Histoire socialiste/La Troisième République/25

Chapitre XXIV.

Histoire socialiste
La Troisième République

Chapitre XXVI.



CHAPITRE XXV


Le sentiment de la France. — Aveuglement de la bourgeoisie. — La campagne électorale. — La Chambre et le Sénat. — Victoire républicaine. — Échecs de M. Buffet. — Opportunistes et Radicaux. — Bruits de coup d’État. — M. Dufaure, vice-président du Conseil. — Réunion des Chambres. — La transmission des pouvoirs.


La période qui s’étend entre la dissolution de l’Assemblée nationale et le coup d’État parlementaire du 16 mai 1877, peut passer à bon droit, pour aussi singulière que celle qui s’est écoulée depuis la défaite de la Révolution du 18 mars. Elle a ceci de caractéristique, en outre, c’est que la réaction se manifeste d’autant plus vive que la République est, légalement, constitutionnellement établie ; que cet état de fait est à la fois le résultat de l’impuissance des partis monarchistes dans l’Assemblée et de la volonté énergiquement exprimée par la grande majorité du pays. Il n’y a plus de place possible pour une restauration quelconque. Qu’espèrent donc les réacteurs ? Comptent-ils sur un revirement des contribuables, dû à la lourdeur croissante des impôts ? Le pays sait bien que les suppléments de charges fiscales sont dus à la guerre qui n’est pas le fait de la République, mais bien de l’Empire ; qu’elles se décomposent en charges de liquidation et en charges de réorganisation, car tout est à refaire ou à faire.

Il a fallu des désastres militaires pour s’apercevoir que l’instruction du peuple a été tout à fait négligée. On instruira donc le peuple, dit la bourgeoisie, mais pour faire de bons soldats ; recruter de meilleurs cadres de sous-officiers. Pour organiser cette instruction, il faudra des millions car il sera nécessaire, non seulement de recruter une formidable armée d’instituteurs, mais encore de construire de nombreuses écoles. « C’est l’instituteur allemand qui nous a battus », tel est le mot que l’on se répète, qui devient un « cliché » courant, obsédant. Sans doute y a-t-il une grande part de vérité dans cette affirmation ; elle apparaît même comme une circonstance atténuante de la défaite !

La France a été vaincue, en réalité, parce qu’elle s’est livrée pendant dix-huit années à un régime qui, comme les précédents, avait tout à redouter de masses qui auraient été instruites et auraient raisonné. Elle a été vaincue par les fautes de ce régime cependant condamné par son origine et ses traditions à une politique extérieure, belliqueuse, ne laissant pas à l’opinion le loisir de la réflexion. Il n’a pu oser, même modeler son organisation militaire sur celle de l’ennemi certain, fatal, auquel il était appelé à se heurter, organisation préparée depuis le lendemain d’Iéna, en 1806, et qui venait de se révéler si puissante, en 1866, durant la campagne de Bohême. Cependant, tout bien examiné, l’instruction à elle seule n’est pas un facteur de révolution ; l’Allemagne a mis en pratique depuis longtemps l’instruction primaire ; son peuple est le plus instruit ; c’est lui qui, depuis plus d’un demi siècle, a compté le moins d’illettrés, ce qui ne l’empêche pas d’être un des plus soumis aux autorités, d’être le moins agité par les crises politiques. Tout dépend des conditions dans lesquelles est donnée l’instruction, surtout l’éducation qui est sa compagne obligée, son complément nécessaire. L’instruction meuble plus ou moins le cerveau, — c’est une question de programme, mais l’éducation forme les consciences et apprend aux hommes à se servir des éléments fournis par l’instruction. Elle peut être la meilleure ou la pire de choses. Il est surprenant que les monarchies et l’Empire qui se sont succédé en France, depuis la formidable débâcle de 1814 et 1815, ne l’aient pas compris.

La bourgeoisie française, même après la guerre, a mis du temps à comprendre ces nécessités et ces faits ; il a fallu, pour qu’elle se décide à intervenir, la pression de l’opinion publique et encore ne s’y est-elle résignée que quelque temps après la fondation régulière de la République. Il en a été, du reste, de même pour l’organisation de la défense nationale, encore si incertaine après trente-six années de laborieux efforts et des sacrifices qui se chiffrent par milliards.

