Histoire universelle de l’Église (Alzog)/Période 1/Époque 1/Partie 1/Chapitre 04


CHAPITRE IV.
VIE CHRÉTIENNE. – CULTE. – DISCIPLINE ECCLÉSIASTIQUE.

C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres.
Jean, XIII, 35.


Conf. Pabst, Adam et le Christ, Théorie du mariage,
Vienne, 1835, p. 106 sq.




§ 55. — La vie chrétienne[1].

L’initiation à la vie chrétienne se faisait, conformément au précepte du Christ, par le Baptême, qui s’opérait par l’immersion du catéchumène[2] ; puis les apôtres lui imposaient les mains[3] ; c’était le signe et le sceau des dons de l’Esprit saint (Confirmation). Après avoir été ainsi élevés à la dignité de chrétiens, c’est-à-dire d’adorateurs et d’imitateurs du Christ, les nouveaux membres de l’Église devaient se séparer complètement de la vie criminelle des païens, et se montrer en tout, par leurs sentiments et leurs actions, des hommes nouveaux, et dans ce sens on les nommait des saints (άγιους). L’Église chrétienne, se conformant à l’idéal proposé par son fondateur, ne devait recevoir ou garder dans son sein aucune âme impure ; tous ses membres devaient être des vases dignes du Saint-Esprit[4] ; tous devaient, fidèles à la doctrine du Maître, s’unir entre eux par le lien intime et durable de la charité fraternelle. L’Église primitive de Jérusalem porta cette charité à sa perfection, en réalisant la pensée hardie de la communauté des biens[5]. Cependant, cette imitation sainte de l’union parfaite de Jésus-Christ et de ses apôtres ne fut que locale et temporaire ; elle resta comme un éternel monument de la puissance du christianisme sur les esprits[6]. D’autres Églises prouvèrent leur charité pour leurs frères éloignés en les soutenant par les aumônes, dont les épîtres des apôtres font si souvent mention. D’autres encore pratiquaient une cordiale et affectueuse hospitalité. D’autres enfin furent les flambeaux de leur temps et la lumière des siècles futurs, par la patience inaltérable avec laquelle elles supportèrent les mépris et les persécutions, par la foi·vive, la confiance filiale et l’enthousiasme profond avec lesquels elles dirigèrent leurs regards et leurs espérances vers les choses éternelles[7]. Le mariage, que les païens comprenaient si mal, était pour les chrétiens un grand sacrement et le symbole de l’union du Christ et de son Église[8] ; il rendait la condition de la femme égale à celle de l’homme par l’amour et la fidélité qu’ils se doivent réciproquement[9] ; il était par cela même, indissoluble pour eux, et en même temps la virginité recevait les honneurs qui lui sont dus[10].

Cependant l’Église, dès les temps apostoliques, nous présente des membres gangrenés, les uns indignes du nom de chrétien, les autres infidèles un moment au vœu du baptême, revenant à la vérité par la pénitence, par la vertu sacramentelle de l’absolution[11], et rentrant dans la communion de l’Église[12] ; ce sont ces hommes que les apôtres ont en vue dans plusieurs avertissements que renferment leurs épîtres. Tandis que l’Église de Jérusalem n’avait qu’un cœur et une âme, celle de Corinthe était déchirée par de déplorables désordres[13]. Ce qui arrêtait surtout les progrès de la moralité, c’était, d’un côté, la fausse opinion des chrétiens nés Juifs qu’il·fallait continuer à observer la loi mosaïque, tandis que, d’un autre côté, on interprétait faussement la doctrine de saint Paul sur la justification par la foi sans les œuvres, pour justifier la licence et l’immoralité[14]. On interprétait encore mal l’annonce de la venue spirituelle du Christ et de sa manifestation glorieuse[15] ; on se la représentait comme un avènement prochain, et il en résultait des conséquences fâcheuses pour vie religieuse des chrétiens[16].

§ 56. — Le culte.

