Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/05

Chapitre IV.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre V.

Chapitre VI.


CHAPITRE V

VENDÉENS ET CHOUANS

(thermidor an II à floréal an III - juillet 1794 à mai 1795.)

En Vendée, le général Vimeux, remplaçant à la tête de l’armée de l’Ouest le général Turreau que sa rigueur jugée excessive avait fait rappeler et reléguer dans le commandement de Belle-Île, les généraux Alexandre Dumas à qui Vimeux remit ses fonctions le 21 fructidor (7 septembre). Moulin, commandant en chef de l’armée des côtes de Brest jusqu’au 17 vendémiaire (8 octobre), époque où, appelé à l’armée des Alpes, il eut pour successeur Alexandre Dumas remplacé lui-même à l’armée de l’Ouest, le 3 brumaire (24 octobre), par Canclaux, et Hoche nommé le 4 fructidor (21 août), en remplacement du général Vialle, au commandement, qu’il prit le 19 (5 septembre), de l’armée des côtes de Cherbourg, n’eurent que peu d’opérations militaires à conduire. Cette inertie eut pour causes et le désir de laisser faire la récolte et le retrait de 25 000 hommes pris pour renforcer l’armée de la Moselle et l’armée des Pyrénées occidentales. En thermidor (fin juillet), les bandes des rebelles harcelèrent les moissonneurs patriotes ; mais, vers le milieu du mois (août), les troupes républicaines refoulèrent divers rassemblements qui ne cessaient de tuer et de piller.

Dans la Vendée, après avoir manqué son coup le 16 fructidor (2 septembre), Charette réussissait, le 20 (6 septembre), à s’emparer par surprise du camp de la Roullière, à 8 kilomètres environ au sud de Nantes, où il massacrait les soldats ; le 28 (14 septembre), il enlevait le camp de Frérigné, hameau de la commune de Touvois (Loire-Inférieure), à 12 kilomètres à l’ouest de Legé, et s’y livrait à une horrible boucherie. Le colonel Mermet avait été mortellement blessé au fort de l’action et, raconte Jomini (t. VI, p. 235), « le fils de Mermet, âgé à peine de quatorze ans, attaché au corps de son père expirant, y fut haché en pièces et mourut en criant : Vive la République ! » Le 24 (10 septembre), une attaque contre le camp de Chiche (Deux-Sèvres), concertée entre Charette et Stofflet, avec mauvaise grâce de la part de celui-ci, avait été repoussée ; mais un détachement républicain fut anéanti. L’hiver se passa d’une façon assez calme, et la tentative contre le camp de Beaulieu (Vendée), qui échoua le 17 nivôse an III (6 janvier 1795), fut la dernière entreprise un peu sérieuse qu’eut à déjouer l’armée de l’Ouest. Ce qui préoccupait les gouvernants, ce n’était pas d’établir et de faire exécuter un plan d’opérations bien conçues, c’était d’arriver à tout prix à apaiser les chefs des rebelles.

