Histoires insolites/L’Etna chez soi

L’ETNA CHEZ SOI

Aux mauvais riches.
ÉPILOGUE

I

POURPARLERS D’EXAMINATEURS


L’avenir est aux explosifs.
Le prince Kropotkine


Le récent exemple de ce cerveau brûlé, qui, tout à coup, lors des derniers incidents financiers, se prit à brandir, au-dessus d’un gros d’agents de change, une présumable bouteille d’Hunyadi Janos, en s’imaginant, déjà, qu’il allait transformer en cratère la corbeille de la Bourse — et qui s’étonna si douloureusement lorsque le bris de son engin ne produisit qu’une simple flatuosité de pétard, — oui, cet exemple a porté ses fruits.

S’il faut ajouter créance, en effet, à divers rapports dont la Préfecture s’est émue, les principaux comités ultra-radicaux auraient, enfin, reconnu que, si l’Anarchie elle-même tenait à s’éviter, l’heure venue, de ces dérisoires mécomptes, elle devait exiger, dorénavant, quelque ombre, sinon de savoir, au moins de savoir-faire chez ceux qu’elle chargeait de conditionner les grands explosifs de ses rêves.

Bref, étant bien démontré, depuis 1871, le rococo puéril de toutes barricades, ainsi que, depuis Charleroi, l’inanité des grèves, — étant constaté, de même, tout l’anodin, tout le surfait de la dynamite employée à l’air libre… et dont, en résumé, les dégâts se sont réduits, toujours, à si peu de vitres, de moellons et de passants (des adhérents, peut-être !) endommagés, — ces messieurs de l’Avenir sont demeurés, un assez long temps, soucieux.

Durant leur inquiétant silence, l’on a consulté ceux de nos ingénieurs d’État les plus versés en pyrotechnie, — ceux qui, par exemple, avec la gomme du syndicat Nobel, rompent les isthmes les plus rocheux, ceux qui, avec la paléine du colonel Lanfrey, précipitent, en quelques coups de mine, dans l’Océan, les promontoires qui gênent la navigation, ceux qui, avec la forcite-gélatine du capitaine suédois Lewin, font couler à pic, en trois minutes et d’un seul choc de torpille, des monitors de vingt millions, ceux qui, avec la lithoclastite au toluène de M. Turpin, forent des montagnes de granit presque aussi aisément que s’ils s’attaquaient à pains de margarine, — ceux qui, avec la douce mélinite, disséminent, comme à La Fère par exemple, tout un pan de forteresse d’une seule percussion d’obus.

Or, à cette question qui leur fut posée :

— Les mécontents, résolus à ne désormais frapper qu’à la tête, menacent de faire « exploder » divers quartiers de Paris ?

Nos ingénieurs, souriants, ont répondu :

Rassurez-vous. Les très rares fulminates qui seuls pourraient « produire des déblais » ne se laissent pas manier par des clercs. Les extra-brisants nécessitent une installation très coûteuse et sont d’un transport presque impossible, — à moins d’être additionnés de corps qui en atténuent l’extrême violence. — Vos malveillants, donc, si leur maladresse ne les exécute eux-mêmes en un ridicule vacarme, n’arriveraient guère qu’à se faire assommer, ou mettre en pièces, pour excès de tapage nocturne ; à rien de plus, nous l’attestons.

Nous citons ici, textuellement, les appréciations des premiers experts du Génie civil, notamment celles de M. Paul Chalon, l’auteur du Traité des explosifs modernes[1], représentant de la Compagnie « La Forcite ».


Exaspérés par le dédain de ces réponses qui furent portées à leur connaissance, nos forcenés perturbateurs sentirent s’allumer en leurs cervelles mille projets indigestes et monstrueux. — Terrifier à tout prix ! faire trémuer et trémoler le bourgeois, devint leur idée fixe, leur hantise, — et la mélodie célèbre : « Dynamitons, Dynamitons ! » publiée par toutes nos feuilles, devint leur sifflotement favori.

Et, dans les réunions secrètes, certains des leurs, les plus éclairés, se faisaient part des « idées » que leurs jeunes savants des écoles laïques et obligatoires leur suggéraient, le soir, sous la lampe de famille, en exultant sur les genoux paternels. Les soirées, en effet, dans leurs logis, s’écoulaient, paisibles et patriarcales, en des dialogues variés sur les thèmes suivants ; (et il faut voir comme ils s’expriment avec lucidité, les jeunes élèves ! Ah ! mais ! c’est que nous ne sommes plus au temps de l’Obscurantisme !) :

— Papa ! tu ne sais pas ?… En laissant couler, comme par mégarde, par quelque nuit sans lune, sur une berge, aux abords des réservoirs des Eaux de Paris, par exemple, une de ces petites tonnes de nitro-glycérine — que, sans sortir de chez l’épicier, je pourrais te confectionner, en deux heures, pour 90 francs, — cette substance, insoluble dans l’eau, se diluerait, comme une pluie, sous le refoulage, en des centaines de milliers de gouttes huileuses, à travers les tuyaux des pompes. Le matin suivant, dans une multitude de cuisines parisiennes, au premier tour de robinet… comprends-tu ? cinq ou six gouttes, lancées, avec force, par le jet, sur les éviers, détonneraient en faisant éclater la pierre : et l’eau, vaporisée à l’instant par la température de ces gouttes de foudre — (des milliers de calories !) — en renforcerait sensiblement la déflagration. Hein ! comme ce serait amusant, alors, la « frousse » du bourgeois !

