Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/01

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre I.

Chapitre II.


CHAPITRE PREMIER

SIGNIFICATION DU 9 THERMIDOR AN II. — BABEUF.

Certains historiens, Michelet notamment, arrêtent l’histoire de la Révolution au 9 thermidor an II (27 juillet 1794). De fait, à cette date, la Révolution, dans sa forme démocratique, est terminée ; suivant le mot d’un thermidorien, Barère (Mémoires, t. II, p. 236), « le 9 thermidor brisa le ressort révolutionnaire ».

Au point de vue du fond, au point de vue économique, les hommes de la Révolution avaient à transformer les rapports sociaux et à les adapter aux nécessités économiques de leur époque. Ils ont accompli de telle sorte la tâche qui leur incombait que, par la force des choses et malgré la puissance à certains moments des volontés hostiles à leur œuvre, celle-ci est restée debout.

Au point de vue de la forme, au point de vue politique, l’édifice de la Révolution n’a pas eu la solidité de sa base économique ; et le 9 thermidor fut le point de départ de la réaction qui devait, pour de longues années, aboutir à la chute de la République. Un aussi complet recul était-il de toute façon inévitable ? Je ne le pense pas. Car, si le fond économique sert de base aux phénomènes politiques comme aux autres phénomènes sociaux, il n’implique pas fatalement la forme sous laquelle ces phénomènes se produisent. Les fautes, en effet, sont fréquentes sans être obligatoires ; parce qu’il est possible de trouver ce qui les a déterminées, il ne s’ensuit pas toujours qu’elles dussent être forcément commises, et, quand elles l’ont été, il est bon de les signaler pour essayer d’en éviter le renouvellement. Sans doute, une organisation politique dépassant les besoins de la bourgeoisie, n’était pas viable il y a un siècle et tout ce qui, élaboré sous l’impulsion des prolétaires parisiens, maîtres un instant du mouvement, allait au delà de ces besoins, était condamné à disparaître. Il n’était au pouvoir de personne de faire vivre, après la Révolution, une République qui fût réellement la chose de tous ; en particulier, l’extrême divergence qu’il y aurait eu entre l’état arriéré de l’Europe et une République française véritablement démocratique n’aurait pas permis à celle-ci de durer. Mais la forme républicaine aurait peut-être pu persister ; or, à cette époque comme à n’importe quelle autre, il y avait, tout au moins pour l’avenir, un avantage immense au maintien de la République, quoique celle-ci eût eu nécessairement alors à abriter l’évolution grandissante du capitalisme. Le scepticisme et l’ironie de certains sur la valeur comparée de la forme monarchique et de la forme républicaine sont un indice de myopie politique lorsqu’ils ne constituent pas des paravents commodes pour dissimuler, en république, d’inavouables compromissions, en monarchie, la supériorité pénible, semble-t-il, à avouer de camarades voisins.

La cause directe de la chute de la République a été la fâcheuse extension donnée au régime de la Terreur ; mais cette extension n’a été que la conséquence dernière, dans un milieu spécial, des divisions du parti républicain devenues irréductibles ; et elles le redeviendront chaque fois que la conception de l’intérêt général et de l’intérêt bien entendu de chacun se trouvera obscurcie par la rage de dominer, par l’impatience des ambitions personnelles, par la ridicule passion d’être en évidence, par les rancunes implacables des vanités déçues ou des avidités inassouvies. Le recours à la Terreur trouve son explication dans la situation de la France menacée à l’intérieur, menacée à l’extérieur, ayant, de tous les côtés à la fois, à faire face aux plus graves périls. Au dedans, au dehors, les royalistes, criminellement alliés à l’étranger hostile, étaient acharnés à sa perte, la France républicaine ne pouvait vivre qu’en frappant leurs chefs, qu’en retenant par la crainte ceux qui avaient des velléités de devenir leurs complices ; elle ne pouvait vivre qu’en supprimant ceux qui s’efforçaient de la tuer. Et la Terreur qui n’aurait eu aucune excuse si le gouvernement révolutionnaire avait disposé d’autres moyens de maîtriser les forces déchaînées contre lui, la Terreur est justifiée tant que, dans ses applications, elle n’a été qu’un fait de légitime défense indéniable, le cas de légitime défense étant le seul qui puisse autoriser à donner la mort à un être humain.

L’intérêt même de la cause qu’on a eu raison de vouloir défendre à tout prix, exigeait qu’on n’allât pas au delà, le régime de la Terreur aurait dû, au point de vue de l’humanité comme au point de vue du succès, n’être inquiétant que pour les ennemis déclarés du nouvel ordre des choses. Dés lors, il aurait dû être appliqué dans des limites telles — frappant impitoyablement les chefs, menaçant tous ceux qui se laisseraient aller à les remplacer, épargnant les adversaires qui s’abstenaient de prendre part à la lutte — que les indifférents se sentissent par lui rassurés contre leurs maîtres de la veille dont les manœuvres devaient devenir pour eux la seule chose à redouter. Malheureusement, ce qui était un moyen de défense, le seul moyen de défense efficace contre des attaques mortelles, fut exagéré, au lieu d’être restreint le plus possible ; ce moyen de défense fut, en outre, transformé en moyen de gouvernement, en moyen d’étouffer des oppositions n’ayant rien de menaçant pour le nouvel ordre des choses.

Sans doute, il y eut, aussi terribles et regrettables qu’inévitables, des explosions de fureur populaire provenant de souffrances longtemps subies et de ressentiments accumulés. Or si, au point de vue général de la justice comme au point de vue plus particulier de l’intérêt de leur cause, les hommes qui ont en ces moments la charge des affaires, doivent tenter les plus grands efforts pour empêcher de substituer les responsabilités des individus à des responsabilités de classe ou à des nécessités de situation, ils doivent aussi, quelque pénible que cela soit, savoir faire la part du feu : ils n’ont pas le droit de dépasser dans leur œuvre d’humanité le point au delà duquel leur

Plan du quartier des Tuileries sous la Convention.
(Tiré de l’ouvrage du baron Faix, Manuscrit de l’An III).

puissance d’action générale, leur influence, seraient brisées par leur obstination à intervenir malgré tout au bénéfice d’individualités ; ils n’ont pas le droit de compromettre dans l’espoir, chimérique d’ailleurs le plus souvent en ces terribles circonstances, d’être utile à quelques-uns, l’œuvre qui leur incombe au profit de tous.

Tant qu’il y aura des privilégiés, c’est à eux surtout qu’il appartiendra de prévenir les funestes représailles ; pour n’être pas les uns ou les autres personnellement victimes le jour où sont atteints leurs privilèges, ils n’ont, tandis que ceux-ci sont intacts, qu’à en jouir sans aggraver les conditions, normales peut-on dire, d’exploitation, et sans s’inféoder à ceux d’entre eux qui les aggravent. Quand, au début ou durant le cours d’une transformation sociale, se sont déchaînées les haines particulières, il est vraiment trop commode, mais très inique, de la part des historiens, de reprocher aux principaux artisans de cette transformation d’avoir laissé faire, alors qu’ils oublient de remonter jusqu’aux vrais coupables jusqu’à ceux qui, privilégiés, ont tout fait pour fomenter ces haines et qui subissent les déplorables effets des sentiments dont ils ont été la cause et qu’il dépendait d’eux de ne pas exciter.

