Histoire secrète d’Isabelle de Bavière, reine de France/3-2

Texte établi par Gilbert Lely, Jean-Jacques Pauvert (Œuvres complètes, t. XXXIp. 356-430).

Choisissons maintenant, dans les différents rapports que les historiens nous offrent sur le célèbre événement de Montereau, celui qui s’accorde le mieux avec la vérité que cette conversation nous dévoile.

Cette entrevue toujours remise, eut enfin lieu, comme nous l’avons dit, le 10 septembre 1419.

Le château de Montereau est séparé de la ville par le pont. Les troupes du duc de Bourgogne occupaient le château : celles du dauphin étaient dans la ville. À chaque extrémité du pont était une barrière : par celle qui faisait face à la ville devait passer le dauphin accompagné de Tanneguy Duchâtel, Narbonne, Louvet, Naillac, Loire, Layet, Froilier, Bataille, Bouteillier et Dulau.

Tels furent les dix gentilshommes nommés pour accompagner le dauphin. Tous étaient Armagnacs.

Par la barrière qui faisait face au château devait passer le duc de Bourgogne, suivi de Charles de Bourbon, Noailles, Fribourg, Neufchâtel, Montaigu, de Vienne, Vergi, Dautrey, Giac et Ivret de Pontarlier, dans le même nombre que ceux du dauphin.

Tous étaient Bourguignons.

Les gens du duc et ceux du dauphin vinrent examiner le pont ; ils en garantirent la solidité.

Au-delà des barrières, à peu près au milieu du pont, était une salle construite en charpente et dans laquelle la conférence devait se tenir.

Avant que de passer les barrières, les seigneurs de part et d’autre furent les visiter, et quand ils entrèrent on ne leur laissa que leurs haubergeons et leurs épées.

Le dauphin arriva le premier ; le duc de Bourgogne ensuite.

Aussitôt des gardes de l’un et de l’autre parti prirent possession de leurs barrières respectives.

Venez donc, dit au duc un des gens du dauphin, Monseigneur vous attend. — Je vais à lui, reprit le duc, en continuant de s’avancer, et quand il fut près du dauphin, il mit un genou en terre.

Le jeune prince, sans aucun témoignage d’attention, lui dit assez durement : Il y a quinze jours que je vous attends, mon cousin ; pendant cela nos troupes fatiguent les habitants et les Anglais profitent de ces délais pour avancer vers Paris.

Comme ici le duc restait toujours agenouillé, un des seigneurs de sa suite lui dit : Relevez-vous donc, Monseigneur, c’est trop s’humilier.

Le duc, debout, dit alors au dauphin qu’il ne pouvait rien sans l’aveu du roi, et qu’il fallait se rendre à l’instant l’un et l’autre auprès du monarque.

Je n’ai pas besoin de vos avis sur cela, répondit le dauphin ; j’irai voir le roi quand je voudrai.

Vous y viendrez tout de suite, dit le duc ; puis mettant une main sur la garde de son épée, et l’autre sur le collet du dauphin, il fit des yeux un signal aux gens de son parti. Tanneguy, saisissant la situation, pousse alors le duc par les épaules, dégage le dauphin, que ses gentilshommes font repasser de l’autre côté de la barrière, et, lui Duchâtel poursuivant avec raison la vengeance de l’injure que son maître vient de recevoir, frappe le duc de sa hache, le blesse au visage et au poignet ; le duc tombe sur ses genoux, les coups redoublent, les meurtriers l’environnent ; on l’achève. Layet et Froilier lui plongent leurs épées dans le corps, au défaut de son haubergeon. Noailles, le seul partisan du duc qui se mit en défense, reçut plusieurs blessures, dont il mourut peu après ; les autres seigneurs bourguignons furent faits prisonniers, excepté Montaigu qui trouva le secret de s’évader.

Telle est la vérité de ce mémorable événement, d’après les meilleurs historiens, et Monstrelet surtout, de la narration duquel il faut pourtant se défier un peu, vu son extrême attachement à la maison de Bourgogne. Au reste nous avons saisi, comme nos lecteurs sans doute, une contradiction qu’il nous est impossible de détruire. Comment se peut-il que Tanneguy frappe le duc d’une hache, pendant qu’on n’avait laissé aux seigneurs que leurs épées[1] ? Cette hache avait donc échappé à l’inspection : cela est-il présumable ? cela ne ferait-il pas plutôt croire que ce meurtre était prémédité ? De quelque façon qu’il ait été commis, pour en laver Duchâtel, quelques historiens font intervenir sur le pont un grand homme brun, qui frappa le duc d’une longue épée. Cette fable est absurde, puisqu’il n’y avait sur le pont que les vingt seigneurs nommés ci-dessus, parmi lesquels ne se trouvait assurément pas le personnage imaginaire dont on nous parle et que l’on n’ose introduire ici que pour disculper Tanneguy. Il valait bien mieux légitimer son action que de la nier, et on le pouvait : il punissait un assassin, il vengeait son roi, quoi de plus juste ? Ce ne fut pas d’ailleurs la seule fois qu’il agit de cette manière : ne le vit-on pas en 1424 tuer le dauphin d’Auvergne, dans les appartements de ce même Charles qu’il venait de si bien servir à Montereau ? Il valait donc bien mieux, nous le répétons, préconiser l’action commise sur le duc Jean par Duchâtel que de l’anéantir.

Quoi qu’il en fût, lorsque les gardes extérieurs virent tomber du monde sur le pont, ne sachant qui c’était et n’étant point appelés, il ne bougèrent pas.

On emporta le dauphin presque évanoui ; ses larmes coulèrent ensuite et son chagrin fut bien sincère. Le corps du duc resta sur le pont jusqu’à ce que le curé de Montereau vint l’enlever pour lui rendre les derniers devoirs. Il le trouva presque nu.

Il semble, après tout ce qui vient d’être dit, qu’il est impossible d’établir maintenant aucun doute sur l’auteur de la catastrophe du pont de Montereau. Quelque certitude que dussent en avoir les deux partis, il s’entama pourtant une sorte de procédure. L’on entendit beaucoup de dépositions, qui se contrarièrent, et desquelles il fut impossible de tirer aucun éclaircissement : une chose existait, le duc de Bourgogne venait d’être assassiné ; mais par quelles mains ? Ceux qui ne veulent pas convenir que ce fut par celles de Tanneguy doivent assurément flotter bien davantage dans leur opinion en parcourant la procédure. On s’était servi d’une hache, Tanneguy était le seul qui en eût une, lui seul avait mis la main sur le duc, lui seul se félicitait d’avoir vengé d’Orléans : que faut-il donc de plus pour convaincre ?

On soupçonna Barbasan : pouvait-on alléguer contre lui aucune des preuves qui militaient contre Duchâtel ? D’abord il n’était pas sur le pont, et on l’entendit toujours dire que cette action déshonorait le dauphin au lieu de le servir[2].

À l’égard des torts qui avaient mérité ce traitement au duc de Bourgogne, ils étaient authentiques. Qu’on se rappelle pour s’en convaincre et sa conversation avec Isabelle, et la manière dont il obéit à ce qui lui fut recommandé dans cette entrevue, dès qu’il fut en présence du dauphin.

Charles de Bourbon, très attaché au parti de Jean, convint lui-même que ce duc avait tort et il le prouva en abandonnant aussitôt son parti pour passer à celui du dauphin. Cette même assertion Bourbon la soutint par la suite, au fils du duc de Bourgogne qui lui reprochait sa défection.

Ceux qui veulent avec autant d’injustice que de déraison attribuer au dauphin une aussi cruelle vengeance se rejettent sur l’inégalité des forces de l’un et l’autre prince dans ce rendez-vous. Le duc Jean, assurent-ils, avait à peine cinq cents hommes d’armes dans le château, pendant que le dauphin avait plus de vingt mille hommes à lui dans la ville : mais, cela fût-il vrai, serait-ce une raison pour inculper un jeune prince qui, dans tout le cours de sa vie, nous montra des vertus douces et pacifiques bien éloignées du genre de crimes qu’on voudrait lui supposer ici ? Le duc de Bourgogne provoqua la colère du dauphin ; le récit de l’aventure vient de le prouver ; nous venons également de voir le motif qui le faisait agir ; mais sont-ce là des raisons pour que le dauphin l’ait fait tuer ? pour qu’il en ait même donné l’ordre ? Non, certes, le mouvement peu respectueux du duc est à l’instant réprimé par les partisans du dauphin qui, très aises de trouver un motif de venger la mort du duc d’Orléans au parti duquel ils tiennent tous, saisissent cette occasion pour se défaire de celui qui tua leur chef.

N’allons pas chercher d’autres causes, voilà les seules ; et gardons-nous surtout de croire qu’un jeune homme tel que le dauphin, loyal, franc, généreux, eût voulu se souiller d’un tel attentat. Eh ! non, non, un prince tel que se montra Charles VII peut s’endormir sur le sein d’Agnès, mais n’assassine pas les gens sur un pont[3].

Ce crime fut donc le seul fruit des circonstances, le seul résultat de la funeste conversation de la reine avec un homme qui n’osa rien, mais qui provoqua tout, après avoir cédé trop promptement aux séductions d’un monstre qui, profitant de sa faiblesse qu’elle lui connaissait, lui faisait toujours commettre tous les crimes qui devenaient utiles à leurs intérêts communs.

Mais pourquoi, demande-t-on ici, les seigneurs des deux partis ne se battirent-ils pas les uns contre les autres ? ils le devaient dans un pareil cas.

Ils ne le devaient point : ceux du dauphin ne s’occupaient qu’à le garantir ; les armes devaient tomber des mains de ceux du duc de Bourgogne, en reconnaissant l’indécence et la témérité de son action. Il manquait à l’héritier du trône, il avait donc tort.

Mais poursuivons ; c’est assez discuter des faits ; les opinions ont été trop partagées, à cet égard, pour que nous osions donner les nôtres comme des lois.

Jaquelin, l’un des secrétaires du duc, resté dans le château, partit pour Londres dès le moment même, ainsi que nous l’avons dit, emportant avec lui le testament du duc, dont nous avons tiré la conversation citée plus haut, qu’il eut avec Isabelle la veille de l’événement.

À l’égard de cette princesse, son désespoir fut affreux quand elle apprit à quel point avaient mal tourné ses conseils. La violence des accès de sa douleur fit craindre un moment pour sa vie. Ne doutant pas que son fils fût cause de cet événement, elle sentit redoubler la haine qu’elle lui portait, et ne pensa plus qu’à la vengeance. Les plaisirs de cette détestable passion adoucissaient en elle les peines qu’elle prenait à l’assouvir, en sorte qu’elle était souvent fort aise d’éprouver les contradictions qui devaient donner libre cours à son caractère atroce.

Elle fut se jeter aux pieds du roi pour solliciter une vengeance qu’elle ne devait pas obtenir de lui, qu’il y avait même de l’indiscrétion à demander ; mais son âme électrisant ceux qui l’entouraient, elle eut l’art d’associer à sa douleur tous ceux qui l’écoutaient. Les habitants de Paris, désolés, jurèrent entre les mains du comte de Saint-Paul de venger cette mort, et le comte fit le même serment.

De ce moment la croix de Bourgogne fut généralement arborée, et le parti du jeune Charles baissa tellement par les soins perfides de cette marâtre, qu’on fut jusqu’à lui contester ses droits : on ne l’appelait plus dans Paris que le soi-disant dauphin.

Les obsèques du duc de Bourgogne furent magnifiquement célébrées ; leur pompe égala celle des rois. On prononça son oraison funèbre et l’authenticité que l’on mit à ces cérémonies répétées dans toutes les églises ranima plus que tout le désir de la vengeance dans l’âme des Parisiens. Toutes les villes se réunirent dans le même esprit.

Le dauphin écrivit, promit, menaça : rien ne put rompre la confédération ; il semblait que la monarchie fût à l’instant de sa ruine, tandis qu’elle ne perdait que celui qui avait cherché à la détruire. Mais dans tout cela, on ne fit pourtant aucune démarche capable de désarmer le courroux de la reine, ou, comme disent les historiens, pour réduire son ressentiment dans un silence qui eût pu lui épargner bien des crimes.

