Histoire universelle de l’Église (Alzog)/Introduction historique

INTRODUCTION HISTORIQUE.


LE MONDE ANCIEN
ET SES RAPPORTS AVEC LE CHRISTIANISME.
Sources. — Saint Augustin, dans les dix premiers livres de son ouvrage si profond, de Civit. Dei, lib. XXII, ed. ster. Leipzig, 1825, 2 t. in-8. — Meiners, Histoire de la décadence morale des Romains dans le premier siècle. Leipzig, 1791. — Creuzer, Symbolique et Mythologie des anciens peuples, 1837, 4 vol. — J. Gœrres, Hist. des mythes asiatiques. Heidelb., 1810. — Stuhr, Syst. rel. de paganisme. Berlin, 1837. — Tholuck, de l’Existence et de l’infl. du paganisme. — Staudenmaier, Encyclopédie des sciences théologiques. Mayence, 1840, t. I, p. 212-213. — Hirscher, Morale chrétienne, t. I, p. 346 à 358, 3e édit.

Pour comprendre la marche progressive du christianisme dès son début, il faut considérer les circonstances dans lesquelles il trouva le monde.

L’Église se posait comme institution d’origine surnaturelle, comme la première société religieuse qui existât par elle-même, comme destinée à devenir universelle, à renfermer dans son sein tous les hommes : elle devait donc entrer en lutte avec toutes les influences naturelles qui avaient présidé au développement spirituel des nations, lutter d’un côté, contre l’esprit exclusif des religions nationales ; de l’autre, contre l’athéisme et l’immoralité qui envahissaient le monde depuis la chute des cultes populaires.

Cependant le Christ ne vient point à l’improviste, sans préparation, sans point de contact avec l’ancien monde. Depuis des siècles déjà, sa parole divine éclairait les ténèbres des juifs et des païens ; les prophètes d’Israël avaient annoncé d’une manière de plus en plus claire ce Messie que le peuple attendait avec une impatience toujours croissante. Enfin le Désiré des nations parut, dans la plénitude des temps, annonçant solennellement qu’il était venu, non pour détruire la loi, mais pour l’accomplir ; se comparant au père de famille qui tire de son trésor les choses vieilles et les choses nouvelles. Aussi le Christianisme et l’Église se montrèrent dès l’abord comme des choses anciennes et nouvelles.

Ces oppositions et ces rapports ont exercé sur la destinée de l’Église une influence décisive. Ils ont tour à tour retardé ou accéléré son extension, provoqué ses combats au dehors, ou ses mouvements au dedans, en imprimant aux uns et aux autres un caractère spécial. Il est donc indispensable de commencer par un aperçu général de la situation religieuse, morale et politique des païens et des juifs au temps de la naissance du Christ.




APERÇU GÉNÉRAL
DE LA SITUATION RELIGIEUSE ET MORALE DES PAÏENS ET DES JUIFS
AU TEMPS DE LA NAISSANCE DU CHRIST.
Vous étiez sans Dieu, — vous étiez morts
Eph. II, 1, V, 12 ; Cf. Rom. I. 21-25.
J’ébranlerai tous les peuples, et le Désiré de toutes les nations viendra.
Agréé, II, 8 ; Cf. Gen. XLIX, 10 ; Isaïe. XI, 10 ; XLII, 6.

§ 24. — Du paganisme en général.
Mœhler, le Paganisme (dans les Feuilles historiques), t. II, p. 185 à 202. H.-J. Schmitt. Idée fondamentale du mythe, ou Vestige de la révélation divine sur la Rédemption, dans les traditions primitives des plus anciens peuples. Francfort-sur-le-Mein, 1826. Kuhn, Opposition du Pagan. et du Christian. sous le rapport de la morale. Revue trim. de Tub. 1841, 2e livr., p. 224-242.

Non-seulement le Christianisme suppose, mais toute histoire impartiale reconnaît nécessairement que l’homme, sortant des mains du Créateur, était dans une position plus élevée, avait des tendances spirituelles plus pures, vivait dans un rapport plus intime et plus constant avec Dieu, qu’après sa chute. Rien de plus évident que le souvenir de l’innocence de l’homme primitif, conservé dans les plus anciennes traditions des peuples et les plus antiques poëmes sur l’âge d’or de l’humanité. À ce souvenir heureux, se rattachait presque partout aussi la conscience d’une faute, d’un crime contre les dieux, qui causa la perte de la félicité originelle et amena les maux sous lesquels l’humanité a gémi ensuite.

Le Christianisme attribue au péché du premier homme la perte de cette innocence. La plupart des religions anciennes ont également conservé la mémoire de cette faute première, qui affaiblit dans l’homme le sentiment vivant de la Divinité, ternit en lui l’intelligence des traditions du paradis perdu, et obscurcit à ses yeux la lumière brillante de la révélation primitive[1]. Pour comprendre comment le sentiment de la Divinité et la vie religieuse en général se sont développés parmi les païens, il faut peser à la fois les deux opinions opposées qui se sont formées à cet égard dans le sein du Christianisme.

Les uns ne veulent admettre rien de vrai dans la connaissance, rien de divin dans la vie religieuse des païens. Tout, à leur avis, est d’origine satanique, et dès lors il n’y a plus de capacité dans le paganisme pour la doctrine chrétienne ; ce que contredit évidemment la propagation du Christianisme parmi les païens. Les autres prétendent que le paganisme est un état parfaitement conforme à la nature de l’homme, un degré nécessaire du développement de l’esprit humain, et qui devait le préparer et l’amener au Christianisme ; ce que contredit à son tour l’Évangile, qui, montrant partout comme fausse et contraire à Dieu la voie suivie par les païens, les appelle à la pénitence, à une vie nouvelle, à dépouiller le vieil homme, à revêtir le nouveau, et à reconquérir ainsi, par leur fidélité à cette doctrine régénératrice, leur état et leur rang primitifs. Ces deux opinions extrêmes résultent, entre autres, de ce que l’on isole complètement le paganisme, sans tenir compte de son influence sur la civilisation générale. D’accord avec les doctrines de l’Église catholique, le juge impartial doit donc reconnaître à la fois, dans le paganisme, les erreurs contraires à la nature de Dieu et de l’homme, et les semences de vérité divine qui rendaient le païen capable de recevoir, de comprendre le Christianisme et d’être relevé jusqu’à sa ressemblance avec son divin Créateur. D’après cela, nous pouvons donner comme avéré ce qui suit.

L’homme déchu, séparé de Dieu, s’égara jusqu’à glorifier la nature et adorer la créature en place du Créateur[2]. Dans cette substitution de la nature à la Divinité, l’idée de l’unité de Dieu se perdit presque entièrement. Les forces, les influences, les phénomènes multiples de la nature avec lesquels seuls l’homme restait en rapport, puis le développement graduel des races, constituant des peuples isolés, des nationalités exclusives, firent naître le polythéisme. Les hommes virent Dieu tantôt dans la pierre, les plantes et le bois ; tantôt dans les animaux, les étoiles et dans l’homme ; tantôt dans la beauté sensible et dans l’être abstrait qui s’appelle l’État. Ces notions religieuses en se développant et se systématisant formèrent bientôt le fétichisme, le culte des animaux et des astres, le culte de l’homme, de ses œuvres et de ses conceptions, le culte de l’art, la divinisation de l’État, et tous les systèmes de philosophie religieuse, correspondant à la diversité des temps et des lieux, le panthéisme, le dualisme, le fatalisme, le matérialisme sous toutes ses formes. La Divinité se confondant avec la nature dans la croyance des hommes, ils perdirent l’idée de la spiritualité, de la sainteté, et par là même de la liberté de Dieu. Les dieux, comme toutes choses, furent soumis au pouvoir souverain de la nécessité (ἀναγϰἠ, fatum).

Cependant peu à peu les religions naturelles cherchèrent à se libérer de l’esclavage de la nature et à substituer la forme humaine comme image de la Divinité. Ce fut chez les Grecs que, pour la première fois, les dieux apparurent sous la forme déterminée et permanente de l’homme, c’est-à-dire comme des esprits individuels, ayant conscience d’eux-mêmes, de leur liberté et de leur personnalité. Le paganisme avait de l’homme une idée aussi fausse que de Dieu. La Divinité, n’étant point conçue comme un être essentiellement spirituel, ne pouvait être honorée qu’extérieurement. Le sacrifice spirituel de soi-même, l’abandon de sa volonté à la volonté divine, l’offrande d’un cœur pur étaient inconnus au paganisme vulgaire : il n’avait de sacrifices que pour conserver la faveur des dieux dans l’avenir, ou leur exprimer sa joie et sa reconnaissance pour les bienfaits du passé. Il ne concevait pas mieux les motifs moraux des actions humaines, par cela même que son dieu n’avait ni sainteté ni liberté. Aussi ne trouve-t-on parmi les païens aucun vestige de sainteté ou d’humilité : quant à celle-ci, elle n’avait pas même de nom dans leur langue, et quant à celle-là, qu’on se rappelle les abominations des cultes publics, ceux de Bel à Babylone et d’Aphrodite à Chypre et à Corinthe. Des vertus civiques étaient tout ce qu’on pouvait attendre de ces hommes, pour qui la patrie terrestre était tout, et qui ne comprenaient plus ni leur éternelle destinée, ni l’immortalité de l’âme, tant leur religion les attachait exclusivement aux choses finies de la terre. Et ceci explique pourquoi la mort leur paraissait si terrible, pourquoi ils en avaient une si profonde horreur[3]. Sous les formes les plus variées, dans les tons les plus divers, c’est toujours la sombre plainte d’Homère[4] : Il n’est pas d’être plus misérable que l’homme, de tous ceux qui respirent et se meuvent sur la terre. Cet oubli de la destinée de l’homme et de l’immortalité de sa nature produisit l’esclavage, les traitements cruels infligés aux esclaves, le mépris de la vie humaine, vouée, dans les jeux des gladiateurs, aux joies féroces de la multitude. Quand l’homme ne reconnaît plus dans l’homme qu’une existence temporaire, il ne peut plus respecter la dignité humaine, ni en lui ni dans les autres.

Et malgré ces profondes erreurs du paganisme, il conservait encore bien des choses qui le rattachaient et le rappelaient à Dieu, comme il se conserva toujours dans la vie de certains païens des éléments de la vie divine. L’image de Dieu, altérée, obscurcie dans l’âme des païens, n’était point entièrement détruite. La croyance aux dieux multiples prouvait que le sentiment de la Divinité, quoique horriblement faussé, ne s’était point complètement évanoui en eux ; les restes de la révélation avaient maintenu parmi les peuples un reste de conscience divine. Les éléments de cette tradition primitive et le sens profond du mythe, conservés surtout dans les mystères, formèrent en partie la philosophie païenne, dont les lumières divines nous charment et nous étonnent souvent au milieu des ténèbres qui l’enveloppent d’ailleurs. Les systèmes philosophiques, abstraction faite de ce qu’ils contiennent positivement, ont dû contribuer à former, à développer l’esprit humain, en l’élevant de la sphère sensible, sinon au monde surnaturel, du moins à la sphère des choses invisibles. Plus cette culture de l’esprit se répandait, plus on se moquait des mythes, dont les formes étaient souvent si ridicules dans la religion populaire. De là les accusations fréquentes portées contre les philosophes grecs et romains, qui payèrent leur incrédulité de leur vie. Cette incrédulité devint peu à peu générale ; un vide immense se fit sentir dans les esprits, une désolation indicible dans les cœurs ; et telle était la situation morale de l’empire romain à la naissance de Jésus-Christ. Dans leur désespoir les païens semblaient, pour se sauver, saisir convulsivement, comme planche de salut, tous les cultes étrangers ; ils se faisaient initier aux mystères, pour calmer ou étouffer les angoisses de leur conscience. Les poëtes romains avaient beau s’en moquer dans leurs satires, ils ne calmaient point le trouble des âmes ; les philosophes pouvaient bien tout détruire, ils ne parvenaient à rien édifier. Dans ce besoin universel naquirent une multitude de prophéties sur un Sauveur, qui de l’Orient se répandirent dans l’Occident. On se pressait de toutes parts vers ce Sauveur attendu, comme le prouvent les oracles qui l’annonçaient et l’appelaient avec ardeur.

Le vieux monde païen s’est donc développé, sous le rapport religieux, par l’action : 1o des restes obscurcis de la révélation conservés parmi les peuples ; 2o du Verbe éternel[5] qui veille sur le développement religieux du genre humain, qui l’excite et le soutient ; 3o du peuple juif, dépositaire de la révélation divine qu’il communiquait aux païens ; 4o de l’esprit humain, déchu de Dieu, et s’efforçant de sortir du vide affreux où il tombe quand il est abandonné a lui-même.

§ 25. — Religion des peuples célèbres de l’Orient.
Windischmann, Hist. de la philosophie dans le développement de l’hist. univ. — Rosenkranz, Religion naturelle, p. 244 à 277. Iserlohn, 1831 ; Staudemnaier les suit tous les deux, p. 249 à 271. — Léo, Histoire univ., t. I p. 36-149. — Drey, Apologétique, t. II, 89, sq.

Quoique ce fût dans la religion des peuples les plus célèbres de l’Orient que se conservèrent les plus nombreuses et les plus vivantes traces de la révélation primitive, celles-ci y furent bientôt altérées et défigurées ; l’astrologie en devint le fondement presque général. Le panthéisme règne dans toute l’Asie orientale : le dualisme dans l’Asie occidentale[6].

I. Commençons par la Chine[7]. Tian est l’être absolu en qui tout naît et persiste, qui est à la fois l’unité totale et le créateur du monde. En lui sont l’idée et l’être, et comme tel il se nomme Tao (raison, mesure, loi). Tian et Tao sont l’éternel immuable et la source de l’opposition d’où sort le mouvement illusoire du monde des apparences. Tian, qui dans le système chinois est, à proprement dire, la totalité abstraite, l’espace, vide, l’universalité des choses, se manifeste personnellement d’abord dans l’empereur (Jao ! — Jéhovah !). De son infinie majesté dépendent la nature et l’histoire ; en lui se rencontrent unis la nature et l’esprit, l’élément sidéral et personnel. Tandis que Tian est le vide divin, l’empereur est le moteur et le soutien de toutes choses, sans être cependant réellement Dieu. À côté de cette idée si fausse de l’Être divin, de sa manifestation et de ses rapports avec le monde, nous trouvons chez les Chinois une réminiscence positive d’un état de pureté originelle de l’homme dans le Paradis, de sa chute, de la transmission du péché et de ses suites, et une attente pleine de confiance d’un Sauveur spirituel, fils du Ciel, Tian visible, Saint des saints, Maître, Réparateur et Monarque, qui doit venir de l’Occident communiquer à l’humanité une vie nouvelle, de nouvelles forces, et que les peuples de la terre attendent avec la même impatience que les plantes desséchées la rosée du ciel[8]. Les écrits du célèbre Confucius (vers 550 avant J.-C.) surprennent par la pureté peu commune de sa morale. Des divisions s’introduisent dans la doctrine religieuse dès le temps de Mencius[9] (Meng-tseu, né vers la fin du IVe siècle), que les Chinois appelaient le second saint,  tandis qu’ils nommaient Confucius le saint ; ils les comparaient tous deux au soleil et à la lune. Peu à peu les progrès de la secte des bouddhistes (vers 200 avant J.-C. et 65 après J.-C.) mêlèrent à l’ancienne doctrine déjà bien altérée un culte tout idolâtrique. Avant l’introduction de l’idole de Fo (ou Foto, personnification chinoise de Bouddha), il ne paraît pas qu’il y ait eu en Chine de vains simulacres des dieux ni aucune statue.

II. Les données que nous avons sur la littérature d’une incomparable richesse de l’Inde[10], qui est plutôt un monde qu’une contrée du monde, sont plus complètes que celles que nous possédons sur la Chine. Quoique nous n’ayons rien de certain sur les temps où se forma et se développa la doctrine des Indous, il paraît désormais constant que le Brahmisme est plus ancien que le système de Bouddha, dont on ignore la véritable origine (entre 1000 et 500 ans avant J.-C.). Sérieusement persécutée dès le premier siècle après Jésus-Christ, la doctrine de Bouddha fut complètement expulsée de l’Inde orientale entre le XIIe et le XIIIe siècle. Mais, souple et flexible, elle se répandit dans toutes les îles des Indes occidentales, la plus grande partie de l’Inde au delà du Gange et de la Chine, le Thibet, la Mongolie, jusque dans l’empire russe. Du reste, le brahmisme et le bouddhisme sont si souvent mêlés et confondus qu’il est difficile d’en reconnaître les éléments distincts. Le plus merveilleux document de l’antique civilisation indienne, le sanscrit, langue sacrée des Indiens, si riche, si polie, si philosophique, se trouve dans les Védas (science, livre sacré, révélé). Ces Védas sont les quatre plus anciennes collections des vérités primitives de la religion, découlées, dès la plus haute antiquité, des lèvres mêmes de Brahma, selon les traditions de l’Inde ; ils sont le fondement de sa religion, de sa législation et de sa littérature. Cependant les décisions positives du droit sont contenues dans les lois de Manou, le premier homme qu’on représente sensiblement comme le petit-fils de Brahma. Les Védas et les lois de Manou, desquels se déduit tout le développement ultérieur, doivent être considérés comme les formes les plus anciennes de la civilisation indienne.