Quoi qu’il en soit, en dehors des chefs royalistes ouvertement rebelles ou conspirateurs que, sous peine d’effondrement, il fallait abattre sans faiblesse, en dehors des exécutions sommaires auxquelles en aucun temps on ne doit jamais pousser, bien au contraire, mais qu’il n’était absolument pas possible d’empêcher, le régime de la Terreur ne saurait se justifier à aucun titre, et il a été, pour le succès final, la pire des fautes. D’abord, par son exagération, frappant les petits comme les grands, ne distinguant pas entre les puérilités d’adversaires platoniques et la rébellion la plus caractérisée, il a préparé une réaction, les excès dans un sens provoquant toujours un mouvement en sens opposé. D’autre part, dressée contre les partisans eux-mêmes de la Révolution, calomnieusement et maladroitement assimilés aux conspirateurs, la guillotine diminuait le parti républicain plus encore par la qualité de ceux qu’elle supprimait que par leur quantité. Ainsi devenue en même temps une menace pour tout le monde, elle rendit tout le monde hostile à ceux qui faisaient alors d’elle leur instrument de règne et opéra contre eux la concentration de tous ceux qui, sans distinction de partis, tenaient simplement à vivre. C’est l’instinct de la conservation qui a préparé Thermidor, instinct déguisé sous des prétextes divers jugés plus avouables.

L’extension, si fâcheuse sous tous les rapports, donnée au régime de la Terreur, son exagération comme moyen de défense et surtout son emploi comme moyen de gouvernement, ont été la conséquence d’un état d’esprit qui a été général dans la Convention, les modérés, les Girondins, en tête, pour cette faute comme pour tant d’autres. Ce n’est que sur le point de savoir quels seraient ceux qui appliqueraient ce régime contre les autres, qu’on ne s’entendait plus. Il y a donc eu, à cet égard, une responsabilité générale. Cependant si, de cette fausse conception de la Terreur, furent responsables et, d’ailleurs, successivement victimes toutes les fractions du parti républicain, ce sont les Jacobins suivant les inspirations de Robespierre, ce sont les amis directs de Robespierre, c’est tout particulièrement Robespierre, qui ont, en dernier lieu, le plus contribué à la double extension, plus ou moins admise par tous, de la Terreur. Cela, les faits le démontrent et la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794) suffirait à le prouver.

Les défenseurs de Robespierre affirment que son triomphe eût marqué la fin de la Terreur. Il est très probable, en effet, qu’une fois débarrassé de ceux qui le gênaient, et dont quelques-uns comme Tallien et Fouché étaient, il est vrai, d’abominables coquins, il eût été indulgent pour les autres. Seulement, même si on a raison au fond, ce n’est pas en décimant son parti sous prétexte de l’emporter sur ceux qui ont tort, qu’on le fortifie et qu’une

Fin de notes inédites de Babeuf sur lui-même.
(D’après un document du greffe du tribunal de Beauvais.)

fraction quelconque de ce parti se fortifie ; elle achète ainsi une victoire passagère au prix d’un affaiblissement général dont elle se ressent elle-même tôt ou tard, et auquel malheureusement le parti tout entier et le principe sur lequel toutes ses fractions sont d’accord, finissent souvent par ne plus pouvoir résister. En contribuant à envoyer à la mort les diverses fractions républicaines qui ne partageaient pas ses vues particulières — Girondins, Hébertistes, Dantonistes — Robespierre croyait travailler au triomphe de la République, de la Révolution ; en réalité, il travaillait au bénéfice de leurs ennemis : chaque exécution de républicains, quelle que fût leur nuance, était pour elles une perte, pour eux un avantage ; quant à lui, des succès momentanés ne l’ont pas empêché de tomber victime de son propre système. Du reste, en frappant Robespierre, les thermidoriens républicains ont, nous le verrons, commis une faute de même nature et de même gravité que celles commises par Robespierre frappant les autres. Il est notamment permis de penser que l’influence de Robespierre durant la période de guerre aurait pu empêcher le développement de l’esprit de conquête et, par suite, de l’esprit militariste qui devait contribuer à la chute de la République. En continuant contre Robespierre et son parti l’œuvre néfaste de Robespierre et des Jacobins, les thermidoriens ont donc nui à la République elle-même, comme Robespierre lui avait déjà nui ; ni les uns ni les autres n’ont eu pareille intention, je le reconnais ; mais en politique les meilleures intentions ne sont pas une excuse.

La leçon qui se dégage de ces événements est double. Il faut d’abord — surtout en temps de révolution — soigneusement éviter d’inquiéter la masse de la population. S’il est absolument nécessaire de recourir à la rigueur légale contre certaines oppositions dangereuses et irréductibles, on doit agir de telle sorte que l’opération apparaisse clairement à tous comme une exception rassurante pour l’immense majorité tranquille. Ces événements nous apprennent, en outre, que les divisions d’un parti ne profitent qu’à ses adversaires. Dans tout parti il y aura toujours des nuances, il y aura toujours, si uni qu’on soit et à plus forte raison si on l’est peu, des divergences d’opinion quel que soit le motif de celles-ci ; mais l’intérêt réel de chacun et de tous exige qu’on s’efforce d’atténuer ces divergences, d’en canaliser les effets pratiques, au lieu de les accroître et de les laisser grossir au point de ne plus pouvoir les endiguer. En outre, ce n’est jamais à la violence que les diverses fractions d’un parti, correspondant aux différentes nuances inévitables, doivent entre elles recourir pour assurer le triomphe de leur propre manière de voir. Même au point de vue étroit de l’intérêt bien entendu de chacune d’elles, il vaudrait mieux pour elles se résoudre à un échec de leur idée particulière, que de voir celle-ci l’emporter par l’élimination violente d’une autre fraction : « On ne fonde point les gouvernements avec la mort », suivant le mot de Baudot dans ses Notes historiques sur la Convention (p. 114).

Si on compte sur la violence pour avoir dans un même parti raison les uns des autres, tous, exaltés et modérés, finissent par avoir leur tour au détriment de l’idée commune, et cela devient d’autant plus aisé et plus rapide que les brèches déjà faites au parti ont été plus nombreuses. Une fois les hommes d’initiative, quelle que soit leur nuance, disparus, il ne reste qu’un parti décimé, émietté, épuisé, sans ressort et, par dessus tout, sans hommes aptes à le tirer de son inertie ; ce sont, en effet, ceux-là qui, étant au premier plan, ont été supprimés au seul bénéfice de l’ennemi commun. Quand ensuite il faut remuer la masse, les hommes énergiques et capables, donnant l’exemple et écoutés, font défaut, l’impulsion manque ou est insuffisante, et les coups d’État d’hommes disposant déjà de forces organisées ont chance de réussir. Telle a été la situation — on en trouvera les preuves dans les chapitres suivants — du parti républicain à partir de Thermidor avec, à la fin, la réaction politique victorieuse pour longtemps. Et si d’anciens Conventionnels se mirent en assez grand nombre à la remorque de cette réaction, c’est que, retombés à leur médiocrité par la disparition de ces mêmes grands noms qui leur avaient servi de guide et les avaient un instant haussés au niveau des événements, livrés à eux-mêmes, ils ne firent ni plus ni moins que la majorité des hommes et allèrent au succès.