Maintenant jetons de sang-froid un coup d’œil rapide sur l’homme célèbre qui vient de nous occuper si longtemps. Le duc de Bourgogne, brave à l’armée, faible au conseil, concevait l’idée de tous les forfaits qui pouvaient l’élever au plus sublime degré de splendeur, mais manquait presque toujours de l’énergie nécessaire à leur exécution. Heureusement susceptible de remords, ses mains toujours frémissantes manquaient le but que lui désignait le génie le plus ardent. Sujet à des tergiversations qui paralysaient souvent le mal qu’il imaginait, il n’en fut pas moins bien dangereux pour son pays, qu’il eût peut-être rendu moins malheureux, sans les instigations du monstre dont il était l’agent.

Isabelle fit adresser au nom du roi à toutes les villes du royaume une déclaration fulminante dans laquelle elle ordonnait au nom du monarque, à tous les sujets, sous peine du crime de lèse-majesté, de se retirer du service du dauphin Charles, infracteur d’une paix deux fois consacrée par ses propres serments. Et afin que chacun connût les mauvaises intentions de ce jeune prince, nous voulons, faisait-elle dire au monarque, que ces présentes soient publiées deux fois.

Mais tout cela ne pouvait encore assouvir sa vengeance ni apaiser la haine qu’elle nourrissait contre un fils coupable, croyait-elle, d’un meurtre qui la privait du complice de tous ses crimes.

Plus elle était malheureuse, plus elle devenait redoutable. Se jetant alors avec impétuosité du côté des Anglais, elle les excita à se rapprocher d’elle pour agir de concert et avec plus de fruit. D’un autre côté, elle encourageait le jeune duc de Bourgogne à venir embrasser avec elle une vengeance que devait lui inspirer la nature.

Le jeune prince se rendit à cette invitation avec une chaleur qui ne pouvait que l’honorer, dès qu’il n’y voyait que la punition des meurtriers de son père.

Impétueux, bouillant, plein des vertus qui caractérisent un bon fils et de celles où doit aspirer un grand prince, le nouveau duc mit tout en usage pour venger son père. Il promit à l’Anglais des moyens supérieurs à ceux qu’avait offerts le duc Jean. Une fortune égale à celle de son père, et une chaleur émanée d’une âme sensible bien plus que d’une tête ambitieuse, devaient lui mériter de la confiance… Si la reine avait mis tant d’empressement à l’appeler près d’elle, c’est qu’elle avait senti la conformité de leurs intérêts ; elle se servait en le servant et ce fut peut-être là que l’on vit une de ces occasions aussi rares qu’extraordinaires où le crime s’étaie de la vertu en feignant de la servir.

Jamais Henri V n’avait eu une chance aussi heureuse et ici le hasard le servait mieux que sa fortune. Plus de contestations, plus d’incertitudes ; on lui offrait la couronne de France, objet de ses uniques désirs ; il ne lui restait plus qu’à l’accepter ; La reine et le jeune duc avaient promis la paix ; tout se trouvait d’accord ; il paraissait que l’on n’attendait plus que le temps nécessaire pour préparer par décence le peuple français à un genre de révolution si loin de sa franchise et de sa loyauté.

Pendant que le dauphin tâchait de rassembler vers le Midi tout ce qui pouvait lui rester de partisans, afin de reconquérir quelques débris de ses états, le roi d’Angleterre faisait au nord les plus grands progrès.

Ce fut enfin à Arras que les plénipotentiaires anglais, français et bourguignons consommèrent la honte et les malheurs de la France.

La reine ne voulut pas y admettre les ambassadeurs du dauphin ; elle le croyait coupable : il ne l’était pas ; mais l’eût-il été, quelle vengeance pour une mère !

Cette marâtre ambitieuse, résolue à déshériter son fils ainsi qu’à faire passer le sceptre dans les mains du roi d’Angleterre, après lui avoir fait épouser sa fille, n’était arrêtée par aucun scrupule, et le duc de Bourgogne favorisait aveuglément ces dangereux projets.

Les premières clauses du traité d’Arras étaient :

1° Que le roi d’Angleterre épouserait la princesse Catherine.

2° Que Charles VI, devenu par là le beau-père d’Henri V, continuerait de régner et, qu’attendu son incapacité, Henri serait déclaré régent.

3° Que les ordres de l’état lui prêteraient serment en cette qualité et s’engageraient à le reconnaître comme souverain, immédiatement après la mort de son beau-père.

Cet acte fut suivi d’une trêve ; mais en sa qualité d’Armagnac, le dauphin en fut exclu par la reine et par le duc de Bourgogne, et il fut même décidé que les trois contractants se prêteraient un mutuel secours pour lui faire la guerre.

Enfin, on arrêta par le même traité que l’un des frères d’Henri V épouserait la sœur du duc de Bourgogne. Tout, on le voit, se préparait donc ainsi à l’asservissement total de notre malheureuse patrie ; et quelles mains ébranlaient l’édifice ? celles à qui les devoirs les plus sacrés imposaient la loi de le soutenir.

Eh voilà donc où conduisaient les passions ! Religion, humanité, bienfaisance, honneur, gloire, réputation, sentiment de la nature, tout s’immole aux pieds de leurs autels… Honteuse dégradation et pourtant plus à l’avantage de la vertu qu’on ne pense, puisque les malheurs deviennent toujours le partage de ceux qui la trahissent ou qui l’abandonnent !

Le duc de Bourgogne fut à Troyes où se trouvait alors la cour ; il y fut reçu par le roi avec toutes les marques de distinction que la reine elle-même avait eu bien soin de prescrire.

Pendant ce temps, Henri V poursuivait sa marche triomphale, environné d’une simple garde de seize cents hommes. Ce n’est plus un héros, qui ne doit ses lauriers qu’à la rapidité de ses victoires, c’est un conquérant qui vient jouir de ses triomphes.

Lorsqu’il passa à Charenton, les habitants de Paris vinrent lui présenter des vins délicieux qu’il reçut avec la plus parfaite indifférence.

Il s’avança ensuite vers Provins. Ce fut de cette ville qu’il fit signifier son approche au roi qu’il détrônait ; mais, ainsi qu’il arrivait toujours dans des occasions importantes, la maladie de Charles ou se calmait ou redoublait chaque fois que l’on pouvait désirer ou craindre le retour de sa raison.

Isabelle, profitant de la circonstance, se fit aussitôt expédier, tant pour elle que pour le duc de Bourgogne, le pouvoir de représenter le souverain ; et c’était en vertu d’un acte signé par un fou et remis entre les mains du crime qu’on allait disposer du destin de la France.

Henri arriva à Troyes le 20 mai 1420. Dès le jour suivant furent signifiées les bases du honteux traité dont nous venons de rendre compte.

Charles remit au même instant à Henri la régence du royaume, et tous les ordres de l’état vinrent lui prêter serment en cette qualité. De son côté, l’Anglais promit de maintenir les droits et les privilèges de la nation, n’exceptant de cette faveur que les biens de ceux qui refuseraient de ratifier l’acte qu’il contractait.

Quelque intéressant que soit ce traité qui tient plus à l’histoire de France qu’à des mémoires particuliers, après avoir dit la part qu’eut Isabelle à cette monstruosité, nous renverrons nos lecteurs aux détails de l’histoire du règne de Charles VI[4].

Nous nous contenterons donc ici de faire une seule réflexion : c’est que cet acte important se détruit par les clauses mêmes qui le constituent, dont la première est l’imbécillité du prince mentionné dans le dit acte, et la seconde l’impossibilité où est un roi de France de déshériter celui de ses fils que les lois et les constitutions du royaume destinent à son trône après lui, ainsi que tous les princes qu’appelle leur naissance à la succession de l’héritier présomptif. Il y a mieux : c’est qu’à supposer que Charles VI n’eût laissé personne de sa race, il n’avait pas même encore le droit de disposer du sceptre. Mais que ne font point faire à une femme comme Isabelle l’ambition, l’avarice et la vengeance ?

Le flambeau des passions est à l’homme faible, qu’il égare, ce qu’est au voyageur le fanal dont il se sert dans les catacombes : aussitôt que celui-ci s’éteint, il nous laisse au milieu des cadavres, comme l’autre au sein des horreurs dès que sa flamme se dissipe.

Une femme telle que celle dont nous écrivons l’histoire se livre bientôt à tous les crimes dont sa puissance lui assure l’impunité : de ce moment, elle méconnaît les lois les plus sacrées de la nature et n’est plus digne que de la haine des contemporains qu’elle abuse et du mépris de la postérité qui la juge.

Le lendemain de la signature de l’acte, le roi d’Angleterre fiança la princesse Catherine en présence de Charles, de sa perfide épouse et du duc de Bourgogne, le seul des princes du sang qui voulut assister à cette cérémonie, honorée d’ailleurs d’une multitude de seigneurs anglais et français. Les citoyens de Troyes furent, à leur honte, les premiers à prêter le serment sacrilège que des perfides et des traîtres osaient exiger d’eux. On sent bien qu’Isabelle avait chèrement payé une aussi criminelle infidélité. Il faut qu’un Français soit séduit pour se montrer parjure : trahirait-il à la fois son prince et sa patrie s’il n’avait écouté que son cœur ?

Le mariage de Henri fut retardé jusqu’au 2 juin, époque à laquelle l’archevêque de Sens fit la cérémonie de cet hymen, bien coupable sans doute, puisqu’il devenait le gage et le lieu de la plus affreuse trahison, et que la perfide Isabelle consentait à déshonorer sa fille pour déshériter son fils.

Le soir du mariage, une de ses dames d’honneur eut la courageuse audace de hasarder quelques réflexions sur ce que venait de faire sa maîtresse. « Quand on n’a pas plus d’élévation que vous dans les sentiments, Madame, répondit Isabelle, on n’entend rien à ce qui constitue la fierté d’une reine. Le dauphin a fait assassiner le duc de Bourgogne, il a plongé le poignard dans mon cœur en perçant celui de ce prince ; je ne dois plus voir en lui que mon bourreau. Philippe de Bourgogne venge son père, quand le dauphin fait mourir sa mère : de ce moment, je dois à l’un vénération, service et amour ; ne pouvant étouffer l’autre comme fils ingrat et meurtrier, je le déshérite, je fais passer ses droits entre les mains de Henri… d’un prince rempli de vertus, de talents et pour le trône et pour la guerre. Je sers donc la nation française plus qu’on ne le croit en lui donnant pour la gouverner le plus grand homme de l’Europe au lieu d’un meurtrier, un héros au lieu d’un parricide et d’un lâche. »

Tels étaient les astucieux paradoxes dont cette marâtre étayait ses horreurs… Ô vertu, que ton ascendant est irrésistible puisque tu contrains même le vice à emprunter ton éclat qui le blesse !

Quel que fût l’amour du roi d’Angleterre pour la princesse qu’il venait d’épouser, à peine accorda-t-il un jour aux douceurs de l’hymen, il marcha promptement à la conquête des villes qui lui restaient à soumettre : Sens, Montereau lui ouvrirent leurs portes, ce ne fut pourtant que par un assaut qu’il put se rendre maître de cette dernière place, et ce fut à ce siège que les Français durent sentir de quelle différence était pour eux le sceptre d’un monarque de leur nation ou celui d’un prince étranger. Sur le refus que la garnison du château de Montereau fit de se soumettre, elle fut sommée de le faire, et l’Anglais fit pendre aux murs de cette citadelle tous les prisonniers qu’il avait faits dans la ville.

Le duc de Bourgogne, qui le secondait avec ses troupes, offrit un exemple de piété filiale, près de la férocité de son allié. Il ne voulut pas quitter Montereau, sans rendre les derniers devoirs à son père, dont il fit placer les dépouilles mortelles à Dijon dans la chartreuse voisine de cette ville, monument fondé par ses ancêtres et dans lequel reposaient leurs cendres[5].

Le roi d’Angleterre, suivi de la cour de France, marcha de là vers Paris. En passant par la ville de Melun, où le prince d’Orange vint voir le duc de Bourgogne auquel il était fort attaché, Henri lui proposa la prestation du serment ; mais le prince, en refusant avec fierté, prouva que si l’honneur s’exilait un instant du cœur des citoyens français, celui des princes lui offrait toujours un asile.