C’est que la préoccupation dominante de la classe possédante et dirigeante, dans les divers partis qui la composent, c’est surtout la défense du système qui assure ses privilèges économiques. Même quand des sentiments élevés la hantent, telle l’indépendance de la nation, elle oscille entre les mesures qui s’imposent jusqu’à l’évidence et les dangers qui peuvent en résulter pour ses intérêts. Elle est affligée d’un « conservatisme » aveugle qui l’empêche de s’orienter ; tout est pour l’effrayer et elle s’effare à la moindre crise intérieure ou extérieure qui surgit, car elle n’a su prendre que des mesures incomplètes pour les prévenir ou y faire face.

Ce sont ces préoccupations, encore fortes aujourd’hui, parmi une fraction notable du parti républicain, qui marquent l’évolution à dater de l’année 1876. Quant aux partis de réaction proprement dits, ils ne cessent leurs tentatives en vue de regagner le terrain perdu. C’est l’œuvre à laquelle s’attachent les cabinets qui se succèdent et, phénomène curieux mais au fond normal, tout réactionnaires ou modérés que pourront être les cabinets, ils paraîtront tellement révolutionnaires que, parfois, ils deviendront un sujet d’épouvante pour le Président de la République harcelé par son entourage.
Les grèves à Paris.
Les garçons limonadiers assaillant le Café du Danemark dans l’après-midi du 7 aout 1888.
D’après un document de l’Illustration.

La campagne électorale est ouverte dans toute la France ; pour le Sénat, les scrutins sont fixés au 30 janvier ; pour la Chambre des députés, aux 20 et 27 février. Ces deux élections ont un caractère bien différent ; le Sénat doit être nommé, pour les deux tiers, par un suffrage très restreint ; la Chambre des députés par le suffrage universel et au scrutin d’arrondissement. Ces influences locales y auront une grande part, beau jeu ; elles joueront, dans certaines régions, un rôle prépondérant. Comme il fallait s’y attendre, le Sénat n’avait été créé que dans ce but, les résultats sont différents, pas autant, en apparence, qu’on l’avait prévu.

Au Sénat, la majorité est nuance présidentielle. En y comprenant les 75 inamovibles, il se décompose ainsi : Extrême-gauche, 15 ; Gauche républicaine, 50 ; Centre-gauche, 84 ; Constitutionnels, 17 ; Centre-droit et Droite modérée, 81 ; Extrême-droite, 13 ; Bonapartistes, 40.

À la Chambre des députés, la répartition des partis est la suivante : sur 333, on compte 98 républicains d’Extrême-gauche ; 194 de Gauche, 18 du Centre-gauche, 22 Constitutionnels, 75 Bonapartistes, 20 Légitimistes, 55 députés de Droite et du Centre-droit. Le groupe le plus fort était celui des républicains suivant l’orientation de M. Gambetta.

La campagne électorale avait été fort calme, mais d’une activité extraordinaire. Chaque parti avait fait un effort considérable, surtout sur le terrain législatif. Des résultats du scrutin allait dépendre la mise en application de la nouvelle Constitution. Les réunions publiques n’avaient été tolérées que durant la stricte période légale et les banquets avaient été interdits. Le gouvernement, lui-même, s’était trouvé fort embarrassé pour agir, car deux camps s’étaient formés dans le sein même du Cabinet ; le camp anti-républicain groupé autour de M. Buffet ; le camp républicain, très modéré, il est vrai, mais enfin républicain, se prononçant pour la mise en vigueur loyale du régime républicain, représenté par MM. Léon Say et Dufaure ; une crise avait failli se produire, mais M. Buffet avait cédé. Ses amis et lui comptaient, du reste, plus sur leurs agents que sur eux-mêmes. En effet, un grand nombre de préfets exercèrent une pression administrative aussi forte qu’impudente. Mais le suffrage universel avait son siège fait et si les électeurs sénatoriaux hésitèrent, lui n’hésita pas ; il se prononça nettement.

À Paris, comme dans le reste de la France, la préoccupation dominante fut surtout d’ordre politique. Il fallait, à tout prix, consolider la République en l’arrachant à une majorité monarchiste. Les questions économiques et la question sociale y tinrent une place fort restreinte. Cependant, le mouvement républicain, à cette heure de lutte suprême, ne fut pas compact, au contraire. Le combat s’engagea fort résolument entre ceux qui conseillaient la modération, la « sagesse », et ceux qui estimaient qu’après avoir fait le grand sacrifice à l’idée républicaine d’accepter une constitution plutôt monarchiste, il fallait préparer pour l’avenir une révision qui permettrait de donner enfin à la République son caractère réel et de la doter d’une Constitution et de lois conformes aux aspirations et aux besoins de la démocratie.