Notre grand historien Michelet, qui ne saurait être légitimement compté au nombre des socialistes, qui a émis sur le socialisme des appréciations erronées, comme lorsqu’il le rend responsable du gouvernement militariste de Bonaparte (Histoire du xixe siècle, T. Ier, p. x), n’a compris ni le nouveau mouvement historique des classes, ni le rôle du prolétariat dans ce mouvement. Cela n’empêche pas les socialistes de voir en lui un allié, ainsi que le sont à leurs yeux tous ceux qui, dans un ordre quelconque de connaissances, ont dissipé des erreurs, tous ceux qui font, si peu que ce soit, avancer les hommes sur la voie de la vérité. Cela n’a pas empêché Michelet, classant les faits d’après leur réelle valeur historique et non d’après leur apparence momentanée et l’opinion des contemporains, de signaler, sans restreindre son importance, l’apparition du socialisme et d’en faire, par anticipation clairvoyante, l’événement capital, dès le seuil même de l’Histoire du xixe siècle (chap. Ier) qui, pour lui, part de Thermidor.

À l’exemple de Michelet, je pense que la première apparition du socialisme n’est pas antérieure à l’époque dont nous allons étudier l’histoire. Le socialisme, en effet, implique à la fois d’abord une théorie générale, quelle qu’en soit la valeur, d’organisation de la propriété et, par suite, de la société, ayant avant tout pour but d’égaliser les conditions sociales de vie et de développement, d’universaliser le bien-être, ensuite la croyance, à tort ou à raison, de son auteur et de ses partisans en la possibilité immédiate d’appliquer plus ou moins graduellement cette théorie, et enfin la poursuite de sa réalisation. En un mot, le socialisme n’existe pas quand il y a exclusivement théorie ; pour le constituer, il faut que s’ajoute à celle-ci, déterminée par elle, une velléité au moins de pratique ou de politique.

Il n’y a pas socialisme, même utopique, là où, si osée que soit une théorie, si audacieux que soit un plan de société, il n’y a pas désir d’action, appel à l’action, afin de préparer la nouvelle organisation de la propriété et de la société visant à assurer le bien-être de tous ses membres. Les réquisitoires contre la richesse et la propriété, comme les descriptions de sociétés idéales et les rêveries communistes ou humanitaires, sans intention d’application dans un milieu donné, sans viser à une pratique générale, sont des dissertations philosophiques, sociologiques, etc., et non du socialisme.

Il n’y a pas socialisme, même dans le sens le plus restreint, là où, si subversifs que soient un appel à la révolte ou un soulèvement populaire, si démocratique que paraisse une œuvre réformatrice, ces diverses actions ou tentatives, au lieu d’être subordonnées à une théorie générale quelconque de la transformation que doivent subir la propriété et la société dans le but de réaliser le bien-être de tous, sont déterminées par une doctrine religieuse prêchant le renoncement et la communauté, par la tendance à ne régler que des situations spéciales, à se borner à des mesures d’avance estimées transitoires, ou par l’exaspération désordonnée des victimes de trop criants abus.

Sans doute quelques publications affirmèrent, soit après 1789, soit même avant, que la liberté et l’égalité nominales des droits seraient insuffisantes pour rendre heureux les simples travailleurs ne possédant que leurs bras, que leur force de travail. Mais, presque toujours, ou ce n’était, même dans la pensée de leurs auteurs, que des constatations sans la moindre vue théorique, sans la moindre sanction pratique, ou leurs revendications trop restreintes ou trop vagues étaient dépourvues de toute idée d’organisation générale, ou ils s’en tenaient à ces réformes agraires qui, avec le sentimentalisme, l’amour de la nature et la foi en la raison, étaient si en vogue à cette époque. Ces réformes tendant, par exemple, au partage des biens du clergé en parcelles attribuées individuellement aux pauvres, modifiant le nombre et le nom des propriétaires plus que le mode de propriété, ne sauraient être du socialisme que pour ceux qui le connaissent mal.

Ce qui est vrai, c’est que la plupart des démocrates crurent à l’efficacité, à tous les points de vue, de la liberté et des droits nominalement égaux qui ne pouvaient complètement profiler qu’à la classe économiquement à même de s’en servir, à la bourgeoisie ; c’est que quelques-uns — et Babeuf était du nombre — ceux qui n’avaient pas cette confiance, croyaient néanmoins qu’il n’y avait qu’à continuer dans la voie ouverte par la Révolution pour aboutir à la réalisation de tendances, encore très imprécises en fait, vers l’absolu des principes nouveaux. Le 15 brumaire an IV (6 novembre 1795), notamment, Babeuf écrivait dans le no 34 de son Tribun du Peuple : « Aisance à tous, instruction de tous, égalité, liberté, bonheur pour tous, voilà notre but. Voilà ce que nous avions presque déjà atteint ; voilà ce qu’il faut que nous atteignions de nouveau ».

Toujours hantés par l’idée que la Révolution devait instaurer un régime de justice et d’égalité effectives pour tous, voyant que les privilèges avaient seulement changé de forme, ils accusèrent les hommes de la déception que leur causait le désaccord entre leur idée et les faits, ils parlèrent d’escamotage, ils résolurent de pousser la Révolution dans la voie ouverte par elle, mais qu’elle leur semblait n’avoir pas suffisamment suivie, de terminer ce qu’ils regardaient simplement comme commencé, comme arrêté dans son développement naturel, de poursuivre l’égalité de fait et de réaliser enfin le bien-être de tous. Ce faisant, d’ailleurs, leur seul tort a été d’aller trop vite, de vouloir obtenir, faire passer dans la réalité, au début d’une évolution, ce qui doit en être le terme : ils ont eu, en somme, l’intuition juste de ce qui devait plus tard, mais ne pouvait alors se déduire des faits ; ils ont interprété la Déclaration des Droits de l’Homme dans le sens large que, dans sa lettre, et théoriquement, dans son esprit, elle comporte et comportait déjà pour certains (Histoire socialiste, t. IV, p. 1536) et non dans le sens étroit que pratiquement elle a revêtu à un moment donné.