La religion de l’Inde nous présente déjà un progrès marqué dans la science religieuse. Elle insiste fortement sur l’opposition du fini et de l’infini, d’où naissent l’ardent désir de voir la résolution finale et universelle de cette opposition, et le dogme de la transmigration des âmes. Le (τὸ) Brahm[11] des Indes est déjà bien plus déterminé que le Tian des Chinois : il l’est surtout quand il se manifeste comme Parabrahma. L’abîme entre le fini et le divin est comblé par les émanations qui, sorties de la substance infinie de l’Être suprême, descendent par des degrés innombrables jusqu’à l’homme, l’animal et la plante ; et se limitent, se restreignent et se dégradent de plus en plus. Les premières émanations sont seules des divinités, tandis que les dernières sont, en expiation de leurs fautes, attachées à la matière comme à des chaînes, y sont retenues captives comme dans une prison. Ainsi tout, dans l’univers, est effluence divine : Dieu anime, vivifie tout ; il est tout ; la création n’est plus qu’une procréation. Dieu est le principe de la génération universelle.

Il y a certainement dans ce système de l’émanation quelque chose de plus élevé que le pur et strict panthéisme, qui n’admet proprement aucune sortie de l’infini de lui-même. Ce qui le prouve, c’est la conscience claire et profonde qu’on y trouve de l’opposition introduite, dans l’histoire et la nature, entre Dieu et l’homme, par suite de la chute de ce dernier, et la conscience non moins claire du péché. Une conséquence de ce péché, c’est que tout ce qui est fini est, comme tel, mauvais, qu’ainsi le monde est mauvais, et présente une continuelle dégradation de l’Être divin, qui, du plus haut de la pureté et de la béatitude, tombe dans les ténèbres épaisses du fini et s’abîme dans les profondeurs d’une incommensurable misère.

À côté de ce souvenir désolant de la chute primitive se trouve la mémoire consolante du retour vers Dieu, but auquel tendent tous les efforts des sages indous, et leur fuite du monde, et leur vie contemplative, et leurs pénitences austères. La nécessité de cette restauration est le fond de la doctrine de la transmigration des âmes, qui doivent se détacher de plus en plus de ce qui est périssable, et, ainsi purifiées, se rendre dignes de s’unir à l’unique substance divine. Ce qu’il y a d’essentiel dans cette doctrine, c’est la foi positive et inébranlable de l’immortalité de l’âme.

Brahm, divinité indéterminée et sans forme, se manifeste personnellement comme Parabrahma, et nulle part dans le paganisme nous ne trouvons une idée plus haute, plus pure, plus nette de la Divinité et de ses attributs absolus. Parabrahma, en effet, est l’Être, en soi, de soi, toujours semblable à lui-même, infiniment parfait, le principe primordial, pur, saint, présent partout, Un, éternel et tout-puissant, il est l’auteur de l’univers et la providence du monde. Cependant Parabrahma ne reste pas dans son abstraite simplicité ; il se distingue et se manifeste par Brahma, Vischnou et Schiva, principe créateur, conservateur et destructeur. Chacun de ces termes subsiste en soi et a une conscience personnelle. Telle est la Trimurti ou Trinité indienne. Ces trois divinités sont aussi, et en même temps, des puissances démiurgiques, qui se manifestent et s’incarnent dans les Avatars (incarnations humaines et animales). Ici sans doute se trouve l’idée grande et sublime de l’incarnation de la Divinité, prenant une forme humaine, afin de réconcilier le fini avec l’infini, et prévenant l’homme dans son désir et son retour vers la vérité et la bonté éternelles. Mais bientôt l’idée se dégrade ; la Divinité s’abaisse tellement, en revêtant les formes finies, qu’elle prend part aux joies impures de la matière, et de là les générations obscènes et l’horrible commerce des dieux, nommément de Brahma et Schiva, auprès desquels les rapports de Jupiter et d’Alcmène sont de chastes amours. Toujours l’erreur marche de front avec la vérité dans les religions même les plus pures du paganisme : à côté de l’idée pure de la Divinité vient la fausse notion de la jalousie des dieux, qui les pousse à précipiter l’homme saint dans le péché pour ne point perdre leur puissance sur lui. Plus la Divinité s’unit au fini en s’incarnant, plus le fini se mêle à la vie divine pour la souiller, plus le système religieux tombe dans le panthéisme et ses écarts. Déjà la religion de Foé enseigne que tout ce qui se manifeste n’est rien, ce qui se traduisit par la proposition bouddhiste que tout est un, et voilà manifestement le panthéisme le plus strict, d’après lequel il n’y a qu’une substance divine, absolue ; hors d’elle, rien : point de substance relative ; tout se perd dans l’unité de l’esprit et de la nature, dans l’immensité de la substance unique ; Dieu est au monde ce que la substance est à l’accident. Alors s’évanouissent toute liberté, toute différence entre le bien et le mal ; la vertu et le vice sont d’une même force : plus de fin raisonnable à la création ; les manifestations de la vie ne sont qu’un jeu de la Divinité ; c’est le fatalisme, doctrine si répandue dans l’Orient.

III. Le bouddhisme tire son origine de Gautamas (Bouddha, probablement vers 550 av. J.-C.). Il n’apparut qu’une fois, pour commencer une ère nouvelle dans la civilisation des mondes, ne laissa point d’écrits, de sorte qu’il est difficile de déterminer la forme primitive de sa doctrine, qui, en bien des contrées et en des temps divers, s’est formulée de manières très-différentes. La donnée la plus ancienne de cette doctrine semble être une conception purement abstraite de la Divinité, comme celle des Chinois. Dieu n’est pas la base de l’existence ; c’est l’espace éternel, rempli de matières ou d’atomes qui s’agrègent d’après des lois éternelles pour former les mondes. Le monde lui-même est vivifié par un esprit qui s’individualise sous d’innombrables formes dans la matière, tout en restant lui-même dans un perpétuel repos, et gouvernant le monde par le Fatum Cependant l’homme est libre ; il sera jugé d’après ses actions. L’âme du juste, délivrée de sa prison, s’unira à Dieu. Le monde spirituel se divise en trois régions : 1o le monde inférieur des formes terrestres, où règne Brahman ; 2o le monde supérieur de l’esprit, ayant forme et couleur ; 3o le monde le plus élevé de l’être pur, de l’être sans couleur ni forme. La doctrine de Bouddha a pour but de montrer à l’homme, déchu du monde supérieur dans la sphère terrestre, la voie pour se relever par la pénitence. En somme, cette doctrine est abstraite, stérile et vide ; la volonté y est destituée de son empire ; l’homme s’imagine accomplir sa destinée quand il réfléchit l’être objectif dans son néant. Les bouddhistes ont accommodé les mythes du brahmisme à leur façon, faisant des dieux du brahmisme, les serviteurs de l’être divinisé par eux ou de Bouddha. Comme les Chinois personnifient la Divinité dans l’empereur, les partisans de Bouddha honorent Dieu dans le Lama, substance qui manifeste actuellement la Divinité. Chaque homme peut devenir lama (prêtre), en ce sens que la dignité du lama dépend de l’anéantissement de l’être propre dans la substance divine. Le plus profond degré de cet anéantissement se révèle dans les trois principaux lamas, le Talé-lama, à Lassa, le lama du petit Thibet, à Tischu-Lombu, et le troisième dans la Mongolie. Quand un de ces lamas meurt, aussitôt son âme reparaît dans un autre sujet, qu’il s’agit de découvrir. Quelques rites extérieurs, quelques usages (des cloches, un rosaire, etc.) ont servi de texte à des allusions satiriques contre le Christianisme, qui ressemblait, prétendait-on, à la religion des lamas. « Cette ressemblance n’en est pas une, dit Fréd. de Schlegel[12], ou bien c’est la ressemblance bâtarde, du singe et de l’homme, qui a aussi induit en erreur maint savant naturaliste. Il est certain que plus une religion, fausse par sa direction morale et sa tendance spirituelle, paraît avoir de ressemblance avec la vérité, et plus elle s’en écarte, s’y oppose et doit être rejetée. » Du reste, il est aujourd’hui constant, d’après des documents authentiques[13], que la hiérarchie du lama, et d’autres institutions et pratiques de la religion de Bouddha, ne sont que des singeries sataniques du Christianisme.

IV. Le peuple de Zend[14], les anciens Bactriens, qui entrèrent en rapport plus tard avec les Mèdes et les Perses, entre le Tigre et l’Indus, l’Oxus et le golfe Indien, ont été probablement unis par une même religion, dans les temps les plus reculés, avec d’autres peuples orientaux. Zoroastre donna une base et une forme plus déterminées à la religion et à l’état de cette nation. Les écritures sacrées du vieux peuple du Zend furent, au rapport des Perses, réunies dans vingt et une parties nommées Avesta, c’est-à-dire la parole divine et vivante[15]. Une partie de cette collection, Vendidad, constituait le code religieux universel et politique en vingt-deux Fargards, sous forme de dialogue. Zoroastre y reçoit immédiatement l’instruction d’Ormuzd. L’époque où vécut Zoroastre est difficile à déterminer. Il est certainement d’un temps où le royaume bactrien était libre encore, et n’est point postérieur au VIIIe siècle av. J.-C. Il est plus que probable qu’il connut la doctrine des Israélites. Le système des deux principes établit la communauté des religions de la Perse et de l’Inde, que Gœrres a si parfaitement analysées. Celle-là admettait, il est vrai, la conception d’un Dieu dans Zoruane Akaréné, le temps sans limite, l’être primordial ; mais, lui enlevant toute activité, toute influence sur les créatures, elle transportait à Ormuzd tous les attributs divins, hormis l’éternité et la substantialité. Ormuzd, principe du monde de la lumière, source de tout bien, était adoré, non point dans des temples bâtis de main d’homme, dans des figures taillées et sculptées[16], mais comme Dieu saint, dans le pur symbole de la lumière et du feu. Vis-à-vis d’Ormuzd est Arihman, le mauvais esprit, source de tout mal, régnant dans le monde des ténèbres. Sept Amschaspands (princes de la lumière) entourent le trône d’Ormuzd ; les Izeds, ou bons génies, leur sont subordonnées. Sept autres princes, les méchants Dews, environnent Arihman et ont sous leur dépendance un grand nombre de dews inférieurs. Les royaumes de la lumière et des ténèbres sont dans une lutte perpétuelle. La dualité se retrouve dans tout le monde des esprits. Cependant Ormuzd doit un jour remporter la victoire et anéantir le mal. La doctrine du Zend conserve l’idée de la liberté morale et de la pureté primitive de l’homme ; le mal qui est en lui est une œuvre des mauvais esprits. L’homme se présente sous une double face : comme homme pécheur, exposé à l’influence des mauvais esprits dans la lutte terrestre ; comme génie pur, esprit répondant à sa destinée (Ferver). Les bons génies ont aussi des combats à livrer, mais seulement au dehors, contre les mauvais dews, tandis que l’homme, d’une nature moins tranchée, donne accès, dans sa conscience, à la lutte du bien et du mal. Le mal procède d’Arihman, qui a séduit l’homme sous la forme d’un serpent, et qui a corrompu la nature elle-même par les animaux et les plantes impures qui viennent de lui. Pour expliquer l’opposition en Dieu même, le Persan a représenté l’idée divine sous des formes personnelles de Mithra et Sosiosch. Mithra, dieu souffrant et victorieux, est médiateur entre Ormuzd et Arihman aussi bien qu’entre la Divinité et l’humanité. La réparation par Mithra est imparfaite, par cela qu’il se confond encore trop avec la nature, et qu’il n’est pas Ormuzd, le dieu suprême lui-même. Sosiosch est le héros victorieux qui triomphe des projets du malin esprit, qui dompte la mort, juge le monde, réveille les morts par la vertu d’Ormuzd, qui rend L’immortalité à leur corps ressuscité comme à leur âme purifiée, et les dirige vers un lieu de délices et d’éternelle félicité. Mais à ces idées de la doctrine de Zoroastre se joint un mélange d’astrologie, l’adoration des puissances de la nature, des astres et particulièrement du soleil. Le ciel presque toujours serein de la Bactriane, l’éclat des étoiles, l’absence de pluie, le manque d’eau, firent sentir aux habitants de ces contrées, le besoin de se tourner vers le ciel pour en contempler la splendeur et en implorer la faveur, et les portèrent ainsi à l’étude des astres. Les sept planètes qu’ils observèrent de bonne heure, leur représentèrent les sept génies supérieurs (amschaspands, anges sublimes), qui dominent dans le monde des esprits, comme tout est subordonné, dans le ciel, aux sept planètes du zodiaque. Le soleil, la lumière pure, dont les planètes et les autres astres du zodiaque sont les ministres, est le dieu du bien ou Ormuzd. Les adorateurs du soleil doivent cultiver activement la terre, réaliser le bien de toutes leurs forces, penser, parler, agir purement : et c’est là surtout ce qui distingue le roi, qui jamais ne doit rien ordonner de contraire à la doctrine d’Ormuzd. Quoique Zoroastre n’eût vu que des symboles dans le soleil, la lune, l’Océan, il était inévitable que le peuple les adorerait bientôt comme des dieux : aussi les Grecs ne virent-ils plus tard dans les Perses que des polythéistes, qui, au lieu d’adorer comme eux des hommes, divinisés, rendaient hommage aux étoiles et aux éléments. La dissolution morale qui régnait à la cour de Xerxès Ier, et se répandit bientôt parmi le peuple, changea le besoin inné de la foi en superstition. L’hellénisme, à son tour, si dédaigneux de tout ce qui était barbare, vint à la suite des victoires d’Alexandre achever de corrompre ce qui restait des vestiges de la plus haute antiquité, parmi les Mages, conservateurs et gardiens de la science. Sous les Sassanides la foi de Zoroastre devint de nouveau la religion de l’État ; mais elle tomba bientôt, par l’ignorance et la dégénération des prêtres et des fidèles, dans une si grossière idolâtrie que les écrivains ne font plus mention que de ses idoles, de son culte du feu matériel ; ce qu’ils rapportent de l’immoralité qui régna à la suite de cette décadence religieuse, à la cour même des Sassanides, est épouvantable.

V. Dès que la religion de l’Inde déchut, elle inclina au fatalisme. Quand l’homme ne reconnaît plus sa vraie destination, il s’en crée une, et la pose dans la jouissance, à laquelle il consacre ses forces, sa pensée, toute son activité. Que s’il songe encore à s’élever à quelque chose de plus haut, de plus divin, pour l’honorer, il adresse son hommage à la force brutale de la nature, et le matérialisme devient sa religion. Si déjà on sent cette tendance chez les antiques Indous, combien elle est plus marquée dans les contrées de l’Asie occidentale, chez les Chaldéens, les Phéniciens et les Syriens ! Ce que les cultes de ces peuples ont de commun, c’est l’adoration du soleil, de la terre et de la lune, médiatrice entre ces deux extrêmes. On voit poindre déjà le culte de la lune dans la Mithra perse ou dans l’étoile dont la douce lumière annonce le soir et le matin. Ce sont les Chaldéens[17] surtout qui ont développé ce culte des astres (sabéisme)[18]. La terre ou le principe passif, féminin et concevant, apparaît sous la forme de Mylitta, Lilith, Derketo, Astaroth, Brimo, dans toute l’Asie Mineure ; sous celle d’Aliath chez les Arabes. Le principe actif, mâle et fécondateur, le soleil, est partout reconnu comme le seigneur, Adon. Le rapport des deux principes, l’union des sexes est représenté dans le mythe de la mort d’Adonis par le sanglier d’hiver, et de sa renaissance par Aphrodite (Artémise, Hécate, etc.). Ainsi tout dans cette religion extérieure dégénère en types charnels de la génération, et de là le délire sauvage, les usages dévergondés, la débauche effrénée des cultes obscènes de la Syrie et de la Phénicie ; de là l’adoration du Phallus, les cérémonies du priapisme, du culte de Mylitta, déesse de la volupté, etc. ; de là, enfin, les sacrifices sanglants et épouvantables d’hommes et d’enfants offerts aux puissances de la nature, dans le culte de Dagon, Derketo, Moloch (Baal), Astarté, Bel et Mylitta.