Pendant que les chrétiens nés Juifs continuaient à fréquenter le temple de Jérusalem, il s’était formé des assemblées religieuses, dans des maisons particulières, qui étaient pour l’Église ce que les synagogues étaient pour le temple[17]. Les chrétiens s’édifiaient mutuellement par la prière, dans laquelle on faisait toujours mention des frères absents et défunts ; par la lecture des passages de l’Ancien Testament, et plus tard par celle des épîtres apostoliques[18] ; par le chant des psaumes[19], peut-être même d’hymnes chrétiennes déjà composées alors[20]. On y faisait aussi des instructions sur le texte lu, et ce n’étaient pas seulement les évêques et les prêtres qui parlaient, car, par le fait, plusieurs d’entre eux étaient incapables d’enseigner (διδαϰτιϰοι[21]) ; mais c’étaient aussi de simples fidèles, inspirés par l’Esprit saint et autorisés par le consentement des supérieurs. Alors se manifestaient les dons divers du Saint-Esprit, les dons de sagesse, de science, de prophétie, de discernement des esprits, des langues (γλώσσαις λαλεῖν)[22] et de l’interprétation des langues[23], voir même le don des miracles, qui n’était pas propre aux seuls apôtres. Mais c’était surtout à obtenir le don de charité que devaient tendre les efforts des chrétiens[24]. Le point capital de ces réunions journalières, ce qui en faisait le fond et la vie, était la solennité de la Cène et de la fraction du pain[25], en mémoire de la mort de Jésus-Christ : elle se célébrait d’abord comme elle l’avait été par le Christ à la dernière Cène ; on y joignait une agape, un repas de charité (ὰγάπη)[26]. Malheureusement, dès les premiers temps, il se commit de coupables excès durant ces pieuses solennités[27].

Les malades qui ne pouvaient prendre part à ces réunions religieuses devaient appeler les prêtres auprès d’eux, pour en recevoir l’onction sainte. Se sentaient-ils chargés de péchés, ils devaient les confesser pour en recevoir la rémission[28].

Un des traits les plus caractéristiques de ces assemblées religieuses, dont Justin le martyr[29] nous a donné, le premier, une courte description, était le baiser de paix (φιλημα ὰγάπης ἄγιον)[30], que se donnaient les chrétiens en se saluant fraternellement après la prière.

Les fidèles joignaient le jeûne à la prière, surtout quand ils songeaient à entreprendre quelque affaire importante[31].

Quant au temps de ces assemblées, l’Apôtre avait appris aux chrétiens que tous les jours devaient être également saints pour eux[32] ; ce qui, par cela même que le Christ continue à vivre véritablement dans son Église, n’excluait point la célébration solennelle de certains jours plus importants dans l’œuvre de la Rédemption. Dans l’Église-mère de Jérusalem on observait encore le jour du sabbat. À Antioche c’était le dimanche surtout que, en mémoire de la résurrection de Jésus-Christ, célébraient les chrétiens nés païens de cette ville[33]. La résurrection et la passion de Notre-Seigneur étant les points fondamentaux de la foi chrétienne[34], les chrétiens Juifs ajoutaient à la sanctification du sabbat celle du dimanche et bientôt ils substituèrent l’une à l’autre. Quant à la célébration de la pâque, dès les temps apostoliques, elle est tout à fait vraisemblable, quoiqu’elle ne puisse être démontrée par le passage de saint Paul, 1 Cor. V, 7.

§ 57. — La discipline.

L’infidélité des chrétiens, qui ne répondaient pas tous à leur sublime vocation en imitant Jésus-Christ, rendit nécessaires de bonne heure certaines ordonnances particulières. L’autorité sacerdotale, instituée par Jésus-Christ pour enseigner et gouverner son Église, devait non-seulement régler le culte dans les assemblées religieuses, mais encore surveiller chaque chrétien dans sa direction morale. Elle excluait de la communauté celui qui péchait trop gravement ; il ne pouvait être réintégré qu’après des preuves positives de repentir et d’amendement[35]. Cette excommunication se trouvait déjà préfigurée dans le judaïsme[36]. On usait nécessairement d’une égale sévérité envers ceux qui niaient ou altéraient une partie de la doctrine chrétienne[37]. Transmise par les apôtres assistés du Saint-Esprit, et par là même infaillibles, cette doctrine était considérée comme la pure doctrine du Christ, et, par conséquent, la seule vraie, sacrée et sanctifiante ; comme la parole de Dieu, la seule sainte, éternelle et immuable. Les apôtres réclament avec force la plus complète soumission quant aux choses de foi, et l’accord de tous les membres dé l’Église dans la doctrine unique, de la vérité[38]. Si quelqu’un, si un ange du ciel enseignait une autre doctrine, qu’il soit anathème (ὰνάθεμα (anathema) ἔστω)[39]. Évitez celui qui est hérétique, après l’avoir averti deux ou trois fois[40] (αἱρετιϰὸς ἄνθρωπος)[41]. C’est avec ces paroles graves, dans cet esprit sérieux, que les apôtres combattaient et pour l’autorité de la parole de Dieu, et pour la stabilité de l’Église, et pour la réalisation de son but sublime. Toute société religieuse est nécessairement troublée dès que ses membres se divisent dans leurs convictions : l’Église, ayant son vrai fondement dans l’union par la foi, s’ébranle dès que cette union est menacée. Cependant, puisqu’une assistance particulière est assurée à l’Église de Jésus-Christ contre les puissances du mal, ce ne peut être sans un dessein spécial de la Providence que des hérésies naissent dans l’Église, et par là même elles doivent contribuer à son bien[42], car elles éprouvent et font connaître la fidélité des uns, tandis qu’elles démontrent que les autres n’appartiennent pas véritablement à l’Église[43]