Le point de départ du socialisme, fils légitime de la Révolution française, a donc été la désillusion qui résulta de la persistance, malgré tout, de la misère, après les profondes réformes dont les uns avaient attendu plus qu’elles n’avaient donné, plus qu’elles ne pouvaient donner ; auxquelles les autres avaient rêvé une suite, logique à leurs yeux, qui n’était pas venue. En cet état d’esprit, et nulle solution pratique n’émanant de la réalité même, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils aient, après comme avant, demandé aux travaux des penseurs philanthropes les enseignements de la raison et de « la nature (Dieu suprême) », devait dire Babeuf (no 35 du Tribun du Peuple). En puisant dans de pures conceptions philosophiques l’indication de ce qu’il y avait à faire, en essayant de réaliser ces conceptions, ils ont donné à celles-ci qui, étudiées chez leurs auteurs, ne sortent pas du domaine de la philosophie, une valeur socialiste : c’est ce qu’avait déjà fort bien compris l’ami de Babeuf, Buonarroti, écrivant, pour caractériser leur action et celle de leurs amis : « au mérite des conceptions de Jean-Jacques, ils ajoutèrent la hardiesse de l’application à une société de vingt-cinq millions d’hommes » (La Conspiration pour l’Égalité, t. Ier, p. 14). Cela n’a pas empêché la Révolution d’être un merveilleux laboratoire d’idées où se sont élaborés, ainsi que l’a montré Jaurès, les principes des diverses écoles socialistes, où se sont accumulées, suivant son mot, « des réserves de socialisme latent » (Histoire socialiste, t. IV, p. 1562). Ainsi que toute autre théorie nouvelle, le socialisme se rattache aux penseurs qui l’ont précédé, mais qui n’ont été que des précurseurs.

Le socialisme n’était que latent chez ceux-ci, il existe incontestablement dans le système de Babeuf ; toutefois — nous le verrons — il n’apparaît que sous la seule forme possible alors, sous la forme utopique. D’utopique, le socialisme ne pourra devenir scientifique que lorsque, à l’imperfection des conditions économiques engendrant l’imperfection des théories socialistes, auront succédé, grâce au développement de la production par la grande industrie, les phénomènes dont une pénétrante analyse tirera les solides matériaux de la solution que la raison seule était impuissante à imposer. Mais, pour si utopique qu’ait été le socialisme à sa naissance, il n’en est pas moins vrai que, depuis Babeuf, un nouvel élément historique a fait apparition. Aussi, avant d’entamer le récit des événements qui suivirent le 9 thermidor et au cours desquels se révélera Babeuf en qualité d’agitateur socialiste, il me faut dire ce qu’avait été jusque-là l’homme qui a véritablement mis au jour le socialisme, tout au plus ébauché avant lui dans quelques publications ayant été à leur époque sans importance, ou dans quelques vagues tentatives sans résultat.

Babeuf (François-Noël), de même que d’autres révolutionnaires, devait adjoindre, puis substituer à ses prénoms un nom pris dans l’histoire de l’antiquité, Camille, de 1790 à fin septembre 1794 et ensuite Gracchus, qu’il avait cependant déjà employé parfois — on trouve, par exemple, ce dernier nom sur une brochure (Nouveau Calendrier) de la fin de 1793. Il naquit à Saint-Quentin le 23 novembre 1760. Sa famille était pauvre ; son père lui donna quelque instruction. Expéditionnaire chez un géomètre à quatorze ans, il fut aussi employé chez divers seigneurs. Vers sa vingtième année, il perdit son père. Le 13 novembre 1782, il épousa Victoire Langlet qui allait être la plus digne des femmes et dont il devait avoir plusieurs enfants. Après son mariage, il travailla, à Noyon, chez un feudiste, c’est-à-dire chez une sorte d’homme d’affaires s’occupant de ce qui concernait les fiefs ; puis, chez un arpenteur, à Roye où, en 1787, il était commissaire à terrier. Le commissaire à terrier surveillait le maintien des droits dépendant des terres : « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales, a-t-il écrit (no 29 du Tribun du Peuple),que je découvris les affreux mystères des usurpations de la caste noble. Je les dévoilai au peuple par des écrits brûlants, publiés dès l’aurore de la Révolution ». Ruiné à la suite d’un procès contre un marquis qui était son débiteur, il se trouva dans une situation difficile, ayant à subvenir aux besoins non seulement de sa femme et de deux enfants, mais encore de sa mère et de ses frères et sœurs.

Sa première publication serait de 1786 si on lui attribue une brochure anonyme, dont il fut le zélé propagateur, contre les privilèges militaires de la noblesse. L’année suivante, le 21 mars, au cours d’une correspondance avec le secrétaire de l’académie d’Arras, où percent déjà des tendances communistes, il indiquait, comme sujet à traiter, la question suivante ; « Avec la somme générale de connaissances maintenant acquise, quel serait l’état d’un peuple dont les institutions sociales seraient telles qu’il régnerait indistinctement entre chacun de ses membres individuels la plus parfaite égalité, que le sol qu’il habiterait ne fût à personne, mais appartint à tous ; qu’enfin tout fût commun, jusqu’au produit de tous les genres d’industrie ? De semblables institutions seraient-elles autorisées par la loi naturelle ? Serait-il possible que cette société subsistât et même que les moyens de suivre une répartition absolument égale fussent praticables ? » (Advielle, Histoire de Gracchus Babeuf, t. II, p. 117.)

En 1789, il achève, sous le titre Cadastre perpétuel, un ouvrage présenté le 13 octobre à l’Assemblée nationale et entamé dès 1787. Dans le « discours préliminaire » il apparaît déjà cherchant à « atteindre la félicité commune des peuples » et partisan d’une « caisse nationale pour la subsistance des pauvres » et d’une « éducation nationale dont tous les citoyens puissent profiter ». Il se préoccupe, ce qui est assez rare à cette époque, du sort des ouvriers : « Le nombre des ouvriers s’est excessivement accru. Non seulement il en est résulté que les mêmes salaires ont pu être diminués de plus belle, mais qu’une très grande quantité de citoyens s’est vue dans l’impossibilité de trouver à s’occuper, même moyennant la faible rétribution fixée par la tyrannique et impitoyable opulence et que le malheur avait impérieusement forcé l’industrieux artisan d’accepter. Cependant le refrain ordinaire des gens qui regorgent, est d’envoyer au travail l’importun qui, poussé par les sollicitations fâcheuses des plus pressants besoins, vient réclamer auprès d’eux le plus petit secours… On l’envoie au travail ! Mais, où est-il donc si prêt à prendre, ce travail ?…

« La société n’est qu’une grande famille dans laquelle les divers membres, pourvu qu’ils concourent, chacun suivant ses facultés physiques et intellectuelles, à l’avantage général, doivent avoir des droits égaux. La terre, mère commune, eût pu n’être partagée qu’à vie, et chaque part rendue inaliénable… Nous ne pensons pas devoir prétendre à réformer le monde au point de vouloir rétablir exactement la primitive égalité : mais nous tendons à démontrer que tous ceux qui sont tombés dans l’infortune, auraient le droit de la redemander, si l’opulence persistait à leur refuser des secours honorables, et tels qu’ils puissent être regardés comme devant convenir à des égaux ; tels encore qu’ils ne permettent plus que ces mêmes égaux pussent retomber dans l’indigence révoltante où les maux accumulés des siècles précédents les ont réduits dans le moment actuel. »

On le voit, s’il pense, suivant les théories philosophiques les plus avancées de l’époque, que tous ont droit égal au bien-être, il n’est pas encore socialiste, parce qu’il ne va pas encore jusqu’à réclamer pratiquement les conséquences de ce droit, et il se borne pour l’instant à proposer la transformation des impôts en une « contribution personnelle » payée par chacun « en proportion de ses forces », de ses revenus, et en une « contribution réelle » payée par chaque propriétaire « en proportion de ce qu’il a », de ses possessions territoriales.