VI. L’Égypte[19] rappelle à la fois l’Orient et l’Occident ; elle présente tout ensemble beaucoup d’analogie et de grandes différences avec les Indes ; sa religion fixe et immuable offre le plus grand contraste avec la mobilité fantastique de celle de l’Inde ; elle a, comme le brahmisme, une base astrologique. Nous trouvons dans le monde bigarré des mythes égyptiens l’apothéose des sept planètes, leurs rapports avec les douze signes du zodiaque, avec les mois et les autres périodes de l’année, le soleil et la lune jouant un rôle principal, apparaissant, le premier, tantôt comme Jao, conception abstraite semblable à celle de Brahm, dans l’abîme ; tantôt à certains mois, comme Osiris, le soleil d’été, Serapis, le soleil d’hiver. Osiris préside au royaume de la lumière et de la vie, Serapis à celui des ténèbres et de la mort. En hiver, Osiris, s’inclinant vers le monde inférieur, meurt assassiné par Typhon, le dieu du mal. Dans les trois saisons admises par les Égyptiens, ils ont une trimurti solaire formée par Aman, Phtha et Kneph, semblable aux Brahma, Wischnou et Schiva des Indiens. Une des principales tendances de cette religion est de résoudre la question de l’opposition qui règne dans l’univers, et que la religion des Perses laisse indécise. De là le dieu souffrant, mourant et ressuscitant, Osiris, qui souffre et meurt, non dans et par des manifestations diverses et des incarnations multiples, mais dans un sens beaucoup plus sérieux et plus profond, comme un sujet substantiel, qui, après sa mort, ressuscite et s’élève glorieux. Mais ici reparait l’erreur ; tout cela se perd dans des faits naturels, et c’est tantôt le soleil, tantôt le Nil qui est ce dieu souffrant, mourant et ressuscitant. Ainsi se conserva à la fois et s’altéra profondément parmi les peuples du monde ancien l’idée du Libérateur promis, vers lequel se portait sans cesse leur vague et ardent désir. Quant à l’immortalité, il est probable que les croyances populaires différaient de la religion des prêtres.

§ 26. — Religion, moralité des Grecs.
Lasaulx, la Légende d’Œdipe, et de Prométhée, le Cantique de Linus. — Les Sacrifices d’expiation et les prières chez les Grecs et les Romains. — L’Oracle de Dodone. — Wurzbourg, 1840.

C’est vraisemblablement de l’Égypte et de la Phénicie que le peuple puissant de la Grèce reçut les germes de sa civilisation et de sa foi. Mais en les développant plus tard d’une manière si originale et si classique dans les sciences, les arts et la poésie, les Grecs revêtirent toutes les antiques traditions des couleurs de leur imagination brillante, vivement excitée par la ravissante nature qui les entourait. Nul peuple de la terre ne fut à la fois si spirituel et si sensuel : et ce double caractère s’imprima dans toutes ses opinions religieuses. Homère et Hésiode furent ses autorités principales ; Homère surtout sut, avec un génie et un cœur éminemment grecs, embellir l’Olympe fort obscur et fort confus avant lui. Cependant toutes les divinités de son Olympe ont la plus entière ressemblance avec l’homme dont elles partagent les mœurs, les occupations, les désirs, les passions, les vices et les vertus, et qui, comme lui, sont soumises à la puissance du Fatum[20]. Des conceptions si sensuelles sur Dieu ne pouvaient satisfaire longtemps l’homme qui pensent et avance dans la science. Il les abandonna bientôt comme des failles destinées à servir de frein au peuple, et ne reconnut plus que le seul premier principe, le dieu des sages. Ainsi, dès l’origine, à la religion populaire, symbolique ; à la doctrine exotérique, s’opposa une religion mystérieuse, une doctrine ésotérique, et c’est dans ce sens que l’historien Polybe dit ouvertement : « Il faut pardonner aux historiens qui ont raconté des fables, puisqu’elles servent à nourrir la piété de la multitude ; et c’est ainsi qu’il faut excuser les législateurs romains, qui sont parvenus à maintenir le peuple sous le joug par l’intervention de dieux invisibles. » C’est par respect pour les lois, et non par l’espoir d’être agréable à la Divinité, que, selon Plutarque, le sage rend aux dieux un hommage public.

Les philosophes grecs avaient, il est vrai, hâté la ruine de la religion populaire, mais ils n’avaient pu ni la remplacer, ni faire tomber complètement le voile mystérieux de la Divinité ; car jamais la philosophie n’a pu ni ne pourra suppléer la religion. Entouré des temples magnifiques de la Grèce et des statues admirables des dieux de l’Olympe, Platon s’écrie dans l’esprit des temps anciens : Qu’il est difficile de trouver Dieu ! mais, quand on l’a trouvé, il est impossible de le faire connaître à tous ! Ce qu’il y a de plus vrai et de plus consolant dans la philosophie grecque se trouve certainement dans les œuvres de Pythagore et de Platon. Inspirés par l’esprit de l’Orient[21], ils introduisirent un élément religieux dans la civilisation grecque en alliant La philosophie avec la religion. Selon Pythagore, né à Samos et fondateur de l’école de Crotone en Italie (584-504 ou 489 avant J.-C.), le système des nombres est l’archétype et la forme nécessaire de toutes choses ; le monde est un tout harmonieusement ordonné, qui gravite, dans des rapports harmoniques, vers le centre de l’univers (le soleil, feu de Jupiter). Les étoiles sont animées et ont quelque chose de divin ; les démons sont des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes. Dieu est la force même de la nature, le principe actif universel, le fatum, mais un fatum ennobli par les attributs moraux de la vérité et de la bonté. Ce qui caractérise proprement la doctrine des pythagoriciens, c’est l’idée de la métempsycose et des conséquences qui en ressortent.

Platon, né à Athènes (430-348 avant J.-C.) enseignait l’existence d’un Dieu suprême, libre, juste et sage, d’un Dieu esprit, et la préexistence des âmes. Il connaissait vaguement la chute de l’humanité, pressentait l’immortalité de l’âme, les récompenses et les peines après la mort[22]. Quant à la certitude sur toutes ces vérités, on ne pouvait l’attendre, disait-il, que d’une parole divinement révélée[23]. C’est à lui qu’appartient cette belle définition : « Philosopher, c’est apprendre à mourir (μελέτη θανάτου (meletê thanatou)). » Cet enseignement, qui semble préluder aux vérités chrétiennes, ce sentiment de la nécessité d’un secours supérieur qu’on trouve chez Platon, cette espèce de prédiction de la rédemption, du monde, ont toujours rendu la doctrine platonicienne précieuse aux penseurs chrétiens, et l’ont fait nommer par Boost la préface humaine de l’Évangile[24]. Mais alors même que Platon s’élève au-dessus des images de la Grèce, il n’en reste pas moins le fils de son peuple. La beauté, qui charme et captive le Grec, non point la beauté éternelle et sainte de l’Être universel dans sa divine manifestation, mais la beauté terrestre et sensible, devient aussi le but de la philosophie platonicienne, qui n’est plus, dit Staudenmaier, qu’une œuvre artistique, l’union brillante et parfaite de l’art et de la science. Mais, tout en prétendant fondre en unité harmonieuse les éléments de l’art et de la science, de la religion et de la politique, du mythe sensible et symbolique et de la pensée libre et abstraite, Platon ne parvient point à donner à sa doctrine cette unité que nous cherchons dans la philosophie et la religion. Son esprit plane dans la sphère infinie des idées, qu’il ne réussit point à saisir, à formuler, à déterminer nettement. Il ne dit rien de la manière dont les idées, qui meuvent la vie comme puissances spirituelles, se comportent, soit par rapport à la réalité, au fait, soit par rapport aux dieux eux-mêmes. Aussi, quoique Platon s’élève bien au-dessus des erreurs de son temps, qu’il soupçonne et proclame un Créateur qui a conscience de lui, un Dieu personnel qui dirige tout avec sagesse, il ne peut demeurer longtemps à cette hauteur, et son regard va bientôt se perdre dans cet avenir incertain dont il attend toute solution. Quant à la morale de Platon, pour en rappeler les misères, il n’y a qu’à citer la communauté des femmes qu’il voulait introduire dans sa république.

Aristote, de Stagire, en Macédoine (384-322), fonda l’école péripatéticienne, rejeta les idées de son maître Platon, et devint, par son enseignement empirique et dialectique, le philosophe de la raison. Il se borne aux étroites limites de ce monde, qu’il répute éternel et immuable, et circonscrit la science dans les notions qu’il tire du fini. Tout en admettant qu’une intelligence suprême domine l’universalité des êtres ou la nature, il pose des bornes à l’action de la Providence, à l’influence d’un Dieu personnel et sage, en même temps qu’à la liberté humaine, et sous ce double rapport il ébranle les bases de tout vrai système religieux. Sa doctrine morale, conforme à son point de vue empirique, est un pur Eudœmonisme. C’est l’utile et le convenable qui déterminent les moyens d’arriver au bonheur, et c’est par là qu’Aristote justifie l’esclavage. Il méconnaît tellement la dignité humaine dans l’esclave, qu’il prétend que son âme est privée de tout attribut rationnel.

Les écoles philosophiques qui s’élevèrent par la suite prêtèrent un bien plus faible appui encore à la religion et à la morale, puisqu’elles ne firent qu’augmenter les contradictions et les erreurs de ces grands maîtres de la philosophie. Selon Épicure, de Gargette, près d’Athènes (337-270), et d’après ses disciples, le souverain bien est dans la jouissance terrestre ; de là leurs efforts pour bannir toute croyance en une Providence et en l’immortalité, qui aurait pu troubler leur grossière sécurité. Le monde n’est si admirablement disposé pour atteindre sa destination que par le hasard ; les dieux ne prennent aucun soin des choses humaines. L’âme de l’homme n’est qu’un corps plus subtil que les autres, qui naît et meurt comme eux. À l’encontre de l’épicuréisme, le Portique, fondé par Zénon, de Cittium, dans l’île de Chypre (vers 300), a mérité l’estime des âmes fortes et généreuses, par son noble enthousiasme pour l’idéal de la moralité, en enseignant que la vertu est le bien souverain, l’unique bien parfait en soi, en apprenant à mépriser la douleur, à se suffire à soi-même dans le sentiment de sa dignité. Mais en même temps qu’il paraît ainsi fonder une morale plus pure, il détruit la religion, car il exalte l’orgueil jusqu’à l’apothéose du moi humain. Le stoïcisme panthéiste et fataliste exclut aussi la foi à un Dieu gouvernant tout avec patience et amour, et admet plutôt un esprit universel de qui tout émane et qui réabsorbe tout en lui. On objecta dès le principe aux stoïciens que leurs idées de liberté et de fatalité étaient inconciliables.

La nouvelle Académie date d’Arcésilas (vers 318-241) ; elle prend un caractère plus marqué sous Carnéade (215-130) deuxième et troisième Académie. Elle déclare la guerre à la vérité même, d’abord en niant le critérium de la connaissance admis par les stoïciens, puis en s’attaquant à toute certitude en général. Son scepticisme augmente le désordre, achève de troubler et de désoler les intelligences, en sapant complètement les croyances de la religion populaire.

Avec la religion, la Grèce perd la conscience et les mœurs, et de là cet aveu si pénible au sentiment national, et qui échappe au Grec Polybe[25] : « Je ne confierais pas un talent d’or à un Grec, quand il me donnerait dix écrits signés de sa main, scellés, légalisés et confirmés par deux fois autant de témoins ; le serment d’un magistrat romain suffit pour garantir l’administration des plus fortes sommes. » De là la pédérastie, généralement répandue, divinisée dans Ganymède, inspirant le chant des poëtes, les œuvres de l’art ; de là le culte immoral d’Aphrodite et d’autres divinités honteuses, images fidèles et modèles infâmes de la dépravation universelle ; de là enfin la douleur indicible des esprits les plus nobles, que de plus généreux besoins poussaient invinciblement vers la vérité et une nouvelle alliance avec le Ciel. Partout se prononçait le désir d’une révélation divine, qui seule pouvait donner certitude et repos, au milieu de la lutte des opinions humaines. Le temps où cet ardent désir devait être satisfait était proche.

§ 27. — Religion et mœurs des Romains.
Hartung, la Religion des Romains d’après les sources. Erlangen, 1836. — Ambrosch, Livres religieux des Romains, Bonn., 1843. — Pellegrim, Distinction primitive des patriciens et des plébéiens fondée sur la religion. Leipzig, 1842.

L’art, l’élément esthétique prédomine dans la religion des Grecs ; dans celle des Romains, c’est l’élément politique et moral. Conformément à son origine étrusque, celle-ci est sérieuse, presque sombre, et exerce dès les temps les plus anciens une immense influence sur la morale publique et privée. Lucrèce, atteinte dans sa chaste vertu, s’arrache une vie déshonorée. Que de magnifiques preuves les premiers Romains nous donnent de leur amour de la vérité et de la justice[26], de la patrie et de la liberté ! C’est à ses vertus que Rome dut sa grandeur. Mais avec l’esprit républicain s’évanouit l’esprit religieux, intimement uni à la constitution politique et civile de l’antique Rome ; avec la religion s’évanouit le sérieux moral des Romains. À la suite des victoires, des conquêtes et des dépouilles des vaincus, s’introduisirent les cultes étrangers et leurs pratiques immorales. À mesure que la puissance romaine grandit, que les richesses augmentent, le respect des dieux tombe, le vieux sens romain s’oblitère, la vertu patriotique s’affaiblit, le désintéressement se perd. La corruption gagne rapidement, à mesure que les Romaine admettent la mythologie, les arts et les pédagogues de la Grèce, si nombreux depuis Livius Andronicus (240 av. J. C.), ainsi que sa littérature, déjà si altérée par les Grecs, et que les Romains rendirent bien plus profane encore. Puis arrivent les philosophes de la Péninsule (155 av. J.-C.). La députation de Carnéade, Diogène et Critolaüs est accueillie avec faveur, leur doctrine applaudie ; les stoïciens et les épicuriens viennent à leur tour partager avec les académiciens l’empire des esprits. Le luxe et tout son attirail de vices et de malheurs s’ajoutent à toutes ces causes de désordre après les guerres asiatiques.

Rome avait pu héroïquement vaincre Carthage et Corinthe (146 avant J.-C.), mais elle fut vaincue à son tour par sa propre victoire, le signal de sa décadence. Comme le sens du beau était inné aux Grecs, le sens du droit l’était aux Romains. Mais en s’efforçant de faire prévaloir et dominer partout le droit et la justice, ils en étaient venus à vouloir établir partout leur propre domination et à y soumettre le monde entier. L’homme par lui-même n’était rien : il n’avait de valeur que comme citoyen. « Fonder une monarchie universelle, dit Staudenmaier, telle était leur pensée unique : ils ne connaissaient point de but plus noble de leur vie. La République devint leur dieu ; la religion était toute vouée à son service. Rome devait subjuguer le monde, non pour y propager par son empire les idées pures, morales et divines, mais pour y établir sa vaine domination. Alors, et uniquement dans ce point de vue, elle pratiqua à l’égard de toutes les religions possibles une tolérance qu’on a vainement exaltée, et qui n’était fondée que sur l’indifférence religieuse la plus absolue[27]. »

Quand, maîtresse du monde, Rome se fut repue du sang des nations et infectée de leurs vices, alors elle se mit à dévorer ses propres entrailles. Au temps des Gracques (133 ans av. J.-C.) et des partisans de Marius, de. Sylla et Cinna, de sanglantes discordes s’allumèrent : le meurtre, l’empoisonnement, les plus horribles cruautés caractérisèrent son histoire jusqu’au gouvernement absolu d’Octave-Auguste, maître de l’Empire (30 ans av. J.-C. - 14 ans apr. J.-C.). Il régna durant quarante-quatre ans, dit Jean de Muller, et fit oublier par sa douceur la république, dont les vieillards eux-mêmes ne se rappelaient que les malheurs, les guerres civiles et les proscriptions. Le scepticisme, propagé par la philosophie grecque, non-seulement étouffa toute semence de religion chez les grands, mais engendra même parmi le peuple un mépris universel pour les dieux. Au temps de Cicéron, on sait que deux augures ne pouvaient plus se rencontrer sans rire : comment auraient-ils conservé parmi le peuple une croyance dont ils n’étaient plus convaincus eux-mêmes ? « Aussi, dit encore Cicéron, n’y avait-il plus de vieille femme qui voulût croire aux fables du Tartare, aux joies de l’Élysée. »

Mais c’est sous les empereurs que le désordre religieux et la perversité des Romains arrivèrent à leur apogée. Le peuple, asservi et abruti, divinisait jusqu’à ses tyrans, surtout quand ceux-ci, flattant ses sanguinaires passions, comme Claude, lui donnaient en spectacle, non plus seulement les combats ordinaires des gladiateurs, dans les cirques et les amphithéâtres, mais l’appareil terrible d’un combat naval[28] dans l’enceinte même de Rome. L’apothéose de ces tyrans[29] profanait et détruisait complètement toute croyance aux anciens dieux de la patrie ; partout se dressaient les statues impudiques de Priape, de Pan et de Vénus. C’étaient au théâtre les représentations les plus obscènes, pour exalter les sens ; les

désordres étaient sans bornes ; on inventait chaque jour des moyens nouveaux et contre nature d’assouvir ses passions. Le patriotisme s’évanouissait avec toutes les vertus ; le crime seul régnait. Tel était le monde païen, quand le grand apôtre des nations en fit l’effrayant tableau[30], dont nous trouvons dans Sénèque le terrible commentaire[31].