— Oui, grommelait, après réflexions, l’anarchiste en embrassant le charmant petit être, — oui, cela ressemble à ces haricots explosifs auxquels vous jouerez pendant huit jours, dès qu’ils seront distribués au bas âge comme petits Noëls. Ton invention pourrait, au moins, éborgner, écloper même, je l’accorde, quelques centaines de cordons-bleus : soit ! — mais… après ?

— Papa ! mon petit papa !… je viens d’apprendre, à la récréation, que, — portée par l’air et le vent, — une seule inhalation de certain alcaloïde, inventé d’hier, est mortelle à la minute même. Cela s’extrait, figure-toi, des vieilles pommes de terre, coûte dix sous (c’est un précipité des plus faciles à obtenir), et cela vous décompose le sang comme une piqûre au cyanhydrique. L’on pourrait en laisser tomber, négligemment, un flacon, par inadvertance, au cours d’une fête, l’hiver prochain, dans les salons de tel ministère, hein, — pour ne rien dire de plus ?

— Chère tête blonde, répondait, avec attendrissement, le prolétaire, — le résultat, vois-tu, serait aussi douteux qu’avec les arsénieux, le muriatique, les phosphures et le reste des infectants connus. La concentration se dissipe, hélas ! si vite. Vingt cavaliers et leurs dames, pris d’étourdissements, — succombant, même, si tu y tiens ! — Soit ! Et après ? Va, ce serait d’une aussi impratique folie que le projet d’inflamber les tuyaux de gaz ou de miner les catacombes. Tu es dans l’âge des illusions,..

— Papa ! papa ! figure-toi qu’en passant au lavage alcalin (cela coûte quarante centimes) deux mètres cubes de simple sciure de bois, celle-ci, une fois bien séchée, peut être transportée, en sac, dans une mansarde. Là, traitée en quelques minutes par un azoteux (cela s’obtient avec cent sous d’eau-forte de chez l’épicier), puis laissée en contact avec une mèche lente, que l’on a soin d’allumer avant de s’en aller, tranquillement, la clef dans sa poche… brrroum ! c’est la maison et ses deux voisines s’éboulant sur au moins quatre-vingts bourgeois, tu sais ! et avec le fracas de trois pièces de canon !

— Peuh ! répliquait l’anarchiste en hochant la tête, — et après, mon amour ? On payerait cher, très cher, ce trop de bruit pour peu de chose. Vois-tu, ce n’est pas quatre-vingts bourgeois, c’est tous les bourgeois, qu’il s’agirait de trouver le moyen d’exterminer.

— Mais, papa, gros comme une aubergine (600 grammes) de gélatine de Lewin, cela vous envoie un quartier de grès du poids de sept quintaux (3.500 livres) rouler comme une balle de ouate à plus de cent mètres. Cette aubergine-là ne coûte, à Anvers, qu’un franc cinquante ! Rien, même ! puisque, partout, les carriers et les portons, qui en ont les poches farcies, se comptent par vingtaines de milliers ! Il en passe, par jour, et rien qu’en Belgique, de 30.000 à 40.000 tonnes, sur les fleuves. Quant aux amorces, nos frères des grandes capsuleries des mines, où cela circule par boîtes, nous en feraient bien cadeau. D’ailleurs, le fuminate de mercure, n’éclatant jamais dans du bois, pourrait être expédié, soit pur, soit camphré ou nitraté…

— Ta ! ta ! ta ! répondait, avec émotion l’anarchiste : tu oublies, enfant, dans ton innocence naïve, qu’en deux heures, des lois d’exception seraient votées, qu’on se trouverait traqués par l’état de siège, écrasés, à mille mètres, par des feux de batteries et de bataillons, exterminés, comme des rats, par les tribunaux sommaires ! Sans compter que, ces troubles refroidissant toujours le commerce, ceux qui survivent crèvent encore davantage de faim la semaine suivante. Endors-toi. Toutes ces choses et cent autres sont archi-connues, et je serais hué si je venais les offrir à nos comités supérieurs. Revenus du cercle des fantaisies, ils sont bien décidés à n’admettre, cette fois, qu’un engin… qui contiendrait, à volonté, le Tremblement de terre.

Ainsi les soirées, ces derniers temps, s’écoulaient, en entretiens paisibles, chez quelques milliers de ménages peu fortunés, en notre capitale.

Si bien qu’une cotisation de vingt-cinq centimes par tête (je cite les termes d’un rapport officiel) fut votée, il y a plus de six semaines, en un comité de mécontents, pour qu’une rente de vingt-cinq à trente francs par jour, allouée à trois ou quatre élus, — triés parmi les plus diserts, — permît à ces derniers, toutes autres occupations quittées, de se consacrer, sans trêve, à « découvrir, fabriquer, apprendre à manier, enfin, les plus destructifs, les plus brisants et les moins coûteux d’entre les mélanges explosifs le plus à la portée de tous » .