À la nouvelle de la prise de la Bastille, d’après des notes biographiques de sa main contenues dans le dossier du procès de faux que j’ai retrouvé, il part pour Paris où il arrive le 17 juillet. Son humanité éclate dans cette belle lettre à sa femme, déjà reproduite par Jaurès (Histoire socialiste, t. Ier, p. 267), où il raconte, le 25 juillet, la mort de Foulon et de Bertier. Pendant quelque temps dans une situation misérable, à la recherche des moyens de vivre, il tentait, avec un nommé Audiffred, l’exploitation d’un « nouvel instrument trigonométrique » ; il avait écrit, pour essayer de gagner quelque argent, une brochure ironiquement attribuée à Mirabeau dont il se méfiait, et finalement il quittait Paris, après la journée du 5 octobre, et revenait dans la Somme.

Le 28 février 1790, on voulut rétablir à Roye, où il n’était plus acquitté depuis le 19 juillet 1789, le droit d’aides sur les boissons. Les débitants refusèrent de se soumettre et Babeuf les soutint en attaquant violemment les aides et les gabelles dans une brochure « qui électrisa, a-t-il dit, tout le peuple de la Somme et anticipa la suppression de ces impôts ». La municipalité de Roye la dénonça à la Cour des aides et le « Comité des recherches de l’Assemblée nationale » ordonna de veiller à ce qu’elle ne fût plus réimprimée. Babeuf protesta vivement, le 10 mai, dans une lettre à ce Comité ; arrêté et conduit à Paris, il était depuis cinq semaines incarcéré à la Conciergerie, lorsque Marat protesta en sa faveur dans l’Ami du Peuple du 4 juillet 1790. Babeuf fut mis en liberté provisoire assez tôt, paraît-il, pour pouvoir assister à la première fête de la Fédération. De retour dans la Somme, il revenait à la charge et, au nom d’un grand nombre d’intéressés, présentait à la municipalité de Roye, le 17 octobre 1790, une motion relative à l’impôt en général et, en particulier, aux impôts indirects ; il réclamait la suppression de l’exercice à domicile et l’égalité de tous, bourgeois comme débitants, devant l’impôt. Dénoncé à ce sujet par le maire Longuecamp, vers la fin du mois, au tribunal de Montdidier, « il ne paraît pas, devait dire le directoire du département le 14 avril 1791, dans une nouvelle dénonciation, que ce tribunal ait fait aucune poursuite » (Archives nationales, D. xxix 116-122 14, liasse de la Somme). Vers la même époque (octobre 1790), il fonda à Noyon un journal, le Correspondant picard qui, à la fin de 1790 et en 1791, eut quarante numéros. Il entreprit une campagne contre tous les droits féodaux et toutes les redevances seigneuriales et poussa les campagnards à ne plus se soumettre à ces tributs ; à ce propos, de nouvelles poursuites furent encore dirigées contre lui à l’instigation de Longuecamp, et avortèrent.

Élu, le 14 novembre 1790, membre du conseil général de la commune de Roye, il ne siégea que jusqu’à la fin de décembre, ses ennemis, Longuecamp toujours en tête, ayant, de parti pris, cherché et réussi à faire annuler son élection par l’administration départementale, en prétendant que le décret de prise de corps de la Cour des aides entraînait, malgré la liberté provisoire, l’interdiction des fonctions publiques. Tout en continuant à lutter contre l’acquittement des droits d’entrée et de vente qu’on ne pouvait parvenir à percevoir, ce qui nécessita, à la fin d’avril 1791, l’envoi de deux cents hommes de cavalerie, il fut élu, le 23 mars, à Roye, par le quartier Saint-Gilles, « commissaire pour la recherche des biens communaux de cette ville », et soutint

Partie de l’acte de vente modifiée par Babeuf.
(Greffe du tribunal de Beauvais.)


que d’anciens officiers municipaux de Roye avaient usurpé des terrains communaux dont, à leur exemple, « la municipalité constitutionnelle… gaspillait scandaleusement le revenu et se l’appropriait sous divers prétextes ». Ses réclamations à cet égard le firent arrêter le 5 avril, par la municipalité, qui avait le droit de le garder huit jours en détention comme perturbateur, conduire à la prison de Montdidier et dénoncer, le 7, par cette même municipalité et le maire Longuecamp, à l’accusateur public du tribunal de cette dernière ville, sous prétexte qu’il engageait le peuple par écrit et par discours à s’emparer du « marais de Bracquemont » et « que les maximes du dit Babeuf répandues avec profusion, et par ses dits écrits et par ses paroles, sur la souveraineté du peuple, sur la manière dont il devait et pouvait exercer ses droits, sans parler à dessein de ses devoirs, excitent même de la fermentation chez nos voisins ». Les témoignages lui ayant été favorables, il eut la chance d’être relâché la veille du jour où l’accusateur public de Montdidier recevait communication de la lettre du 14 avril, à laquelle il a été fait allusion plus haut, et par laquelle le directoire du département lui ordonnait d’user de la plus grande rigueur envers Babeuf.

En juillet 1791, un certain Gouy de la Myre le dénonçait au même accusateur pour avoir exprimé « le vœu anticonstitutionnel de substituer une république au gouvernement monarchique dont nos sages législateurs ont consolidé les bases ». De l’aveu de ses adversaires, Babeuf nous apparaît donc, dès 1791, partisan de la souveraineté du peuple et républicain. Nous allons le voir, cette même année, réclamer le « droit pour tous de voter » dans une lettre à un de ses anciens abonnés du Correspondant picard, Coupé (de l’Oise), qui venait d’être élu membre de l’Assemblée législative. Dans cette lettre, en date du 10 septembre 1791 (Espinas, La Philosophie sociale du xviiie siècle et la Révolution, p. 215, note ; voir aussi Histoire socialiste, t. IV, p. 1538 et suiv.), Babeuf, après avoir eu des tendances communistes — nous l’avons vu tout à l’heure — et avant de protester contre la loi agraire — nous le verrons chap. xii — se déclarait partisan de cette loi et, par elle, de la mise à la disposition de chacun d’une portion suffisante de terre. Du reste, il semblait déjà favorable à cette idée dans son Cadastre perpétuel et, de même qu’à cette époque, il voulait « assurer à tous les individus premièrement la subsistance, en second lieu une éducation égale » (Espinas, Ibid., p. 404). Ses « vœux » sont (Id., p. 407) : « qu’il n’y ait plus de division des citoyens en plusieurs classes ; admission de tous à toutes les places ; droit pour tous de voter ; d’émettre leurs opinions dans toutes les assemblées ; de surveiller grandement l’assemblée des Législateurs ; liberté des réunions dans les places publiques ; plus de loi martiale ; destruction de l’esprit de corps des gardes nationales en y faisant entrer tous les citoyens sans exception et sans autre destination que celle de combattre les ennemis extérieurs de la Patrie ». Toutefois, il faut, dit-il, renoncer à ces principes lorsqu’on ne veut pas la loi agraire ; sans elle, « liberté, égalité, droits de l’homme, seront toujours des paroles redondantes et des mots vides de sens » (Id., p. 408). « La fin et le couronnement d’une bonne législation est l’égalité des possessions foncières (Id., p. 409) ;… à l’exception de ce que chaque individu aurait son patrimoine inaliénable qui lui ferait dans tous les temps et toutes les circonstances un fonds, une ressource inattaquable contre les besoins, tout ce qui tient à l’industrie humaine resterait dans le même état qu’aujourd’hui » (Id. p. 407).