Il était impossible que la nature humaine persistât longtemps dans une aussi épouvantable situation. L’incrédulité et l’immoralité, son inséparable compagne, produisaient un malaise indéfinissable et de terribles angoisses dans les cœurs. Où il n’y a plus de dieux, dit Novalis, règnent les spectres : la superstition remplace toujours la foi. Les Romains, pour apaiser leur conscience bourrelée, se jetèrent aux pieds des dieux étrangers. Les cultes les plus divers se répandirent d’Orient en Italie, malgré les défenses répétées des empereurs. Des prêtres de toutes nations, des astrologues, des magiciens, des devins, des interprètes des songes vinrent exploiter la superstition générale ; on porta des amulettes et des talismans, on pratiqua des sortilèges, on consulta les entrailles des victimes ; le sort se montra de plus en plus sombre, et jamais culte ne fut plus mystérieux et plus charnel, plus ténébreux et plus sensuel que celui de l’empire romain d’alors. Les Juifs eux-mêmes, d’ailleurs si haïs, parvenaient à faire beaucoup de prosélytes. Quel texte pour les satyres de Perse et de Juvénal, sans que les philosophes les plus sérieux en pussent atténuer l’influence !

Les cyniques étaient voués à un juste mépris ; les péripatéticiens étaient rares ; les stoïciens, représentés surtout par Sénèque, Dion de Pruse et Épictète, jouissaient seuls de quelque estime ; encore admirait-on, bien plus qu’on observait, leur morale, quand le contraste de leur vie et de leur doctrine n’en faisait pas d’ailleurs un objet de juste raillerie[32]. Sénèque (3-65 ans apr. J.-C.) lui-même, le plus remarquable de ces philosophes moralistes, et qu’on a prétendu souvent n’avoir pu écrire que sous une influence chrétienne, enseignait des préceptes que contredisaient, sinon ses vrais sentiments, du moins sa conduite à la cour de Néron, dont il ne parvenait point à s’arracher. Ce qui caractérise encore le désordre moral et religieux de cette époque, c’est la faveur extraordinaire qu’obtint le pythagoréisme fantastique, renouvelé par Anaxilaüs, et plus tard par le fanatique Apollonius de Tyanes[33] (3 ans avant et 96 ans après J.-C.) ; et cela précisément dans les temps les plus civilisés de Rome, dans l’âge d’or des arts et de la littérature romaine, sous le principat d'Octave. De là naquit ensuite, en se mêlant à des éléments péripatéticiens et autres, sous la main des platoniciens, le Néoplatonisme : Bien loin de développer le besoin, si profondément senti par Platon, d’un secours supérieur, Apollonius, en vrai jongleur, trompait et pervertissait de plus en plus les esprits par cette orgueilleuse et célèbre prière : « Et vous, ô Dieu, donnez-moi ce qui m’est dû ! » Mais cette tentative, pour répondre aux besoins des esprits, resta sans effet sur la masse et les âmes les plus nobles. Le désespoir en devint plus général et plus profond. On en voit une frappante image dans la mythe de Psyché, qui date de cette époque[34]. Psyché, déchue, séparée de Dieu, erre inquiète et désolée, Cependant elle reprend courage ; elle cherche le Dieu qu’elle a perdu, à travers mille épreuves et mille dangers, dans les temples et jusque dans le royaume de la mort. Enfin Dieu, répond à cet ardent désir, à cet amour héroïque ; il revient à Psyché et s’unit à elle dans un nouvel et saint hyménée, (ίερὸς γάμος). N’est-ce pas l’histoire de l’humanité déchue et régénérée ? Dans cette désolation universelle, les esprits se tournent vers les vieux oracles, conservés dans le mystère des sanctuaires, et qui annoncent un ordre saint et nouveau dans l’humanité, un retour vers l’âge primitif de l’innocence et du bonheur. Les platoniciens et les stoïciens l’attendent avec le commencement de la grande année séculaire[35] ; Virgile chante le règne de la Vierge prédit par la sibylle de Cumes[36] ; et ces rayons d’espérance commencent à relever et à fortifier les esprits, que Suétone[37] et Tacite nous montrent s’attachant, dans leur inquiète joie, aux oracles hautement proclamés par les Juifs et qui annoncent au monde que de la Judée sortirait le libérateur désiré.

Observation. Staudenmaier remarque, et le fait est digne d’attention, que l’illusion diabolique qui séduisit les premiers humains, «   Vous serez comme des dieux[38],   » subsista dans les religions grecques et romaines, et se produisit surtout dans l’apothéose de l’homme et l’opinion païenne de la jalousie des dieux. La poésie nous présente cette opinion dans le mythe de Prométhée, la philosophie dans la doctrine du Portique, l’histoire dans la figure de Némésis. L’apothéose commença surtout avec Alexandre le Grand, se continua sous ses successeurs, et arriva à son plus haut degré sous les empereurs romains[39], qui se firent adorer dès leur vivant.

§ 28. — Le peuple israélite dans son indépendance et sa servitude.
La loi nous a servi de conducteur pour nous mener à Jésus-Christ.
Gala t. III, 24.
Il a pris en sa protection. Israël, son serviteur.
Luc, I, 54.
Ancien et Nouveau Testament. Cf. Herbst, Introd. hist. et crit. à l’étude de l’Ancien Testament, édité par Welte. Carlsr. et Frib., 1840-4. — Jos. Flavii (né 37 et mort 93 ans apr. J.-C.) Opp., ed. Havercamp. Amst., 1726, 2 t. in-f. Autre édit. portat. d’Oberthur. Wirceb., 1782-85, 3 t. — Richter. Lips., 1826 sq., 5 vol. Les Antiquités juives (liv. XX) sont surtout importantes. — Jahn, Bibl. archéol. Vienne, 1817, 4 part. — Scholz, Biblioth. archéol. Bonn, 1824. — Allioli, Man. de science biblique. Landsh., 2 vol. — Kalthof, Man. d’antiq. jud. Munster, 1840. — Molitor, Philosophie de l’hist. Francf. et Munst., 1827-38, 3 vol. — Winer, Dictionn. biblique, 2e édit. Leipz., 1847, 3 vol. — Jost, Hist. gén. des Israélites, depuis leur origine jusqu’au XIXe siècle. Berlin, 1832, 2 vol. — Bossuet, Disc, sur l’hist. univ. — Stolberg, Hist. de la relig. de Jésus-Christ, part. I-IV. — Leo, Précis d’hist. univ., t. I, p. 561-600. — Staudenmeier, Encyclop., 2e édit., p. 335-383 et p. 629-635. — Hirscher, la Morale chrét., 3e édit., t. I, p. 310-345. — Augustin., de Civitate Dei, XIV, 25 ; XVIII, 48.

Au milieu de cette ignorance religieuse et de ces erreurs philosophiques des peuples de l’antiquité, il est merveilleux de voir le peuple d’Israël seul connaître et servir le vrai Dieu. La Providence, par des moyens spéciaux et des révélations successives, conserve au sein de ce peuple privilégié le nom sacré de Dieu et les traditions primitives. Elle promulgue la loi, institue un sacerdoce, dépositaire de cette loi, chargé de la rappeler sans cesse au peuple, de le maintenir, malgré ses égarements, dans le respect dû au Dieu unique, et de le préparer à sa délivrance. « Rien n’était plus digne de Dieu, dit Bossuet, que de se choisir un peuple qui serait un exemple visible de sa Providence[40] ; un peuple dont le bonheur et le malheur dépendraient de sa piété, et dont l’état serait un témoignage éclatant de la sagesse et de la justice de son maître. » Et lorsque Dieu eut démontré, par la conduite de la nation juive, cette irrécusable vérité que c’est Lui qui, d’après sa volonté, dirige les événements de la vie présente, le temps arriva où l’homme devait être élevé à de plus hautes pensées par la venue de Jésus-Christ, qui avait mission de dévoiler les mystères de la vie future à un peuple nouveau, formé de tous les peuples de la terre. Aussi, tandis que les plus antiques monuments de l’histoire, de l’ethnographie et de la géographie, tandis que les plus anciens historiens ne nous rapportent que des fables, ou des faits obscurs et incertains, les Écritures sacrées des Israélites, précises, circonstanciées et toujours liées entre elles, exposent clairement l’histoire de l’humanité, en la rattachant à sa vraie source, au Dieu un, saint, juste, créateur tout-puissant, et résolvent en même temps, avec la plus étonnante simplicité, les plus grands problèmes de la philosophie. Toujours persuasives autant que sublimes, elles disent la création de l’univers, l’homme, le bonheur de son premier état, son union sainte avec Dieu et la nature, la cause de sa chute et de ses misères, la propagation de la race humaine, l’origine des nations, le partage de la terre, la naissance des arts[41] ; en même temps, elles parlent d’un réparateur d’un libérateur promis au premier homme[42], et montrent comment, dans la suite des âges, jamais le Dieu vivant n’a cessé de se manifester aux hommes, de les préparer et de les amener à leur réconciliation définitive avec lui. Elles racontent que les hommes, s’abandonnant à leurs penchants pervers et ne s’appuyant que sur eux-mêmes, se corrompirent, et couvrirent tellement la terre de leurs crimes, que Dieu résolut une vengeance dont jamais le souvenir ne s’effacerait parmi eux, afin de les prémunir éternellement contre la pensée erronée que le monde existe par lui-même, et que ce qui existe ne peut plus cesser d’être. Après la terrible catastrophe du déluge universel, dont la mémoire s’est conservée parmi tous les peuples, Dieu permit au monde de se renouveler et de renaître du sein des eaux. Noé, le seul juste, sauvé par la Providence, devient le second père de la race humaine[43], et l’histoire reprit son cours avec l’humanité rajeunie sous la conduite de Dieu. L’humanité graciée n’est pas guérie ; elle retombe dans l’incrédulité, l’idolâtrie et la corruption morale qui en est la suite, et alors Dieu appelle Abraham. Ce fut 350 ans après le déluge qu’eut lieu la vocation d’Abraham, prince nomade de la Chaldée, père du peuple Israélite, que Dieu même conduisit dans la terre lointaine et inconnue de Chanaan, en lui promettant de le rendre père d’une nation grande et puissante, nombreuse comme les étoiles du ciel[44], en qui tous les peuples de la terre devaient être bénis[45], pourvu qu’Abraham, ses enfants et sa race gardassent les voies de Jéhovah, et marchassent dans les sentiers de la justice et de la vérité[46]. Une alliance positive entre Jéhovah et Abraham scella et confirma les devoirs et les droits d’Abraham. La circoncision de sa postérité devait être un signe commémoratif de cette alliance[47]. Abraham vécut plein de foi en Dieu et en ses promesses. Il marcha en sa présence, gardant fidèlement sa voie, et plaçant en Dieu sa joie, ses espérances, son bonheur[48]. Jacob, petit-fils de la promesse, fut emmené en Égypte[49], et là commencèrent à se réaliser les promesses et les menaces faites à Abraham. Sa race s’y multiplia prodigieusement[50], mais elle perdit le sens et l’esprit du père de la foi. Pour rappeler à lui le regard et l’espérance de ce peuple ingrat, Dieu, fidèle à sa parole, lui fit sentir le joug dur et pesant des Égyptiens[51] ; mais en même temps il suscita Moïse. L’envoyé du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, accrédité par de nombreux miracles, est promptement reconnu ; il devient le consolateur de ses frères, les délivre de l’esclavage[52] et fonde une nationalité propre. Il apprend aux Israélites, durant leur long séjour dans les déserts de l’Arabie, à reconnaître le Dieu de leurs pères, et il réveille le sentiment national endormi. Il rassemble et écrit l’histoire des siècles écoulés, l’histoire d’Adam, de Noé, d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et de Joseph, ou plutôt l’histoire de Dieu même, recueillie dans les souvenirs vivants de la famille d’Abraham, qui avait vécu du temps de Sem, l’aîné des fils de Noé. Il rapporte, et fixe à jamais dans la mémoire de la postérité, les entretiens merveilleux de Jéhovah avec son peuple et les miracles de sa loi. C’est au milieu d’un appareil terrible et majestueux que Jéhovah transmet à Moïse les principes de la religion, inscrits sur deux tables de pierre[53], et qui sont promulgués devant le peuple tremblant et épouvanté[54]. Moïse écrivit aussi tous les ordres, toutes les défenses et les promesses qui étaient jusqu’alors sorties de la bouche de Dieu, et fait dépendre toute bénédiction et toute malédiction pour son peuple, de sa fidélité ou de ses infractions à la loi. Cette loi sert à constituer le règne de Dieu sur la terre, à fonder l’état théocratique des Israélites, dans lequel tout ressort de l’idée de Dieu, tout se ramène à son règne, tout se régit par sa loi. Lui seul, Jéhovah, est le Dieu vivant, tout-puissant, sachant tout, présent partout, plein de miséricorde, père du peuple d’Israël, qu’il a choisi du milieu des nations ; mais aussi le Dieu saint et juste, jaloux de sa loi, et qui se venge des prévaricateurs jusqu’à la septième génération.

Et toutes ces choses ne sont pas seulement dites, mais elles sont réalisées comme des faits sous les yeux du peuple, visiblement conduit par le Seigneur dans la colonne qui plane sur le tabernacle, et qu’entourent incessamment les preuves de la puissance de Dieu ; c’est le Seigneur qui lui départit la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, les tempêtes et la sérénité du ciel, la rosée du matin, les pluies des saisons, et la manne du ciel, et l’eau du rocher. Comme signe visible de sa présence perpétuelle, une colonne de feu ou un nuage couvre toujours le tabernacle[55]. Ainsi conduit, ainsi élevé, Israël devait redevenir le peuple de Jéhovah, peuple craignant son Dieu, n’adorant que lui, l’aimant de toute son âme, gardant ses commandements, posant en lui sa joie, sa grandeur et sa gloire, rejetant avec horreur tout ce qui est en abomination devant le Seigneur, l’idolâtrie, la magie et les devins, et se hâtant de se détourner du péché, de revenir à Dieu, toujours prêt à pardonner dès qu’on lui donne des preuves de repentir. Pour graver dans les esprits d’une manière ineffaçable l’unité de Dieu, Moïse dit et redit en cent endroits que ce Dieu unique se choisirait dans la terre promise un lieu unique où seraient célébrés les fêtes, les sacrifices et toutes les cérémonies du culte divin. Figure de la promesse, image du temple véritable, le tabernacle, temple portatif du désert, appelait déjà autour de lui les enfants d’Israël, avec leurs prières, leurs vœux et leurs offrandes. La mémoire permanente de ces grands faits historiques devait être comme une perpétuelle prédication du nom, de la puissance et de la bonté du Créateur du ciel et de la terre, du Dieu d’Israël fidèle à son alliance et à ses promesses. La célébration du Sabbat devait renouveler la mémoire de la création[56], la Pâque devait rappeler la merveilleuse délivrance de l’esclavage de l’Égypte et le salut des premiers-nés[57]. La fête des Tabernacles représentait d’une manière vivante les mœurs, la manière de vivre du désert et les bienfaits du ciel durant quarante années de pèlerinage[58]. Toutes ces institutions, comme encore la fête annuelle des prémices et de la moisson (Pentecôte) ; les divers sacrifices et surtout les holocaustes quotidiens[59] devaient incessamment rappeler à Israël son rapport avec Jéhovah, ses obligations envers lui.