Environ cinq semaines après, — voici, à peine, huit jours, — une conception, cette fois presque sérieuse et même assez grave, chuchotée d’abord entre groupes et avec stupeur, puis faisant traînée de poudre ici et au loin, fut notifiée à qui de droit. Aujourd’hui les anarchistes ne se cachent même plus pour parler. — Cette triste découverte est due à l’imbécillité de plusieurs journaux, qui ont ébruité, en termes scientifiques, il y a trois ans déjà, la presque totalité de ce secret meurtrier. À présent, l’engin, qui mérite attention, est divulgué, c’est-à-dire mis à la discrétion de la foule. — Voici, en résumé, ce que dit l’ennemi :

« Pour la modique somme de deux francs cinquante, tout individu, ayant acquis deux ingrédients débités chez l’épicier, peut, désormais, à l’aide d’un engin spécial des plus simples, et qui ne fait pas de bruit, envoyer ces deux ingrédients se mêler, à quatre-vingts mètres, sur tel point visé. — Or, châteaux, pâtés de maisons, casernes et palais, sous le choc de ce mélange subit, sont écrasés, avec leurs habitants, d’un seul coup, à peu près en un huitième de seconde. — Cet engin peut être confectionné en deux heures, partout, et il est invisible dans l’air. On ne saurait constater par aucune preuve qui peut l’avoir lancé. C’est la Torpille aérienne. »

Nous allons démontrer qu’il entre, au moins, six ou sept dixièmes d’exagération dans la prétendue puissance du fléau international.

II

CE QUE PEUVENT UN LITRE D’EAU-FORTE, UNE LIVRE DE LIMAILLE DE CUIVRE ROUGE ET UN LITRE D’ESSENCE MINÉRALE

En ce temps-là, les hommes, aussi, plantaient et bâtissaient, allaient et venaient, épousaient des femmes et en donnaient en mariage ; ils vendaient et achetaient, — et le Déluge est venu.
Évangiles.


Voyons. Examinons.

Il ne s’agit pas, ici, de rénover la fable ressassée de l’autruche qui, fermant les yeux obstinément pour ne pas voir le danger, s’imagine, dit-on, que, grâce à cette ingénieuse mesure, le danger ne la voit pas non plus.

Voici, d’abord, en substance, le projet de complot qui a réuni le plus de suffrages :

« Trente (c’est le chiffre fixé) de ces douteux artisans sans métier précis, aptes à toutes besognes, sont secrètement nommés, après enquête et entre des milliers d’autres, par les chefs de l’Internationale, à Paris. Se connaissent-ils ? Non. Savent-ils ce que l’on attend d’eux ? Non, certes. À peine en auront-ils conscience dix minutes avant l’instant décisif. Par ainsi, nul risque, chez eux, après boire, de telle inquiétante allusion, — d’un mot trouble et menaçant, divulgué par une fille, — nulle traîtrise possible. Bref, ils ignorent, et on les a sous la main.

« Ils se trouvent même toujours à leur poste, sans le savoir ; car les voici bientôt logés, aux frais de la caisse commune, en trente de ces hautes mansardes, distantes chacune, — comme par hasard, — d’environ soixante-dix à quatre-vingts mètres des principaux édifices, foyers administratifs de l’autorité légale : par exemple, la Préfecture de police, l’Élysée, les ministères de l’Intérieur, des Postes et Télégraphes, et de la Guerre ; l’Usine centrale du gaz, les poudrières, la Banque de France, les Palais du Sénat et du Corps-Législatif, la Poste, la Bourse, l’Hôtel de Ville, etc. »

(L’on verra, bientôt, de quel acte de subtile mais heureusement inexécutable scélératesse l’École militaire et les cinq grandes casernes de l’armée de Paris seraient menacées).

« Durant les jours d’attente, il est indirectement procuré à chacun de ces trente préférés un petit travail qui les occupe et leur crée, autour d’eux, un vague renom d’assez braves gens. Un lit, une commode, un placard, une table, deux chaises, un seau d’étain et quelques ustensiles, voilà leur installation.

« Le malin du dies illa, chacun d’eux, étant seul, reçoit en main l’avis suivant, lesté d’une pièce d’or, de la part des Grands-Amis :

« Frère, au reçu de cette lettre (sur laquelle sois muet pour tous, dans les hasards de toutes rencontres), prends ton panier à provisions, descends et va, comme d’habitude, acheter le nécessaire de tes deux repas. En revenant, tu te muniras, chez un épicier, d’un litre d’eau-forte du commerce « pour nettoyer » et, chez un autre, d’un litre de pétrole léger « pour ta lampe ». Cela fait, rentre — et qu’un quart d’heure après tu aies déjeuné, sobrement. À telle heure de l’après-midi, tu reçois la visite de l’un des nôtres : il a demandé le nom de quelqu’un de tes voisins. Il connaît ta porte — et te remet une longue et très légère caisse de bois blanc, de forme ronde et enveloppée d’une serge.

« Elle contient :

« 1° 120 petites billes creuses, en verre, rangées, par trentaines, en quatre carrés bien clos, dûment ouatés et cartonnés, en leurs 120 petites cases. Ces billes sont percées, toutes, comme un poinçon, d’une minuscule ouverture qui permet de les emplir d’un liquide, à l’aide de deux minces compte-gouttes qui les avoisinent.

