Mais ce n’a pas été seulement de la forme et du contour de l’habitation, qu’a été préoccupée la pensée artistique d’Hokousaï, il a donné des heures de son pinceau à la décoration des objets de la vie intime de son temps, cherchant à faire, ainsi que cela a été dans notre société du moyen âge, un objet d’art, de tout objet servant à la vie usuelle, et sur la pipe et le peigne, ces deux choses, où les Japonais ont dépensé les plus jolies imaginations, et associé à leur ornementation les plus belles et délicates matières, il a laissé deux merveilleux petits livres sous le titre : Imayô Koushi Kisérou Hinagata, Modèles des peignes et des pipes à la mode d’aujourd’hui. Trois volumes, dont deux consacrés aux peignes, avaient paru en 1822, et dont le troisième, consacré aux pipes, paraissait en 1823.

Le volume des peignes, qui a pour frontispice une Japonaise en train de polir des peignes sur une meule, contient les plus variés et les plus divers motifs d’ornementation de ce joli objet de toilette, où la laque, l’ivoire, la nacre, l’écaille, les pierres dures, se mêlent et se marient pour le décor.

Et le goût dépensé sur ces peignes ! Ici, ce semis de pétales de fleurs, là, cette jonchée d’iris, là, cet enguirlandement par un volubilis, là, ce couronnement par une fleur de nénuphar. Et des envolées à tire d’aile de grues, et des nages de canards mandarins, et des batailles de moineaux. Et encore, en leur petitesse minuscule, des coins de village, des plages, des aspects du Fouzi-yama, des vues panoramiques aux grands horizons. Et enfin des choses, qu’aucun peuple n’a fait servir à la décoration des objets usuels et familiers, comme les cassures du charbon de terre, le treillis d’une vannerie, le fouillis enchevêtré de clous, les crêtes des vagues, les rayures de la pluie.

À la suite de la préface, Hokousaï écrit ces quelques lignes :

La fabrication des objets change selon le temps. Des objets qui étaient carrés, on les fait ronds, et le monde trouve cela plus beau : ça s’appelle la mode. Tous les objets sont soumis à cette modification, à plus forte raison les peignes et autres objets de toilette servant aux femmes, dont les caprices se plaisent au changement. Si je ne dessinais que pour la mode présente, mes dessins ne seraient d’aucune utilité pour les fabricants de l’avenir ; donc les dessins de ce petit volume ont été faits, avec l’idée de créer un décor pouvant s’appliquer à des formes variables. Ainsi, si la mode exige que les peignes soient épais, les artistes devront augmenter le dessin pour couvrir l’épaisseur. Dans le cas contraire, ils n’ont, ce qui leur sera plus facile, qu’à simplifier le dessin. Donc j’ai tâché de prévoir, autant que possible, ces variations.

Et il signe : Précédemment Hokousaï Katsoushika I-itsou.

Le volume des pipes a, pour frontispice, un Coréen qui fume une pipe interminable ; et commence une suite de petits carrés, où se trouve le motif dessiné de la ciselure, entre un fourneau et un tuyau de pipe : motif en général exécuté sur une pipe toute en argent, ou sur une pipe en bambou avec des revêtements partiels en argent, ou sur une pipe en bronze avec des parties en ivoire. Et les motifs représentent tout un monde : un tigre, un ascète, une cascade, un enfant enlevant un cerf-volant, un Hotei, des chauves-souris, le porteur du bâton aux morceaux de bambous pour battre le thé, une biche, une branche de sapin, un acrobate, un Darma, une assemblée de renards au clair de la lune, une grenouille, une mouche, des flammes, des bulles de savon.

De ces volumes sur l’architecture, sur les peignes et les pipes, on pourrait rapprocher le Shingata Komon-tchô, Album de petits dessins pour nouveautés, publié en 1824. Une série de planches, où l’ingénieuse combinaison de l’enlacement, de l’entre-croisement, de l’enchevêtrement de carrés, de ronds, de losanges, fait le décor de robes, et qui devait être suivi d’un autre volume consacré aux broderies qui n’a pas paru.

En tête de ce volume, la préface de Tanéhiko dit : « Les artistes qui dessinent librement, sont d’ordinaire maladroits avec le compas et la règle, et ceux qui font des dessins géométriques ne savent pas dessiner librement. Hokousaï, lui, fait tout bien, et il arrive à faire avec sa règle et son compas, à faire non pas seulement des dessins artistiques, mais encore des dessins d’une invention infinie. »