Dieu présentait aux Israélites, dans l’ensemble de la loi, un miroir où se réfléchissait fidèlement leur image, et où ils pouvaient apprendre à se connaître et à se reconnaître à tout moment. Les deux cent quatre-vingt-quatre ordonnances et les trois cent soixante-cinq défenses de la loi leur apprenaient le nombre, la mesure de leurs délits et le châtiment qui en serait la conséquence. Ainsi ils acquéraient la connaissance du péché[60] par l’étude de cette loi qu’ils devaient méditer jour et nuit, et qui, en tant de circonstances, leur était annoncée ou promulguée de nouveau. Mais en donnant la science du péché et la conscience de la faute, la loi ne donnait la force ni d’éviter l’un ni de purifier l’autre. La loi était impérative et sévère ; elle ignorait l’essence du Christianisme, la grâce[61]. Cependant elle annonçait dans un avenir lointain un prophète, semblable à Moïse, que Dieu susciterait du milieu de son peuple et qu’il faudrait écouter[62], comme l’ensemble de ses institutions et des faits de son histoire préparait insensiblement Israël à la promulgation d’une loi plus sublime, moins cérémonielle et plus féconde en vertus.

Le sentiment du péché réveille dans la conscience le besoin de la justice réparatrice, produit l’ardent désir de la réconciliation par la rémission du péché, et amène ainsi naturellement, dit Staudenmaier, l’institution du souverain pontificat, comme partie essentielle de la constitution religieuse. Une fois chaque année, le grand prêtre entrait dans le saint des saints[63] pour expier les péchés du peuple par un sacrifice, pour présenter à Dieu les prières et les vœux des fidèles, et rapporter, au nom du Seigneur, le pardon, la réconciliation et la bénédiction céleste au peuple assemblé. Ainsi se complète manifestement le culte par le sacerdoce, qui a avec lui les rapports les plus intimes et les plus essentiels. Institué de Dieu, il ressort, d’autre part, du fait même de la loi, de la nature des choses, de la vie spirituelle et des besoins profonds de l’homme, dont il est l’expression, l’instrument et le symbole.

Cependant la loi et le sacerdoce qui en ressortait, ne pouvaient opérer la réconciliation désirée de l’homme avec Dieu. Cette loi impérative n’était ni vivante dans l’esprit, ni vivifiée par l’esprit ; elle n’était qu’une barrière ; elle ne pouvait opérer la justification[64] ; bien plus, elle faisait abonder le péché par la multitude de ses prescriptions[65]. Pas plus que la loi, les sacrifices sanglants ne pouvaient détruire le péché, rendre l’homme juste, saint, parfait. Celui-là seul en qui ne réside point le péché, qui accomplit toute la loi, qui est plus grand que l’homme et plus élevé que le ciel, pouvait véritablement délivrer l’humanité du péché et de ses fruits. Moïse, l’homme de Dieu, exclu de la terre promise, était une preuve évidente de l’insuffisance de sa loi, qui ne parfait rien, qui ne montre que de loin l’accomplissement des promesses divines et ne conduit l’humanité entière, comme Moïse lui-même, que jusqu’aux portes de l’héritage céleste[66]. Toute la loi n’était qu’une grande prophétie annonçant la venue de Celui dont Josué (Jésus) préfigurait à la fois le nom et la mission ; et voilà pourquoi la seconde institution essentielle et nécessaire de la théocratie des Juifs fut l’école des prophètes. Le prophète était tout ensemble la voix vivante de la loi et l’instrument de son accomplissement ; sa mission principale consistait à préfigurer et annoncer le Messie, terme de toutes les prophéties comme la loi devait y préparer par toutes ses ordonnances et ses institutions. Il manquait cependant encore à la constitution mosaïque, et le Deutéronome y fait déjà allusion[67], la tête, le chef du corps, le conducteur du peuple, le représentant de Dieu institué de Dieu même, pour unir la nation en un corps un et vivant, pour en vivifier incessamment l’organisme, pour le maintenir dans l’ordre et sous la loi, pour le garantir et le délivrer des dangers du dehors, le Roi. Dieu se rendit au désir du peuple et lui accorda dans la personne de Saül (1095) un représentant de la royauté éternelle, invisible, et toujours active et présente, de Jéhovah. Ce fut après la conquête de la terre sainte par Josué, après l’âge héroïque des Juges (d’Othoniel à Elie et Samuel), dont la fonction préparait, par une transition naturelle, la dignité royale. Le souverain pontife, le prophète et le roi, termes distincts et essentiels de l’unité théocratique, étaient les types prophétiques de la triple dignité du Sauveur du monde. Comme Héli unit à la charge du souverain pontife la plus grande puissance civile, comme Samuel unit à celle-ci la mission du prophète, ainsi David, l’homme selon le cœur de Dieu, unit aux dons du prophète la dignité royale (1050). En construisant la citadelle de Sion, il fit de Jérusalem une ville forte, centre du royaume, comme elle devait l’être du culte, et y fit amener l’arche d’alliance. Après avoir vaincu tous ses ennemis, avoir étendu les conquêtes de son peuple jusqu’à l’Euphrate, et avoir pacifié tout son royaume, il tourna son cœur et son esprit vers l’établissement du culte divin, et voulut préparer à Jéhovah une demeure digne de lui ; il agissait en cela sans l’ordre de Dieu[68], et cette pieuse entreprise ne devait s’accomplir que sous le règne pacifique de Salomon (1000), qui, d’après le modèle du tabernacle[69], construisit le plus magnifique temple de la terre. Là, dans le saint des saints, fut déposée l’arche d’alliance construite par Moïse, image terrible de la majesté divine, dont nul n’osait approcher, image fidèle du ciel, fermé à l’homme jusqu’au jour où le Christ en ouvrit l’entrée par son sang[70]. Le bonheur de Salomon, la paix de son royaume durèrent autant que sa sagesse ; sa chute entraîna celle de son empire. Dès 975, ce puissant et florissant État se divisa en deux royaumes hostiles, ceux de Juda et d’Israël[71], ce qui affaiblit singulièrement la nation entière dans les luttes qu’elle soutint pour son indépendance contre les Syriens, les Égyptiens et les Chaldéens. Mais au temps même où la dignité royale était ainsi abaissée, où tombaient à la fois la religion, les mœurs et la puissance politique, la grande voix des prophéties s’éleva : Moïse reparut dans le prophète Élie (sous Achab et Ochozias (918-896 av. J.-C.) ; brûlant de zèle, intrépide en paroles, fort et puissant en œuvres et en miracles, Élie reproche aux Israélites leur infidélité[72] et les presse de rétablir le culte de David et de Salomon. Le succès ne répond point à ses efforts. L’esprit de prophétie subsiste, plein de menaces et de fureur, et alors apparaissent, suivant les admirables décrets de Jéhovah, une foule de puissants prophètes ; ce sont les quatre grands prophètes (Isaïe, Jérémie, Ézéchiel et Daniel), ainsi nommés, non-seulement parce que leurs prédictions sont plus étendues, mais encore parce qu’elles ont fréquemment rapport à d’autres nations, tandis que les douze petits prophètes ne s’adressent la plupart du temps qu’au peuple même de Dieu. C’est, immédiatement les uns après les autres, et parfois ensemble, Jonas, Joël, Osée, Amos, Isaïe, Michée, Nahum.

Opiniâtre dans son infidélité, Israël expie son crime en 722, et Salmanasar, roi d’Assyrie, ministre des vengeances divines, envoie en exil la majorité des habitants d’Israël qu’il fait peupler par des colonies assyriennes. Mêlées aux Israélites demeurés en Palestine, celles-ci formèrent plus tard le peuple samaritain, haï et réputé impur par les Juifs. Mais Juda ne profite pas de cette terrible leçon ; il oublie de nouveau l’alliance que le roi Josias contracte avec le Seigneur, en présence des anciens de la nation et de tout le peuple, après avoir retrouvé la loi de Moïse dans le temple[73] ; il reste sourd à la voix des prophètes Habacuc, Jérémie et Sophonie, et tombe en 588 sous la verge de Nabuchodonosor, le Babylonien. Jérusalem et son temple sont ruinés, et une grande partie du peuple est emmené captif. Jérémie console ceux qui demeurent en Judée ; Ézéchiel soutient les exilés. Et telle fut la dernière grande épreuve de la foi de ce peuple ; longtemps la captivité de Babylone resta comme l’expression vivante du plus terrible châtiment, de la plus affreuse misère. Brisés par la douleur, certains d’avoir dans le monde une autre destination que de périr misérablement au milieu d’un peuple abominable par ses croyances et ses mœurs, convaincus qu’ils s’étaient privés par leur infidélité et leurs divisions intestines des moyens d’accomplir cette destination supérieure, les captifs accablés s’asseyaient au bord du fleuve de Babylone et pleuraient des larmes amères au souvenir de Sion : leurs lyres demeuraient suspendues aux saules du rivage, et leur voix restait muette sur la terre étrangère[74]. Alors renaquit plus vif, s’accrut plus ardent et le désir d’expier ses fautes envers le Seigneur, et l’espérance du Sauveur promis. Ce sont surtout les prophètes de cette époque qui font entendre tous les tons de la douleur et de l’espérance, du repentir et de la confiance au Dieu bon, juste et puissant, dans un langage si profond, si simple et si majestueux, que jamais peuple du monde, jamais littérature humaine n’a pu l’égaler. Dieu et ses bienfaits, tel est le sujet de ces poésies sublimes. Leur forme harmonieuse et mesurée en augmente la force ; tout en charmant l’oreille elles enflamment l’imagination, touchent le cœur, s’impriment profondément dans la mémoire. Chères en tout temps à l’âme noble et pieuse par leur immortelle beauté, elles lui sont précieuses surtout dans le malheur et au sein des plus poignantes adversités. Dieu lui-même inspira ces chants sacrés, et son peuple élu fut le seul dont la poésie naquit d’une véritable inspiration divine, comme le prouvent avec une irrécusable évidence, les oracles sur le Messie, qui, à mesure qu’approche le temps de sa venue, deviennent plus clairs, plus précis, plus circonstanciés, plus explicites sur le temps et le lieu de sa naissance, sa mission, les faits de sa vie, les merveilles de sa mort et de sa résurrection.

Babylone, l’orgueilleuse reine de l’Orient, tant de fois menacée de sa ruine par les prophètes[75], tombe à son tour, vaincue par les Mèdes et les Perses que conduit l’envoyé de Dieu, Cyrus, leur vaillant capitaine. Le marteau de la terre est brisé et mis en poudre, comme Daniel l’avait prédit au superbe et coupable Balthazar au moment même de la catastrophe[76]. Les soixante-dix années de la captivité, prédites par Jérémie, touchaient à leur terme[77]. Cyrus permit aux captifs de Babylone de retourner (l’an 536) dans leur patrie[78]. Les plus zélés d’entre les Juifs profitèrent seuls de cette liberté, et, revenant en diverses colonnes, se fixèrent principalement dans la terre de Juda, adorant, dans leur repentir et leur joie, les jugements de Dieu, dont ils lurent avec surprise l’annonce dans les livres mêmes de Moïse[79], et l’accomplissement littéral dans les paroles de Jérémie.

Désormais soutenus par le souvenir de leurs ancêtres, heureux de vivre conformément à la loi, après en avoir été si longtemps éloignés, pleins d’ardeur, et vivifiés dans leur espérance par les promesses de Daniel, prophétisant qu’après soixante-dix semaines d’années[80], le Fils de l’Homme[81], établissant son éternel royaume, viendrait détruire le péché et justifier le genre humain, les Israélites firent diverses tentatives pour rétablir les institutions mosaïques, sous la direction de Zorobabel, d’Esdras et de Néhémie, et réussirent à achever le second temple de Jérusalem (515)[82]. Aggée et Zacharie (vers 520) avaient réchauffé leur zèle pour cette reconstruction de la maison de Dieu, en leur annonçant que la gloire du second temple surpasserait celle du temple de Salomon, puisqu’il verrait le Désiré de toutes les nations[83]. C’est alors que les juifs, pleins du sentiment d’eux-mêmes, firent de leur nom celui de la nation entière, n’accordèrent qu’avec peine l’entrée du temple aux Israélites du nord de la Galilée et de l’Orient en deçà du Jourdain, à cause de leur mélange réel ou présumé avec les païens ; les Samaritains en furent entièrement exclus. Protégés par la Perse, s’appuyant sur cette base de nationalité, les Juifs rétablirent une forme de gouvernement national en concentrant toute la puissance publique dans le grand-prêtre, qui était à la tête du peuple, et dans le sanhédrin[84], composé de soixante-dix membres, qu’on lui adjoignit dans Jérusalem pour la décision des affaires importantes. Les membres du sanhédrin étaient tirés de toutes les tribus, mais choisis surtout dans l’école des membres de ce conseil.

Les sacrifices qu’offraient les Juifs dans ce temple nouveau étaient encore impurs et imparfaits ; Malachie, irrité, s’en détourne, et voit dans l’avenir le sacrifice pur et sans tache offert à Jéhovah, non plus seulement dans le temple de Jérusalem, mais dans toute la terre, du couchant à l’aurore, par les Juifs et les païens[85] ; il voit que le Messie est Dieu même, et prédit la venue du nouvel Élie, précurseur du Sauveur du monde, dont il préparera les voies[86]. Et désormais, jusqu’à la venue du Libérateur, il ne devait plus y avoir de prophètes. La loi de Moïse devait suffire au peuple juif, et c’est pourquoi Malachie clôt la série admirable des prophéties de l’ancienne alliance par ces merveilleuses paroles : Souvenez-vous de la loi de Moïse, mon serviteur ; je vous enverrai le prophète Élie, avant que le grand et épouvantable jour du Seigneur arrive, et il réunira le cœur des pères avec leurs enfants, et le cœur des enfants avec leurs pères. C’est-à-dire qu’il montrera à ceux-là ce que ceux-ci n’ont fait qu’espérer. Tout avait été dit et marqué par Dieu dans la loi et les prophètes pour l’instruction de son peuple. À dater de ce moment, l’esprit de prophétie resta muet.