Chaque jour, Henri faisait repentir la nation du coupable serment qu’elle lui avait fait. À chaque pas la reine s’abreuvait du venin des serpents que sa main venait d’agiter. Le séjour que Henri fit à Melun offrit un nouveau trait de l’inhumanité du cœur de cette femme. En attaquant la place, il avait promis aux soldats et aux officiers de la garnison de les laisser sortir avec les honneurs de la guerre ; mais il les fit tous arrêter sous les remparts et conduire dans les prisons de Paris, où la moitié périt de faim et de misère. Plusieurs de ces malheureux furent même écartelés sur la fausse imputation d’avoir coopéré à l’assassinat du duc de Bourgogne.

Comme Isabelle avait longtemps habité Melun, on ne douta pas que ce trait de férocité ne fût son ouvrage, pour se venger de quelques habitants de cette ville dont elle pouvait avoir à se plaindre. Ainsi cette femme aussi adroite que méchante, armant toujours Philippe contre les assassins de Jean, détournait néanmoins à son gré les effets de la vengeance de ce jeune prince, toutes les fois qu’ils pouvaient servir à la sienne.

Enfin, le monarque anglais, suivi de Charles VI, d’Isabelle et du duc de Bourgogne, firent leur entrée dans la capitale, où ils furent reçus avec tous les témoignages de distinction que pouvaient permettre le malheur des temps. Le bon citoyen de Paris frémissait de voir un monarque anglais s’emparer de sa ville ; et si quelques signes de consolation paraissaient en lui, ils naissaient de la joie de revoir son véritable souverain après une si longue absence : placé de cette manière entre la tendresse et la haine, les larmes versées sur celui qui faisait naître le premier sentiment se séchaient bientôt dès que les yeux qui les répandaient se tournaient un instant sur l’autre.

Charles fut s’enfermer à l’hôtel Saint-Paul. Ses pénates sourirent aussitôt qu’il parut, et l’or des lambris du Louvre se ternit en voyant un Lancastre au trône de Clovis.

Parmi les jeux qui furent célébrés en cette occasion, on représenta des Mystères, spectacle à la mode pour lors, et dont on peut se donner une idée dans les bas-reliefs qui entourent le chœur de la cathédrale de Paris.

Peu de temps après, Henri convoqua des espèces d’états généraux ; il s’agissait d’un emprunt forcé : beau début pour un nouveau prince !… Mais comme cet impôt ruinait la France, il devenait digne d’un Anglais.

L’état auquel on réduisait le dauphin n’assouvissait pas encore assez la barbarie de sa coupable mère : ne s’occupant qu’à le perdre entièrement, elle imagina pour cela de faire demander par le duc de Bourgogne justice du meurtre commis à Montereau, dont ce jeune prince était loin d’être coupable ; et qui, grand Dieu, l’en eût pu soupçonner un instant, après les larmes sincères qu’avait fait couler de ses yeux un crime qu’il détestait. N’importe, l’arrêt fut prononcé et le dauphin fut déclaré meurtrier de Jean de Bourgogne et comme tel, lui et ses complices coupables du crime de lèse-majesté au premier chef, privés de toutes successions et honneurs et leurs sujets, leurs vassaux affranchis des serments de fidélité qu’ils auraient pu faire à de tels maîtres.

« Sire, dit Isabelle au roi d’Angleterre, le surlendemain du jour où cet insigne arrêt fut rendu, ce coup d’autorité nous venge tous et satisfait le juste courroux de votre allié ; il affermit vos droits à la couronne de France, en vous défaisant d’un traître incapable de la porter. Il punit un fils de tout le mal qu’il a fait à sa mère et dont rien n’éteindra jamais le souvenir.

— Madame, répondit Henri, je servirai toujours et de tout mon pouvoir une cause aussi sacrée, et mes intérêts ne sont rien quand les vôtres parlent aussi hautement ; votre illustre fille a fait mon bonheur, vos conseils l’ont consolidé ; je me dois tout entier à vous. »

Les actions de ce prince répondaient à merveille aux sentiments qu’il manifestait : tout ce qui déplaisait à la reine fut à l’instant changé ; les emplois de l’armée ou de la maison royale n’appartinrent plus qu’à ceux que désignait Isabelle, qui par le moyen de sa fille obtenait tout sur l’esprit de son gendre.

Le commandement de Paris fut ôté au comte de Saint-Paul pour être conféré au duc de Clarence ; le Louvre, Vincennes, la Bastille, tout fut gouverné par les créatures de Henri et de sa belle-mère ; à peine laissa-t-on quelques vieux serviteurs auprès du roi de France et, pendant que Henri étalait au Louvre le luxe le plus insolent, le malheureux Charles manquait de souliers et de pain ! Le Français consterné s’observait, n’osant ni interroger ni répondre ; il disait en versant des larmes : Eh ! qu’y ferions-nous maintenant ? tout cela n’est-il pas notre ouvrage ?

Oubliant les services que le maréchal de l’Isle-Adam avait rendus à la faction bourguignonne, sur la fausse inculpation qu’il avait ouvert Paris au dauphin, Isabelle ayant sans doute encore d’autres motifs d’en vouloir à ce seigneur, engagea Henri à le faire mettre en prison, où il resta jusqu’à la mort de Charles. Voilà comme, sous le prétexte du plus léger mécontentement, cette femme ingrate et vindicative abusait de son crédit auprès du monarque anglais, pour le rendre l’aveugle instrument de toutes ses passions.

Le ciel voulant enfin punir l’habitant de Paris de la prépondérance qu’il accordait à un monarque étranger sur le sien, livra sa ville aux fléaux les plus destructeurs.

Les derniers mois de 1420 et les premiers de 1421 furent affreux. Il est impossible de dépeindre à quel point l’hiver étendit ses frimas. Le manque de vivres, réuni à cette première adversité, métamorphosa bientôt cette ville en un horrible désert ; les bêtes féroces, en s’y réfugiant, vinrent arracher au misérable le peu de vivres qu’il se procurait avec des peines infinies. Les rues étaient jonchées d’infortunés à demi-nus, cherchant dans les ordures ou parmi les animaux les plus vils de tristes aliments au besoin qui les consumait.

On fut obligé de fermer les boutiques, parce que le pauvre dérobait en passant ce qui pouvait le garantir du froid ou de la faim.

La mère voyant son lait glacé dans un sein flétri et ne pouvant substanter le fruit de son hymen, le déposait au coin des rues, où des êtres que la disette transformait en tigres le saisissaient pour le dévorer.

Nul secours n’entrait dans la capitale ; aucun de ceux qui pouvaient en donner n’imagina d’en offrir. Henri ne vit rien, ne secourut personne ; Isabelle ne retrancha rien à son luxe. Pendant que la misère assiégeait l’hôtel de son époux, pendant que ce malheureux prince, n’ayant qui que ce fût autour de sa personne se trouvait réduit, pour sa subsistance, presque au seul pain béni que lui envoyait sa paroisse, on voyait sa criminelle épouse tenir le plus grand état chez elle, et mise comme pour une fête, se promener effrontément dans Paris… dans Paris qui la laissait vivre, parce qu’il est des fléaux que la main du ciel ne retire de dessus la tête des hommes que quand sa colère est apaisée.

Dès que le dauphin eut appris sa condamnation, il en appela à Dieu et à son épée et continua, en sa qualité de régent du royaume, de vaquer à tout ce qui était nécessaire pour le bien de l’état ainsi que pour le sien. Il convoqua le parlement et l’université dans Poitiers ; mais les chagrins qu’il venait d’éprouver, joints à ceux que lui firent ressentir le départ du duc d’Anjou pour l’Italie et la mort du frère puîné du duc d’Orléans, lui causèrent une maladie fort dangereuse qui, en affaiblissant l’espoir de réparer bientôt ses malheurs, nourrit celui qu’avait la reine de l’en voir promptement accablé. Aussitôt qu’il le put, il négocia en Écosse et en obtint sept milles hommes : cette circonstance, ainsi que quelques autres pour le moins aussi importantes, déterminèrent enfin Henri V à repasser en Angleterre.

Cependant le gain de la bataille de Beaugé, où les Anglais perdirent trois mille hommes et leur général le duc de Clarence, frère du roi, la prise de quelques places, tant en Angoumois qu’en Normandie, quelques autres succès réunis à ceux-là, ravivèrent un peu l’espoir du dauphin et consternèrent Isabelle, qui ne respirait que pour la perte de son fils et la destruction d’un parti qu’augmentaient chaque jour ces différents avantages. Henri sentit dès lors qu’il lui devenait nécessaire de rentrer en France ; il y revint en 1421, laissant sa femme enceinte à Londres, et ayant confié la régence de ses états au duc de Bedford.

Isabelle et Philippe de Bourgogne furent à sa rencontre. Là, cette femme toujours passionnée, toujours vindicative, détermina Henri à marcher vers la capitale, et Philippe à rassembler des troupes pour s’opposer aux progrès du dauphin, dont cette marâtre ne pouvait se consoler.

Dès que le roi d’Angleterre fut à Paris, Isabelle, pour lui procurer les fonds nécessaires aux expéditions qu’elle méditait contre le jeune Charles, conseilla au monarque de la Grande-Bretagne une réforme sur les monnaies, qui les réduisant à un quart de leur valeur, plaça des sommes considérables dans les coffres de Henri, ruina les propriétaires et fit la fortune des fermiers.

On juge de l’effet que produisit une telle opération, dans une ville déjà déchirée par tant de plaies. On eut beau se plaindre, il fallut obéir : rien ne résiste à la rapacité des princes quand la tyrannie la soutient.

On suppose aisément que cette altération ne fut pas désavantageuse à la reine : nous ne connaissons que trop avec quel art elle sut de tous temps profiter des malheurs de l’état.

De ce moment les ennemis du dauphin, soutenus par ce secours, ne tardèrent pas à réunir leurs forces et à travailler de concert à la défaite totale de celui qu’ils voulaient perdre. Tout tendit à ce but important.

Nous ne suivrons dans leur marche aucun des chefs de ces différents partis, de tels faits d’armes appartenant uniquement à l’historien ; d’ailleurs nous nous sommes déjà expliqués sur l’inutilité où nous nous croyons d’entreprendre d’autres récits que ceux qui touchent la personne dont nous écrivons la vie.

Ce fut au siège de Meaux, fait par Henri V, que ce prince apprit la nouvelle de l’heureux accouchement de son épouse, venant de mettre au monde un prince qui régna depuis sous le nom de Henri VI ; ce qui rendait alors Isabelle à la fois belle-mère et grand-mère des monarques anglais : liens bien plus flatteurs pour elle que ceux qui l’attachaient au malheureux dauphin qu’elle ne cessait de persécuter.

En raison de cette naissance, Isabelle ordonna dans Paris des fêtes superbes, qui s’y renouvelèrent en juillet 1421, lorsque la reine d’Angleterre, relevée de ses couches, vint rejoindre son mari en France.

Là, malgré sa misère, malgré les maux qui venaient de l’accabler, le timide habitant de Paris fut obligé de donner des réjouissances superbes à un roi qu’il détestait et à la femme de ce roi, fille de celle qui causait tous ses maux.

On leur donna sur un théâtre dressé à l’hôtel de Nesle une représentation de la vie de Monsieur Saint-Georges, chevalier et patron de la Grande-Bretagne, comédie qui dura deux jours.

Ce fut à l’arrivée de cette jeune princesse qu’on remarqua, comme une chose singulière, les deux manteaux d’hermine qu’on portait en avant de la litière.

Après ces fêtes, Henri, voulant à son tour en faire exécuter pour le même événement, y plaça ce que nos anciens rois appelaient une cour plénière. Le festin le plus magnifique fut servi dans la grande salle du Louvre ; ce qui donnait occasion au Français de comparer à son aise le faste insolent de son nouveau roi avec l’aménité, l’affabilité de ses anciens maîtres. Il mêla aux signes d’une joie feinte les soupirs d’un regret plus véritable et surtout plus sincère que les vaines démonstrations d’une gaieté dont la source n’était point dans son cœur. Ses yeux se tournant sur la triste habitation de son véritable prince se remplissaient de larmes, en le voyant, humble spectateur de ces joies indécentes, manquer des choses les plus nécessaires à la vie.