Les insurgés — je rappelle qu’on désigne spécialement sous le nom de Vendéens ceux qui combattaient au sud de la Loire, et de Chouans ceux qui se tenaient au-dessus du fleuve — étaient dans une situation pénible ; une épidémie faisait des ravages dans leurs rangs ; ils ne pouvaient soigner ni leurs malades, ni leurs blessés ; leurs munitions étaient insuffisantes. Loin de s’entendre entre eux, les chefs étaient divisés au point qu’en décembre, à la suite d’une réunion tenue, le 6, au quartier général de l’armée du Centre, à Beaurepaire, près de Montaigu, un grave conflit éclata entre Charette et Sapinaud, d’un côté, Stofflet et le curé de Saint-Laud (église d’Angers), Bernier, de l’autre. Charette, qui ambitionnait d’être généralissime, ce que n’admettait pas Stofflet, avait sous ses ordres dans le Marais (Vendée), vieillards, enfants, malades compris, une dizaine de mille hommes ; c’était l’armée dite du Bas-Pays, du Bas-Poitou ou du pays de Retz ; Stofflet, environ la moitié sur les frontières de la Vendée, du Maine-et-Loire et des Deux-Sèvres ; c’était l’armée du Haut-Pays ou du Haut-Poitou et d’Anjou ; entre les deux, Sapinaud était dans le Bocage (Vendée) avec trois mille hommes et formait l’armée du Centre. Sur la rive droite de la Loire, se maintenaient tant bien que mal une vingtaine de bandes. Au fond, la nécessité contraignait tout ce monde à vouloir une suspension des hostilités. Avec une impudence toute nationaliste, le clérical M. Sciout explique cette nécessité : « Les puissances étrangères n’avaient pas reconnu à temps l’importance de l’insurrection catholique et royaliste de l’Ouest, dont elles auraient dû tirer parti pour rétablir la royauté en France et enrayer ainsi le mouvement révolutionnaire dans toute l’Europe » (Le Directoire, t. Ier, p. 103). Très raisonnablement, on pouvait songer à rendre définitive cette suspension désirée par les vaincus. Mais, s’il ne fallait pas désespérer ceux-ci, il ne fallait pas non plus humilier les vainqueurs. Modération et générosité, soit ; mais aussi, à côté de satisfactions matérielles pour la masse, équitables et apaisantes, fermeté, prévoyance et souci de la dignité républicaine, telle devait être la règle de conduite.

Il est probable qu’il y a eu, à la base de l’insurrection vendéenne, un mouvement de révolte, des plus pauvres paysans en particulier, contre le bouleversement de leurs anciennes coutumes de vie. Il est probable que les inconvénients tout nouveaux de l’évolution économique bourgeoise ont paru à beaucoup d’entre eux plus intolérables que ceux de l’ancien ordre des choses auquel ils étaient accoutumés. Il est probable que des nobles, que les prêtres surtout, dont on ne saurait nier la puissante influence sur cette population ignorante, ont suivi la tactique indiquée par Jaurès (à la fin de la page 190 du tome Ier) et exploité sa haine des bourgeois des villes, prêteurs d’argent ou acheteurs de propriétés rurales, revendiquant, aussi bien contre les misérables familles paysannes que contre la noblesse, la faculté d’exercer leur droit propriétaire dans toute sa plénitude, dans toute sa rigueur, sans compenser par des avantages matériels immédiatement appréciables les maigres mais traditionnelles ressources de glanage, de vaine pâture, etc., dont les plus malheureux se trouvaient expropriés par des partisans de la République. Quoi qu’il en soit, une fois leur clientèle constituée par cette exploitation des ressentiments économiques des paysans pauvres, la noblesse et le clergé factieux n’avaient pu la transformer en instrument aveugle de leurs intérêts pour l’avenir qu’en subissant d’être frustrés par elle de leurs revenus présents. À leur grand déplaisir, ils virent se satisfaire à leur détriment cette cupidité paysanne qu’ils avaient déchaînée contre les bénéficiaires du nouveau régime et, par suite, contre ce régime lui-même, contre la Révolution et la République. Les nobles, les anciens maîtres, ne luttaient réellement pour aucune revendication populaire, mais pour la défense de leurs privilèges. La masse insurgée, elle, était dans son ensemble avant tout poussée par l’appât de profits matériels ; elle s’inquiéta peu de savoir à qui elle nuisait, pourvu que son appétit de jouissances nouvelles pour elle fût apaisé. En admettant qu’au début elle n’ait songé qu’à reprendre les petits avantages économiques dont la propriété bourgeoise la privait, mise en goût par quelques pillages aussi pieux que fructueux — « inévitables « (Bittard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, p.465) — de républicains, elle était vite devenue plus exigeante et avait fini par accaparer tous les revenus du pays, y compris ceux qui appartenaient à la noblesse et au clergé ; à la fin, elle ne se battait plus, peut-on dire, que par amour du brigandage et de ce qu’il rapportait. Comme nos bandes cléricales, antisémites et nationalistes appointées qui n’en veulent au tant pour cent que lorsqu’elles ne le palpent pas, comme toute armée qui n’est pas mue par une idée telle que la défense du sol et de la République pendant la grande période révolutionnaire, Vendéens et Chouans en arrivèrent à n’avoir d’autre mobile que le gain ; M. Bittard des Portes avoue, parmi les officiers de Charette, des hommes « qui n’aiment que la guerre et ses brutales satisfactions » (Ibidem, p. 458). Dès que le gain leur manqua, dès qu’ils n’eurent plus la possibilité de se livrer aux débauches dont ils avaient pris l’habitude, — Charette avait besoin pour ses hommes de « barriques d’eau-de-vie » (Ibidem, p. 367, 368, 375) — les rebelles royalistes et cléricaux ne tardèrent pas à être profondément découragés.