Obsédé par le partage de la terre, Babeuf n’est pas encore socialiste, mais il est en bonne voie pour le devenir. La substitution momentanée de la loi agraire à ses premières velléités communistes peut s’expliquer par un phénomène assez fréquent dans l’histoire des idées politiques. Les esprits plus enclins à prendre le contre-pied de ce qui existe qu’à chercher le sens exact de l’évolution à poursuivre dans un milieu donné, en arrivent trop souvent à accepter, comme formule de leurs revendications, ce qui n’est que le frelatage d’une idée juste opéré sciemment par leurs adversaires pour enrayer le développement de cette idée : ils prennent naïvement pour drapeau ce que leurs pires ennemis ont imaginé comme spectre rouge. C’est ce qui a dû avoir lieu pour la loi agraire invoquée à diverses reprises par les réacteurs de l’époque, à la suite de l’abbé Maury dans la séance de la Constituante du 13 octobre 1789 (Histoire socialiste, t. Ier, p. 451), dans le but de sauver les propriétés de l’Église et des émigrés, en inspirant des craintes sur le respect de sa propre propriété à la bourgeoisie possédante. C’est ce qui a eu lieu de nos jours pour l’antipatriotisme niaisement arboré par quelques pauvres cervelles, alors qu’il n’est qu’une misérable falsification de l’internationalisme socialiste due à la mauvaise foi des adversaires de celui-ci.

Après sa campagne sur les biens communaux, Babeuf s’évertua à démontrer « que les immenses domaines des ex-seigneurs avaient été presque tous illégitimement acquis ; et que, lors même qu’on ne considérerait pas le crime d’émigration dont le plus grand nombre s’était rendu coupable, la nation avait le droit de rentrer en jouissance de tant de riches possessions ». Toujours à propos du maintien des droits sur les boissons qui, malgré la présence, depuis plus d’un an, de troupes chargées d’en assurer la perception, continuaient à susciter quelques désordres, il dénonçait, le 8 juin 1792, la municipalité de Roye comme « concussionnaire » ; il la dénonçait de nouveau, le 14 juillet, pour avoir, dans sa décision du 10, justifié les « adresses liberticides » au roi à propos de la journée du 20 juin (Id., t. II, p. 1208-1214). Il avait de la sorte, on le croira sans peine, amoncelé sur sa tête la fureur de tout ce qui était riche et influent. Heureusement pour lui, ainsi qu’il l’a constaté, « vint le 10 août ».

Très populaire, il fut, en septembre, nommé membre de l’administration du département de la Somme. Actif et ardent, il dénonça, en octobre, une conspiration royaliste « pour livrer le passage de la France par Péronne, après le succès attendu du siège de Lille » par les Autrichiens. Il s’occupa d’arrêter une famine factice organisée dans le district d’Abbeville. Il réclama la publicité des séances de l’administration départementale. Son zèle, toujours en éveil, parfois puérilement d’ailleurs, comme lorsqu’il protesta contre les pièces « royalistes et nobiliaires » jouées au théâtre d’Amiens, se heurta au mauvais vouloir, sinon à la complicité contre-révolutionnaire de ses collègues, et les haines qu’il souleva lui firent abandonner son poste au département et accepter de passer, en novembre 1792, au district de Montdidier en qualité d’administrateur. Là, il se réjouit de la mort de Louis XVI dont il fit détruire des portraits et, continuant sa guerre aux abus, il protesta contre les complaisances de fonctionnaires pour les biens de « nobles personnages émigrés qu’on s’obstinait à vouloir qu’ils ne le fussent pas et pour lesquels on épuisait tous les faux-fuyants de la chicane pour éluder la main mise nationale sur ces propriétés inappréciables ». Or, son ennemi Longuecamp, procureur-syndic du district, était un de ces fonctionnaires et il allait trouver l’occasion de se venger dans l’affaire que les adversaires de Babeuf ont tant exploitée contre lui et que je vais résumer d’après les documents originaux que j’ai retrouvés au greffe du tribunal civil de Beauvais.

Le 13 décembre 1792, était mise en adjudication à Montdidier la ferme dite de Fontaine, bien national. Évaluée 29,398 livres 4 sols, elle était adjugée provisoirement, au prix de l’évaluation, au fermier Debraine et l’adjudication définitive était fixée au 31 décembre. Cette adjudication provisoire qui figure sur la même pièce que l’adjudication définitive dont je vais parler, est signée par Debraine, l’adjudicataire, par Lefrançois, un des administrateurs du directoire du district de Montdidier, et par Cochepin, secrétaire de cette administration. Le 31 décembre, après diverses enchères dont l’une fut faite par un nommé Levavasseur, la ferme était adjugée à Devillas, président du district de Montdidier, moyennant la somme de 76,200 livres et l’acte porte qu’étaient adjugés « lesdits biens audit citoyen Devillas qui a à l’instant nommé pour command de ladite adjudication le citoyen Charles Constancien Levavasseur demeurant à Montdidier, moyennant ladite somme de 76,200 livres, ce que ledit citoyen Levavasseur présent a accepté et a promis en conséquence d’exécuter les décrets de sorte que ledit citoyen Devillas ne puisse être recherché, et ont signé avec les commissaire, administrateur, procureur-syndic et secrétaire ». Or, et c’est curieux, cette déclaration ne porte en réalité que la signature de Levavasseur et celle du secrétaire Cochepin. S’il y a eu devant ce dernier, comme cela a été affirmé et comme c’est possible, convention formelle entre Levavasseur et Devillas, comment se fait-il qu’après avoir affirmé la signature des deux, il ait pu tout de suite faire signer le premier et non le second ?

En tout cas, le 30 janvier 1793, Devillas, président du district, ne l’oublions pas, et en présence d’un juge au tribunal, Nicolas Leclerc, s’appuyant sur ce que la déclaration en faveur de Levavasseur était nulle parce que lui, l’adjudicataire, ne l’avait pas signée, demanda à deux administrateurs du district, Jaudhuin et Babeuf, de substituer, dans l’acte d’adjudication, le nom de Debraine, le fermier du domaine, et celui de Léger Leclerc, le frère du juge, auxquels il voulait céder ses droits, au nom de Levavasseur à qui, d’après lui, il ne les avait pas cédés. La chose parut toute naturelle à ces deux administrateurs qui, n’ayant pas assisté à l’adjudication, ne connaissant l’affaire que par Devillas, constataient que la déclaration de command n’indiquait pas la participation effective de l’adjudicataire. Babeuf, dans le passage de l’acte mis entre guillemets plus haut, raya les deux fois le nom de Levavasseur et lui substitua par renvois « Firmin Debraine, cultivateur, demeurant à Fontaine, et Léger Leclerc, entrepreneur des habillements des troupes de l’armée demeurant à Assainvillers-en-Chaussée, solidaires et l’un pour l’autre » ; Babeuf, Jaudhuin, Debraine, tant pour lui que pour Léger Leclerc, et

G. Babeuf, âgé de 34 ans, par Bonneville.
Devillas, approuvèrent par leurs signatures et les renvois et les ratures, et ces deux signatures sont les seules de Devillas sur l’acte d’adjudication.