Ô monstre, unique cause de ces douloureux contrastes, n’éprouvas-tu donc nul remords ?… Aucun… aucun sans doute : le remord bien souvent ramène à la vertu, et ton cœur était trop loin d’elle.

Quelques mémoires secrets rapportent qu’un homme déguisé l’aborda dans une de ces fêtes, et lui dit à l’oreille : Athalie ne se repentira-t-elle donc jamais de tourmenter Joas ? — Je ne me repens que de t’avoir laissé la vie, répondit Isabelle, en reconnaissant le seigneur qui lui parlait ainsi pour un des plus fermes partisans de l’ancienne faction orléanaise, et comme je n’aime pas le remords, poursuivit-elle, va subir ton destin. Elle le fit aussitôt arrêter et plonger dans une prison, d’où il ne sortit de ses jours.

Mais il devait enfin tonner dans son âme, ce cri terrible du remords : il s’éveille toujours où les passions s’endorment.

Il restait encore des cœurs français dans la capitale. Une femme (car c’est presque toujours dans l’âme ardente des femmes que s’allume cette sorte de courage qui conduit aux grands crimes, ou aux grandes vertus ; comme si la nature en leur prodiguant tous ses dons, voulait encore, afin de balancer notre empire, accorder à ce chef-d’œuvre de sa puissance tout ce qui doit augmenter la sienne), une femme enfin, une armurière, conçut le projet d’ouvrir Paris au fils intéressant de son véritable souverain. Le coup manqua, et cette infortunée livrée à la justice du roi d’Angleterre alla recevoir des mains de Dieu seul les palmes qu’il accorde à la vertu courageuse. Elle périt sur un échafaud… Combien de fois en révolution l’innocence y rencontre-t-elle le premier degré du temple et de la gloire ? Plusieurs de ses complices périrent avec elle.

Cet acte vraiment patriotique ne valut aux habitants de Paris que des chaînes de plus, et les précautions prises à ce sujet furent marquées au coin de la plus détestable tyrannie.

Ce fut un prêtre qui révéla ce noble projet, et qui par conséquent le fit échouer. Pourquoi trouve-t-on aussi souvent les ministres de Dieu ennemis de leur prince ? Oublient-ils que ce prince donné par le ciel même, en devient l’image sur terre ? Serait-ce parce qu’ils voudraient régner seuls, qu’ils se déclareraient les antagonistes du pouvoir du roi ? que, souverains dans le spirituel et sujets dans le temporel, ils traiteraient de chimérique toute autorité qui n’est pas la leur ? Si cela est, quelle caste à surveiller dans un état !

Mais revenons et ne cessons de nous plaindre de la triste obligation où nous sommes de n’employer jamais que le pinceau du crime, chaque fois que nous devons tracer l’affreux caractère d’Isabelle. Ô femme trop célèbre, pourquoi ne t’es-tu pas quelquefois montrée telle par des vertus ? Leur récit adoucirait du moins la pénible tâche de l’écrivain qui, devant t’offrir telle que tu fus, n’a jamais que des horreurs à peindre.

On se souvient que le duc de Bourgogne avait épousé la princesse Michelle, l’une des filles de la reine et de Charles VI. Cette femme adorée de son époux faisait absolument de lui tout ce qu’elle voulait. La reine craignit que l’attachement que Michelle portait également au dauphin son frère n’opérât entre cet héritier de la couronne et Philippe un raccommodement qui dès lors ferait perdre à Isabelle toutes les espérances de fortune qu’elle fondait sur le monarque anglais, qui serait bientôt chassé du royaume si les affaires du jeune Charles venaient à s’accommoder. En conséquence l’adroite Isabelle plaça près de la duchesse de Bourgogne, sa fille, une certaine dame de Viesville qui instruisait la reine de tout. Du moment que, par des rapports fidèles, la dame de Viesville eut appris à la reine que le désir de ce rapprochement si redouté d’Isabelle était vivement sollicité par la princesse Michelle, des ordres d’une très grande sévérité furent donnés à la dame de Viesville, et leur effroyable résultat fut l’empoisonnement de cette fille si différente de son odieuse mère et si remplie de toutes les aimables qualités qui la faisaient également chérir de son époux et de ses sujets. La dame de Viesville fut d’abord mise en prison, par un ordre très politique de la reine, et bientôt relâchée par un second ordre, comme on l’imagine aisément.

Quoi qu’il en fût, cette mort de Michelle brisait tous les liens qui pouvaient réunir un jour les deux partis, et les vœux d’Isabelle se trouvaient exaucés : chef-d’œuvre d’atrocité sans doute, puisque ce monstre empoisonnait sa fille dans la seule vue de précipiter son fils au sein du malheur et de la misère.

Mais la main du ciel allait bientôt ravir à cette créature odieuse le fruit qu’elle espérait retirer de tous ses crimes. Celui qui les lui inspirait, celui sur lequel tout son espoir se fondait touchait aux portes du tombeau.

Henri était à Melun, il se préparait à voler au secours du duc de Bourgogne pour achever d’écraser le dauphin, lorsqu’il ressentit de si vives douleurs qu’on fut obligé de le transporter dans une litière au donjon de Vincennes, où il mourut d’une fistule, maladie dont la guérison n’était pas encore connue des médecins.

À peine le sut-on en danger que Warwick et Bedford arrivèrent sur-le-champ, et ce fut entre leurs mains que ce monarque remit ses dernières volontés. Celle qu’il exprima le mieux fut de secourir toujours le duc de Bourgogne et de ne jamais se raccommoder avec le dauphin. Il laissait à Philippe la régence du royaume de Charles VI, et à son refus, au duc de Bedford. Il remit celle du royaume d’Angleterre à son autre frère, le duc de Glocester.

Ces dispositions faites, il expira avec toute la fermeté d’un héros ; mais non sans doute avec cette tranquillité de conscience qui, n’étant le fruit que de la vertu, ne pouvait pas être le partage d’un homme qui mettait la force à la place du bon droit, l’artifice et la fraude à celle de la franchise et de la vérité, venait impunément s’emparer de ce qui ne lui appartenait pas et devenait par cette usurpation la cause seconde de tous les malheurs de la France.

Quand le duc de Bourgogne revint pour assister à ses obsèques, on lui offrit la régence du royaume d’après le testament. Mais malgré les plus vives instances de la reine, il refusa.

« Me voilà perdue, dit Isabelle ; je n’ai plus de soutien… Au moins pourquoi n’accepte-t-il pas cette régence, pour me la céder ensuite ? »

Mais il semblait que depuis la mort de la princesse Michelle, l’intérêt que Philippe prenait à la reine n’était plus le même.

Le crime se trompe quelquefois dans ses calculs et ce qu’on croit obtenir de lui n’est bien souvent que des remords. Puisse cette vérité se graver dans l’âme de tous les méchants qui veulent le commettre, oui, puisse-t-elle s’y imprimer à jamais autant pour leur propre repos que pour celui de leurs malheureuses victimes.

Philippe déféra la régence au duc de Bedford, qui fut reconnu sans contradiction. Mais ce qui dut pourtant consoler la reine, c’est que la mort de Henri, loin de fortifier le parti du dauphin, ne rendit ses infortunes que plus promptes et plus actives. Le duc de Bretagne l’abandonna, et il parut que la reine fut la seule cause de cette défection : ne pouvant lui conserver ses ennemis, elle diminuait au moins le nombre de ses amis ; quand la vengeance ne peut s’étendre, elle tâche de s’apaiser par ce qui lui reste.

Toutes ces différentes choses ne contribuaient pas au retour de la santé de Charles ; ce malheureux monarque dépérissait à vue d’œil ; il se joignait à son délire ordinaire des attaques d’une fièvre quarte, dont les accès redoublaient. La reine crut voir arriver l’instant où elle allait être privée d’un époux qui lui devenait nécessaire dans le discrédit où elle commençait à tomber, et dont elle ne pouvait surmonter l’idée qu’au moyen de ce fantôme d’autorité dont elle pouvait encore tirer avantage. D’une autre part, elle sentait que plus le danger de perdre le roi s’augmentait, plus les affaires du dauphin devaient s’améliorer : il était démontré que ce prince n’aurait pas plus tôt remplacé son père que la reine serait exilée : elle avait trop de tort et envers ce fils et envers l’état, pour qu’il fût possible de lui faire grâce. De telles combinaisons suffisaient, à une tête comme celle d’Isabelle, pour la porter à un dernier crime qui la dégageât du moins de l’homme du monde qu’elle redoutait et qu’elle haïssait le plus. Elle avait tant de fois fait usage de poison qu’elle craignait d’être soupçonnée en faisant une nouvelle tentative de ce genre : elle imagina donc pour faire périr son fils un moyen aussi épouvantable sans doute, mais dont on devait moins se défier.

Sachant que le dauphin devait tenir un grand conseil à La Rochelle et que l’on construisait à cet effet une salle dans les vastes greniers de la plus grande maison de la ville, elle se rappela le trait exécrable de l’amphithéâtre de Sidènes que Néron avait fait élever de manière à ce qu’il s’écroulât dès qu’il serait chargé ; et dès l’instant, frappée de cet horreur, elle se résolut à l’imiter.

On se souvient du nommé Le Clerc qui, quelques années auparavant, ayant introduit le duc de Bourgogne dans Paris, avait ensuite rendu de si grands services à la reine à Tours, et qui, pour récompense de toutes ces actions, avait été placé dans les gens de la chambre du roi : ce fut à cet homme qu’elle crut pouvoir confier l’exécution de son détestable projet. Après l’avoir couvert d’or, elle le fit secrètement passer à La Rochelle, en lui enjoignant de se lier avec le constructeur de la salle qu’on préparait et d’apporter en conséquence à cet architecte quelques plans qui pussent convenir au projet dont il s’agissait ; mais Le Clerc frémit d’horreur quand la reine se fut expliquée. Cet homme avait pu par dépit, par système peut-être, ouvrir Paris aux Bourguignons, il avait pu par attachement pour la reine lui devenir très utile à Tours ; mais il y avait loin de là au forfait proposé. Convaincu pourtant qu’un refus l’expose à perdre la vie, et que d’ailleurs il peut sauver le dauphin en ayant l’air de consentir à coopérer à sa mort, il accepte tout et part.

En arrivant, il confère avec l’architecte et lui révèle ce qu’on attend de lui. « Il faut, dit Le Clerc à l’artiste, que la salle s’écroule et que le dauphin soit sauvé. Vous avez horreur comme moi du crime qu’on nous propose, et vous devez comme moi en paralyser les effets. Nous allons exposer bien du monde, je le crains ; mais nous pouvons amoindrir le danger à force de précautions : au lieu que rien ne nous préservera du courroux de la reine, si nous n’avons pas au moins l’air de remplir ses vues. »

Tout réussit comme l’avait conçu le brave Le Clerc, mais non pas l’effroyable Isabelle. Le fauteuil du dauphin placé sur la partie de la salle soutenue par un gros mur fit rester le jeune prince en l’air, pendant que tout s’écroulait autour de lui. Par les soins de Le Clerc et de l’architecte, il ne périt que deux personnes. Cependant à son retour Le Clerc fut mal récompensé ; Isabelle l’accusa de faiblesse, de trahison et, dans la crainte qu’il ne parlât, elle le fit mettre à la Bastille où il eût péri sans doute, si le dauphin une fois sur le trône, n’eût fait droit aux réclamations de ce malheureux qui avoua tout, n’ayant plus rien à redouter d’Isabelle, qui pour lors n’existait plus[6].

Cependant, l’état du roi devenait tous les jours plus dangereux. Ce prince infortuné rendit enfin son dernier soupir le 20 octobre 1422 à l’hôtel Saint-Paul, où sa petite cour était reléguée près de lui. Pas un prince ne se trouva à ses funérailles ; et ce qu’il y eut de plus indécent et de plus extraordinaire, il ne se trouva pas même dans ses coffres de quoi payer ses obsèques. Le Parlement fut obligé d’intervenir et de rendre un arrêt en vertu duquel les meubles du défunt seraient vendus pour fournir aux frais de son enterrement !

