Histoire du Canada sous la domination française, Vol 1/Chapitre 2

CHAPITRE II.


Étymologie du nom de Canada ; aspect du pays ; climat, sol, productions, habitans.


L’étymologie du nom de Canada est assez incertaine : l’opinion qui nous paraît la plus probable est que ce nom vient du mot iroquois Kannata, ou Cannada, qui signifie amas de cabannes, ou de quelque autre mot souvent employé par les aborigènes.

Quoiqu’il en soit, les Européens donnèrent d’abord le nom de Canada à une étendue de pays beaucoup plus considérable que celle que renferment présentement les provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada : on comprenait encore sous ce nom, le Labrador, l’Acadie, et une partie des présents États de New-York et de Vermont.

Lorsque les Européens abordèrent pour la première fois sur les rivages du Canada, ils trouvèrent cette vaste région partout couverte d’épaisses forêts, ou dans son état de nature. La partie la plus septentrionale leur parut, comme elle l’était en effet, condamnée à une éternelle stérilité ; mais l’aspect et la nature des productions des parties plus méridionales les leur durent faire regarder comme très susceptibles de culture, et capables de produire la plûpart des grains et des fruits de l’Europe. La variété presque infinie des arbres et des plantes qu’on y voyait croître était un garant sûr qu’il en devait être ainsi. D’ailleurs, tout sauvage et inculte qu’il se trouvait, le Canada n’était pas dépourvu de beautés naturelles : les environs de Stadaconé et d’Hochelaga (de Québec et de Montréal) parurent charmants à Jacques Cartier et à ses compagnons de voyage, et tous ceux qui vinrent après eux en portèrent le même jugement. Le climat était rigoureux en hiver, surtout dans la partie septentrionale : le changement du chaud au froid et du froid au chaud y était quelquefois subit ; mais l’air était salubre, quoique la maladie dont les gens de Cartier furent attaqués en dût donner d’abord une idée peu favorable. Le poisson abondait dans les lacs et les rivières, ainsi que dans les golfes et les baies, et le gibier dans les forêts. Ce pays avait encore l’avantage de n’être pas infesté de bêtes venimeuses ou féroces, le serpent à sonnettes étant le seul reptile dont la morsure fût dangereuse, et l’ours à peu près le seul quadrupède dont la rencontre pût être parfois redoutable.

Le Canada était habité par diverses nations ou tribus sauvages, différant peu entr’elles par le caractère, les mœurs et les usages : c’étaient, vers le nord, les Eskimaux, peuple faible, peu adonné aux armes, et ressemblant, à certains égards, aux Lapons et aux Groenlandais, déjà connus des Européens : le long de la mer, au sud du golfe de Saint-Laurent, les Souriquois ou Micmacs, les Cannibas, les Abénaquis. En remontant le fleuve, on trouvait d’abord les Montagnais, qui habitaient, ou fréquentaient principalement les bords de la rivière de Saguenay et du lac Saint-Jean. Les Algonquins occupaient les bords du grand fleuve, depuis quelques lieues au-dessous de Québec jusqu’à l’embouchure de la rivière de Saint-Maurice, ou un peu au-dessus. Une autre tribu occupait l’île de Montréal et ses environs. Au midi des grands lacs Érié et Ontario, qui ne furent découverts que longtemps après les voyages de Jacques Cartier, était la nation des Agonnonsiomni ou Iroquois, espèce de confédération composée de cinq tribus, ou cantons, savoir, en allant à peu près de l’est à l’ouest, Agnier ou Mohawk, Onnontagué, Goyogouin ou Cayuga, Onneyouth et Tsonnonthouan.[1] Au nord-ouest des Iroquois, entre les lacs Érié et Huron, était la tribu nombreuse des Yendats ou Hurons. Les Outaouais fréquentaient principalement les bords de la grande rivière qu’on a depuis appellée de leur nom.

Tous ces peuples, excepté peut-être les Iroquois, étaient de mœurs assez douces, dans le commerce ordinaire de la vie ; ils ignoraient l’usage des boissons ennivrantes, et étaient exempts de la plupart des vices qui infestaient les nations policées de l’Europe et des autres parties du monde ; mais dans leurs guerres, ils étaient tous d’une cruauté révoltante, tourmentant leurs prisonniers de la manière la plus horrible, et poussant quelquefois la barbarie jusqu’à les manger.[2] Ils croyaient à l’existence d’un être éternel et tout-puissant, qu’ils appelaient, dans leur langue, le Grand Esprit, et à une vie à venir, sur laquelle ils avaient des idées fantastiques et bizarres, comme la plupart des autres peuples sauvages. Ils avaient, en outre, des espèces de pénates, ou divinités particulières, qu’ils appellaient aussi Esprits, et qui répondaient assez aux génies ou démons des anciens payens. Tous leurs arts se bornaient à faire des cabanes, des canots, des filets, des habits de peaux de bêtes, et des armes, dont les plus ordinaires étaient l’arc et la flèche : ils savaient aussi sculpter et peindre ou teindre grossièrement, et cultivaient quelques légumes.

Jacques Cartier avait rencontré plusieurs bourgades, avant d’arriver à celle de Stadaconé, qu’il représente comme considérable et très peuplée. Quant à celle d’Hochelaga, voici, d’après Charlevoix, la description qu’il en donne. « C’était une bourgade de forme à peu près ronde : trois enceintes de palissades y renfermaient environ cinquante cabanes, longues de plus de cinquante pas, chacune, et larges de quatorze ou quinze, et faites en forme de tonnelles. On entrait dans la bourgade par une seule porte, au-dessus de laquelle, aussi bien que le long de la première enceinte, régnait une espèce de galerie, où l’on montait avec des échelles, et qui était pourvue de pierres et de cailloux, pour la défense de la place. »

  1. Les Hollandais et les Anglais, ou leurs descendans en Amérique, ont donné à ces cinq cantons des noms un peu différents, les appellant, dans l’ordre énoncé, Mohawk, Onnondaga, Cayuga, Oneida et Seneka.
  2. La suite de cette histoire fera connaître plus particulièrement leurs mœurs et leurs habitudes.