Quoique la nouvelle constitution politique et religieuse des Juifs eût été fondée précisément par ceux qui étaient le plus vivement touchés du désir de vivre conformément à la loi du Seigneur, peu à peu l’esprit et les formes de la Grèce gagnèrent les Juifs, et soumirent à leur influence les générations dont les pères avaient résisté si opiniâtrément à la violente domination des royaumes de l’Orient. À côté des zélateurs de la loi apparaissaient les amateurs de nouveautés, partisans des mœurs et des coutumes de la Grèce. À dater de la conquête d’Alexandre (323), les Juifs de la Palestine furent soumis tantôt aux Ptolémées d’Égypte, tantôt aux Séleucides de Syrie. Le dernier des Séleucides, Antiochus Épiphanes (175), dont le caractère ambitieux, cruel et impie, avait été prédit par Daniel[87], poussa si loin la violence de ses mesures pour gréciser les Juifs, qu’il voulut, contre toute forme légale, leur imposer un grand-prêtre, qu’il traita de rebelles tous ceux qui faisaient de l’opposition ou qui montraient du zèle pour la loi, et que, maître de Jérusalem, il fit brûler les livres saints, profaner le sanctuaire, et voulut contraindre les Juifs à adorer les dieux de la Grèce. Ce prince, ivre de fureur, semblait avoir résolu l’anéantissement de la nation en profanant son temple. Mais cet attentat, religieux et national à la fois, ralluma le zèle des Juifs, les précipita dans une lutte désespérée, où ils firent preuve d’un véritable esprit national. Mathathias, de la race sacerdotale des Asmonéens, commença l’insurrection ; il jura que, tout le monde devrait-il abandonner la loi de ses pères et se soumettre aux ordres d’Antiochus, lui, ses enfants et ses frères resteraient fidèles à la loi de leurs ancêtres[88]. Ses cinq fils devinrent les chefs du peuple dans la longue guerre qu’il soutint contre les Syriens. Ce fut surtout le courage de Judas Machabée et de Jonathan qui renouvela l’antique renommée du peuple de Dieu, et lui conquit l’admiration de Sparte et de Rome[89]. Les victoires de cette race de héros firent déclarer au peuple « que Simon serait leur chef et leur souverain pontife pour toujours, jusqu’à ce que s’élevât parmi eux le Prophète véritable[90]. » Démétrius, successeur d’Antiochus Épiphanes, reconnut Simon comme prince indépendant, et Judas fut en paix tant que vécut ce grand homme ; chacun put cultiver son champ dans la joie, s’asseoir sous sa vigne et son figuier ; Simon orna magnifiquement le sanctuaire, augmenta le nombre des vases sacrés, étendit les limites de sa nation, et sa puissance et sa gloire furent agréables aux Juifs tant qu’il vécut[91]. C’est ainsi que le souverain pontificat, et plus tard la dignité royale, devinrent héréditaires dans la race des Asmonéens. Jean Hyrcan (135), successeur de Simon, augmenta la puissance des Juifs, constitua le royaume des Asmonéens plus grand et plus florissant que n’avait été celui d’aucun roi d’Israël, David et Salomon exceptés. « Ainsi, dit Bossuet, le peuple de Dieu demeura debout au milieu de toutes ces épreuves, tantôt châtié, tantôt relevé de sa misère ; Dieu le prévenait de telle sorte que ce peuple est la preuve la plus vivante et la plus magnifique de la Providence divine qui gouverne le monde. » En effet, la race des Asmonéens, si zélée pour la loi de Dieu et toujours bénie dans ses entreprises, ne fut heureuse que tant qu’elle marcha dans la crainte du Seigneur. Déjà la position d’Hyrcan devint critique lorsque, dans la lutte élevée entre les Pharisiens et les Sadducéens, il parut enfin prendre le parti de ces derniers († 107). La lutte de ces deux sectes rendit plus opiniâtre et plus désastreuse la longue et sanglante guerre civile qu’allumèrent après la mort du fils aîné d’Hyrcan, Aristobule (106), les dissensions de sa famille. Le parti judéo-grec nomma pour arbitre Pompée, alors en Asie. La domination romaine fut, comme de coutume, la suite de l’arbitrage. Pompée s’était déclaré contre le jeune Aristobule pour Hyrcan, le dernier des fils d’Alexandre, frère et successeur d’Aristobule, mort si misérablement. Il l’avait aidé à s’emparer de la dignité du grand prêtre. Hyrcan prétendit de nouveau à cette dignité après la chute de Pompée sous César ; mais il ne put obtenir aucune influence politique en Judée, tout le pays se trouvant soumis à l’administration de l’Iduméen Antipater, et de ses fils Hérode et Phasaël. Le sanhédrin pénétra les plans de cette famille iduméenne. De plus en plus inquiet de l’amitié d’Antipater et des Romains, il déclara que sa position était incompatible avec les mœurs nationales. L’application arbitraire que faisait Hérode de la peine de mort, sans le concours du sanhédrin, et d’autres causes encore, excitèrent enfin une insurrection positive, à l’issue de laquelle, Phasaël s’étant tué et Antipater empoisonné, Hérode (le Grand), soutenu par les Romains, fut proclamé roi de Judée (39-3 ans apr. J.-C.). Ce tyran, qui ne professait la religion juive qu’en apparence, chercha avec une violence hypocrite à opprimer la nationalité juive et les prêtres, à revêtir arbitrairement du pontificat suprême un Juif nommé Ananel, qu’il avait fait venir de Babylone, à déconsidérer le sanhédrin, à introduire enfin en Judée les mœurs et les usages des Romains. Une sourde agitation gronda d’abord parmi le peuple, qui finit par éclater et se révolter ouvertement. Tout autour d’Hérode régnaient l’intrigue et l’hypocrisie ; les assassinats et les exécutions publiques les plus arbitraires se succédaient d’une manière effrayante. Les Juifs frémissaient sous ce joug odieux, mais, divisés en sectes religieuses, acharnés les uns contre les autres, ils n’étaient plus capables d’agir ensemble pour s’affranchir, comme leurs ancêtres, du joug de l’étranger, et reconquérir une existence glorieuse et paisible. Après la mort d’Hérode, la Palestine fut partagée entre ses trois fils : Archélaüs obtint comme ethnarque la Judée, l’Idumée et la Samarie ; Philippe, comme tétrarque, la Batanée, l’Iturée et la Trachonite, et Hérode, au même titre, la Galilée et la Pérée ; Archélaüs, à la suite d’une révolte, fut exilé dans les Gaules (6 ans apr. J.-C.). Le grand prêtre et le sanhédrin administraient les affaires religieuses, mais ils n’avaient qu’une influence subordonnée dans les affaires publiques. En l’an 39, la faveur de Claude éleva Hérode Agrippa à la royauté de toute la Palestine ; mais, après sa mort (44 ans après J.-C.), le royaume redevint une province romaine, administrée par des gouverneurs romains.

§ 29. — Les Juifs hors de la Palestine.
Remond, Hist. de la propagation du judaïsme, depuis Cyrus jusqu’à la chute du royaume de Juda. Leipzig, 1789. — Groot, De migrationibus, Hebr. extr. patriam ante Hieros, a Rom. deletam. Gron., 1817.

Nous avons vu qu’un petit nombre seulement de Juifs avaient profité de l’autorisation de Cyrus pour revenir en Palestine. La majeure partie était restée à Babylone, et de là s’était répandue de plus en plus vers l’Orient. Les rois des Homérides, de l’Arabie méridionale, avaient embrassé le judaïsme (vers 100 av. J.-C.)[92]. Alexandre le Grand avait permis à une colonie juive de s’établir à Alexandrie, d’où ils se répandirent dans toute cette partie de l’Afrique. Leur singulière activité et leur esprit commercial les porta bientôt en Syrie et en Asie Mineure, et au temps de l’empereur Auguste, on les trouve disséminés dans toutes les parties de l’empire romain. Pour les distinguer des Juifs de la Palestine, on les appelait les Juifs de la dispersion (οἱ ἐν τῆ διασπορᾶ) ; malgré l’éloignement, ils conservaient des rapports actifs avec Jérusalem, en reconnaissaient les autorités ecclésiastiques, payaient un tribut annuel au temple (διδραχμα), où ils envoyaient souvent des sacrifices et faisaient de fréquents pèlerinages, Ils restèrent ainsi, malgré les circonstances les plus défavorables, et à travers de longues périodes, invariablement et merveilleusement attachés à la religion de leurs pères et à leur antique nationalité. Mais peu à peu, parmi eux comme dans la mère patrie, se manifesta une tendance marquée à s’accommoder aux usages étrangers, et de là le parsisme et l’hellénisme de ces Juifs dispersés. Séparés de la mère-patrie, ils perdirent insensiblement les traits les plus saillants et les plus originaux de leur caractère national, si exclusif et si hostile à toute influence étrangère. En Perse, ils mêlèrent à leurs divines et saintes traditions quelques éléments de la religion persane ; les mœurs, la science, la langue des Grecs prirent faveur chez les Juifs les plus distingués, et eurent une action prononcée sur leurs opinions religieuses, en Égypte surtout. Là, ils avaient même perdu en grande partie l’usage et la connaissance de la langue hébraïque et chaldaïque, ce qui rendit nécessaire pour eux une traduction grecque de l’Ancien Testament. Ils l’obtinrent grâce à l’intervention de Ptolémée Philadelphe (284 à 247 av. J.-C.), dans la version des Septante[93], qui fut même tenue pour inspirée.

Le contact des Juifs avec les pythagoro-platoniciens d’Alexandrie donna naissance à une philosophie religieuse toute particulière, qu’Aristobule, le premier, formula d’une manière remarquable (vers 160, av. J.-C.), mais qui ne fut complètement systématisée que par le Juif Philon[94] (vers 40 apr. J.-C.). Il tend surtout à harmoniser le judaïsme et le paganisme, en cherchant à pénétrer plus avant dans la connaissance de la révélation mosaïque et à la concevoir plus spirituellement que les Juifs. De là son exégèse allégorico-mystique, et l’admission des idées et de la contemplation platoniciennes. Pour conserver dans toute sa spiritualité l’idée de Dieu, qui semble ne pouvoir entrer en contact avec le monde matériel, il admet des êtres intermédiaires, émanés de Dieu, et se manifestant dans des formes de plus en plus dégradées (λόγος, λογόι). Les hommes pratiques de cette secte philosophique et religieuse paraissent s’être répandues très au loin en Égypte. La plus célèbre de leurs réunions ascétiques est celle des Thérapeutes (vers le lac Mœris, non loin d’Alexandrie)[95], qui, comme plus tard les anachorètes, vivaient de pain et d’eau, jeûnaient souvent, et demeuraient isolés dans des cellules (σεμνείοιϛ, μουαστηρίοιϛ). Philon fait venir leur nom de θεραπεια Θεοὓ ; d’autres de θεραπεια ψυϰῆς : les deux explications caractérisent complètement la tendance des thérapeutes.

Les Juifs restés en exil, comme ceux qui, plus tard, ne pouvant reconquérir leur indépendance nationale, se dispersèrent parmi les peuples de la terre, furent les instruments de la Providence, dans le plan divin de l’éducation de l’humanité. Fondus au milieu des nations dont jadis l’accès leur était interdit, ils devinrent à leur tour accessibles à la civilisation des nations étrangères, et le mosaïsme cessa d’être isolé dans le monde. Leurs relations actives avec les peuples les plus importants de l’antiquité les mirent à même de répandre, avec le zèle qui leur était propre, les germes de la vraie connaissance de Dieu parmi les gentils, d’inspirer le respect du judaïsme, et de propager par toute la terre l’espérance du prochain règne de Dieu. Leur prosélytisme eut d’autant plus de succès vers le temps de la venue du Fils de Dieu, que nous avons vu la désolation d’un grand nombre de païens, convaincus de l’insuffisance du paganisme et enclins à admettre, avec les Juifs, sinon toute la loi mosaïque, du moins le monothéisme. Ces prosélytes de la porte (גֵרֵי הַשֵּׁעֵר) abandonnaient les vaines imaginations mythologiques et s’abstenaient de certaines coutumes du paganisme ; ils étaient en assez grand nombre, tandis que les prosélytes de la justice (גֵֽרֵי הַצֶדֶק), qui admettaient toute la loi et la circoncision, étaient plus rares. D’autres, enfin, en grand nombre, sans être même prosélytes de la porte, cherchaient, au milieu des ruines de toutes les religions païennes, à apaiser momentanément leur conscience, en pratiquant les cérémonies des Juifs et prenant part aux solennités de leurs fêtes religieuses.

§ 30. — Sectes principales : les Pharisiens, les Sadducéens,
les Esséniens, les Samaritains.

Au milieu des luttes politiques du temps des Macchabées, il s’était formé des partis religieux qui eurent une grande influence sur la marche même des événements politiques. Leurs opinions diverses sur les rapports de la religion et l’État (pharisiens et sadducéens), ou sur les choses purement morales (esséniens), les distinguèrent d’abord. Plus tard ils se divisèrent encore sous le point de vue politique : les uns (pharisiens) s’opposant, de toute leur force, à la suppression de la nationalité juive par la domination grecque et romaine ; les autres s’y soumettant avec moins de peine (sadducéens, esséniens). Les Pharisiens peuvent donc être considérés comme le parti de la légitimité, défendant avec zèle les choses anciennes, les antiques traditions, tenant ferme à la lettre et à la forme, et par cela même perdant facilement l’esprit, le sens et l’essence des choses ; les Sadducéens, au contraire, entrevoyant la nécessité d’un progrès, sans vouloir l’attendre, prétendaient l’opérer eux-mêmes ou l’obtenir, en introduisant des coutumes étrangères et défendues, et en affectant une liberté d’opinion opposée à la stérile orthodoxie des pharisiens. Entre ces deux partis se trouvaient ceux qui, tout en abandonnant quelque chose de la rigueur des traditions paternelles, cherchaient un asile et un refuge dans le recueillement intérieur, et menaient une vie mystique et contemplative : c’étaient les esséniens[96]. Faut-il mieux caractériser encore ces trois sectes ? Les pharisiens, à côté des documents authentiques et écrits de la religion, admettaient une tradition, commentaire vivant, explication orale et permanente de toutes les difficultés des Écritures[97]. Ils se tenaient d’après cela pour les docteurs de la loi, pensaient devoir déduire leur nom de פּוֹרֵשּׁ (pôresh), c’est-à-dire ἐξηγητἠς τοῦ νόμου (exêgêtês tou nomou), formaient par la tradition orale (kabbalah) une sorte de théologie spéculative, qui, par une exégèse tout allégorique, devenait le commentaire de l’Ancien Testament. Plus tard, ce fut sur cette tradition qu’ils s’appuyèrent pour justifier la multiplicité extraordinaire de rites et de cérémonies qu’ils introduisirent dans la pratique de la loi. L’esprit vivant du rite se trouvait ainsi écrasé sous la forme, et la cérémonie, dépouillée de sa vie intérieure et de son sens profond, passait pour l’essence de la religion. De là leur opposition à Jésus, et à l’adoration en esprit et en vérité qu’il enseignait ; opposition si prompte, si déterminée, si opiniâtre et enfin si décisive. Ils accomplissaient les œuvres extérieures avec une prodigieuse activité, un scrupule et un zèle minutieux qui, le plus souvent, couvrait la perversité de leurs cœurs. Sérieux par leur éducation, ils cherchaient encore à se distinguer de la foule par leur apparence austère et sainte. Et c’est cette tendance caractéristique à s’élever au-dessus de la multitude qui est marquée par leur nom, tiré, selon toute vraisemblance, de פָּרוּשׁ (paroûsh), c’est-à-dire séparés du peuple, élus, pieux[98]. Le Christ s’en prit surtout à cet orgueil, à cette sainteté apparente[99], à cette hypocrisie ambitieuse[100]. Les pharisiens étaient les vrais meneurs religieux et politiques du peuple ; ils voulaient passer aussi pour les Patriciens de la nation, et usaient de toute leur influence pour assurer leur domination. On ne peut cependant envelopper dans cette accusation d’hypocrisie tous les pharisiens, qui, du reste, en défendant la doctrine de la liberté humaine, de l’immortalité de l’âme, et par leur inviolable attachement à la parole divine, étaient incomparablement supérieurs aux Sadducéens. Plusieurs agissaient avec droiture et selon leur ferme conviction. Tels furent Nicodème, Gamaliel et d’autres[101], comme nous le prouve l’histoire de Notre-Seigneur ; telles furent encore les écoles de Hillel et de Schamaï.

Les Sadducéens opposaient à la rigoureuse orthodoxie et aux pratiques pieuses des pharisiens l’esprit de critique et la liberté de penser. Leur nom ne dérive point de צֶרֶקּ (tsereq), mais, d’après la traduction talmudique, d’un certain Zadok (fin du IIIe siècle avant J.-C.). Ils prétendaient reproduire le pur mosaïsme, admettaient les livres de l’Ancien Testament, comme étant en harmonie avec le Pentateuque ; mais ils rejetaient la tradition et attachaient peu de prix aux cérémonies. Ce n’était pas cependant qu’ils eussent véritablement un sens profond des choses saintes et une vraie capacité pour la vérité ; car on sent dans toutes leurs opinions religieuses un esprit d’indifférentisme ; on voit dans toute leur manière d’être l’amour des biens terrestres et le désir d’une vie agréable et commode, qui ne s’inquiète guère des besoins de la nature supérieure de l’homme[102]. Ils rejetaient[103] la croyance à l’immortalité de l’âme, aux peines et aux récompenses futures, à la résurrection des corps. Ils paraissaient aussi avoir nié l’existence des anges, des esprits, et nommément de Satan[104]. Aussi, l’influence des sadducéens, peu nombreux d’ailleurs, ne pouvait être que fort médiocre sur un peuple aussi ferme dans ses croyances que celui de la Judée.