Cela venait de se passer, lorsqu’arrivèrent un autre administrateur Lefrançois et le procureur-syndic Longuecamp qui, mis au courant de l’affaire, trouvèrent — et en cela ils avaient raison — que Babeuf et Jaudhuin avaient « agi étourdiment en rayant un nom pour en substituer un autre, et que la vraie marche eût été de recevoir la déclaration de Devillas par un autre acte au bas de celui de l’adjudication » ; d’autre part, ils affirmaient l’existence d’une convention entre Devillas et Levavasseur.

Babeuf et Jaudhuin ne tardèrent pas à comprendre qu’ils avaient eu tort et, voulant réparer leur erreur, ils écrivaient, le soir même, un exposé complet de leur conduite ; très détaillé, très précis et assez long, cet exposé se terminait ainsi : « Ils ont été entraînés à agir sans être instruits de toutes les circonstances de la susdite affaire ; ils déclarent être dans l’intention que leurs signatures et ces changements auxquels ils ont coopéré aujourd’hui au procès-verbal d’adjudication dont il s’agit, ne puissent nuire ni préjudicier à aucune partie, leur vœu étant qu’on ne puisse se prévaloir de leur participation à cet égard et que les choses soient rétablies dans le même et semblable état qu’elles se trouvaient être avant ladite participation ». Cela n’empêcha pas le district, dans sa séance du 4 février et sur l’initiative haineuse de Longuecamp, de suspendre de leurs fonctions Devillas, Jaudhuin et Babeuf, et le conseil général de la commune de Montdidier de dénoncer, le 6, le fait à l’administration départementale qui, le lendemain, ratifia la suspension et renvoya l’affaire à l’accusateur public de Montdidier.

Babeuf vint immédiatement à Paris réclamer contre sa suspension. Apprenant que l’affaire était déférée à la justice et se doutant du sort que lui réservaient les jurés et les juges d’un pays où il comptait tant d’ennemis influents, il resta à Paris où Sylvain Maréchal le fit entrer à l’administration des subsistances de la Commune de Paris. Dans la crise de Paris mourant de faim, son austérité, inadmissible de la part d’un homme qui aurait été capable de se laisser corrompre et à laquelle Michelet a rendu hommage, fut à la hauteur de celle de Chaumette et de ses collaborateurs dont notre grand historien a pu écrire : « Ce qui calmait le plus le peuple, c’était le désintéressement connu, la sobriété fabuleuse de ses magistrats » (Histoire du xixe siècle, t. I, p. 10). De l’administration des subsistances de la Commune de Paris, il passa à la Commission des subsistances de la République.

Pendant ce temps, l’affaire suivait son cours et l’accusateur public traduisait devant le jury d’accusation Devillas, Debraine, Nicolas Leclerc, Jaudhuin et Babeuf, les trois premiers comme corrupteurs et Babeuf comme corrompu. Nicolas Leclerc et Devillas seuls comparurent ; cancans insignifiants ou suspects qu’on entend dans presque tous les procès criminels, prévenus cherchant à tirer leur épingle du jeu, fût-ce au détriment des autres, on retrouve tout cela dans le dossier. Le principal argument de l’accusation pour essayer de démontrer l’intention coupable de Babeuf, fut qu’il avait dîné, le 30 janvier, avec Devillas, Debraine et Nicolas Leclerc et avait modifié l’acte après ce dîner. « Pervers ! a écrit Babeuf à ce sujet, combien vous êtes adroits ! combien vous savez tirer parti des circonstances ! Moi, Devillas et Leclerc, juge du tribunal, n’étions pas domiciliés à Montdidier, vous le savez bien ; nous étions donc, par conséquent, obligés de vivre au traiteur ou à l’auberge. Nous nous invitions quelquefois réciproquement, vous le savez encore, et cela était tout naturel entre gens que leurs fonctions rapprochaient ailleurs ; je fus invité par Leclerc à dîner avec lui ce jour-là ; Devillas se trouva du même dîner qui fut fait à table d’hôte, en lieu public, où nous fûmes confondus avec plusieurs inconnus, où il ne fut et ne pouvait pas être question d’aucune connivence. Pourquoi empoisonner une action aussi simple ? Par quelle fatalité espérez-vous la métamorphoser en une présomption propre à me condamner ? Mais il se trouvera des hommes justes qui pénétreront les motifs de votre inexorable acharnement qui ne vous laissait rien négliger, et ils distingueront entre vous et moi. Malheur alors aux vrais coupables ! »

Le jury, interrogé uniquement, c’est à constater, sur le fait matériel de modification de l’acte, alors que la question d’avoir agi « méchamment et à dessein de nuire » s’imposait d’après l’art. 41 (section 2, titre II) du Code pénal du 25 septembre 1791, déclara, le 29 mars 1793, qu’il n’y avait lieu à accusation que contre Babeuf qui l’avait faite. En définitive, de la part de Babeuf, il y eut, suivant son mot, dans les notes biographiques du dossier, « inadvertance » reconnue et réparée tout de suite. Ainsi qu’en témoigne l’original de l’acte, il opéra d’une façon si naïve, si ouverte, que cela suffit à exclure de sa part toute intention répréhensible et implique chez lui la conviction que Devillas lui disait la vérité. Dans le cas contraire, en effet, il n’aurait pas pu ne pas soupçonner que Levavasseur ne se laisserait pas évincer sans protester, et, ayant la volonté de commettre un faux, Babeuf aurait plus ou moins habilement tenté de le faire de telle sorte que l’inscription même du nom de Levavasseur fût au moins contestable. S’il y eut un coupable dans l’affaire, il n’est pas douteux que ce fut Devillas cherchant peut-être à ne pas tenir une convention faite et, de toute manière, l’instigateur de l’acte reproché à Babeuf ; or, le jury d’accusation ayant, en ce qui concerne Devillas, à se prononcer contradictoirement, décide qu’il n’y a pas matière à accusation, et Babeuf serait coupable d’avoir satisfait à une demande estimée n’être pas répréhensible ! Le tribunal criminel d’Amiens n’en condamna pas moins par contumace Babeuf à vingt ans de fers (23 août 1793).