Je trouve la confirmation de ce qui précède dans le tome Ier des Mémoires du général d’Andigné publiés par M. Biré. Après avoir constaté l’influence prépondérante des prêtres qui s’exerça parfois pour, mais surtout contre la Révolution, d’Andigné ajoute (p. 157) : « Ces provinces sont parsemées de petites villes, de gros bourgs, où habitaient un grand nombre de petits bourgeois qui, avant la ; Révolution, ne possédaient aucune propriété. Ces hommes habitués à trouver leur existence dans leur industrie, étaient devenus le plus souvent les vampires du peuple des campagnes. Les fermes à mi-fruit étaient en partie dans leurs mains, ainsi que le commerce des bestiaux, des grains et autres denrées… C’est particulièrement dans cette classe que les Vendéens trouvaient leurs ennemis les plus acharnés ». Il reconnaît cependant (p. 162) que « l’esprit de la Révolution » comptait des partisans chez les « cultivateurs de l’Ouest », chez ceux sans doute qui bénéficiaient du nouveau régime : « La terreur — qu’on remarque le mot et l’aveu de la chose fut l’arme dont on se servit pour réprimer ceux qui se montraient ouvertement les ennemis de la cause royale. Les patriotes furent tous obligés de se soumettre aux règlements établis par les royalistes, ou d’abandonner leurs biens pour se réfugier dans les villes. Des exemples terribles ôtèrent l’envie de nuire à ceux qui préférèrent rester dans leurs foyers ». Si les personnes étaient, les propriétés des amis n’étaient pas plus favorisées que celles des adversaires : les capitaines ou officiers insurgés subalternes, c’est-à-dire ceux qui n’étaient pas nobles, « partageaient entre leurs soldats les revenus de leurs paroisses, après en avoir prélevé ce qui était nécessaire pour les besoins communs » (p. 167) ; plus tard même (p. 283) : « Il ne restait rien : pour les dépenses communes,… pour y subvenir les chefs étaient obligés d’imposer aux soldats : le sacrifice d’une petite partie de ce qu’ils s’étaient accoutumés à regarder comme leur propriété. L’habitude de jouir les rendait plus avides de jour en jour ; ils refusèrent bientôt de reconnaître les droits, que les ecclésiastiques avaient voulu s’attribuer ». Il juge lui-même que les curés avaient des « prétentions exagérées » (p. 284) ; mais il compatit davantage au malheur des nobles émigrés dans la catégorie desquels il rentrait et trouve (p. 167) que « cette administration monstrueuse entraînait des abus innombrables… Le vice de cette administration se fit principalement sentir lorsque quelques émigrés parvinrent à regagner leurs foyers. Les Chouans s’étaient habitués à jouir de leurs biens, à les considérer comme une propriété acquise » ; « les Chouans s’étaient approprié leurs revenus ; ils en faisaient nécessairement le sacrifice avec regret » (p. 286). Cependant les nobles dont la révolte était due surtout au désir de garder tous leurs anciens avantages, n’étaient pas moins exaspérés d’être expropriés par les paysans royalistes que par la Révolution, et ne renonçaient pas à reprendre la disposition de tous leurs revenus : « Nous nous étions réservé de la ressaisir dans des jours plus tranquilles ; mais, pour le moment, il eût été plus qu’imprudent de nous en occuper » (p. 284).