« 2° Un flacon de pâte forte, — sorte d’enduit de cire, de sable et de gomme, se séchant à l’instant dans l’eau, — pour les boucher, une fois remplies.

« 3o Un sachet, contenant des copeaux et de la limaille de cuivre rouge.

« 4o Un de ces petits tubes de verre, ayant forme d’un carré dont la quatrième ligne serait coupée.

« 5o Deux grandes carafes et leurs larges bouchons de liège, forés, à leur centre, d’un trou mesuré juste pour enserrer, chacun, l’un des deux bouts du précédent tube de verre.

« 6o Six cannes de verre trempé, creuses, à bouts l’un plein, l’autre ouvert, de 1m, 25 de longueur : leur diamètre excédant de 2 millimètres celui des billes, chacune de celles-ri pourrait y être glissée à l’aise. Ces cannes sont fixées, en des anneaux de cuir, contre une paroi de la caisse. — Tous les autres objets sont aussi fixés ou emballés de manière à ce qu’un heurt ne puisse les briser facilement, ni les choquer les uns contre les autres.

« Te voici bien seul chez toi. Tu t’enfermes ; tu ôtes la clef et tu voiles le trou de la serrure. À présent, tu n’ouvriras plus qu’aux sept coups d’ongle de notre envoyé, — qui t’arrivera vers neuf heures et demie. Et passe tes chaussons de laine pour marcher sans bruit. »


Ici, nous prenons sur nous d’interrompre.

Rien qu’à cet énoncé, l’on peut deviner qu’il doit être ici question d’une simple panclastite[2] à l’hypoazotide. Si, en effet, nous traduisons en langue exacte ce menaçant verbiage, il ne signifiera pas autre chose que ceci :

L’eau-forte « de chez l’épicier » n’est qu’une ironie : l’eau-forte s’appelant, en réalité, de l’acide nitrique — ou azotique.

En se combinant, le cuivre et l’acide produisent des vapeurs qui, recueillies et à peu près solubles dans l’eau, transmuent cette eau en peroxyde d’azote, autrement dit en acide hypoazotique.

Or, la propriété de l’acide hypoazotique mis en relation, par un choc subit et inflammant, avec le pétrole léger ou telle autre essence de pétrole, est de se comporter comme les poudres brisantes les plus violentes, de se décomposer, en un mot, avec une détonation très forte ; — et de projeter puissamment les obstacles qui s’opposent à l’expansion totale des énormes volumes de gaz qu’engendre son explosion.

L’on peut même ajouter que cette panclastite, — qui est, ce nous semble, quelque chose comme celle inventée par M. Turpin, — serait supérieure en puissance, et de beaucoup même, à la nitroglycérine pure.

En effet, voici la formule de décomposition de la nitroglycérine pure — au moment, enfin, de son explosion[3] :

C6H2 {Az O5H O}3 = 6CO2 + 2HO + 3HO + 3Az + O
En poids, 227 = 132 + 18 + 27 + 42 + 8 = 227
En volume, 12v + 4v + 6v + 6v + 1v = 29 vol.
En chaleur, 6 × 6 + 8000 + 2 × 1 × 34 500 + 0 + 0 + M

M désignant la chaleur latente de décomposition de la nitroglycérine, chaleur que nous estimerons égale à 60.000 calories par équivalent, — bien que ce chiffre nous paraisse trop fort, — v désignant l’unité de volume et représentant 5 litres 58 (volume ramené, bien entendu, à 0° et à la pression atmosphérique si le gramme est adopté pour unité de poids)[4], — 100 parties de nitroglycérine pure donneront, par conséquent :

Volumes : 12,77 à 0° et 760mm de pression ;
Calories : 184.000, environ.

Or, théoriquement, une panclastite, produite par le peroxyde d’azote et un benzol (ou, à peu près, toute essence minérale), mais calculée de façon à brûler le carbone en oxyde, donnerait :

2C4H8 + 11 AzO4 = 28 CO + 16 HO + 11 Az
En poids : 184 + 506 = 392 + 144 + 154 = 690
En volumes :   56 + 32 + 22 = 100
En calories : 28 × 6 × 5,600 + 16 × 1 × 34,500 + 00 = 1,492,800

100 parties de cette panclastite donneraient donc :

Volumes : 15, 94, soit 26 % en plus que la nitroglycérine.
Calories : 21.6000, soit 17 % en plus que la nitroglycérine.

C’est donc bien cela que signifient les ironies de « chez l’épicier » ; — pas autre chose. Eh bien, ne discutons pas. En admettant qu’avec les éléments dont il est question dans la menace, on puisse obtenir des expressions à peu près analogues, d’après de certains dosages, voyons comment toute cette verroterie pourra projeter, sans péril pour celui qui l’expédie, un explosif de cette nature[5].

III

LE CHARGEMENT DES BOULES DE VERRE

Car il n’y a rien de caché qui ne se découvre, ni rien de secret qui ne se révèle : aussi ce que vous avez dit dans les ténèbres sera répété au grand jour.
Évangile selon saint Luc, XII, 2 et 8.


Voici (condensé dans le moins obscur français qu’il nous est possible d’écrire) le texte des instructions précisées par les ingénieurs anarchistes, dans les Cours d’explosifs qui se tiennent, en ce moment, à Paris et ailleurs.