Également mécontents de la direction qu’imprimaient aux opinions du peuple les pharisiens et les sadducéens, plusieurs Juifs, surtout d’entre ceux qui sentaient un besoin religieux plus profond, se retirèrent dans la solitude et formèrent la secte des Esséniens[105]. On les trouve sur les rives occidentales de la mer Morte, menant une vie tout ascétique, dans la retraite la plus complète, s’efforçant (c’était l’idée mère de leur doctrine) de se soustraire aux influences des sens et de s’affranchir du joug du corps, qui emprisonne l’âme, par une discipline ferme et sévère, par l’abstinence et la pratique de diverses bonnes œuvres. Ils tendaient à former une société d’hommes amis de la vérité, rejetaient entre eux tout serment et n’en prêtaient qu’un, en entrant dans la communauté. Ils s’occupaient de labourage, du soin des troupeaux, de divers métiers, et surtout de médecine. De là l’étymologie probable de leur nom, tiré du mot chaldaïque אָסַי (âsai), c’est-à-dire médecins du corps et de l’âme. Leur connaissance de la médecine et de la nature avait surtout un caractère théosophique ; ils se glorifiaient aussi d’un don particulier de prophétie. Leur direction spirituelle et leurs opinions religieuses les rapprochent beaucoup des thérapeutes d’Égypte. Cependant Flavius Josèphe nomme les esséniens πραϰτιϰοί (praktikoi), parce qu’ils menaient une vie à la fois active et contemplative, tandis qu’il appelle les thérapeutes θεώρητιϰοί (theorêtikoi), parce que leur vie était purement contemplative. D’après Philon, qui idéalise les esséniens et les représente comme les modèles de la sagesse pratique, ils rejetaient tout sacrifice et prétendaient n’adorer Dieu qu’en esprit. Josèphe, au contraire, affirme que le sacrifice était saint à leurs yeux, mais seulement alors qu’il se célébrait à leur manière. Ils observaient rigoureusement la solennité du sabbat, vivaient en communauté de biens, et se soumettaient avec une inquiète exactitude, et contrairement à l’esprit primitif de leur secte, à une multitude de formes et de pratiques extérieures, telles que les lustrations, l’abstinence des choses impures, et les quatre degrés de leur hiérarchie. Ainsi leur piété avait à la fois un caractère mystique et légal, contemplatif et servile. On commit donc une erreur grave lorsqu’on voulut affilier directement les esséniens au Christianisme, d’après l’opinion d’Eusèbe, puisque l’essence même du Christianisme leur manque. On peut tout au plus présumer que les assemblées des thérapeutes ont pu avoir une certaine influence sur la forme de vie des monastères chrétiens.

Aucune de ces sectes ne pouvait donc, en définitive, avoir une action prépondérante sur l’esprit religieux du peuple. Les pharisiens, dévots en apparence, étouffaient le sens intérieur par leurs formes exagérées et leur piété mesquine. Quelle vertu, quelle foi pouvaient inspirer au peuple l’indifférence et le doute des sadducéens ? Quelle action, quelle influence pouvaient exercer sur la masse les esséniens solitaires ?

Le tableau des divisions religieuses des Juifs se complète par le souvenir des luttes et de la haine mutuelle des Juifs et des Samaritains[106]. Ces derniers tiraient leur nom de Samarie, ancienne capitale du royaume d’Israël. L’origine de leur séparation religieuse remonte au temps de Salmanasar, alors qu’en place des captifs emmenés à Babylone, le vainqueur envoya des Babyloniens et des Cuthéens, auxquels se mêlèrent les Juifs demeurés à Samarie[107]. Ce mélange les rendit l’objet de la haine universelle. Quoique païens par le fait, ils prétendirent dès lors et toujours être Israélites d’origine. De tristes et déplorables expériences leur firent désirer de revenir au monothéisme, et de prendre part à la construction du nouveau temple, dont ils furent exclus comme idolâtres[108]. La réforme religieuse qu’ils désiraient ne s’opéra donc parmi eux qu’au temps d’Alexandre le Grand, par le Juif exilé Manassé. Il réintroduisit le Pentateuque parmi les Samaritains, bâtit, d’après un texte du Deutéronome (XXVII, 4), un temple sur le mont Garizim, avec l’autorisation d’Alexandre, et ordonna des prêtres de la tribu de Lévi. Cependant leur liturgie différa beaucoup de celle du temple de Jérusalem, comme d’ailleurs les Samaritains différaient des Juifs, en n’admettant des livres de l’Ancien Testament que le Pentateuque, et en croyant que le temple où l’on devait adorer Dieu ne pouvait être que sur le mont Garizim[109]. Ils tenaient à la doctrine nationale d’un Dieu, de la Providence, du Messie futur (הַּשָׁהֵב (hashahev), conversor), mais ils la comprenaient d’une manière plus large que les Juifs. Les deux nations s’adressaient des noms injurieux[110], se reprochaient l’idolâtrie, évitaient toute société entre elles, se refusaient l’hospitalité[111], et cherchaient, en voyageant, à ne pas toucher leurs limites mutuelles. Elles combattirent souvent l’une contre l’autre et restèrent toujours irréconciliables. Le Christ, par ses paroles[112] et par ses actions[113], condamna cette haine.

§ 31. — Plénitude des temps.

L’influence des pharisiens avait fait régner parmi les Juifs, avec une apparence de justice légale, le fanatisme et l’impureté. On ne comprenait plus en général la religion que comme une chose extérieure. Le doute et le trouble de l’âme avaient été les résultats de l’influence moins active des sadducéens. Au milieu de ces agitations religieuses, qu’augmentait encore le joug des Romains, se réveillaient dans tous les cœurs la désir et l’espérance d’une double amélioration, extérieure et intérieure. Mais plus la loi des Juifs était troublée, plus ils étaient portés à interpréter les glorieuses promesses du Messie d’après leurs désirs terrestres et leurs opinions mondaines. Ils attendaient un guerrier puissant et fort, conquérant et dominateur de la terre. Un petit nombre d’entre eux seulement, représentés par les glorieux personnages du Nouveau Testament, Zacharie, Élisabeth, Simon, Anne, Marie, etc.[114], espéraient en un Messie, libérateur du péché et de l’erreur. C’était précisément à la fin de la période où nous sommes arrivés que, s’appuyant sur la dernière prophétie de Daniel relative aux soixante-dix semaines d’années (490 ans)[115], les Juifs attendaient le Messie promis avec une impatience que redoublait chaque jour la tyrannie des successeurs d’Hérode et des gouverneurs romains ; le joug de Rome surtout leur était odieux. Ils avaient tellement l’espoir d’en être délivrés, ils l’annonçaient si hautement, que les païens, et les Romains principalement, en eurent connaissance, et s’en étonnèrent d’autant moins qu’eux aussi, gémissant sous la tyrannie nouvelle des empereurs, ayant perdu toute croyance religieuse, dédaignant le culte de leurs pères, désiraient ardemment un libérateur qui mît un terme à leur incertitude, guérît leurs plaies, calmât leurs angoisses, et leur rendît espoir et confiance en Dieu[116].

Tel était donc le triste spectacle qu’offrait partout, sous le point de vue religieux et moral, l’empire romain, sans même en excepter la Palestine. L’homme privé de Dieu, ou plutôt éloigné de Dieu[117], attendait néanmoins partout le Désiré des nations, comme l’avait prédit le Prophète, et comme, chaque année, l’Église nous le rappelle, quand elle entonne durant l’Avent l’hymne antique : Rorate, cœli, desuper, nubes pluant Justum ! Le Verbe éternel n’avait jamais cessé d’agir dans le monde, et de répandre sa vie et sa lumière sur l’humanité déchue ; mais le monde ne l’avait pas compris[118] ; ni les siens, ni les Juifs, ni les païens ne l’avaient reçu et n’avaient porté encore des fruits de vie.

C’est alors que le Fils de Dieu quitta les demeures éternelles de son Père, se fit homme, pour vivifier, réconcilier, libérer, éclairer, sanctifier les hommes, et conduire, par sa grâce et sa vérité[119], toute chose à leur fin éternelle. « Le Christ, dit saint Augustin, apparut aux hommes au milieu d’un monde vieux et mourant, pour vivifier et rajeunir tout ce qui se flétrissait et tombait autour d’eux. » Au-dessus de toutes les étoiles, s’écrie dans un pieux et profond enthousiasme saint Ignace d’Antioche, saluant la venue de l’Homme-Dieu ; au-dessus de toutes les étoiles du ciel brillait une étoile d’une ineffable lumière, d’une merveilleuse pureté. Les astres du firmament, le soleil et la lune formaient autour d’elle un chœur éblouissant ; mais tous recevaient leur lumière, empruntaient leur éclat de cette étoile unique et mystérieuse. Et toute magie fut abolie ; les liens du péché furent rompus, l’ignorance fut dissipée, l’empire du mal ruiné, lorsque Dieu parut sous la forme humaine pour rendre la vie à tout ce qui périssait sans elle[120]. » « La plénitude des temps était venue[121] ; Dieu envoyait son Fils pour racheter ceux qui étaient sous sa loi et les faire ses enfants d’adoption. » C’était aussi le moment le plus favorable pour fonder l’influence universelle du Christianisme. Jamais on n’avait autant désiré une religion selon l’esprit et la vérité ; jamais le monde n’y avait été plus préparé ; l’opposition si tranchée des Juifs et des païens tombait et se fondait dans le sentiment universel de la désolation intérieure et de l’oppression du dehors. L’état politique de la plupart des peuples civilisés les avait merveilleusement préparés à l’action salutaire du Christianisme. Rome étendait alors son empire sur presque tout le monde ancien connu : à l’Occident de cet immense empire prédominaient la langue et les mœurs de Rome ; à l’Orient les conquêtes d’Alexandre avaient fait triompher la civilisation grecque, qui avait étendu sa domination jusque dans Rome même, au temps des empereurs. Combien l’union de tant de peuples soumis à une même domination, parlant une même langue, facilitait l’annonce de l’Évangile ! Paul écrit en grec aux habitants de Corinthe et de Philippes, à l’orientale Éphèse comme à l’occidentale Rome, aux Asiatiques comme aux Européens[122]. L’amour des conquêtes avait produit chez les Romains, en place de leur rigueur première, une grande tolérance à l’égard des cultes étrangers. On admettait généralement que les dieux avaient eux-mêmes ordonné les cultes divers, qui devaient se tolérer réciproquement, tant qu’ils se bornaient au pays, au peuple auquel ils appartenaient. Il en était résulté une assez grande faveur pour le syncrétisme religieux. L’invasion des dieux étrangers avait néanmoins été telle à Rome, malgré la loi en vigueur et qui exigeait l’autorisation de l’État, qu’on fortifia les lois circa sacra peregrina[123] jusqu’à ce qu’enfin le Christianisme, vainqueur du monde, se manifesta aux Romains, dans la plénitude de sa force et de sa vérité. Comment ne pas reconnaître la main de la Providence dans tous ces préparatifs, si favorables à l’annonce et à la propagation du Christianisme ? Comment ne pas s’écrier avec le grand apôtre du monde : « Dieu a tout enfermé dans l’incrédulité, afin de faire miséricorde à tous. Ô profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses conseils sont incompréhensibles et ses voies insondables[124] ! »



  1. C’est aussi le résultat des recherches de Gœrres, Schelling et Creuzer. Ce dernier s’exprime ainsi dans sa Symbolique (t. I, p. 11 et 12, 2e édit) « Je maintiens sans restriction ma thèse principale, d’un monothéisme primitif pur, vers lequel convergent toutes les religions, quelque brisés, quelque pâles que soient les rayons qu’elles ont reçus du Soleil éternel. »
  2. Rom. I, 28.
  3. Lasaulx, de Mortis dominatu in veteres. Monaci, 1835.
  4. Homère, Iliade, XVII, v. 446 et 447. Démocrite dit : « Toute la vie de l’homme n’est qu’infirmité » ; et Sophocle, Antigone, v. 1011 : « La destinée universelle de l’homme est de pécher. » — Voir Staudenmaier, Encyclopédie, t. I, p. 283-86, 2e édit.
  5. Jean I, 4, 5, 9, 10 ; Apoc. XIII, 8. A primordio omnem ordinem divinæ dispositionis per Filium decucurisse. Tertullian. adv. Prax. c. 16.
  6. Afin de pouvoir suivre les progrès du symbolisme dans la religion, afin de saisir avec précision la différence entre celui-ci et la religion naturelle, il sera bon de se rappeler ce qui suit : On peut se représenter l’Orient sous deux formes qui font contraste : toute l’Asie orientale incline au panthéisme ; toute l’Asie occidentale au dualisme. Dans la Chine, le panthéisme est tout objectif : c’est une raison froide et sèche ; dans le Thibet, il se résout dans une pure perception de l’être, mais pourtant dégénère continuellement en sensualisme. Dans l’Inde, ce même panthéisme finit par prendre les formes fantastiques des idées, et se confond avec tous les éléments. Le dualisme, à son tour, nous apparaît en Perse comme la magnifique organisation d’une raison puissante ; dans l’Asie Mineure, il revêt la forme humaine et s’enfonce avec passion dans les plaisirs sensuels ; en Égypte, enfin, la raison s’unit au sauvage culte de la nature en même temps qu’à l’idée d’une divinité compatissante, comme nous le montrent la mort et la résurrection d’Osiris. » (Rosenkranz, p. 248).
  7. Windischmann, 1re partie. — Schmitt, Révélation primitive, ou vestiges des principaux dogmes du Christianisme dans les traditions et les documents des plus anciens peuples, principalement dans les livres canoniques des Chinois. Landsh., 1834. — Frédéric Schlegel montre en ces termes le développement et en même temps la décadence de la religion des Chinois : « La première époque est celle de la révélation sacrée qui sert de base à l’organisation politique. La seconde, qui commence vers 600 ans avant J.-C., est l’époque de la philosophie scientifique. Celle-ci prit deux directions diverses : l’une sous l’impulsion de Confucius, qui se dévoua complètement au côté moral et pratique de l’enseignement ; l’autre sous celle de Lao-tseu, qui fut toute spéculative et qui réfléchit en quelques points les doctrines de la Perse et de l’Égypte. La troisième époque est caractérisée par l’introduction du bouddhisme.
  8. L’adoration primitive et symbolique du ciel et de la terre, ainsi que de leur représentant, l’empereur, fut, dans la suite, si entièrement méconnue et viciée que ce dernier fut considéré comme la Divinité elle-même. (Windischmann, p. 37-40).
  9. Idem, p. 364 et 454. Schmitt, I. c., p. 223. Voyez sur Mencius et Confucius, Windischmann, I. c., p. 423-61. Cf. Schott, trad. des Œuvres de Conf. et de ses élèves. Halle, 1826. Cf. Lauterbach, qui le réfute.
  10. Frédéric de Schlegel, de la Langue et de la Sagesse des Indous. Heidelb., 1808. — P. de Bohlen, l’Inde antique mise en regard de l’Égypte. Dœnigsb., 1830. — Windischmann (Frider. filius), Sancara, s. de Theologumenis Vedanticor., Bonnæ, 1832-34.
  11. « Les Indous ne distinguent pas l’idée pure et métaphysique de l’Être par excellence par les noms des divinités populaires, pas même par le nom de Brahma, considéré comme personne. Ils le considèrent comme une divinité neutre, le Brahma, et, sous cette forme, il signifie l’Être suprême. » (Schlegel, Philos. de l’hist., t. I, p. 146.)
  12. Philos, de l’hist., t. I, p. 114.
  13. Wiseman, Accord de la science avec la révélation, 12 Conférences faites à Rone.
  14. Rhode, Traditions sacrées et Système religieux des Bactriens, des Mèdes et des Perses. Francfort-sur-le-Mein, 1826.
  15. Kleuker, Zend-Avesta. Riga, 1776. — Id., Appendice du Zend-Avesta. Riga, 1781-83. — Id., Abrégé du Zend-Avesta. — Vullers, Fragments de la religion de Zoroastre. Bonn, 1831.
  16. Cf. Hérod., Hist. I, 131-132.
  17. Jerem. VIII, 2.
  18. Sur le sabéisme, cf. Cic., de Nat. deor. II, 21. — Lactant., Institut. II, 5 et 10 sq. — Kleuker, de l’Origine du sabéisme, d’après les livres saints, abrégé du Zend-Avesta.
  19. Kirsher, S. J., Œdipus Ægyptiacus. Romæ, 1652 ; Obeliscus Pamphilicus. Romæ, 1659 ; Apotefematica, s. de Viribus et effectis astror., éd. Gronov. Lugd., 1698. — Movers, Recherches sur la religion des Phéniciens, considérée dans ses rapports avec celle des Carthaginois, des Syriens, des Babyloniens, des Assyriens, des Hébreux et des Égyptiens, 1 vol. Bonn, 1840.
  20. La Pythie répondit aux Lydiens : « Dieu lui-même ne saurait se soustraire aux arrêts du destin. » Cf. Hérodote, Histor. I, 91. Sophocle est le premier chez lequel on voit percer l’idée de la justice distributive.
  21. Lactant., Institut. IV, 2 : « Unde equidem soleo mirari quod quum Pythagoras et postea Plato, amore indagandæ veritatis accensi, ad Ægyptios et Magos et Persas penetrassent, ut earum gentium ritus et sacra cognoscerent (suspicabantur enim sapientiam in religione versari !) ; ad Judæos tamen non secesserint, penes quos tunc solos erat, et quo facilius ire potuissent. » Cf. Cicero, de Finib. bonor. et malor. V, 19. — Minut. Felix, Octavius, c. 34.
  22. Bilharz La doctrine de Platon est-elle le théisme ? Carlsr., 1842.
  23. Platon dit dans le Phédon : Εἰ μή δύναιτο ἀσφαλέστερον ϰαὶ ἄϰιν-δυνότερον ἐπὶ βεϐαιοτέρου ὀχήματος ἣ λόγου θείου τινὸς διαπορευθῆναι. (Ei mê dunaito asphalesteron kai akin-dunoteron epi bebaioterou ochêmatos hê logou theiou tinos diaporeuthênai). Xénophon dit le même, Memorabil. lib. IV, c. 3. n. 16 : Πῶς οὖν ἄν τις ϰάλλιον ϰαὶ ἐυσεϐσέτερον τιμῲη Θεοὺς ἤ ὡς αὐτοὶ ϰελέυουσι οὕπω πριῶν. (Pôs oun an tis kallion kai eusebseteron timôn Theous ê hôs autoi keleuousi houpô priôn). Conf. IV, 4, 25.
  24. Boost, Hist. mod. de l’humanité. Ratisb., 1836, 1re part., p. 20. — Ackermann, le Christianisme de Platon. Hamb., 1836. — August., de Civit. Dei, VII, c. 4-13. — Mattes, Platon chrétien, Rev. trim. de Tub., 1845, p. 479-520.
  25. Polybii Hist VI, 54.
  26. Augustin., de Civit. Dei, I, 19, 24 ; V, 18.
  27. Léon le Grand dit avec beaucoup de justesse : « Quum Roma universis dominaretur gentibus, omnium gentium servivit erroribus. » (Sermo I de SS. App. et Paulo.) Cf. Walch, de Romanorum in tolerandis diversis religionibus disciplina publica. (Nov. commentar. Soc. Gœtt., t. III. 1773.)
  28. Tacit., Annal. XII, 56. — Cf. Sueton., Vita Claud. c. 21. — Dio Cassius. LX, 33.
  29. Domitien commençait ses lettres par ces mots : « Dominus et Deus noster hoc fieri jubet. » (Sueton., Vita Domit. c. 13.)
  30. Rom. I, 21-32.
  31. Omnia sceleribus ac vitiis plena sunt ; plus committitur quam quod possit coercitione sanari. Certatur ingenti quodam nequitiæ certamine : major quotidie peccandi cupiditas, minor verecundia est. Expulso melioris æquiorisque respectu, quocumque visum est, libido se impingit ; nec furtiva jam scelera sunt : præter oculos eunt ; adeoque in publicum mtssa nequitia est, et in omnium pectoribus evaluit, ut innocentia non rara, sed nulla sit. Numquid enim singuli aut pauci rupere legem ? undique, velut signo dato, ad fas nefasque miscendum coorti sunt. (Seneca, de Ira, II, 8.) Déjà Saluste, Bell. Catil., c. 12-13, avait fait la peinture suivante des temps de la république incomparablement meilleurs : Ex divitiis juventutem luxuria atque avaritia cum superbia invasere ; rapere, consumere ; sua parvi pendere, aliena cupere ; pudorem, pudicitiam, divina atque humana promiscua, nil pensi neque moderati habere. — Sed lubido stupri, ganeæ, cæterique cultus, non minor incesserat : viros pati muliebria, mulieres pudicitiam in propatulo habere, etc.
  32. Seneca, epist. 29.
  33. Voy. sa vie par Philostrate l’Ancien. (Philostr. Opp., gr. et lat., ed. G. Oleario. Lipsiæ 1709, in-f.) Il prétend s’être servi des Mémoires de Damis, compagnon d’Apollonius. Suivant Philostrate, ils étaient inconnus jusqu’à lui, et il n’aurait fait que leur donner une forme agréable et les contrôler par l’écrit de Maxime d’Égée. Mais les Mémoires de Damis sont tellement remplis d’anachronismes, qu’on est obligé de les rejeter comme apocryphes.
  34. Apuleius, Métamorph. IV, 83. Fulgentius, Mythologicor. III, 6.
  35. Heyne, Annot. in Virg., t. I, p. 96.
  36. Virgilius, ecloga IV, v. 4-10, et 13-14 :