À l’égard de tels vaincus si âprement intéressés, les thermidoriens inaugurèrent un parti pris d’aplatissement ; la sévérité fut désormais réservée aux vainqueurs. Le régime de la Terreur ne prit pas fin ; mais ne furent plus frappés les adversaires de la République, les révolutionnaires le furent seuls. Sous prétexte d’amadouer des insurgés provisoirement lassés, le gouvernement devint leur dupe, les paya pour qu’ils voulussent bien accepter ce qu’ils désiraient, se ridiculisa et leur laissa outrager la République, en attendant qu’ils retournassent contre elle les forces que, niaisement, il les aidait à réparer. Comme gage de ce singulier apaisement, le 9 vendémiaire (30 septembre), on décréta d’accusation le général Turreau qui, après avoir dû insister pour être jugé, devait être acquitté à Paris le 28 frimaire an IV (19 décembre 1795). Évidemment, celui-ci avait été très dur ; mais il n’avait fait, en somme, qu’obéir aux instructions reçues, imposées même par les indulgents de l’époque. En tout cas, quand on châtie l’implacabilité des uns, on ne doit pas user d’indulgence pour les cruautés des autres. Sans doute, des excès furent commis des deux côtés ; mais l’initiative des atrocités revient aux cléricaux : leur férocité religieuse ne se bornait pas à tuer, elle martyrisait, suivant l’exemple de Souchu et de Charette lui-même à Machecoul (Chassin, La Préparation de la guerre de Vendée, t. III, p. 350) ; et c’est d’un tel homme qu’on essayait maintenant de gagner les bonnes grâces, cela quelque temps après les massacres de la Roullière et de Frérigné !

Dès le 3 vendémiaire an III (24 septembre 1794), les représentants Bollet et Boursault avaient pris l’initiative de mesures d’apaisement, et une proclamation de Boursault du 26 vendémiaire (17 octobre) amenait déjà des soumissions, quand le représentant Ruelle fit faire des ouvertures à Charette. Sur ces entrefaites, parut le décret du 12 frimaire an III (2 décembre 1794), qui, sans la moindre distinction entre les grands chefs et les simples rebelles, accordait amnistie complète à tous, ceux « qui déposeront leurs armes dans le mois qui suivra le jour de la publication ». Elle n’était pas fortuite, la coïncidence d’un pareil décret avec le procès de Carrier ; en sacrifiant les terroristes, on pensait se concilier les rebelles, on ne fit que surexciter leur morgue. Ce qui redoublait leur outrecuidance, c’est que la nouvelle attitude bassement empressée pour eux, des républicains ne leur paraissait explicable que par l’idée que ceux-ci se sentaient perdus : dans la faiblesse des gouvernants, ils croyaient déjà voir la fragilité de la République. À l’heure même

SIGNALEMENT DES CHOUANS ET AUTRES CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRES
(D’après un document du Musée Carnavalet.)


où ils s’avouaient ne plus pouvoir résister, toute leur arrogance leur était rendue par les injustifiables complaisances de leurs vainqueurs.