Celui-ci qui, avec juste raison, disait : « Où il n’y a point de corrupteurs, il n’y a point de corrompu », resta à Paris sans se cacher et y fit venir sa femme et ses enfants. Le 24 brumaire an II (14 novembre 1793), sur la réquisition du procureur-syndic du district de Montdidier, qui était alors Varin, il était arrêté. Mais tout en mettant Babeuf en état d’arrestation, « les administrateurs du département de police de la municipalité de Paris », Mennessier et Dangé, — le premier devait être, lors de la Conjuration des Égaux, l’agent pour le IIIe arrondissement (chap. xiii), et un des agents les plus zélés, du comité secret — écrivaient à Varin : « Le citoyen Babeuf, avant d’être attaché à l’administration des subsistances de Paris et pendant tout le temps qu’il y a été employé, n’a donné lieu, au moins à notre connaissance, à aucun reproche à son égard du côté du civisme ni de la probité ; et c’est pour nous un puissant motif de lever des doutes sur la légitimité des motifs qui l’ont fait condamner à vingt années de fers », et ils lui demandaient de leur procurer « tous les moyens possibles de statuer en connaissance de cause sur cette affaire ». Ils n’obtinrent pas de réponse et écrivirent de nouveau que, si le prochain courrier ne leur apportait pas les renseignements demandés, ils relâcheraient Babeuf ; n’ayant rien reçu, ils mettaient, le 17 frimaire (7 décembre), celui-ci en liberté provisoire sous le cautionnement, a-t-il dit, de « Sylvain Maréchal, Daube et Thibaudeau, mes amis » : il sera question du premier plus tard (chap. xiii) ; Daube était un professeur de législation natif de la région qui constitua le département des Hautes-Pyrénées, et devait être choisi, en germinal an IV (avril 1796), pour occuper la chaire de législation à l’école centrale de Tarbes ; Thibaudeau était évidemment le Conventionnel ; je constaterai que, dans le logement où fut arrêté Babeuf au moment de sa conjuration, on ne trouva, parmi les documents saisis, qu’une douzaine d’imprimés étrangers à cette conjuration ; or, l’un d’eux était le rapport du Conventionnel Thibaudeau sur la mission par lui remplie près de l’armée des côtes de la Rochelle (Copie des pièces saisies dans le local que Babeuf occupait lors de son arrestation, t. II, p. 70.).

Babeuf demanda à être réintégré dans ses fonctions à l’administration des subsistances et, en attendant, grâce à Sylvain Maréchal, il travailla chez Prudhomme, l’éditeur du journal Les Révolutions de Paris. Avant de lui rendre sa place, la commission des subsistances résolut de consulter le ministre de la Justice Gohier. Ce dernier exprima l’opinion qu’un condamné devait être arrêté et donna des ordres en conséquence. Sans avis officiel, Babeuf se rendit de lui-même, le 11 pluviôse (30 janvier 1794), à l’Abbaye où il fut incarcéré ; on devait, le 1er germinal (21 mars), le transférer à Sainte-Pélagie.

Babeuf rédigea pour sa défense, d’après une note du dossier, un mémoire qui, actuellement, n’y figure pas. Ce mémoire n’est pas autre chose — les nombreux renvois concordant des notes biographiques qui sont dans le dossier, aux pages de cet imprimé l’établissent d’une manière incontestable — que l’imprimé débutant par ces mots : « Babeuf, ex-administrateur du département de la Somme et successivement du district de Montdidier aux comités de salut public, de sûreté générale et de législation de la Convention nationale, et à Gohier, ministre de la Justice ». Une note manuscrite de l’exemplaire de la Bibliothèque nationale (Lb 41/947) permet de supposer que c’est cet exemplaire qui a appartenu au dossier. Dans cette brochure écrite en pluviôse an II (février 1794), Babeuf annonce qu’il écrira une « défense générale », un « grand mémoire ». Tel que nous le connaissons, nous pouvons affirmer que cette promesse d’écrire a été tenue. Qu’est devenu cet écrit ? Je n’en ai pas trouvé trace, si ce n’est pas l’ouvrage « préparé pour l’impression » et « resté inédit » que, dans son Histoire de Gracchus Babeuf, — intéressante par les documents nouveaux apportés, mais malheureusement incomplète et parfois inexacte, — M. Advielle mentionne (t. 1er, p. 505) sous le titre Histoire des conspirations et des conspirateurs du département de la Somme. À propos des papiers de Babeuf utilisés par M. Advielle, M. Espinas dans l’œuvre citée précédemment se demande (p. 195, note) d’où ils peuvent venir et il recourt, sans qu’on comprenne bien pourquoi, aux Archives (F7 4,276) pour établir que les papiers de Babeuf avaient été saisis le 19 pluviôse an III (7 février 1795). La constatation est exacte, seulement on trouve dans le même carton un reçu, délivré par Babeuf, le 11 vendémiaire an IV (3 octobre 1795),

Clôture de la Salle des Jacobins
dans la nuit du 27 au 28 juillet 1794 ou du 9 au 10 thermidor An II de la République.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)
des papiers saisis chez lui le 19 pluviôse, et M. Espinas ne s’en est pas aperçu ; voici le texte de ce reçu :

« Du onze vendémiaire l’an IV de la République française une et indivisible.

« Reçu du citoyen Almain tous les papiers saisis chez moi et mentionnés au procès-verbal d’arrestation du dix-neuf pluviôse l’an trois.— G. Babeuf ».

L’écrit existant à la Bibliothèque nationale dont je me suis beaucoup servi pour la biographie de Babeuf, et qui m’a fourni les citations précédentes dont la source n’est pas indiquée, montre que le seul souci de celui-ci était d’être jugé « par tout autre tribunal » que celui de la Somme, et il demandait, en particulier, de l’être par le tribunal révolutionnaire.

Sur le rapport de Merlin (de Douai), membre du comité de législation, la Convention, par un décret du 24 floréal an II (13 mai 1794), déféra le procès au tribunal de cassation qui, le mois suivant, 21 prairial (9 juin), — c’est-à-dire le lendemain de la fête de l’Être suprême « au Champ-de-Mars » où il est impossible que Babeuf, alors détenu, ait pu se trouver parmi ceux qui avaient menacé Robespierre, contrairement à ce qu’on lit, d’où que vienne l’erreur, dans l’ouvrage de M. Stéfane-Pol, Autour de Robespierre, le Conventionnel Le Bas (p. 136) — annula procédure et condamnation « pour incompétence et excès de pouvoirs » ; l’affaire était renvoyée devant le tribunal criminel de l’Aisne et Babeuf transféré à Laon.

Le tribunal de cette ville qui, le 24 messidor (12 juillet), lui refusait sa mise en liberté, déclarait très judicieusement, le 28 (16 juillet), après examen de la cause, qu’il y avait lieu à acte d’accusation contre Babeuf, le fait matériel étant reconnu par celui-ci, afin de rechercher s’il y avait eu intention coupable ; il ajoutait que cette recherche devait viser tous ceux qui avaient participé au fait incriminé, et qu’il serait sursis « jusqu’à ce que la commission des administrations civiles, police et tribunaux, ait été consultée ». Le 30 messidor (18 juillet), Babeuf obtenait son élargissement sous caution ; nous aurons à revenir sur cette affaire au début du Directoire (chap. xii). Il était à Laon le 9 thermidor (27 juillet), à cause d’une maladie de son fils Robert qu’il avait depuis appelé Emile, par amour pour Rousseau : Jean-Jacques, en effet, Mably et Morelly — dont Babeuf, comme tout le monde alors, attribuait le Code de la Nature à Diderot — tels ont été ses inspirateurs.




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