Histoire du chevalier Grandisson/Préface


PRÉFACE
DE L’ÉDITEUR ANGLOIS.



L’Éditeur de ces Lettres croit pouvoir se dispenser d’apprendre au Public, comment elles sont tombées entre ses mains ; mais il s’applaudit de l’occasion qu’elles lui donnent d’achever un plan qu’il avoit formé avec complaisance, & qu’il desiroit de remplir, beaucoup plus qu’il n’osoit l’espérer.

Le premier Recueil qu’il a publié sous le titre de Pamela, représente la beauté & la supériorité de la vertu dans une ame simple & innocente, avec les récompenses que le Ciel se plaît souvent à verser sur la bonté, pendant le cours même de cette vie. Une jeune fille, sans naissance, fait à ses honnêtes Parens le récit des épreuves auxquelles son honneur est exposé, de la part d’un Maître, dont le devoir étoit de lui servir de protecteur ; cette peinture renferme celle du caractere d’un Libertin, dans tout ce qu’il a de méprisable. Cependant la bonne éducation que ce Libertin a reçue d’une excellente Mere, son amour pour une Fille vertueuse, & l’aimable exemple qu’elle lui donne avec une patience invincible, lorsqu’elle est devenue sa femme, le rappellent enfin à la pratique de cette vertu, dont il n’avoit que le goût.

Dans le second Recueil, que l’Éditeur a publié sous le nom de Clarisse, la scene est beaucoup plus diversifiée. Elle offre une personne du même sexe que Pamela, mais née dans un plus haut rang & pour d’autres espérances, qui se trouve engagée dans une telle variété de malheurs & de chagrins, qu’elle perd la vie par une mort prématurée ; leçon terrible, pour les Parens qui entreprennent de forcer les inclinations d’une jeune Fille dans la plus importante affaire de la vie, & pour toutes les jeunes filles qui prennent une téméraire confiance aux plus belles promesses d’un homme sans principes. Cependant l’Héroïne, soutenue par le secours de la Religion, triomphe de toutes les épreuves ; & son cœur, toujours excellent, purifié, exalté par chaque disgrace, se réjouit à l’approche d’une meilleure vie. La méchanceté de son cruel Destructeur paroît également noire & impuissante, jusques dans les odieux succès dont il fait gloire ; mais l’excès d’une vaine présomption lui fait étouffer quelques remords dont il ne laisse pas d’être épouvanté. Il ferme les yeux à la lumiere ; il s’endurcit contre la conviction ; & s’obstinant à rejetter toutes sortes d’avertissemens & d’instances, il périt misérablement dans le plus bel âge de la vie, accablé enfin de regrets, de honte & d’horreur, qu’il emporte inutilement au tombeau. On se flatte que ses Lettres pourront être de quelqu’utilité aux jeunes gens, pour les tenir en garde contre l’abus de l’esprit, de la jeunesse, du rang, de la fortune, & de tous les avantages extérieurs, qui se changent souvent en malédiction pour ceux qui les possedent, & dont les effets ne deviennent pas moins funestes à la Société.

D’heureuses circonstances ont procuré à l’Éditeur une troisieme collection de Lettres, qui le met en état de présenter au Public le caractere & les actions d’un homme d’honneur. On trouvera, dans le Chevalier Grandisson, l’exemple d’une belle ame, dont la conduite est uniforme dans une grande variété de situations difficiles, parce que toutes ses actions partent constamment d’un même principe. On y verra l’ami de la Religion & de la vertu, l’homme ferme, sensible, éclairé, agréable & cher à tout le monde, par la noblesse de ses manieres & la droiture de son cœur ; heureux en lui-même, & faisant le bonheur des autres.

Cette explication doit faire juger que dans l’Ouvrage qu’on publie, comme dans les deux qui l’ont précédé, l’unique, & même le principal dessein de l’Éditeur, n’est pas d’offrir une lecture amusante. Ses vues sont nobles. Mais il espere que la variété des évenemens & des caracteres qui se trouvent nécessairement introduits dans un si grand nombre de Lettres, sera également capable de plaire & d’instruire ; d’autant plus que les principaux Correspondans sont de jeunes gens pleins de feu, qui joignent, aux agrémens de l’esprit, toute la politesse d’une belle éducation.

La nature des Lettres familieres, dont la plupart s’écrivent dans le moment où le cœur est agité par des craintes & des espérances, sur des évenemens incertains, doit servir d’excuse pour la grosseur de cette collection. On auroit pu rassembler plus de faits & de caracteres dans un moindre espace ; mais seroient-ils aussi intéressans ? Le récit de la jeunesse du principal Acteur se trouve heureusement renfermé dans un assez petit nombre de Lettres. Il n’y a point un épisode dans l’Ouvrage entier ; & lorsque le Chevalier Grandisson commence à paroître sur la scene, on ne trouvera plus rien qui ne tende à l’illustration du dessein principal. Les premieres Lettres ne seront pas jugées plus inutiles, si l’on observe qu’elles font connoître au Lecteur une partie des Personnages dont l’Histoire est étroitement liée avec celle du Héros.