Nous supposons, logiquement, que ces instructions continuent cette même circulaire que nous avons interrompue.

« Remplis d’eau l’une des carafes ; — jette dans l’autre toute la cuivrerie du sachet et verse dessus le litre d’eau-forte.

« Les ayant posées, l’une contre l’autre, sur la table, et bouchées, enfonce doucement, par les angles — et bien d’ensemble — dans le trou central de chaque bouchon, les deux bouts du tube de verre, jusqu’à ce qu’ils plongent chacun d’eux en son liquide.

« Bientôt des vapeurs brun rouge circulent à l’intérieur de la triple ligne transparente du tube ; elles viennent pénétrer et foncer l’eau de la première carafe : en moins d’une heure cette eau, saturée de ces vapeurs, est devenue couleur d’ocre.

« Alors tu enlèves bouchons et tube, et les déposes, ainsi que la carafe d’eau-forte, au fond de ton seau d’étain.

« Là, tu les immerges d’eau fraîche ; puis, ayant bien ajusté le couvercle sur le seau, tu le relègues dans un coin.

« L’autre carafe, pleine de l’eau brunie, est demeurée sur la table.

« Il s’agit, maintenant, de remplir de ce liquide soixante (c’est-à-dire la moitié) de tes boules de verre.

« Écoute le seul parfait moyen d’y arriver vite, pour le mieux et sans l’ombre d’un danger : mais dis-toi bien qu’il te suffirait d’en omettre ou transposer un détail pour encourir une catastrophe dont tu ne saurais te faire même une idée, — et dont la terrible durée n’excéderait pas celle d’un clin d’œil.

« Tout d’abord : qu’au moment où, pour procéder à l’opération susdite, tu t’assois devant la table, les objets suivants — que tu as chez toi — s’y trouvent disposés dans l’ordre que voici :

« 1o Devant toi, une assiette creuse et un verre ; — auprès du verre la carafe d’eau brunie.

« 2o À ta droite, à côté de l’assiette, l’un des compte-gouttes, puis l’une des boîtes de pâte-forte.

« 3o À ta gauche, les deux premiers carrés de carton contenant chacun trente boules.

« 4o Sur une chaise, à côté de la tienne, aussi à gauche, tu as placé tout bonnement ta cuvette à moitié pleine d’eau.

« Tu t’assois donc. Tu commences par verser de l’eau brunie dans le verre jusqu’aux trois quarts. Cela fait, tu saisis une première boule entre deux doigts de ta main gauche et la tiens au-dessus de l’assiette.

« Tu prends, de la main droite, le compte-goutte et en trempes la pointe dans le verre. Elle y aspire (d’une pression de ton pouce sur la capuce de caoutchouc du compte-gouttes) juste la quantité de liquide nécessaire pour remplir la bille. Tu introduis donc la fine extrémité de cet instrument dans le trou capillaire de la bille, — et voici que, d’une seconde pression, graduée à cause de l’air qui se trouve dans cette bille, celle-ci s’est remplie.

« Tu reposes le compte-gouttes à sa place, et prends le couteau : du bout de la lame tu enlèves une très petite parcelle de pâte-forte, dont tu enduis et bouches l’ouverture de la bille. Cela fait, tu plonges celle-ci dans la cuvette, auprès de toi, ce qui durcit, à l’instant même, l’enduit. Vérifie le bon bouchage avant que soit ainsi lavé l’extérieur de la bille, au cas où quelque goutte aurait débordé.

« Ainsi de suite, jusqu’à la trentième.

« Alors tu retires, l’une après l’autre, de l’eau, les trente petites boules pleines, et tu les poses, au fur et à mesure, chacune en un casier de son carré, dont la ouate suffit à les sécher assez vite.

« Puis, tu attaques le second carré de billes vides, — les trente autres — et tu recommences. — Celui-ci, rempli à son tour, tu te lèves et vas déposer, sur une planche libre de ton placard, ces deux boîtes de boules brunes.

« Il s’agit, à présent, de faire disparaître d’autour de toi toute trace d’eau-forte.

« Tu regardes, sur ton palier, s’il ne circule personne : — tu jettes toute ta verrerie, pêle-mêle, dans le seau — et, l’ayant porté sous la fontaine, tu laisses couler le jet, bien à toute force, là-dessus durant cinq minutes. — Au bout de ce temps, le tout est redevenu clair. Tu rentres, tu essuies, tu places tout cela dans ton panier à provisions et le poses n’importe où.

« Attention !… La table une fois bien essuyée, et aussi tes mains, il te reste, pour toute besogne, à remplir les soixante dernières boules de verre, mais, cette fois, avec ton litre de pétrole léger. Pour cela, tu procèdes exactement comme tu viens de le faire mais en n’employant, pour cette seconde opération, aucun des objets qui ont servi pour la première : c’est pourquoi tu en as le double.

« Cette fois, tu ne dois remplir les boules qu’aux deux tiers à peu près.

« Là : c’est fait. — Va placer tes deux nouveaux carrés de billes blondes dans l’endroit le plus éloigné des brunes. Étends, dans le panier, sur les deux essuie-mains, le reste des objets qui t’ont servi, moins l’une des boîtes de pâte : et repose-le dans son coin.