D’autre part, ayant senti que l’insurrection allait s’éteindre si elle restait livrée à elle-même, un des principaux chefs de la chouannerie, le comte Joseph de Puisaye, était, dès le mois de septembre, passé en Angleterre pour mendier des secours de Pitt. Très authentique représentant de la noblesse, Puisaye vendit, autant qu’il le put, son pays au gouvernement anglais et fut un faussaire accompli, digne ancêtre de ceux qui, moins dégénérés que ne le prétendent de mauvaises langues, se sont affichés (1898) félicitant un traître et glorifiant un faux. Ce qu’il fallait pour maintenir les bandes des pieux catholiques et des fidèles royalistes, c’était de l’argent. Déjà Puisaye et d’autres chefs avaient opéré avec de faux assignats assez grossièrement imités : la fabrique de faux assignats était avouée à la date du 20 septembre (Chassin, La Vendée patriote, t. IV, p. 564) ; il proposa à Pitt de procéder à une meilleure fabrication et d’organiser une descente sur les côtes de France dont les Anglais conserveraient certains points à leur convenance (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. Ier, p. 4 et 15). Le respectable Pitt accepta avec empressement les offres de l’honnête Puisaye. L’annonce d’une prochaine expédition anglaise poussant les rebelles à ménager leurs forces pour cette époque que la distribution d’or anglais allait leur permettre d’attendre dans de dévotes et monarchiques orgies, les disposait à accepter par hypocrisie cette suspension des hostilités à laquelle, avant les concessions imbéciles des thermidoriens, ils aspiraient par nécessité. Charette ayant fait faire le recensement de tous les approvisionnements par son commissaire général, l’abbé Remaud, celui-ci, en effet, déclara « qu’il était impossible de continuer la guerre… D’autre part, les munitions manquaient presque complètement, chaque soldat n’ayant guère que quatre ou cinq coups à tirer » (Billard des Portes, Charette et la guerre de Vendée, p. 397).

Le décret du 12 frimaire était l’application d’un système que désapprouvèrent ceux qui se rendaient impartialement compte de la situation. Le 17 frimaire an III (7 décembre 1794), Hoche qui, depuis le 13 brumaire (3 novembre), tout en gardant le commandement de l’armée des côtes de Cherbourg, avait remplacé le général Alexandre Dumas à la tête de l’armée des côtes de Brest, écrivait, en effet, aux représentants Bollet et Boursault : « Une indulgence déplacée pourrait opérer la contre-révolution » (Chassin, ibid, p. 54). Malheureusement, tous n’étaient pas de son avis et, le 6 nivôse (26 décembre), un de ses subordonnés, le général Humbert, se laissait aller à entamer des pourparlers avec un chef de Chouans, Boishardy. De ses entrevues avec celui-ci, sortit un projet de trêve, définitivement conclue, le 14 nivôse (3 janvier), par Bollet avec un certain Desoteux. Celui-ci, « fils de M. Desoteux, saigneur d’un petit village de la province de Bourgogne, c’est-à-dire chirurgien de campagne, faisant la barbe et coupant les cheveux proprement » (Moniteur du 15 prairial an III-3 juin 1795), et du nombre de ceux estimant avec raison que leur bassesse d’âme leur donne le droit de s’introduire dans les rangs de la noblesse, se faisait appeler baron de Cormatin, titre sous lequel Puisaye l’avait nommé major général, le 26 août, avant de quitter la France. Cette trêve, d’une durée illimitée, signée en l’absence et au grand regret de Boursault, l’était au moment où le général Rey venait de saisir des papiers et d’opérer la capture d’agents ne permettant aucun doute sur le but poursuivi par les royalistes de concert avec les Anglais.