  1. Arnold, Charité primitive, ou tableau de la Chrétienté primitive, Francf., 1696 ; Tub, 1845.
  2. Matth. XXVIII, 20 ; Rom. VI, 4.
  3. Act. VIII, 14-17 ; XIX, 5-6 ; Hebr. VI, 2 ; 2 Cor. I, 21-22.
  4. 1 Cor. V, 9 ; cf. 2 Thess. III, 6.
  5. Act. II, 44 ; IV, 32-37 ; V, 1-5.
  6. Moshemii Commenttat. de vera natura communionis bonor. In Eccl. Hierosolym. (Ejusd. Dissertat. Ad Hist. Eccl. pentin., vol. II, p. 23. Alton., 1743.)
  7. Les apôtres mettent souvent en avant, comme un des plus grands bienfaits de l’Évangile, le dogme de l’immortalité de l’âme enseigné par Jésus-Christ (2 Tim. I, 10 ; cf. Jean, II, 25, 26), ce que justifient parfaitement les opinions antérieures au Christianisme. Combien peu d’entre les philosophes de la Grèce crurent à cette immortalité ! Le germe d’une espérance immortelle fleurit cependant dans la doctrine noble et pure de Socrate. « Rien, disait ce sage, ne doit coûter pour conquérir l’immortalité ; car la lutte est belle et l’espérance est grande. » Stolberg, t. VI, p.247. II Tim. I, 10. Conf. Jean, XII, 25-26.
  8. Eph. V, 32·; 1 Cor. VII, 11 ; cf. Gaume, Histoire de la famille, etc.
  9. Col. III, sq. Eph. V, 25.
  10. 1 Cor. VII, 32, 34, 38.
  11. Matth. IX, 6 ; Jean XX, 22, 23.
  12. conf. Act. Apost. XIX, 18. Il est dit en cet endroit : Πολλοὶ τε ζῶν πεπιστευϰότων ἤρχοντο, ἐξομολογούμενοι ϰαὶ ἀναγγελλοντες τάς πράξεις αὐτῶν. πεπιστευϰότες (Polloi te zôn pepisteukotôn êrkouto, exomologoumenoi kai anaggellontes tas praxeis auton). Le mot πεπιστευϰότες (pepisteukotes) indique, par opposition à ceux dont il est question au v. 17 en général, à ceux qui ont été émus par les miracles, les croyants de l’Église d’Éphèse (cf. V, IX), qu’indique aussi le mot perfecti. De même les expressions τὰς πράξεις (tas praxeis) et non τὰ πράγματα (ta pragmata) (cf. Luc XXIII, 51 et Col. III, 9) indiquent formellement une confession spéciale des péchés en particulier.
  13. Act. IV, 32.
  14. Ép. de S. Jacq. ; Galat. V, 6 ; 1 Cor. XIII, 2.
  15. Matth. X, 23 ; XXIV ; XXVIII, 20 ; Jean, XIV, 18, 21, 23.
  16. 2 Thess. III, 11 ; 1 Thess. IV, 12-17.
  17. Rom. XVI, 4 ; 1 Cor. XVI, 19 ; Col. IV, 15.
  18. Col. IV, 16 ; Thess. V, 27.
  19. Act. II, 47 ; Col. III, 16 ; Eph. V, 19 ; Tim. III, 16.
  20. Pline lui-même en parle d’une manière étonnante, Epp. lib. X, ep. 97 : « Carmenque Christo, quasi Deo, dicere secum invicem : seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta, ne latrocinia, ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent, etc. »
  21. Cf. 1 Tim. V, 17.