« Le soir est venu. Tu peux allumer ta lampe — et dîner paisiblement.

« Après le repas, et pour charmer tes loisirs, ôte, doucement, les six cannes de verre de leurs annelets de cuirs et dispose-les, avec précaution, l’une contre l’autre, sur ton lit resté défait. Tu peux, à présent, briser le frêle bois blanc de la longue boîte ouatée et la brûler par petites flambées.

« La voilà disparue. Bien. Neuf heures sonnent. Éteins le feu : c’est utile. Ouvre, tout grand, le vasistas de ta mansarde : il faut qu’il fasse froid chez toi. — Quelle brume, quel brouillard, au dehors ! Les journaux d’hier l’avaient prédit, à l’article Température probable. Cependant, tu entends, au loin, sur la place de l’Hôtel de Ville, en face de ta maison, des voitures, des murmures de foule, — car c’est une nuit de bal et de fête !

« Mais neuf heures et demie sonnent : on gratte sept fois à la porte. Tu ouvres. C’est notre envoyé. »

IV

L’ENGIN

Si vous n’aimez que ceux qui vous aiment, si vous ne faites de bien qu’à ceux qui vous en font, si vous ne prêtez qu’à ceux qui peuvent vous rendre, si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous là de particulier ? Les méchants et les païens ne font-ils pas la même chose ?
Aimez vos ennemis ! Faites du bien à qui vous fait du mal et prêtez sans en rien espérer. C’est ainsi que votre récompense sera grande et que vous deviendrez les enfants du Très-Haut, car, lui aussi est bon pour ceux qui sont injustes et méchants. Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.
Évangiles.


La circulaire doit évidemment s’arrêter ici. Mais d’après ce qui précède, chacun, en vérité, peut, au gré de son imagination, conjecturer — et deviner, à peu près, — le reste !… Voici, selon la nôtre, aidée de renseignements connus, la pâle esquisse des discours, faits et gestes qui, sauf de négligeables variantes, suivraient l’entrée en scène du nouveau personnage.

(Mise convenable, extérieur des moins dramatiques, air bourgeois, le visiteur tient d’une main un petit sac — et de l’autre une grosse canne, de couleur neutre.)

Le dialogue suivant s’engage à voix basse :

— Les boules sont prêtes ? — Oui. — Bien. Donnez-moi ce panier.

Ayant entre-bâillé la porte, l’envoyé passe le panier à quelqu’un que l’on entend redescendre à l'instant même. — La porte une fois refermée :

— J’ai demandé le locataire d’un autre étage, chez qui votre concierge me croit monté.

Ce disant, l’émissaire a dévissé, très vite, la pomme et le bout de sa canne. Celle-ci s’ouvre en compas, emboîtant ses deux moitiés dans un écrou central que vient renforcer, en glissant, une rondelle d’acier : la canne est devenue, ainsi, une longue tige d’acier pur, très droite, d’environ six pieds. Ajustant à l’un des bouts recourbés le nœud coulant d’une forte et vibrante corde gommée, puis s’arc-boutant et faisant plier toute la tige, il ajuste l’autre nœud à l’autre bout de la canne, transfigurant ainsi le prétendu jonc en un arc d’un acier bien trempé et d’une très évidente puissance.

— Cet arc revient à quinze francs, par commande de cent cinquante, dit-il. Nous pouvons voir, dans les musées de vieilleries, bien des flèches rouillées qui, avec leurs lourdes pointes de fer, pèsent encore plus d’une livre : les archers d’autrefois les envoyaient tomber à cent quarante mètres et plus. Cet arc-ci envoie donc, facilement, tomber à quatre-vingts mètres une flèche du poids de sept cents grammes — et d’une livre et demie, à soixante-dix mètres.

L’envoyé s’est assis devant la table, sur laquelle il a posé son sac ouvert.

— Les boules, maintenant ! dit-il : les brunes à ma droite, les blondes à ma gauche. Doucement !… et ne laissons rien choir. — Bien. À présent, passez-moi l’un de ces longs et creux bâtons de verre. — Bien.

Ici, l’envoyé regarde fixement son acolyte : puis froidement, et à voix basse :

— Notre flèche, à nous, et flamboyante ! la voici… Voyez : le bout plein est muni d’une encoche pour bien mordre la corde de cet arc ; — en ces trois entailles, dont une centrale, et deux latérales (que j’enduis de cette pâte forte, tout à l’heure séchée), j’ajuste ces trois pennes de parchemin qui permettent à ce trait, à cet oiseau de tonnerre, de filer droit vers le but visé. — Voyez ce quadrillé, creusé dans le verre, un peu au-dessus de l’encoche ; c’est pour donner au pouce une prise plus ferme, et que, dans la traction de la corde, la flèche ne s’échappe pas avant la tension voulue.