Du côté de la Vendée, la publication du décret n’entraînait aucune soumission importante, les rebelles voyaient la possibilité de traiter de puissance à puissance et attendaient le résultat des pourparlers entamés avec Charette. Celui-ci, marchant d’accord avec Sapinaud, avait fait remettre au représentant Ruelle une lettre lui annonçant l’envoi de deux délégués, de Bruc et Amédée de Béjarry, qui arrivèrent le 8 nivôse (28 décembre) à Nantes. À la suite de leurs entrevues avec les représentants. Ruelle se rendit à Paris où, le 27 nivôse an III (16 janvier 1795), il mentit à la tribune de la Convention et attribua aux rebelles des actes de générosité qu’ils n’avaient pas accomplis, les louant ainsi du bien qu’ils ne faisaient pas, mais ne signalant pas le mal qu’ils continuaient à faire. Tandis que Cormatin, escorté du général Humbert, se promenait dans tout le pays sous couleur d’annoncer la trève, observée en réalité à l’égard des rebelles et non par eux, ceux-ci assassinaient les maires de villages patriotes, les acquéreurs de biens nationaux, les femmes qui portaient des provisions dans les villes, et dévalisaient leurs victimes en l’honneur du roi et de la religion (Chassin, ibid, p. 119-120).

Enfin tout fut préparé pour un rendez-vous sous une tente près de Clisson, à proximité du château de la Jaunaie, mis à la disposition de Charette et de ses amis, et où ces « honnêtes gens » furent luxueusement nourris aux frais de la République. Le 24 pluviôse (12 février), Charette, Sapinaud, de Bruc, de Béjarry et trois autres officiers, portant tous large ceinture blanche, cocarde blanche et fleurs de lis, se rencontraient avec les représentants. Le lendemain, Cormatin assistait à la séance ; finalement, le 29 (17 février), on s’entendait avec Charette et Sapinaud ; Cormatin obtenait que les mêmes conditions seraient applicables aux Chouans qui se soumettraient. Par cinq arrêtés des représentants, des secours et des indemnités étaient garantis aux amnistiés qui rentraient en possession de tous leurs biens ; sous prétexte de remboursement des bons signés par eux, deux millions devaient être versés à Charette et à Sapinaud ; était levé le séquestre des biens des rebelles inscrits sur les listes d’émigrés et non sortis du pays, et des condamnés qui l’avaient été sans le concours du jury ; était assuré le libre exercice du culte catholique ; enfin les chefs conservaient auprès d’eux des corps armés tout organisés, soldés par le Trésor public et chargés de la police sur le territoire qu’ils avaient ravagé. Ces corps étaient limités à 2 000 hommes et recevaient le nom de « gardes territoriales » qui avait dû être, d’abord, attribué à des compagnies destinées à protéger le pays contre leurs exactions. En sus des deux millions et des indemnités prévus, la plupart des chefs touchèrent de la main à la main d’importantes sommes imputées sur les fonds secrets (Ch.-L. Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. I, p. 193 et 206 à 209). Pour toute compensation, ils livraient leur artillerie et signaient une déclaration portant : « Nous déclarons solennellement à la Convention nationale et à la France entière nous soumettre à la République une et indivisible ». Il est vrai que, de retour à son quartier général, à Belleville, à une douzaine de kilomètres au nord de la Roche-sur-Yon, Charette, après cette signature, disait, le 18 février, à ses officiers réunis : « J’ai des vues que vous approuveriez si vous les connaissiez. Vive le Roi ! » (Bittard des Portes, Charette, p. 413).