MM. Gambetta et Jules Ferry s’étaient faits les principaux interprètes de la fraction modérée et ils s’étaient nettement expliqués.

Partout où il avait pris la parole, à Lille, à Aix, à Avignon, à Bordeaux, à Paris, M. Gambetta avait prêché aux républicains la sagesse : il parlait bien de certaines revendications du traditionnel programme, mais il préconisait la méthode d’attente de M. Thiers dont il se rapprochait de plus en plus et qui suivait sa campagne avec un vif intérêt, de la retraite où il se confinait. L’éducation du suffrage universel n’était pas suffisamment faite ; il ne fallait pas l’effrayer par une action trop rapide. Il faisait appel aux hommes de sagesse, de bonne volonté, de patriotisme, leur demandant de se rallier à la République, une place large, honorable, leur y serait réservée. Il fallait avant tout s’occuper à réorganiser la France au point de vue militaire, financier ; l’orienter dans sa politique extérieure grosse de dangers. Sans doute, des réformes étaient nécessaires, attendues, telles que l’impôt sur le revenu, la séparation de l’Église et de l’État, la liberté de presse, de réunion et d’association, l’organisation de l’instruction laïque et obligatoire, mais c’étaient là des problèmes à ajourner. À Bordeaux, il avait déclaré : « Je me garde de dire que vos représentants les accompliront pendant leurs quatre années de législature ; je ne le crois pas et, si vous voulez toute ma pensée, je ne le veux pas ». Il exprimait ce désir que la Chambre fut « avant tout politique ». Et il se montrait ainsi l’interprète, le représentant exact de cette fraction de la bourgeoisie française, républicaine de tradition ou venue à la République par raison surgie de circonstances. La bourgeoisie française n’a pas su le comprendre et elle se montrera bien ingrate avec lui quand, plus tard, il prendra le pouvoir.

Dans les Vosges, M Jules Ferry, qui devait devenir un des hommes d’État les plus marquants et aussi un les plus impopulaires de la troisième République, affirmait la nécessité de faire preuve « d’esprit de mesure et de sagesse » ; il déclarait que « le moment n’est pas venu de renoncer à la politique de transaction. Traitons, ajoutait-il, les questions pratiquement, l’une après l’autre. Acclimatons la République ». Et, tandis que les plus avancés du parti républicain, dans leur programme électoral, inscrivaient la révision constitutionnelle, il disait : « Laissons les ennemis de nos institutions prendre la révision pour drapeau ». De tels discours, de telles déclarations avaient pour résultat de semer la défiance dans l’opinion contre les républicains qui affirmaient la nécessité de fonder une République vraiment républicaine, en les classant comme des complices, conscients ou inconscients, des réacteurs.

Le parti radical qui devait, dans la nouvelle Chambre, former l’extrême-gauche, avait, de son côté, mené une campagne très ardente à Paris et en province. Trop de concessions avaient été faites, disait-il aux modérés du centre ; il n’était que temps de remettre le parti républicain dans sa vraie voie. Il était impossible de conserver une Constitution aussi bâtarde qui ne pouvait que fournir des armes dangereuses aux ennemis avérés ou masqués de la démocratie. C’était la politique radicale, intransigeante, opposée à la politique opportuniste. MM. Alfred Naquet, Bonnet-Duverdier, Louis Blanc, Clemenceau, Floquet, Barodet, Lockroy, Madier de Montjau, Henri Brisson, etc…., en étaient les protagonistes les plus en vue.

Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, M. G. Clemenceau, alors président du Conseil municipal, déclarait : « Les républicains conservateurs demandent à la République son minimum, nous son maximum. Nous, les républicains radicaux, nous voulons la République pour ses conséquences naturelles : les grandes et fécondes réformes sociales qu’elle entraîne… Il ne s’agira plus que de savoir s’il faut accélérer ou ralentir notre marche en avant dans l’accomplissement, depuis si longtemps poursuivie, de la réorganisation démocratique et sociale de la Société française. »

M. A. Naquet, dans un discours prononcé à Marseille où sa candidature était opposée à celle de M. Gambetta, disait : « J’ai voté la Constitution, je le regrette, mais les affirmations des négociateurs de la gauche, auxquelles j’ai dû ajouter foi, ne me permettent pas de juger autrement ; nous avons aujourd’hui la monarchie sans le monarque, ou plutôt avec un monarque élu, non héréditaire, il est vrai, mais rééligible. — Gambetta et ses amis sont dans l’ornière constitutionnelle ; qu’ils y restent puisqu’ils le jugent utile, qu’ils représentent l’élément républicain conservateur. Mais il faut constituer en dehors d’eux un groupe d’avant-garde de combat démocratique. »

M. Louis Blanc, lui, dans sa profession de foi, tout en rappelant les principes essentiels du programme républicain, tout en proclamant la souveraineté du peuple sans restrictions, tout en affirmant que la République est l’amélioration du sort de tous et que le cléricalisme est le véritable péril social, se montrait plus conciliant. Candidat dans le Ve arrondissement de Paris, il faisait appel « à l’union de toutes les forces républicaines qui, seules, sont véritablement conservatrices ».

L’action des radicaux, peu favorisée par la presse, les journaux qui soutenaient leur politique étaient traqués par les parquets et assaillis de prison et d’amendes par les tribunaux, gênée par les défiances suscitées contre eux, car, fréquemment, les opportunistes les assimilaient aux pires ennemis de la République, fut toutefois assez féconde, puisque 98 sièges furent conquis par leurs candidats.

À Paris, s’était formé un Comité composé de jeunes étudiants et de quelques ouvriers qui avaient pris part à la Révolution du 18 mars et avaient réussi à se soustraire aux poursuites. Il avait posé, dans le VIe arrondissement, la candidature d’Émile Acollas, professeur libre de droit, homme éminent, d’idées fort avancées en matière politique, philosophique et législative. Son programme comportait une série de réformes classiques du programme de l’Extrême-Gauche et il se prononçait pour l’amnistie pleine et entière de tous ceux qui avaient été frappés par les tribunaux civils et militaires, à l’occasion des mouvements insurrectionnels de Paris et de Province, depuis le 4 septembre. Sa candidature, opposée à celle du colonel Denfert-Rochereau, était une escarmouche intéressante, en ce sens qu’indéfinie au point de vue socialiste, car Émile Acollas était un individualiste par-dessus tout, elle fut menée avec une grande activité. Du Comité qui la présenta et la soutint, la majorité, environ un an après, devait se rallier aux idées collectivistes et former le noyau d’un groupe de propagandistes qui fortement collaborèrent, avec Jules Guesde, à la reconstitution du Parti socialiste et à la fondation du Parti ouvrier. C’était aussi ce même groupe qui devait poser la première candidature de Blanqui à Paris, dans le même arrondissement, et préluder à la campagne électorale qui arracherait enfin aux geôles bourgeoises, un des plus grands, des plus héroïques martyrs de la cause socialiste-révolutionnaire.

En somme, l’opinion publique venait de faire un sérieux pas en avant et le résultat des élections législatives dépassait les espérances, les pronostics des plus optimistes. Les hommes les plus marquants de l’ancienne majorité monarchiste avaient été battus, et le chef du cabinet, M. Buffet, s’était vu infliger d’écrasantes, significatives défaites, tant aux élections sénatoriales qu’aux élections à la Chambre des députés. Nulle part il n’avait été élu !

La proclamation du scrutin provoqua une émotion considérable ; la Bourse s’émut et le 3 % baissa de 2 francs ; le monde officiel fut plongé dans la consternation et dans l’entourage du Président de la République ce fut de la stupeur. Partout, aussi bien par les candidats que par les agents de l’Administration empressés à pratiquer la candidature officielle, le maréchal de Mac-Mahon avait été engagé, découvert ; sa politique avait été mise en cause, pour ainsi dire soumise, par arrondissement, à un véritable plébiscite et c’était un véritable échec qu’elle avait rencontré. Ni les titres militaires, ni les engagements formels, ni la loyauté si invoquée du soldat de Magenta, n’avaient eu de succès auprès du suffrage universel ! Qu’allait-il advenir ? Quelles catastrophes politiques, nationales allaient se produire ? À Paris, « l’armée du désordre » s’était reformée, avait triomphé. Il n’en fallait pas davantage pour inciter l’entourage du maréchal à pousser à d’énergiques mesures, à un véritable coup d’état, et l’on y songea sérieusement.