Telle fut la situation déplorable dans laquelle mourut ce bon prince, justement chéri de ses sujets qui le nommèrent le bien aimé, ayant toute sa vie montré bien plus de vertus que de vices : allié fidèle, bon père, époux sensible, ami constant et généreux ; mais qui malheureusement livré par tendresse et par aveuglement à la plus indigne des femmes, et plus à plaindre encore par les maux qui le tourmentaient sans cesse, ne put ni surmonter la faiblesse qui lui fit commettre tant de fautes ni donner l’essor à des vertus qui devaient nécessairement lui assurer dans la postérité le rang d’un de nos meilleurs souverains.

La foule du peuple, qui suivit la pompe funèbre, fit retentir les airs de ses gémissements : aussi à plaindre que le monarque l’avait été lui-même, les larmes de ce bon peuple coulaient également et sur ses propres malheurs et sur ceux de son roi chéri. Les orateurs peuvent exalter en chaire les qualités du prince qu’ils perdent, mais aucun éloge, quelque pompeux qu’il soit, n’est aussi sincère ni aussi touchant que les larmes du peuple. C’est par ces larmes si précieuses et si douces que l’Éternel accorde au prince qui les fait couler la récompense céleste qu’il promet à la vertu. Il ne leur dit pas, aux rois, quand ils paraissent aux pieds de son trône : « Si quelques flatteurs vous ont loués, vous êtes digne de moi » ; mais s’ils ont été pleurés de leurs sujets, il leur dit : « Placez-vous à ma droite, puisque vous étiez mon image sur la terre. »

Dès que le corps de Charles eut été placé à Saint-Denis dans sa dernière demeure, le héraut d’armes qui avait crié dans l’église ! Priez pour l’âme de Charles VI ! cria au même instant : Vive Henri de Lancastre, roi de France et d’Angleterre ! Alors le duc de Bedford qui remplaçait son frère rentra dans la capitale, faisant porter une épée nue devant lui, ce qui jamais n’avait été pratiqué par aucun de nos souverains, et ce qui remplit le peuple de crainte et de terreur.

Les intérêts de la reine se trouvant toujours liés à ceux de l’Angleterre, on sent bien qu’elle fit tout ce qu’elle put pour hâter l’exécution du traité d’Arras et de ses clauses subséquentes. En raison de cela, pendant que l’on couronnait le dauphin à Poitiers, Isabelle pressait le duc de Bedford de convoquer tous les grands de la nation pour leur faire comprendre qu’en vertu de ce traité consenti par la France entière on devait poursuivre tous les meurtriers du duc de Bourgogne, à la tête desquels se trouvait le dauphin.

Ce qu’il y avait de plus distingué se rendit donc dans la grande salle du Parlement ; et là, le duc régent fit proclamer :

« Qu’étant né un prince nommé Henri VI, fruit du mariage de la princesse Catherine avec le roi d’Angleterre dernièrement mort à Vincennes, à ce seul prince appartenait la couronne de France et d’Angleterre, à l’exclusion de Charles soi-disant dauphin, laquelle exclusion devait subsister dans toute sa force, ainsi que le jugement qui lui avait été signifié ; traitement bien dû sans doute au crime d’assassinat envers le duc de Bourgogne, dont le soi-disant dauphin s’était rendu notoirement coupable. »

Le renouvellement du serment déjà prononcé devint la suite de cette convocation, et tous les ordres de l’état le prononcèrent individuellement entre les mains du chancelier.

Cette délibération revêtue de toutes les signatures fut aussitôt portée à Londres et communiquée à la reine Catherine et à son fils.

Quel triomphe pour Isabelle ! et voilà comme cette femme atroce satisfaisait sa haine et sa vengeance contre un malheureux fils, au mépris des lois de la nature et des constitutions du royaume ! voilà, disons-nous, comme elle cimentait sa propre honte et celle de la nation qu’elle régissait, quelque indigne qu’elle fût de cet honneur !

Tout ceci ne fit que resserrer entre le duc de Bedford et Isabelle des liens, qui furent encore mieux cimentés par l’alliance de ce duc avec la princesse Marguerite, veuve du dauphin Jean. Qu’ils se taisent donc ceux qui avancent qu’il existait un grand refroidissement entre la reine et le régent, attendu, prétendent-ils, que la reconnaissance est une vertu nulle entre les souverains.

Certes, il peut être, et nous n’en doutons pas, que tout ce qui forme les liens entre particuliers devienne sans force en politique ; mais les lois de cette même politique sanctifient bientôt les vertus dès qu’elles redeviennent utiles aux intérêts des princes.

Ce qu’il y avait de plus affreux dans tout cela, c’est que les guerres civiles continuaient de déchirer la France. Charles VII tâchait de recouvrer des provinces : Bedford s’emparait de son côté de tout ce que le dauphin ne pouvait garantir.

La plus extrême barbarie souillait tous ces triomphes : on égorgeait les prisonniers, on passait les garnisons au fil de l’épée, et le sang, en un mot, coulait de toutes parts… Plus de commerce : la guerre est loin de ce qui le fait fleurir ; et si les souverains, qui veulent réellement le bien des peuples que le ciel leur confie, calculaient ce qui sert le mieux les intérêts de ces peuples, ou du commerce qui ravive tout, ou de la guerre dévastatrice, peut-être feraient-ils le sacrifice de leur ambition.

Plus d’industrie, il ne faut dans les champs que celle de porter des armes, qui, une fois au repos, laissent bien nul celui qui n’avait pu montrer d’autre talent.

Plus d’agriculture : le laboureur inquiet, ou abandonné de ses enfants, n’ose plus confier à la terre des semences dont il est incertain de recueillir le fruit.

Si quelque chose console des malheurs d’une guerre étrangère, c’est que du moins le sang qu’on fait couler n’est pas celui de ses compatriotes ; mais quand il faut répandre celui de ses amis, de ses frères, de ses parents ; lorsque la ville que vous incendiez renferme les plus doux objets de votre cœur ; que les cris qui parviennent à vous peuvent être ceux de vos enfants ; que les gémissements qui vous déchirent s’exhalent peut-être, ou du sein qui vous a porté, ou de celui qui devait un jour doubler votre existence, combien sont amères les larmes que de tels fléaux font verser et combien sont coupables les instigateurs de ces crimes !

Malgré la retraite dans laquelle la reine paraissait s’ensevelir, il est certain que le duc de Bedford l’avait chargée sourdement de la défection du duc de Bretagne, et que le désir ardent de nuire à son fils lui avait fait prendre beaucoup de part aux négociations qui avaient enfin décidé ce duc à renoncer à l’alliance de Charles VII et à jurer foi et hommage au roi d’Angleterre. Il paraît même qu’elle fit un voyage à Rennes dans cette intention ; ce qui sans doute, ainsi que nous l’avons déjà observé, était le coup le plus affreux qu’elle pût porter aux affaires de son fils.

Mais Isabelle, dont rien n’assouvissait la haine contre ce fils et que désespérait tout ce qui ne tendait pas à cet objet sacré pour elle, s’affligeait infiniment de voir qu’à mesure que le parti anglais se fortifiait en France le duc de Bedford faisait sentir sa supériorité au duc de Bourgogne, à tel point que celui-ci, bon, grand et généreux, commençait à rougir de l’alliance honteuse qu’il avait contractée. Il n’était pas une de ces réflexions qui ne le ramenât au désir de se raccommoder avec le dauphin : et que de dangers l’instigatrice de tous ces troubles ne courait-elle pas alors ? On se sert des traîtres au besoin, devait-elle penser, mais on les perd parce qu’on les redoute, dès qu’ils cessent de nous être utiles.

Eh ! quel nouveau sujet de crainte pour Isabelle, quand elle vit cette célèbre Jeanne, la femme la plus singulière de son siècle, après avoir surmonté la faiblesse de Charles VII, le conduire en triomphe aux pieds des autels à Reims où la couronne qui lui était due allait se fixer enfin sur sa tête par la main du ministre des deux.

On juge aisément ici de l’inquiétude qu’un tel événement lui causa, ainsi qu’au duc de Bedford dont le chagrin s’accroissait encore en raison des pertes journalières qu’éprouvait le parti anglais, d’abord par la désertion prodigieuse des soldats de cette armée, ensuite par le retard du duc de Glocester à faire passer les secours qu’il avait promis au régent.

Ces circonstances, et surtout le couronnement de Charles, ranimaient le courage des habitants de Paris ; et l’on s’aperçut bientôt à quel point s’augmentait ce qu’on appelait encore le parti du dauphin.

Le duc de Bourgogne, à la sollicitation du régent, se rendit dans la capitale. Il y eut d’abord quelques conférences secrètes au palais de Saint-Paul, où se trouva Isabelle dont l’éloquence employa tout pour faire sentir à quel point il importait de perdre cette Jeanne qui, disait-elle, avait séduit l’esprit de son fils au point de l’avoir pour ainsi dire conduit par la main à ce fatal couronnement.

Il fut ensuite question de ranimer dans Paris le zèle des débris du parti bourguignon, ainsi que la haine jurée aux Armagnacs. Tout fut employé pour cela : harangues, sermons, émissaires lancés dans le peuple qui, toujours trompé, eut l’air de consentir par la force à tout ce qu’on exigeait de lui pour le duc de Bourgogne et pour les Anglais. Nous ne citons ces nouvelles démarches des ennemis de Charles VII que pour faire voir quelle part Isabelle prit à tout cela : quoique les historiens, mal instruits et se copiant tous les uns les autres, aient voulu nous persuader qu’elle s’était alors vouée au plus profond silence et à la plus complète inaction, ce qui arriva véritablement quelques années après ; mais elle fut très certainement pour lors le premier mobile de tout[7].

Mais les succès de Bedford ne répondirent pas aux intentions perfides de la reine. Son armée sortit deux fois des murs de Paris sans oser attaquer celle de Charles VII, brûlant d’en venir aux mains avec cet insolent étranger qui, se retirant chaque fois qu’on osait avancer vers lui, laissa le jeune prince s’emparer de toutes les villes voisines, qui s’empressaient de lui porter leurs clés avec l’enthousiasme qui caractérisa toujours la nation française.

Pour balancer ou détruire toutes les précautions prises par le régent, à dessein de maintenir les habitants de Paris sous l’autorité des Anglais, les partisans de Charles firent circuler dans la capitale des écrits promptement soustraits par les émissaires de la reine qui, de leur côté, ne cessaient de répandre qu’il était impossible que jamais Charles pût oublier les injures qu’il avait reçues des Bourguignons toujours chaudement servis par les Parisiens, et que si jamais les portes de Paris s’ouvraient à Charles, il n’y rentrerait que pour mettre tout à feu et à sang, pour en détruire tous les édifices et faire passer la charrue sur le sol qu’aurait occupé la ville.

Charles, pour toute réponse, marcha vers Paris, et lui livra l’assaut du côté de ce qu’on nomme aujourd’hui la butte Saint-Roch. Par les soins d’Isabelle la terreur se répandit partout. De ce moment, le parti du roi n’osa plus secourir son véritable maître et les assaillants trompés dans leur espoir se retirèrent aussitôt, malgré les encouragements et les services signalés de Jeanne, que malheureusement une flèche atteignit sous les murs de la ville et mit hors de combat. Mais qui lança cette flèche ? Voilà ce que n’approfondirent jamais ceux qui ont parlé de cet événement, et voilà ce qu’ils auraient découvert comme nous, s’ils eussent pris la peine de compulser les pièces authentiques et originales qui éclaircissent ce fait, et particulièrement celles du procès de Jeanne, déposées à la Bibliothèque royale de Londres.

« Un soldat de la garnison de Paris, disent ces pièces, se présenta dès le même soir à Isabelle : « J’ai, lui dit-il, atteint et vraisemblablement tué cette sorcière ; je demande à Votre Majesté la récompense qu’elle m’a promise » et, à l’instant, cet homme reçut deux mille saluts de la reine qui lui dit de recommencer si, par hasard, il reconnaissait n’avoir point réussi[8].