  22. Malgré les efforts qu’on a faits, dans ces derniers temps, pour expliquer ce don des langues dans un sens différent des anciens, qui comprenaient par là « parler des langues étrangères » (Bleck, sur γλώσσαισ λαλεῖν dans Etud. et Crit. 1839, I ; Billroth, Comment. sur les Epîtr. aux Corinth., p. 166. Leipsig, 1833 ; Néander, « la Langue nouvelle de l’inspiration chrétienne, » dans son Hist. de l’Etabl., etc., t. I, p. 10 ; Olshauzen, Comment. sur les Epîtr. aux Corinth, p. 657), nous ne pouvons nous départir de l’opinion ancienne qui repose sur les explications positives de saint Paul, et sur les circonstances qui accompagnèrent l’établissement des premières Églises chrétiennes. Voyez Chrysost, Hom. 29 et 34 sur 1 Cor., et surtout Dieringer, loc. cit., t. II, p. 394-422. Englmann, Des dons du Saint-Esprit en général, et du don des langues en particulier. Ratisb. 1848.
  23. 1 Cor. c. XII.
  24. 1 Cor. XIII.
  25. Act. II, 42-46 ; XX, 7.
  26. 1 Cor. XI, 20 ; Act. VI, 2.
  27. 1 Cor. XI, 20-34.
  28. Sacrement de l’Extrême-Onction. Jac. V, 14-16 ; ex instituto Christi. Marc. VI, 13. Hugo Grotius.
  29. Justinus martyr. Apol. I, c. 65-67.
  30. Rom. XVI. 16 ; 1 Cor. XVI, 20.
  31. 1 Cor. VII, 5 ; cf. Matth. XVII, 20.
  32. Gal. IV, 9 ; Col. II, 16 ; cf. Rom. XIV, 3.
  33. Act. XX, 7 ; 1 Cor. XVI, 2 ; Apoc. I, 10, ήμέρα τοῦ Κυρίου ; Ignat. Ep. ad Magnes. IX. Barnab, ep. c. 15. Justin. Apol. I, c. 67.
  34. Rom. IV, 25 ; 1 Cor. XV, 3-4 ; 2 Tim. II, 8.
  35. Cf. 1 Cor. V, 4, avec 2 Cor. II, 6-11 ; Matth. XVIII, 17.
  36. Vitringa, de Synagoga vetere. Francf., 1696. Winer, Vocabul. des noms et des choses bibliq., t. I, p. 156. Jahn, Archæol, bibl. P. II, t. II, p. 349, sur la triple excommunication. חֵרֶם שָׁמַהָא גִדּוּי (‘herem shamahâ gidoui) excommunicatio minor et major.
  37. 1 Tim. I, 20.
  38. Il faut ici faire attention aux passages suivants : 1 Tim. VI, 2 ; 2 Tim. I, 12-14 ; IV, 3 ; 1 Cor. I, 10 ; Gal. I, 6-9 ; Ephes. II, 21 ; IV, 11-16 ; Tit. III, 10 ; 1 Cor. XI, 18, 19 ; 2 Thess. II, 14, 15 ; 2. Petr. II, 1, dans lesquels l’opposition est bien marquée ; ainsi : ἀλήθεια, λόγος ἀληθείας, ὑγιαίνουσα διδασϰαλία, ὑγιαίνοντες λόγοι, παραδόσεις, παραθήϰη παντας τὸ αὐτὸ λέγειν· ἑνότης τῆς πίστεως· οἰϰοδομὴ συναρμολογουμένου ϰαὶ συμϐιϐαζομένου σώματος Χριστοῦ. Par contre Ἕτερον Εὐαγγέλιον (Heteron Euaggelion) des ψευδαπόστολοι (pseudapostoloi) et ψευδοδιδάσϰαλοι, ἑτεροδιδασϰαλοῦντες, αἱρετιϰοί (pseudodidaskaloi, heterodidaskalountes, hairetikoi), et l’influence pernicieuse de l’αἵρεσις ϰαὶ σχίσματα (hairesis kai schismata), qui est menacée de l’ἀνάθεμα ἔστω (anathema estô).
  39. Gal. I, 8, 9.
  40. Dans le Nouv. Test. les sadducéens sont nommés, αἵρεσις τῶν Σαδδουϰαίων (Act. V, 17 ; XV, 5) ; les chrétiens sont aussi nommés par les Juifs αἵρεσις τῶν Ναζωραίων (Act. XXIV, 5, 14), Cf. Gal. V, 20 ; 2 Petr. II, 1 ; αἱρετιϰός seulement Tit. III, 10. Sur le sens chrétien de αἵρεσις, voyez § 76, note.
  41. Tit. III, 10 ; 2 Petr. II, 1-10. Cf. 2 Ep. de saint Jean, II, 12 ; Rom. XVI, 17 ; 2 Thess. III, 14 ; et Iren. Contra hær. III, 3 n. 4.
  42. 1 Cor. XI, 19 ; cf. Matth. XVIII, 7.
  43. l Jean, II, 19 ; 2 Jean, V, 9 ; cf. Luc, II, 34, 35.