Le maréchal était perplexe ; son cerveau peu formé aux choses de la politique, dégageait mal la situation exacte. Homme double, autant chez lui le soldat était résolu, énergique, autant le « civil » était indécis, perplexe. Il consulta tour à tour M. Buffet, et le duc de Broglie ; M. Buffet encore sous le coup des désastreux échecs éprouvés, était en proie à une profonde irritation ; son âme était noyée d’amertume et il conseilla l’action ou la résistance ; le duc de Broglie, lui, était pour la temporisation. Il fallait voir la Chambre à l’œuvre, d’abord ; il serait temps d’agir après, si l’occasion s’en présentait. Le maréchal n’était-il pas assuré de l’appui du Sénat ? Il ne fallait rien brusquer, pas commettre d’imprudences dont les suites pouvaient être très dangereuses, et ce fut son opinion qui prévalut.

Quoiqu’il fût conservateur dans l’âme, monarchiste par-dessus tout, anti-républicain par traditions de famille, par éducation et par tempérament, le maréchal de Mac-Mahon tenait à observer la parole jurée, les promesses faites. Le jeudi, 24 février, M. Dufaure était chargé de constituer un nouveau ministère et prenait provisoirement le portefeuille de l’intérieur.

C’est le 8 mars 1876 que le Sénat et la Chambre se réunirent avant de procéder à la transmission des pouvoirs. Le président du Sénat était son doyen d’âge, M. Gauthier de Rumilly ; le président de la Chambre, Raspail, qui, ironie du hasard, sur six secrétaires en avait quatre appartenant à la Droite ! Comme il passait entre les deux rangs de gendarmes qui faisaient la haie et lui présentaient les armes, le vieux démocrate, qui avait passé une partie de son existence dans les prisons de la Monarchie et de l’Empire, dit en souriant à un des secrétaires : « C’est la première fois que je vois des gendarmes si près de moi et qu’ils ne viennent pas pour m’arrêter ! »

Les bureaux constitués, la séance est suspendue et ils se rendent dans la Salle d’Hercule où, sous la présidence du duc d’Audiffret-Pasquier, président de l’Assemblée nationale, entouré de son bureau, est réunie la Commission de permanence. Le duc d’Audiffret-Pasquier prononce un discours dans lequel il déclare que le nouveau Parlement a une belle œuvre à accomplir, une œuvre de conciliation et d’apaisement. Groupé autour du maréchal de Mac-Mahon, il saura donner au pays un gouvernement d’ordre et de paix.

M. Gauthier de Rumilly lui répond en affirmant que c’est par l’union intime des pouvoirs publics que la France jouira de l’ordre, de la paix et de la liberté, sous l’égide de la Constitution républicaine qui a reçu la sanction du pays.

M. Dufaure, vice-président du Conseil des ministres, fait une déclaration : « Nous sommes délégués par M. le Président de la République pour recevoir de vos mains le pouvoir exécutif et ses prérogatives, tel qu’il lui est attribué par la Constitution républicaine du 28 février. Nous avons mission de vous déclarer qu’il a l’intime confiance, qu’avec l’aide de Dieu et le concours des deux Chambres, il ne l’exercera jamais que conformément aux lois, pour l’honneur et pour l’intérêt de notre grand et bien-aimé pays ».

Après les bruits de coup d’État qui avaient circulé avec une inquiétante persistance, cette déclaration provoqua une heureuse détente.

Les pouvoirs de l’Assemblée nationale étaient expirés. Chaque Chambre se réunit à part : le Sénat entend une allocution républicaine de son doyen d’âge et s’ajourne au lendemain. À la Chambre, Raspail prononce un discours dans lequel il parle de la République, de ses devoirs envers la France, envers le peuple, envers l’humanité, en termes éloquents ; il fait un appel suprême à la démocratie pour « féconder la science, l’industrie, la moralisation et la liberté, ces grandes forces actives de la République ». Puis, M. Jules Grévy est élu président et M. Rameau vice-président provisoires. Comme le Sénat elle s’ajourne ensuite au lendemain.

La France républicaine va voir à l’œuvre ses nouveaux représentants.