Cependant, la pucelle profitant de la circonstance où sa blessure la mettait, parfaitement persuadée d’ailleurs que sa mission se bornait au couronnement du roi, demanda, sans pouvoir l’obtenir, la permission de se retirer auprès de ses pauvres parents, pour les aider et aller garder leurs troupeaux avec sa sœur et ses frères.

« Je suis trop heureuse, ajoutait-elle, d’avoir vu triompher Charles VII. Je n’ai plus rien à faire ici ; c’est avec peine que je m’en arrache et que je suis mes inspirations ; car je voudrais mourir auprès de mon prince. »

Quel contraste ! Jeanne voulait mourir pour son roi ; Isabelle voulait la mort de ce roi et payait le meurtre de celle qui voulait mourir pour le roi.

Une trêve conclue à Paris, et un partage du royaume entre le duc de Bedford, toujours régent, et le duc de Bourgogne déclaré lieutenant général du royaume, laissa Isabelle dans une perplexité d’autant plus alarmante qu’elle n’ignorait pas les projets de raccommodement entre Charles et Philippe. Elle n’osa plus dès lors agir aussi ouvertement sur l’esprit des Parisiens qu’elle le faisait avec Bedford qui, comme Anglais, secondait bien mieux ses vues et ses horribles projets contre un fils à la veille de devenir l’ami du duc de Bourgogne. Il paraît néanmoins qu’elle eut beaucoup de part à l’arrestation du carme Pierre, qui avait été porter aux commandants des troupes de Charles toutes les pièces d’une conspiration qui venait de se tramer dans Paris. Ce moine, saisi dès qu’il reparut, nomma, dans les tourments de la question, une grande partie de ceux qui l’avaient fait agir et qui, comme lui, périrent du dernier supplice, pour avoir voulu rentrer sous le joug de leur légitime souverain, à qui son implacable mère avait juré une haine éternelle et qui ne manquait aucune occasion de la lui prouver.

Un instant de bonheur vint pourtant luire encore à ses yeux. Son petit-fils, le roi Henri VI d’Angleterre, né de la princesse Catherine, sa fille bien-aimée, vint se faire couronner à Paris ; et l’on ose nous dire que, reléguée dans son palais, Isabelle fut étrangère à tout cela : quelle absurdité ! Eh quoi ! les historiens veulent qu’une femme qui venait de jouer un rôle aussi important, et qui se ressentait encore, de l’éclat de ce rôle par la présence d’un roi son petit-fils, et roi d’une nation aussi chère à son cœur, on veut que cette femme soit restée dans l’inaction lors d’un événement aussi intéressant pour elle ? Que ces gens mal instruits cessent de le prétendre, et que, pour revenir de leur erreur, ils lisent le journal qui traite de ce fait, et qui se trouve à la Bibliothèque royale de Londres sous le n° 1601. Ils y verront le contraire de ce qu’ils écrivent. Mais ils n’avaient aucune connaissance de ces pièces quand ils compilaient les matériaux de leur histoire : en ce cas pourquoi écrivaient-ils ? Est-il raisonnable de traiter des matières aussi sérieuses, sans avoir autour de soi tout ce qu’il faut pour les éclairer ? Qui les contraignait à prendre la plume ? Qui les obligeait à ne nous donner que de demi-instructions, qui obscurcissent les faits au lieu de les éclaircir, et à reléguer dans le fond de son palais une femme qui n’a cessé d’agir que dans les dernières années de sa vie ? Est-ce donc la peine d’écrire l’histoire, quand on est aussi mal informé ?

En attendant d’autres détails fournis par le manuscrit précité, peignons la joie de la reine lorsqu’elle apprit que Jeanne d’Arc, si détestée d’elle à cause des services qu’elle rendait à Charles, venait d’être faite prisonnière au siège de Compiègne par un archer anglais qui l’avait saisie après l’avoir renversée de son cheval. De ce moment, Isabelle ne cessa de concourir à la perte de cette infortunée. Dans cette intention, elle adressa au duc de Bedford l’écrit qu’on va bientôt lire, et que nous traduirons littéralement du manuscrit anglais dont il vient d’être question ; mais détruisons auparavant quelques préjugés qui n’avaient alors que trop d’influence et qui, même encore aujourd’hui, jettent plusieurs historiens dans l’erreur sur tout ce qui tient à cette intéressante fille.

Assurément, on a eu raison de dire que Jeanne d’Arc ne devait son supplice ni aux Français ni aux Anglais : il règne trop de franchise et trop de loyauté dans l’âme de ce premier peuple, et trop de fierté dans celle du second, pour qu’on puisse accuser aucune de ces deux nations d’une aussi atroce barbarie. L’inquisition la réclama, nous dit-on ; l’université fit de même, et sa perte, continue-t-on, n’est due qu’à la conformité des vœux et des désirs de la réunion de ces deux corps.

Examinons le fait sans partialité comme sans prévention.

L’université, disent les historiens qui veulent la charger de cette horreur, flagornait journellement alors les autorités bourguignonnes ou royalistes, sous lesquelles elle se trouvait tour à tour ; et comme, en ce moment, le parti anglais triomphait dans Paris, l’université dut se déclarer contre Jeanne. Mais l’université était composée de Français, et jamais l’âme du Français ne varia sur l’amour qu’il doit à son prince : si, subjugué par les circonstances, le Français est quelquefois contraint à déguiser ses véritables sentiments, ils ne règnent pas moins dans son cœur ; et les membres d’un corps aussi respectable, et qui avaient tant de fois prouvé leur attachement à ses souverains, ne conçurent jamais le projet d’envoyer au dernier supplice l’intéressante créature qui venait de se sacrifier pour un roi que ces braves docteurs chérissaient autant qu’elle… non, ils ne durent pas le faire, ils ne le firent pas.

Mais l’inquisition se chargea de cette infamie.

À Dieu ne plaise que nous prenions ici la défense d’un tribunal de sang, dont les crimes font frémir la nature. Oui, l’inquisition put le faire : ce n’est pas dans l’âme de ceux qui la composaient que parle l’amour du prince : sans doute elle put le faire, mais elle ne le fit pas. Esclave du pouvoir anglais qui dominait pour lors, elle prêta son ministère à une réclamation dictée par l’acharnement des ennemis du dauphin : peut-être même employa-t-elle dans cette réclamation les termes qui lui furent suggérés ; mais le sentiment qui les dicta n’est pas émané d’elle : tribunal absolument passif dans l’état et ayant le frère Martin pour vicaire général, l’inquisition put ordonner à ce vicaire d’exécuter les ordres supérieurs qui seraient donnés à cet égard ; elle le fit et, en le faisant, elle continua d’être passive mais jamais active. Les expressions dont frère Martin se servit, et qui se trouvent dans le procès de la pucelle, furent employées par lui, nous en convenons, mais non pas dictées par lui : jamais dans ce siècle absolument militaire, l’inquisition n’eût eu la force de lancer un pareil décret. De qui sont donc ces expressions ? Qui donc fit mouvoir ce corps que l’on prétend avoir agi de lui-même ? qui ?… peut-on s’aveugler sur cela ? et quand nous n’aurions pas à l’appui de nos assertions la pièce authentique que nous avons citée plus haut, le bon sens, la connaissance des faits, celle des hommes, tout ne nous conduirait-il pas à nommer nous-même l’instigatrice de cette condamnation : eh ! quelle autre qu’Isabelle eût pu se la permettre ? Quelle autre qu’Isabelle se fut réunie aux ennemis de cette infortunée pour la déshonorer et la perdre ? Y avait-il quelqu’un qui détestât le dauphin plus que cette indigne marâtre ? Y avait-il quelqu’un qui réunît plus qu’elle et le désir et le crédit de perdre et tous les amis du jeune roi et ce monarque lui-même ? Pourquoi chercher une autre agente de cette infernale machination, quand celle-ci se présente aussi naturellement ? Après avoir chèrement payé celui qui avait blessé Jeanne, ne devenait-il pas tout simple qu’elle fît les plus grands sacrifices pour l’anéantir tout à fait ?

Jeanne fut faite prisonnière le 24 mai 1431 ; la reine le sut aussitôt. Le 26 elle écrivit au duc de Bedford ce qu’on va lire et ce que nos recherches nous ont fait trouver ; et le 27 est la date de la réclamation de Pierre Martin. Que l’on convienne au moins que cette concordance est bien à l’appui de l’opinion que nous émettons ici, et que justifient mieux que toutes les pièces authentiques qui la font naître.

Voici donc l’écrit qu’Isabelle fit à l’instant passer à Bedford, et dont on retrouve si bien et l’esprit et le sens dans la réclamation de Jeanne, faite à l’inquisition par le frère Martin.

« Vous sentez de quelle importance il est pour vous, duc de Bedford, de faire promptement condamner cette maudite sorcière qu’on nomme Jeanne la pucelle, prise par un de vos braves Anglais et maintenant confiée aux soins du comte de Ligny, Jean de Luxembourg. C’est cette damnable créature, soufflée par l’esprit de Satan, et se disant toujours inspirée par de fallacieuses révélations, qui a conduit à travers mille périls le prétendu roi Charles se faire couronner à Reims. Mais Dieu nous en fait justice ; elle a été punie de ce méfait par des blessures et par sa captivité. Vous l’avez maintenant, gardez qu’elle n’échappe : la confiance entière que le Français a dans elle la rendrait plus redoutable encore ; on dirait que c’est un miracle que Monseigneur le benoît Dieu fait pour elle ; notre parti déjà très chancelant n’a pas besoin de cela pour chuter, et vous savez quelle impression fait sur ce peuple ignorant tout ce qui tient à la superstition. Dites à l’inquisiteur de la réclamer ; il le doit, puisque cette fille est véhémentement soupçonnée de plusieurs crimes sentant l’hérésie… crimes qui ne peuvent ni se dissimuler ni éviter la punition. Il faut donc que ce moine, que vous ferez agir, vous supplie de lui livrer cette femme, comme dépendante d’un office dont il est le chef, élu par le Saint-Siège ; et une fois que cette sorcière sera dans ses mains, dites-lui de procéder le plus tôt possible à son exécution.

« Isabeau de Bavière, reine de France. »

Voilà ce que la reine écrivit. En vertu de cette lettre, l’inquisition réclama Jeanne, à peu près dans les mêmes termes, ainsi que le prouvent les pièces du procès qui sont à la portée de tout le monde.

Si l’université écrivit dans le même sens, ce fut sans doute par ordre du duc de Bedford, qui lui prescrivit les mêmes termes employés par l’inquisition, et toujours d’après les instigations d’Isabelle ; mais l’université ne fit rien de son chef : elle ne le pouvait ni ne le devait ; et si l’on trouve à la bibliothèque impériale, annexé au procès de Jeanne, l’écrit fait par l’université, c’est qu’elle souscrivit à ce que lui fit faire le régent. L’on voit maintenant par quelle influence agissait le régent, et les raisons de Bedford pour s’y soumettre.

Terminons une discussion déjà trop longue, mais nécessaire pour jeter du jour sur un des principaux traits de nos annales et absolument défiguré par des historiens qui, n’ayant fait aucune perquisition, n’avaient pas la plus légère idée de la part énorme qu’Isabelle avait à la condamnation de Jeanne d’Arc. La mort de cette malheureuse est, poursuivent ces mêmes écrivains, l’ouvrage de ses ennemis ; mais où en avait-elle de plus puissants que dans la reine et dans Bedford ? Après avoir suffisamment démontré ces faits, nous abandonnons sur un sujet aussi grave le sage lecteur à ses réflexions, en osant croire que nous les avons dirigées vers la plus pure.

Cependant le comte de Ligny refusait de rendre sa prisonnière ; et ce fut alors que fortement pénétré par Isabelle, le régent écrivit au duc de Bourgogne afin de déterminer le comte à ce qu’on désirait de lui.

Quelle surabondance de preuves à toutes celles que nous venons d’établir ! Qui persuade Bedford ? C’est la reine. Qui persuade le duc de Bourgogne ? C’est Bedford. Cessons donc de nous aveugler sur ce fait : Jeanne a été sacrifiée par ceux à qui sa conduite a déplu, et n’était-ce pas à Isabelle que cette conduite déplaisait le plus souverainement ? Jeanne venait de servir le dauphin, et la plus mortelle ennemie du dauphin, n’était-ce donc pas Isabelle ?