    Ultima Cumæi venit jam çarmimis ætas :
    Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.
    Jam redit et virgo, redeunt Saturnia regna :
    Jam nova progenies cœlo demittitur alto
    Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum
    Desinet, ac toto surget gens aurea mundo,
    Casta fave Luoina : tuus jam regnat Apollo…
    Te duce, si qua manent sceleria vestigia nostri
    Irrita perpetua solvent formidine terras.

    Cf. Augustinus, de Civitat. Dei, X, 27, ep. 155. — Eusebius, Vita Constant, V, id est Constant orat. c. 19-20. — Dante, Purgator. XXII, 70 sq. — Voyez Lasaulx, I. c., p. 63.

  37. « Percrebuerat Oriente, toto vetus et constans opinio, esse in fatis ut eo tempore Judæa profecti rerum potirentur. » (Sueton. Vita Vespas, c. 4.) « Pluribus persuasio inerat, antiquis sacerdotum litteris contineri, eo ipso tempore fore, ut valesceret Oriens, profectique Judæa rerum potirentur. (Tacit. Histor. V, 13.) On trouve encore au même endroit ces mots remarquables : « Audita major humana vox. : Excedere deos ; simul ingens motus excedentium. »
  38. Gen. III, 5.
  39. Cf. J. D. Schœpflini Comment. de apotheosi s. consecratione imperator. romanor. (ejusd. Commentat. Mist. et Crit. Basileæ, 1741, in-4., p. 4 sq.)
  40. Léo exprime fort bien cette pensée « Tout le mystère de l’histoire des Israélites, dit-il, toute leur mission repose sur ce fait, que Dieu avait choisi ce peuple pour être un moyen entre le péché originel et la rédemption, pour être le dernier et inexpugnable boulevard de la foi en un seul Dieu au milieu de toutes les nations païennes, pour être enfin le terrain où devait germer le salut promis à tous les peuples de la terre… Nulle part on ne trouve l’action de la justice divine exprimée d’une façon aussi claire que dans la manière dont le péché et les passions préparent la ruine du peuple juif, tandis que la fidélité aux préceptes divins amène toujours sa récompense. » (Précis d’hist. univ., t. I, p. 564.)
  41. Marcel de Serres, la Cosmog. de Moïse comparée avec la géologie. Voir aussi Fichte, qui dit, dans son droit de la nature, 1re part., p. 32 : « Un esprit s’intéressa au sort de l’homme précisément comme le veut une ancienne et vénérable tradition (la Genèse). Elle renferme, après tout, la sagesse, la plus profonde, la plus digne d’admiration ; elle offre des résultats auxquels la philosophie, après ses longs détours, est bien obligée de revenir. »,
  42. Genes. III, 15.
  43. Genes. VI-VIII.
  44. Genes. XII, 2 ; XIII, 16 ; XV, 5 ; XVII, 4, 6, 8 ; XXII, 16-17.
  45. Genes. XII, 3 ; XVIII, 18 ; XXII, 18.
  46. Genes. XVIII, 19.
  47. Genes. XV, 18 ; XVII, 4.
  48. Genes. XII, 4 ; XV, 6 ; XXII, 2.
  49. Genes. XLVI-I.
  50. Exod. I, 7.
  51. Exod. I, 14, 22.
  52. Exod. II-XII.
  53. Exod. XX, 1-18.
  54. En parlant des rapports et des caractères de l’Ancien et du Nouveau Testament, saint Augustin dit : « Multum et solidum significatur ad Vetus Testamentum timorem potius pertinere, sicut ad Novum dilectionem, quanquam et in Vetere Novum lateat, et in Novo Vetus pateat. » (In Exod.) Cf. Stolberg, édit. de Vienne, t. II, p. 41-51.
  55. Exod. XIII, 21 sq. ; XIV, 24 ; Nombres, XIV, 14 ; Nehem. IX, 9,12,19.
  56. Exod. XX, 8-11.
  57. Lev. XXIII, 5 ; Exod. XXIII, 15.
  58. Lev. XXIII, 34. Cf. Deut. VIII, 15.
  59. Exod. XXIX, 38. Nomb. XXVIII, 3.
  60. Rom. III, 20 ; VII, 7.
  61. Jean, I, 17 ; Gal. III, 13.
  62. Deut. XV, 18.
  63. Lev. XVI ; Hebr. IX, 7, 25.
  64. Rom. VII, 16.
  65. Rom. VII, 7.
  66. Hebr. VII, 19 ; XI, 13.
  67. Deut. XVII, 14.
  68. 2 Samuel, VII.
  69. 2 Paralip. III-VII.
  70. Hebr. IX, 12.
  71. 1 Rois, XII.
  72. 1 Rois, XVII-2 Rois, …
  73. 2 Rois, XXII, 8 ; XXIII, 1.
  74. Ps. 137.
  75. Isaie, XIII-XIV ; XXI, 1-11 ; XLVII-XLVIII.
  76. Dan. V.
  77. Jérém. XXV, 12 ; XXX, 10.
  78. Cf. Esdr. I, 1, etc.
  79. Nehem. I, 8, 9.
  80. Dan. IX.
  81. Dan. II, 44 ; VII, 13, 14, 27.
  82. Cf. Esdr. I, 1-4 ; VI. 1, etc.
  83. Agg. II, 8.
  84. D’après les Nomb. XI, 16.
  85. Mal. I, 11.
  86. Mal. III, 1.
  87. Dan. VII, 7.
  88. 1 Mach. II, 19 et 20.
  89. 1 Mach. XIV, 16.
  90. Mach. XIV, 41.
  91. 1 Mach. XIV, 4-15.
  92. Cf. Jos., Antiq. XV, 3, 1 ; XX, 2 ; XII, 2, 4 ; XX, 3, 1.
    xIdem, de Bello Jud. II, 36 ; VII, 3. — Tac., Annal. II, 85 ; Hist. V, 5.
  93. Voyez sur cette version des Septante Herbst. Introd. hist. et crit. à l’étude de l’Écrit. sainte. Carlsr. et Frib., 1840, p. 144-155.
  94. Philonis Opp. Francof., 1691, in-f. ; ed. Mangey. Lond., 1742, 2 t. In-f. ; ed. Pfeiffer. Erlang, 1785 sq., 5 t. in-8 ; et Staudenmaier, Philosophie du Christianisme, ou la Métaphysique de l’Écriture sainte. Giessen, 1840, 1er vol., p. 360, 462. On y trouve exposé avec clarté tout le système de Philon. Biblioth. sacra Patr. Lipsiæ, 6 t. Grossmann, Quæstiones Philoneæ. Lipsiæ, 1829. Maier. Comm. sur l'Évang. de S. Jean, t. I, p. 117 sq.
  95. Les principales sources dans Philon, de Vita Contempl. Cf. Euseb. Hist.ecclesiast. II, 17, qui regarde les thérapeutes comme des chrétiens. — Bellermann, Essai histor. sur les esséniens et les thérapeutes. Berlin, 1821. — Sauer, De essenis et therapeutis. Vratisl., 1829. — Dœhne. Exposé hist. de la philosophie judaïco-religieuse d’Alexandrie. Halle, 1834, 1re part., p. 439.
  96. Sur le schisme opéré dans le judaïsme par ces trois sectes, voyez Stolberg, IV, p. 499-524. — Trium scriptor. illust. (Drusii, Scaligeri et Senarrii de trib. Judæor, sectis syntagma, ed. Triglandius. Delphis, 1703, 2 vol. in-4. — Beer, Hist. des sectes religieuses du judaïsme. Brunn, 1822.
  97. « Il y a deux sortes de traditions, dit Molitor : la tradition écrite et la tradition orale. L’écriture arrête le temps dans son cours rapide ; elle saisit et burine en traits ineffaçables la parole fugitive et en fait un objet permanent. Aussi l’écriture est-elle la plus sûre de toutes les traditions. Néanmoins, malgré cet avantage, elle procure seulement une image générale et affaiblie de la réalité. Elle n’a point la précision qui fait la vie. C’est pourquoi elle est mélangée d’une foule d’erreurs, et doit toujours être soutenue par la tradition orale, qui en devient l’interprète vivant et animé. S’il n’en est ainsi, tout est mort : on n’a qu’une pure abstraction. — Dans l’ancien monde, où l’homme différait essentiellement de ce qu’il est dans le nôtre ; dans l’ancien monde, où la réflexion ne menaçait pas de tuer la vie, où les relations étaient plus simples, plus naturelles, cette alliance de la parole parlée et de la parole écrite, de la théorie et de la pratique, était observée avec beaucoup plus de rigueur. — L’existence propre et individuelle de chaque science, l’esprit véritable, la vie de l’ensemble était dans la parole vivante et dans la démonstration pratique que chaque maître transmettait à son élève, pour que celui-ci laissât ce mystérieux trésor à ses héritiers. Si, à travers toute l’antiquité, dans le domaine de l’art comme dans celui de la science, la vie consistait bien plutôt dans une communication orale que dans la transmission écrite, assurément nous ne devons être nullement surpris de trouver ce qu’il y a de plus saint, de plus intime, de plus propre à faire le bonheur de l’homme, la religion, expliquée par une tradition vivante, qui accompagne les lois civiles et interprète d’un point de vue élevé les obscurs enseignements du texte, sacré. » (1re part., p. 6-8.)
  98. Cf. Josephi Ant. XVII, 2, 4. — Epiphan. Hæres, 16, c. 1, in fine.
  99. Matth. XXIII, 5-7 ; XIII, 28-32 ; Luc. XI, 37-54.
  100. Marc, VII, 2 ; Matth. XV, 2-3 ; Jean, IX, 16.
  101. Jean, III, 1-21 ; Act. V, 37.
  102. Voici ce que disent les traditions du Talmud sur l’origine de la secte : Zadok, qui étudia sous Antigone Socho, corrompit l’enseignement de son maître. Antigone soutenait qu’on devait pratiquer la vertu sans avoir égard à une récompense. Zadok s’empara de ce principe pour nier un état futur de rétribution aussi bien qu’une autre vie. Cf. Grossmann, de Philosophia sadduceor. Lipsiæ, 1836. Winer, dans son Dictionnaire biblique, représente au contraire les sadducéens sous un jour beaucoup plus favorable.
  103. Matth. XXII, 23 ; Marc, XII, 18 ; Luc, XX, 27 ; Josephi, Ant. XVIII, 1-4.
  104. Act. XXIII, 8.
  105. Philon les appelle ἐσσαῖοι (essaioi), Josèphe ἑσσῆνοι (hessênoi). Cf. præsertim Stolberg, IV, 499-524, et supra, § 29, p. 99, note 1.
  106. Sylvestre de Sacy, Mémoires sur l’état actuel des Samaritains. Paris, 1812. — Gesenius, de Pentateuchi Samar. origine, indole et auct. Halæ, 1815. Ejusd. Programma de Samar. Theologica ex fontibus ineditis. Hale, 1822. Ejusd. carm. Samar. e codd. Lond. et Goth. Lipsiæ, 1824. (Sieffert) Progr. de temp. schismatis Eccl. Judæos inter et Samar. oborti. Regiom., 1828, in-4.
  107. 2 Rois, XVII, 24 ; Cf. 2 Paralip. XXXI, 1.
  108. 2 Rois, XVII, 29.
  109. Jean, IV, 19.
  110. Eccles. L, 28 ; Jean, VIII, 48.
  111. Luc, IX, 53.
  112. Luc, X, 25-37.
  113. Jean, IV, 4 ; Luc, IX, 52.
  114. Luc, I-II.
  115. Dan. IX, 24.
  116. 1 Pierre, II, 25.
  117. Ephes. II, 1, 5, 12.
  118. Jean, I, 5, 9, 10, 11.
  119. Jean, I, 12-14.
  120. Ep. ad Ephes. c. XIX.
  121. Gal. IV, 4 ; Rom. V, 6 ; Ephes. I, 10 ; Tit. I, 3.
  122. Cf. Hug. Introd. au Nouveau Testament ; 3e éd. 2e part., p. 30.
  123. 327, a U. C. Cicero, de Legib. II, 8. Separatim nemo habessit Deos, neve novos, sed ne advenas, nisi publice adscitos, privatim colunto.
  124. Rom. XI, 32, 33.