Les rebelles gagnaient le maintien de leurs cadres, du répit et de l’argent. Tout le monde, il est vrai, ne fut pas dupe ; le 5 ventôse (23 février), Hoche écrivait au représentant Bollet : « Ne craignez-vous pas que les gardes territoriales, que vous formez dans la Vendée, ne soient un noyau d’armée auquel viendront se réunir les brigands, lorsque l’idée de reprendre les armes leur passera par la tête ? » (Chassin, ibid, p. 165). Le 9 (27 février), Charette, Sapinaud et d’autres officiers vendéens assistaient à Nantes à une fête civique. Ces hommes de conviction portaient cette fois la cocarde tricolore ; de l’aveu du secrétaire de Charette, Auvynet (Éclaircissements historiques, publiés à la suite des Mémoires de Mmes de Bonchamps et de la Rochejaquelein dans la Collection des Mémoires relatifs à la Révolution française, de Baudouin, t. XXVII, p. 499) « quelques-uns donnaient le spectacle public de la crapule et de l’ivrognerie »… « Les insurgés suivirent l’exemple des Hébreux lorsqu’ils empruntèrent les vases de l’Égypte… Ils emportèrent les rideaux des lits qu’on avait eu l’attention de leur fournir » (idem, p. 500). Le 24 ventôse (14 mars), Delaunay, Ruelle et Bollet présentèrent les stipulations de la Jaunaie à la Convention. Ruelle osa parler de la « loyauté et l’honneur » de Charette dont il savait cependant le prix, et les arrêtés des représentants furent ratifiés à l’unanimité sans délibération. Le 3 ventôse (21 février), avait été votée, avec l’espoir d’apaiser certains rebelles de l’Ouest, la loi qui mettait définitivement fin à la Constitution civile du clergé et qui organisait la liberté des cultes sous le régime de la séparation de l’Église et de l’État.

Le 10 germinal (30 mars), près de Rennes, au château de la Prévalaye, commençaient avec Cormatin des conférences relatives aux Chouans. Elles se terminaient à la ferme de la Mabilais, également près de Rennes, le 1er floréal (20 avril), par une déclaration de Cormatin et des arrêtés des représentants copiés sur ceux de la Jaunaie, sauf de très légers changements : Cormatin devait toucher un million et demi au lieu de deux millions ; le lendemain, il arborait à Rennes les couleurs nationales. Les arrêtés de la Mabilais étaient approuvés par la Convention le 8 floréal (27 avril).

Restait Stofflet. Celui-ci, malgré un manifeste lancé contre le décret d’amnistie du 12 frimaire, avait eu, le 14 pluviôse (2 février), avec le représentant Menuau, une entrevue au pont du Lys, près de Vihiers (Maine-et-Loire) ; il ne s’était pas montré opposé à un accord, mais il réclamait à cet effet la convocation d’une assemblée générale des chefs royalistes. Seulement, lors des négociations de la Jaunaie, Charette, qui préférait tenir son rival à l’écart, ne consentit qu’assez tard à le laisser convoquer par Sapinaud ; et c’est lorsque tout était convenu, le 28 (16 février), que survinrent quatre chefs de la bande de Stofflet. Ils se plaignirent qu’on l’eût laissé de côté, assurèrent qu’il accepterait les conventions faites et demandèrent trois jours pour qu’il pût venir à la Jaunaie. Ce fut accordé ; mais, à son arrivée, le 30 (18 février), Stofflet fut vexé d’apprendre que Charette avait conclu sans lui et était parti la veille. Le 3 ventôse (21 février), il vit les représentants qui, désireux de traiter tout de suite, lui refusèrent un armistice de quelques semaines sollicité par lui pour consulter, prétextait-il, les habitants. Il s’en alla le lendemain et, le 6 (24 février), dans un appel aux armes contresigné par Bernier, il protestait violemment contre la reconnaissance de la République ; en attendant de se vendre, il flétrissait ceux qui s’étaient vendus, se retournait contre eux et, ayant pris l’un d’entre eux, Prodhomme, il le faisait massacrer à coups de sabre (12 mars).