Les choses néanmoins éprouvèrent encore quelques difficultés et principalement de la part de la duchesse de Luxembourg, à tout instant aux pieds de Ligny son époux, pour l’empêcher de livrer Jeanne.

On fit présenter requête au roi d’Angleterre, à l’effet de prier Sa Haute Excellence, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’ordonner que Jeanne d’Arc fut brièvement livrée et mise entre les mains de la justice de l’Église. Or, qui appuyait cette requête ? Bedford. Qui excitait Bedford ? la reine. Et à qui cette requête était-elle présentée ? au roi d’Angleterre. Et qu’était le roi d’Angleterre ? le fils de Catherine, la plus chérie des enfants d’Isabelle, celle à qui elle avait toujours fait conserver sur l’Anglais tout le crédit dont elle avait besoin.

Enfin l’argent vint à bout de tout : on acheta le sang de cette pauvre fille ; au lieu de sacrifier cet argent pour la sauver, on le prodigua pour la perdre ; et Jeanne, n’ayant plus que des ennemis, trouva bientôt chez eux l’indigne mort qu’ils lui désiraient. Mais cette scène atroce ne nous regardant point, nous ne devons plus occuper nos lecteurs des détails qui y ont rapport : en désigner les causes, les rattacher à la femme dont nous écrivons l’histoire nous suffit ; bornons-nous à cette réflexion bien cruelle, que, pour des raisons ignorées de nous et que nous devons respecter sans doute, la volonté de Dieu laissa mourir tranquillement, et à un âge très avancé, la perfide Isabelle, couverte de crimes, tandis qu’elle fit périr sur un échafaud, à la fleur de son âge, la créature la plus sage, la plus courageuse et la plus étonnante de son siècle.

Cependant, quel que soit le désir que nous ayons de n’entrer dans aucun des détails du procès de cette infortunée, il est une circonstance, si fort à l’appui de tout ce que nous venons de dire, et si bien constatée dans les pièces originales dont nous avons également parlé, qu’il nous devient impossible de la passer sous silence.

Isabelle, dans le cours de l’instruction, voyait souvent le duc de Bedford, tant pour s’instruire de tout ce qui se passait, que pour le fortifier dans les résolutions qu’elle lui avait suggérées. À l’une de ces conférences, elle persuada au duc qu’il était nécessaire de procéder à l’examen physique de Jeanne, attendu que si l’on découvrait qu’elle ne fût pas vierge, il devenait certain que l’excès de son attachement pour le roi n’avait d’autre cause que son intrigue avec lui, d’où, ajoutait-elle, était venue la grande jalousie qu’Agnès Sorel avait conçue de Jeanne d’Arc ; ce qui militait infiniment contre cette prétendue héroïne de vertu, et qu’alors cela seul suffisait pour la faire condamner. L’examen eut lieu, et ce qui suit s’accorde avec tous les historiens[9]. Le duc, disent les pièces publiques du procès, d’accord avec les nôtres, se fit un barbare plaisir de l’exécution du conseil de la reine. Retranché derrière un mur, auquel on avait pratiqué une fente, il examina le travail des matrones, et là, au mépris de toutes les lois de la décence et de l’humanité, le monstre considéra d’un œil impur celle qu’il allait envoyer à l’échafaud. Néron, en soulevant la robe d’Agrippine qu’il venait de faire périr, dit : Elle est encore belle. L’infâme Bedford dit en examinant Jeanne qu’il veut assassiner : La malheureuse est pourtant belle.

Peu de temps après, la pucelle tomba malade sous les fers qui la liaient aux murs de son cachot. La reine instruite conseilla à Bedford de lui donner des médecins, avec la clause expresse de l’empêcher de mourir de cette maladie ; attendu, disait-elle, que le roi d’Angleterre qui la fait acheter fort cher, veut absolument qu’elle soit brûlée vive.

Quels raffinements de la rage la plus envenimée et de la plus cruelle vengeance !

Mais arrêtons-nous ; nous l’avons déjà dit, une plus grande masse de preuves ne servirait qu’à révolter le lecteur, et lui faire répandre des larmes plus amères sur la triste victime de tant d’horreurs et de forfaits, qui, malade et garrottée sur un bûcher prêt à s’enflammer pour la réduire en cendres, trouve encore le courage de repousser les calomnies lancées contre son roi… le justifie et meurt.

Lorsque Louis XI fit revoir le procès de Jeanne, on rechercha tous ceux qui avaient contribué à cette infamie : tous étaient morts excepté deux qui furent arrêtés et périrent sur le même bûcher où ils avaient fait brûler leur victime. Si Louis XI eût su la part qu’avait sa grand-mère à cette barbarie, peut-être n’en eût-il pas poursuivi les fauteurs avec tant d’acharnement ; ou s’il le savait, l’amour de la justice, et le noble désir de venger son père, l’ont alors emporté sur tout autre sentiment.

Le duc de Bedford et la reine s’étaient bien trompés en imaginant que le supplice de Jeanne avancerait les affaires du roi d’Angleterre. Cette atrocité ne servit qu’à mieux faire détester le joug de cette nation, et à précipiter avec plus d’ardeur les Français au-devant de la révolution préparée par Jeanne.

À l’appui des pièces que nous avons citées plus haut, il ne nous reste plus qu’à certifier qu’au lieu d’être inactive comme le disent les historiens, Isabelle ne cessa, tant qu’elle le put, de prendre part à tout ce qui pouvait satisfaire son aversion pour Charles VII, et servir Henri VI, le plus mortel ennemi de la France.

Quoiqu’il y eût dix huit mois que le jeune Henri fût en France, on avait sous divers prétextes différé la cérémonie de son entrée dans Paris : c’est alors qu’on ose nous peindre l’insouciance d’Isabelle, et cela dans une occasion où tout flattait son orgueil et son ambition. Gardons-nous donc de croire, comme le disent quelques écrivains, que ce ne fut que par les fenêtres de l’hôtel de Saint-Paul qu’elle regarda passer le cortège : on voit par les registres du Parlement que tout ce qui tient à ces détails dut être mal rendu. Les greffiers conviennent que la misère du gouvernement était telle qu’ils manquèrent de parchemin pour décrire cette cérémonie, dont ils ne donnèrent en effet que quelques aperçus que nous ne répéterons pas ici, attendu qu’ils ressemblent à tout ce que nous avons vu de semblable sous ce règne malheureux. Ce qu’il y a de mieux détaillé dans ces relations abrégées, c’est qu’Henri ne fut entouré que d’Anglais : pas un seigneur français ne voulut s’y trouver, ce qui certes honore à jamais cette classe respectable qui, toujours fidèle à ses princes, sut les garantir de leurs malheurs, ou les déplorer, et ne les provoqua jamais. Cependant cinq évêques parurent ; ils étaient Français, on le sait…, mais ils étaient prêtres… parmi eux se trouvait l’exécrable Cauchon, instigateur de tous les tourments, de tous les supplices qui entourèrent les derniers moments de Jeanne.

Aussitôt que le cortège fut rentré au palais des Tournelles où devait loger le prince, le duc de Bedford conduisit Henri VI à l’hôtel Saint-Paul chez Isabelle, qui fondit en larmes en l’embrassant.

« Beau cher fils, lui dit-elle, j’ai tout fait pour vous ; les sentiments de mère que je devais à Charles, je les ai reportés sur vous ; le duc de Bedford vous dira jusqu’à quel point j’ai tout sacrifié. Votre mère fut ma fille chérie : qu’une portion de la tendresse que vous lui devez rejaillisse sur moi, mon cher Henri ; c’est moi qui ai placé sur votre front la couronne de France, soutenez-en l’éclat ; et surtout, pour régner tranquille, immolez tous vos ennemis : sans cette précaution cruelle, mais nécessaire, on ne vous laissera pas jouir en paix de mon ouvrage. Et comment ma mémoire vous serait-elle précieuse, si vous ne trouvez pas au moins dans le mal que j’ai pu faire, tout le bien que je prétends en retirer pour vous ? «

Henri tomba aux genoux de sa grand-mère et les embrassa tendrement. Isabelle le releva, le pressa sur son cœur et lui dit :

« Mon fils, ne cédez jamais le trône où je vous élève ; il n’y a que vous qui soyez digne de l’occuper. »

Cette scène eût été sans doute fort attendrissante, si la haine profonde que cette femme nourrissait pour Charles et pour la France n’eût pas éclaté à chaque mot ; mais le crime, en se couvrant du masque de la vertu, rend ses traits encore plus hideux.

Le lendemain, Henri dîna chez son aïeule avec le régent et quelques seigneurs anglais.

Le manuscrit cité dans nos dernières notes, et dont nous nous appuyons dans tout ce qui vient d’être dit, ne nous donne aucun détail sur cette seconde entrevue, dont l’esprit dut sans doute être le même que celui qui caractérisa la première.

Enfin le 14 décembre 1431 Henri vint à Notre-Dame, où il reçut l’onction royale des mains du cardinal de Winchester qui lui mit la couronne sur la tête. Une autre était près de lui, et cette double couronne devint l’emblème des deux royaumes qu’il devait gouverner.

Après avoir juré de les conserver et de les soutenir toutes deux, on admit au serment de fidélité tous ceux qui le désirèrent, et ce jour même Henri dîna sur la table de marbre qui était dans la grande salle du palais.

Isabelle qui s’était trouvée au couronnement dans une tribune mystérieusement pratiquée pour elle, n’assista point à ce repas, où régna la confusion la plus horrible : image de celle que l’illégalité de ce qui venait de se passer devait produire dans le royaume. Aucune des marques de la générosité de nos souverains ne se manifesta dans cette cérémonie : nulle diminution d’impôt, nulle délivrance de prisonniers ; on mit au contraire plus de rigueur que jamais dans l’exaction des subsides ; d’ailleurs aucune grâce, ni publique, ni particulière ; et peu de jours après cette vaine prise de possession plus ridicule qu’imposante, plus dérisoire que respectable, le jeune roi repartit pour Rouen, d’où il repassa bientôt dans ses véritables états.

Sur ces entrefaites, Anne de Bourgogne, duchesse de Bedford, vint à mourir, et peu après le régent épousa Jacqueline de Luxembourg, ce qui déplut souverainement au duc de Bourgogne et détermina entre ces deux puissants chefs de partis une division que tout annonçait depuis quelque temps. En vain le cardinal de Winchester essaya-t-il un rapprochement : ce qui devait conduire à la réussite de ce projet fut précisément ce qui le rompit ; et l’orgueil des deux princes blessé dans l’étiquette de leur entrevue à Saint-Omer, ranima pour toujours le germe des divisions qui existait dans le cœur de l’un et de l’autre.

Cette rupture ramenait infailliblement un prince aussi grand, aussi généreux que Philippe de Bourgogne aux pieds de son souverain légitime, abandonné, trahi jusqu’alors par des motifs d’une vengeance aveugle que le temps et les circonstances devaient nécessairement apaiser.

Isabelle sentit quel coup un tel raccommodement allait lui porter. Alors son esprit familiarisé avec le crime conçut l’horrible idée de préférer la mort de Philippe à la douleur de le voir bien avec son fils. De l’idée à l’exécution de cette mort désirée par elle, il n’y avait pas loin dans une telle âme. En conséquence, Isabelle trouva le moyen d’armer un scélérat nommé Gilles de Postel et de l’engager à tuer le duc de Bourgogne. Ce crime heureusement ne fut pas consommé : Postel fut décapité à Mons ; mais sans rien révéler, puisqu’il rejeta l’horreur de ce projet sur la comtesse douairière de Hainaut, tandis qu’il appartenait en entier à l’infâme Isabelle[10]. Enfin une conférence fut ouverte à Paris ; le duc de Bourgogne devait y servir de médiateur entre Charles et Henri ; la supériorité de ce rôle et la part qu’allait prendre le duc dans une négociation où il ne dépendait que de lui de faire pencher la balance du côté qui lui conviendrait, l’engagea à ne paraître à cette assemblée qu’entouré du faste le plus imposant. L’entrée de la duchesse de Bourgogne était magnifique ; et voilà quelle fut la cérémonie qu’Isabelle ne vit que de sa fenêtre… avec un dépit facile à comprendre. En effet de quel œil pouvait-elle se voir derrière le rideau d’une scène où elle avait autrefois rempli le premier rôle ? Le père de ce prince, pouvait-elle dire, entrait jadis avec moi dans cette même ville…, où rien ne se faisait que par nos ordres ; et maintenant, triste, isolée, ce n’est plus que comme la plus simple bourgeoise de Paris que je puis contempler un triomphe qui ne me retrace les miens que pour les pleurer. Ô fatale inconstance des choses humaines ! mais ne serait-ce pas ici le commencement de la punition de mes crimes ? la mesure n’est-elle pas comblée, et n’ai-je pas mérité ce qui m’arrive ?