« Je place donc cette flèche, tout au long, sur la table — et l’incline d’un degré à peine, — juste ce qu’il faut pour que cette boule brune, que j’y glisse arrive doucement jusqu’au fond, où se trouve un léger ressort très flexible, qui amortit le heurt de cette arrivée. — À présent, une blonde ! et nous alternons ainsi jusqu’à vingt billes par flèche. Il y a place, au bout de ce javelot, pour les deux tiers de ce court piston de bois, que j’enfonce, avec mille précautions et pour cause. Le bout qui en pénètre jusqu’à la première boule se termine aussi par un très frêle ressort d’acier, pareil à celui du fond de la canne, et destiné à maintenir, entre celui du fond et lui l’adhérence entre les billes, au moment du jet même de l’arc, — pour qu’elles ne se brisent pas en s’entrechoquant. L’autre bout du piston dépasse la flèche : s’il rencontre un obstacle, le piston rentre tout entier, écrasant la première boule, et, par suite, au même instant, toutes les autres (grâce à une loi physique bien connue) puisqu’elles se tiennent de surface entre elles. Alors les liquides se mêleront, brusquement, par proportions désirables. Quant à l’effet que produit la soudaineté de ce mélange en un choc inflammant, vous l’apprécierez tout à l’heure. Cette flèche-ci étant chargée, je la dépose sur le lit, où les cinq autres, également prêtes, seront ses voisines d’ici vingt minutes.

« Là ! — c’est fini. »

L’envoyé se lève et tire sa montre : — « Dix heures et demie, » dit-il.

V

L’EXÉCUTION DE PARIS

Nisi Deus custodierit civitatem, in vanum laborant qui custodiunt eam.
Psaumes.


Étant donné ce début de causerie et d’actes, le reste s’imagine encore plus facilement, à quelques variantes près ; ainsi le moderne archer reprend en ces termes :


« Portons, sans bruit, la table contre le mur, sous le châssis de votre fenêtre. »

L’instant d’après, l’inconnu, debout sur la table, ouvre, regarde au dehors — et renverse, doucement, le châssis derrière sa tête sur la toiture.

« Quel brouillard ! on ne distingue les vastes croisées de notre Hôtel national, — tout flambant neuf, — que grâce à ces points de lumière électrique… et vos voisins ne me verraient pas.

« Les journaux ont bien raison de nous prévenir la veille de la température presque certaine du lendemain ! Nous savons en profiter. Entendez-vous d’ici les musiques ? Cela fait rêver, je trouve. Mais il me semble que l’orchestre manque d’un instrument : nous allons y suppléer. — Ah ! voici trois spéciaux coups de sifflet qui m’annoncent que nos gouvernants, en grande partie, honorent, en ce moment, de leurs présentes, la solennité. Fort bien. Les salons tout en lumières, les buffets, les vestibules et couloirs doivent être pleins à étouffer ! C’est ce qu’il faut. — Onze heures et quart !… En cet instant précis, — grâce à nos affiliés volontaires, dans l’armée, à Paris, — partent, sous les lits des dortoirs, dans les grandes casernes, de puissants jets irrigants, de longues lignées de certains acides qui, une fois respirés ne pardonnent point : j’estime à vingt mille, environ, le nombre de ceux que la diane trouvera immobiles, à l’aube prochaine[6]. — En ce moment encore, une douzaine de flèches, quatre fois grosses[7] comme celle-ci (car elles ne doivent porter qu’à seize mètres), sont braquées sur la Préfecture : je crois à un véritable éboulement de tout ce pâté de masures sur ses habitants, d’ici à bien peu de minutes… — Allons ! l’on n’attend plus que nous. À votre tour de monter à cette tribune, mon cher collègue ! »

Ce disant il est descendu, et, lorsque son acolyte l’a remplacé :

« Placez-vous de biais. Glissez la tête et le bras au dehors, sur le toit. Bien. Voici l’arc : passez-le — de biais, toujours, — au dehors : puis, le tenant par le centre, de la main gauche, posez-le à plat sur le toit. — Là !… Voici, maintenant, la flèche.

« Du calme, ici. En la prenant de votre main droite, en la passant au dehors, en la couchant sur l’arc, il s’agit d’éviter qu’elle se heurte à quoi que ce soit, le piston de bois contenant quelque chose de sensible… Là ! Bien. — Vous retenez, sous votre index gauche, le milieu de cette flèche sur le centre de l’arc, en ajustant de votre main droite, sur la corde, l’encoche de verre. Serrant fortement, du pouce, le quadrillé, vous vous penchez au dehors et vous tendez l’arc, de toutes vos forces, jusqu’à ce que la naissance du piston touche le centre de l’arc. — Visez l’un des points lumineux, là-bas : elle arrivera toujours dans les environs, ce qui suffit. Là ! Vous tenez la nuit ; penchez-vous largement sur elle, au dehors : ne craignez pas de tomber, j’entoure vos jambes de mes bras et je m’y suspends !… L’heure sonne ! — Envoyez. »

Oui, tel serait le discours que tiendrait sans doute le mécréant, — et, si la prétendue toute puissance de ce brûlot n’était pas exagérée à plaisir, si cette panclastite pouvait être conditionnée à l’hydrogène, par exemple — (ce qui est radicalement impossible dans l’état actuel de nos connaissances puisque l’hydrogène, à haute température, réduit l’acide carbonique), — il ne serait pas inconséquent d’affirmer que de grands désastres pourraient être produits par ce calamiteux engin. Qu’on se figure, en effet, le tableau suivant :

Sitôt la flèche envoyée, un bref coup de tonnerre sonne du côté de l’endroit visé. Ce coup, vingt-neuf autres lui font écho, dans Paris, aux lointains. Et voici que les vociférations d’une multitude hurlante, des milliers d’appels affolés d’hommes et de femmes s’étouffant en une panique vertigineuse, — rappelant (et avec quels grandissements) par exemple les effroyables sinistres des théâtres de Nice, d’Exeter et de notre Opéra-Comique, voici que toutes ces explosions et que tous ces cris de carnage, enfin, parviennent jusqu’aux deux tueurs.