Canclaux reçut l’ordre, le 20 ventôse (10 mars), de préparer une expédition contre Stofflet et son « armée d’Anjou » qui, à ce moment, se tenait surtout dans le Maine-et-Loire. Les républicains éprouvèrent, le 28 (18 mars), un échec sur les hauteurs de Chalonnes ; mais ils le réparèrent. Le 2 germinal (22 mars), Stofflet qui, malgré ses réquisitions de tous les hommes de 17 à 45 ans, avait à peine 6 000 hommes, se jeta sur Saint-Florent ; battu, il erra dans les bois entre son quartier général de Maulévrier (Maine-et-Loire) et Châtillon-sur-Sèvre (Deux-Sèvres) où un émissaire, alors qu’il pouvait être réduit à se rendre, alla encore, le 6 (26 mars), lui faire des propositions de paix. Un convoi fut attaqué près de Chemillé, le 13 (2 avril), par une bande de Stofflet que protégeait un drapeau portant l’image d’un saint. L’attaque fut repoussée, le drapeau enlevé et une autre bande battue le même jour à Chanzeaux (canton de Thouarcé, Maine-et-Loire). Ce fut le dernier combat de cette expédition ; le 21 (10 avril), parvenait l’ordre d’arrêter tout mouvement.

Le 13 germinal même (2 avril), Stofflet avait demandé un rendez-vous aux représentants ; après des tergiversations suspectes, il finit par se rendre, le 19 (8 avril), au château de la Haye, près de Mortagne (Vendée), où ceux-ci l’attendaient ; mais, à peine arrivé, il partit brusquement sous prétexte qu’il avait envoyé deux délégués aux conférences qui avaient lieu avec Cormatin près de Rennes. Le 15 (4 avril), en effet, deux délégués de Stofflet assistaient à cette conférence et, le 17 (6 avril), comme ils demandaient, avant de traiter, « la retraite des troupes nombreuses qui foulaient le territoire de l’armée d’Anjou », les représentants se bornèrent à accorder la suspension des hostilités qui, nous venons de le voir, arrêta à partir du 21 (10 avril) les opérations de l’armée de l’Ouest. Néanmoins Stofflet qui ne devait chercher qu’à gagner du temps pour préparer à l’aise un mauvais coup, refusait de traiter au moment où traitait Cormatin, le 1er floréal (20 avril). Aussi, le lendemain, les représentants décidaient de mettre fin à la suspension des hostilités accordée le 17 germinal (6 avril). Slofflet ne pouvait plus tenir ; plusieurs de ses officiers l’avaient abandonné, alléchés par l’argent de la République ; acculé, il faisait sa soumission le 13 floréal (2 mai), au milieu d’un champ, près de Saint-Florent. Dans les mêmes conditions qu’à Charette et à Sapinaud, on laissait 2 000 gardes et on promettait deux millions, sans compter l’argent des fonds secrets, à un homme dont Ruelle lui-même disait à la Convention : « Ce chef n’a voulu entendre aucune proposition tant qu’il ne lui a pas été prouvé que sa résistance serait inutile » ; le jour même, 20 floréal (9 mai), la Convention ratifiait une pareille transaction.

Faisant allusion aux républicains sérieux qui ne voyaient dans les marchés de la Jaunaie, de la Mabilais et de Saint-Florent qu’un cynique simulacre de paix, Ruelle ajoutait : « Plusieurs faits vous prouveront que l’on peut compter sur cette paix ». Les faits, nous le verrons, donnèrent un éclatant démenti à l’impudente affirmation de Ruelle. Ce ne fut que par les royalistes que les populations connurent d’abord les conventions faites ; à la prière de ces messieurs qui avaient demandé un délai pour préparer leurs partisans, la promulgation des décrets du 24 ventôse, 8 et 20 floréal avait été retardée et leur publication officielle n’eut lieu que dans le courant de prairial (fin mai-début de juin). Ils ne mirent, d’ailleurs, pas grande hâte dans la susdite préparation ; car on continua à arborer la cocarde blanche et à promener le drapeau blanc. Les républicains abandonnaient leurs postes pour établir ouvertement leur sincérité, les royalistes gardaient les leurs, occupaient même parfois ceux que quittaient les républicains et continuaient en paix meurtres et déprédations (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. Ier, p. 332) ; « des assassinats furent commis sur différents points du territoire », avoue Auvynet (Éclaircissements…, p. 502). Telle fut la fin de la première guerre, la prétendue pacification de la Bretagne et de la Vendée.