Quelles douloureuses pensées dans une femme en qui les passions survivent à la possibilité de les satisfaire !

Enfin la paix fut conclue entre le roi d’Angleterre et Charles VII. Une des clauses de ce fameux traité fut que le duc de Bourgogne se dirait convaincu que jamais Charles n’avait attenté aux jours du duc Jean, assassinat dont il avait toujours eu la plus grande horreur ; que le fauteur de ce crime énorme continuerait d’être recherché partout où il se rencontrerait ; que plusieurs établissements pieux seraient érigés, en manière de réparation de cet attentat affreux, et qu’enfin une croix serait placée sur le pont de Montereau au même endroit où le délit avait été commis.

Nous ne rapportons point ici toutes les autres conditions d’un traité qui éleva la maison de Bourgogne au plus haut degré de splendeur où elle pût parvenir, et qui, comme le remarquent fort judicieusement les écrivains de ce siècle, devint en même temps la cause de sa ruine. Mais la dernière de ces clauses, et la plus importante sans doute, puisqu’elle allait laisser respirer la France, fut que Philippe reconnaîtrait le roi Charles pour son seul et légitime souverain : ce qui, dès lors, dégageait le duc de Bourgogne de tous les serments qu’il avait pu faire au roi d’Angleterre.

On ne pensa plus qu’à célébrer par des fêtes un aussi heureux événement… événement dans lequel tous les Français voyaient la fin des malheurs publics et de leurs infortunes particulières.

Mais si ces heureuses nouvelles consternèrent le duc de Bedford et sa nation, quel coup de foudre ne portèrent-elles pas dans l’âme de la malheureuse Isabelle, qui ne voyait plus, cette paix une fois conclue, ni aucune possibilité de nuire à un fils pour qui ces événements devenaient des triomphes, ni aucun moyen de rappeler les Anglais dans les provinces que le traité replaçait pour toujours dans les mains de ce fils abhorré ! Une âme comme la sienne pouvait-elle résister à de si grands revers ?

À peine eut-elle appris ces nouvelles qu’elle se relégua à l’hôtel Saint-Paul ; et ce fut là qu’elle put se convaincre de la fragilité des grandeurs de ce monde, et de l’ingratitude des hommes, dès que la fortune s’éloigne de nous. Courtisans, domestiques, considération, crédit, tout l’abandonna, tout disparut. Il est donc un terme où la justice du ciel venge enfin la vertu que le crime outragea. Son insouciance, ses prodigalités avaient laissé son époux dans un dénuement total : elle-même éprouva bientôt les effets de cet état affreux, l’humiliation et l’horreur. Cette femme, naguère si sensuelle, si délicate, si orgueilleuse, blasée dans ses goûts, dans ses habitudes et dans ses passions, avait à peine pour se couvrir les vêtements qu’elle eût rougi de voir aux femmes qui la servaient jadis, et pour sa table, ce qu’elle n’eût pas souffert qu’on offrît à ses gens.

« Elle était si pauvrement gouvernée (nous dit un auteur du temps) qu’en la voyant, on lui demandait à elle-même où était la reine ; elle n’avait, dit cet historien, que huit septiers de vin par jour, pour elle et pour sa maison. On faisait si peu d’état d’elle, pour les grands maux qu’elle avait causés sur la terre, qu’on eut l’insolence de la poursuivre en raison des dettes contractées par elle pour les premiers besoins de la vie, tels que le feu, l’éclairage, la nourriture, etc. Et elle fut condamnée au payement. »

Réduite à ces cruelles extrémités, n’espérant plus rien, ni des ennemis auxquels elle avait livré le royaume, ni de ses sujets aux yeux desquels sa conduite en avait fait un objet d’opprobre ; insultée par les Anglais même, qui lui disaient en face que Charles VII n’était pas le fils de son mari ; outragée par les Français qui semblaient vouloir la replonger sans cesse dans les flots de sang dont elle avait arrosé leur patrie, il ne lui restait plus que sa douleur… que son repentir ; et si les larmes de ce premier sentiment en calmaient un instant la rigueur, les serpents du second entrouvraient aussitôt les plaies.

Entre ces deux fléaux de la vie, on la voyait errer au fond de son triste palais, ne voulant s’abreuver que de tout ce qui pouvait faire couler ses pleurs avec plus d’amertume, ou redoubler ses remords avec plus de fureur. Souvent alors elle se faisait lire le procès de Jeanne d’Arc ; elle voulait surtout que l’on répétât le passage où cette pauvre fille, s’irritant des invectives lancées contre Charles VII, s’écriait à ses bourreaux avec l’accent du désespoir : Tourmentez mon malheureux corps ; mais n’insultez pas à mon roi, c’est pour lui que je meurs.

« Il était mon fils, ce roi, disait Isabelle, dans une sorte de délire effrayant ; c’était à moi de le chérir, c’était à moi de le défendre, et j’ai livré aux flammes celle qui l’aimait et qui mourait pour lui !… je suis un monstre indigne du jour. Ô furies de l’enfer ! avez-vous préparé pour moi des tourments qui puissent égaler mes crimes ? Je les subirai sans me plaindre, je les invoque avec ardeur. » Passant de là dans l’appartement de son époux et se précipitant près du lit où ce bon prince avait cessé de vivre : « Ô toi ! s’écriait-elle, dont mes forfaits ont creusé la tombe, jette du haut des cieux un œil de pitié sur celle que tu aimas et qui reconnut si mal ce bonheur. Vois l’état où je suis, en évoquant tes mânes ; mes crimes sont si grands, que j’ose à peine élever mes bras vers toi. Ô le meilleur des hommes, daigne obtenir pour ton Isabelle, non le pardon de fautes impardonnables, non l’oubli des crimes monstrueux dont le souvenir doit rester sur la terre pour effrayer et corriger les hommes, mais la pitié, oui, la pitié que mes remords osent demander au Dieu que j’offensai sans cesse. Je ne demande point qu’il éloigne de moi les tourments que j’ai mérités ; je n’implore de lui que la faveur de n’être pas rejetée, lorsqu’au sein des supplices où sa main va me plonger, j’oserai le bénir encore !… Eh ! devions-nous donc, cher époux, être élevés au-dessus des hommes, toi, pour les surpasser par tes malheurs, moi, pour les affliger par mes crimes. Puissions-nous tous les deux servir d’exemples aux rois qui nous succéderont sur ce trône inondé de nos larmes, toi, du danger où l’aveuglement et l’excès de la confiance peuvent entraîner un bon prince, et moi de la juste punition réservée par le ciel et le peuple à celle qui se fit un jeu d’outrager à la fois l’un et l’autre. »

Ne pouvant plus résister à cet état violent, Isabelle obtint la grâce qu’elle demandait chaque jour à Dieu qui, las de la persécuter, daigna l’arracher enfin aux douleurs passagères de la vie, pour lui faire éprouver celles qui ne finissent jamais et que doit sa justice à des exécrations qui faisaient frémir l’univers.

Ce fut dans la soixante-huitième année de son âge, le 30 septembre 1435, dix jours après la signature d’un traité qui, par la raison qu’il calmait la France, venait de déchirer son cœur, que cessa d’exister celle qui ne vécut que pour la honte de son siècle, et qui ne traversa la vie que pour épouvanter ceux qui la parcouraient avec elle.

Elle disparut sans que le tombeau même pût lui servir d’asile. On grava sur le sien, en mémoire de ses crimes, l’animal effrayant qui les rappelle tous : une louve.

Objet de plus d’honneur qu’elle n’en méritait sans doute (mais que le Français toujours bon et juste rend seulement au trône quand il sent ne le pouvoir faire à ceux qui sont indignes de l’occuper), son corps fut exposé quatorze jours à l’hôtel Saint-Paul, au bout desquels on fit son service à Notre-Dame. Le Parlement accompagna le convoi ; l’abbé de Sainte-Geneviève officia. Le lendemain son cercueil fut conduit au port Saint-Landri et mis dans un petit bateau sous la seule garde d’un aumônier, d’un domestique et de deux rameurs qui le menèrent à Saint-Denis. Elle fut placée près du tombeau de celui qu’elle y avait fait descendre[11].

La cérémonie ne fut illustrée d’aucune pompe : les entrailles de la terre frémiraient, elles repousseraient de leur sein le crime qui s’y placerait avec faste.



  1. « Je conserverai cette hache toute ma vie, avait dit Duchâtel, elle a abattu la main avec laquelle ce scélérat avait tué monseigneur d’Orléans. »
  2. Donc il était Bourguignon, et celui qui frappa le chef de ce parti ne pouvait être Bourguignon.
  3. Nous convenons que la hache portée par Tanneguy a pu laisser quelque idée de préméditation ; mais que de choses détruisent cette idée ! D’abord est-il bien sûr que Duchâtel se soit plutôt servi d’une hache que de son épée, et puis ne pouvait-il pas avoir cette hache pour se défendre et non pour attaquer ? N’arrive-t-il pas tous les jours qu’en nous exposant à un danger, l’ami qui nous accompagne se soit armé sans nous le dire ?
  4. Hist. de Fr. par Villaret, t. 14, p. 84.
  5. Nous avons souvent dit que ce fut dans la bibliothèque de ces bons moines que nous recueillîmes en 1764 l’extrait des pièces du procès de Bois-Bourdon, imbécilement lacérées, depuis, par les Welches qui acquirent ce bien.

    Sinistres Ostrogoths qu’on y voit encore aujourd’hui

    fouler insolemment sans pudeur et sans honte les cendres

    des héros que leur audace affronte !

    Comment, d’après cela, pourrions-nous répondre à l’invitation qui nous a été faite de déposer nos pièces justificatives chez un notaire ? Les originaux n’existent plus, et quant à nos extraits, dès qu’ils sont de notre main, les gens qui doutent de tout, parce qu’ils ne sont pas faits pour croire à rien, ne pourraient-ils pas objecter que ce que nous disons ne serait pas plus vrai que ce dont nous l’étayerions ? Nous ne pouvons donc fournir à l’appui de nos assertions que la copie des réponses qui nous furent adressées quand nous demandâmes le sort des originaux.

  6. Voyez les registres et autres papiers de la Bastille déposés lors de la révolution aux grands Jésuites de la rue Saint-Antoine et compulsés par nous en 1790.
  7. Nous avons eu sous nos yeux la preuve de ce que nous avançons ici, dans le procès manuscrit de Jeanne d’Arc, transporté de Rouen à la Bibliothèque royale de Londres, et qui n’est point celui (très apocryphe) cité par les historiens, qui n’ont pas pu ou qui n’ont pas voulu en approfondir davantage.
  8. Le salut, monnaie de ce règne, valait vingt-cinq sols ; on l’appelait ainsi à cause de l’effigie de l’annonciation que l’on voyait sur ces pièces.
  9. Voyez Villaret, t. 15, p. 58 et note.
  10. Voyez l’Histoire des comtes de Hainaut, ouvrage écrit par un moine allemand et qui se trouvait en 1772 au palais du gouvernement, à Mons.
  11. Là, quoique déposée depuis quatre cents ans, là, dit-on, ses mânes s’agitent quelquefois encore ; et se mêlant à celles des Frédégonde et des Brunehaut, elles placent dans l’âme des Français, près de l’horreur qu’elles inspirent, cette douce consolation que les siècles déshonorés par ces monstres ne peuvent plus se reproduire dans les annales de l’éternité.