La brume s’est comme rougie là-bas ! Et, dans la même minute, les cinq autres flèches sont envoyées. Et les réponses environnantes se renouvellent, mêlées à des bruits d’écroulements, au fracas des poudrières, aux lueurs pourpres qui brûlent au loin. La capitale, dominant de son innombrable clameur le roulis des voitures et les sifflets des trains en partance, est devenue, en un quart d’heure presque pareille à Sodome sous le feu du Ciel. De subits charniers s’entassent. Puis, brusquement, plus rien : nul bruit, excepté celui des cris poussés par des milliers de victimes, celles qui survivent.

« — Nous recommencerons indéfiniment, ne voulant pas plus d’oppresseurs que de défenseurs désormais ! murmure alors l’envoyé de l’Internationale, tout en vissant la pomme et le bout de sa « canne » refermée. Il ne reste aucune trace, ici, de la besogne. — Voici un peu d’or : au revoir, et — à bientôt. Vite, couchez-vous. »

Les deux complices, en échangeant, sans doute, deux graves regards, se serrent la main. L’inconnu descend en grande hâte l’escalier. S’il rencontre quelqu’un devant le portail ou dans les environs il ne manque pas de s’écrier, de l’air d’un passant effaré qui regagne son logis :

— Ah çà ! qu’est-ce donc ? On entend des bruits épouvantables, ce soir !… Qu’est-ce qu’il y a ?

Puis, comme les gens qui s’enfuient de tous côtés ne trouvent même pas le courage de lui jeter la simple notification de leur ignorance terrifiée, — il s’éloigne, et disparaît dans le brouillard[8].


  1. Paris, Bernard et Cie, éditeurs.
  2. Terme de pyrotechnie tout récemment forgé ; de pan et de kladzô : « je brise tout ».
  3. M. Berthelot simplifie par : + 5HO ; — mais la succession 2HO + 3HO devait être évidemment observée, ici, pour le bon ensemble du présent calcul
  4. La puissance d’un explosif est, on veut bien se le rappeler, fonction de même sens que le volume de gaz et la quantité de chaleur qu’il dégage sous l’unité de poids.
  5. Voir le remarquable article de M. Hoca, dans le Génie civil, sur les lithoclastites. — Voir aussi le rapport officiel des quatre ingénieurs de la ville de Paris, nommés par la Préfecture de police, rapport imprimé, d’après lequel le Comité d’hygiène et de salubrité a cru devoir interdire, en France, l’usage de panclastiques à l’hypoazotide, comme d’un transport ne présentant aucune garantie pour la sécurité publique.
  6. Il va sans dire qu’à notre estime de telles atrocités sont radicalement irréalisables. Elles peuvent être rangées au nombre de ces chimères dont nous avons parlé dans la première partie de cette étude.
  7. Il suffit de réduire à l’expression partielle (calories et gaz) en tenant compte des questions d’espaces, les quantités panclastites déclarées missibles par des engins de cette nature, pour reconnaître que les effets brisants ne seraient pas, et à beaucoup près, ceux que l’on prône. La flèche de 700 grammes, tout calcul fait, n’équivaut pas, avec son piston doublé de fulminate, à plus de 18 ou 20 livres de poudre au maximum d’estimation. La flèche quadruple, seule, serait assez grave, à cause des diverses qualités d’explosions de la panclastite. L’effet moral, sur les foules, serait le plus terrible de l’engin : c’est pourquoi nous devons y songer de sang-froid, nous y habituer, ainsi, à l’avance. Surtout si nous réfléchissons à une chose : c’est que, — si l’actuelle flèche nous paraît d’une puissance assez contestable, — digne d’attention, pourtant, — les progrès, très rapides, de la Science, en matière d’explosifs — (progrès dont la loi d’ensemble a été si magistralement perçue, définie, établie par Berthelot), — ne tarderont pas à rendre, en effet, possibles les fulgurantes catastrophes dont nous menace la présente ébauche.
  8. En tout cas, la mélinite, inventée par les capitaines Locart et Hirondart, de Bourges, et, dont l’on peut estimer, sans exagérations inutiles, la puissance projective et pulvérisante de 30 à 40 fois celle de la poudre ordinaire, — même cette nouvelle composition dont serait saisie, au dire des journaux, la commission des salpêtres et qui serait trois fois plus puissante encore, — même le chlorate de potasse ou le cholure d’azote, (que l’on ne peut manier), — même le fulminate de mercure envoyés (chose impossible) à quantités égales ne produiraient pas tout à fait les résultats dont on nous menace. Le mieux est donc, pour les anarchistes sérieux d’attendre qu’une découverte extraordinaire puisse réaliser leurs souhaits, ce qui, du reste, au train dont vont les explosifs, nous semble (redisons-le sans cesse) inévitable à brève échéance.