Histoire des Vampires/I/Chapitre IX

CHAPITRE IX.

Des Loups-Garoux ou Hommes-Loups, qui mangeaient des enfans et buvaient du sang humain.

Tous ces traits, et surtout les spectres qui tuent, le fantôme de Philinnion et de ces autres mortes qui viennent en corps et en âme coucher avec les vivans, tiennent de près au Vampirisme. Nous allons approcher encore des Vampires dans leur perfection en parlant des loups-garoux et des spectres qui mangent de la chair et qui boivent du sang.

La foi aux loups-garoux et aux métamorphoses des hommes en bêtes est très-ancienne : On voit dans la Bible Nabuchodonosor changé en bœuf ; dans Homère, les compagnons d’Ulysse changés en pourceaux ; dans Ovide, Lycaon changé en loup, etc.

On a vu des gens se croire des pots de terre, et s’éloigner des passans pour n’en être pas heurtés. L’immortel Pascal s’imaginait toujours qu’il était sur le bord d’un précipice. Ajax en fureur croyait exterminer les princes grecs en égorgeant un troupeau de moutons, comme Don Quichotte perçait des ailes de moulin à vent en se persuadant qu’il pourfendait des géans.

Ceux qui sont attaqués de la Lycantropie (maladie aujourd’hui extrêmement rare) s’imaginent qu’ils sont des loups, et agissent en conséquence[1]. Virgile parle dans une de ses églogues des moyens qu’employaient les bergers pour se changer en loups. Dans l’Incrédulité savante le P. Jacques d’Autun conte qu’un roi de Bulgarie prenait fréquemment la figure d’un loup pour épouvanter ses peuples. Pline fait l’histoire d’un certain Antæus, dont la race avait le privilége de se transformer en loups, et de courir les bois.

On assure aussi qu’en coupant la patte d’un loup-garou, on détruit le charme de sa métamorphose : on le force à redevenir homme ; mais avec la main ou le pied coupé. C’est ce qui arriva à la femme d’un gentilhomme d’Auvergne, qui voulait, sous sa forme de louve, faire violence à un chasseur, ami de son mari : le chasseur en se défendant lui abattit la patte droite, et son mari la fit brûler, comme c’était l’usage dans ce temps-là[2].

On sait que la qualité distinctive des loups-garoux est un grand goût pour la chair fraîche. Delancre assure qu’ils étranglent les chiens et les enfants ; qu’ils les mangent de bon appétit ; qu’ils marchent à quatre pattes ; et qu’ils hurlent comme de vrais loups, avec de grandes gueules, des yeux étincelans, et des dents crochues.

On poursuivit en justice à Besançon, l’an 1521, trois loups-garoux fameux, Pierre Burgot, Michel Verdun, et le gros Pierre. Tous trois confessèrent qu’ils s’étaient donnés au diable. Michel Verdun avoua qu’ayant mené Burgot dans un lieu écarté, ils avaient dansé en l’honneur de Lucifer, avec des chandelles vertes à la main ; et, que s’étant ensuite frottés de graisse, ils s’étaient trouvés changés en loups. « Dans cet état ils s’accouplaient aux louves avec autant de plaisir qu’ils le faisaient aux femmes, quand ils étaient hommes. Burgot convint qu’il avait tué un jeune garçon avec ses pattes et dents de loup, et qu’il l’allait manger si les paysans ne lui eussent donné la chasse. Michel Verdun confessa qu’il avait tué une jeune fille occupée à cueillir des pois, et que lui et Burgot avaient tué et mangé quatre autres petites paysannes : ils désignaient le temps, le lieu, et l’âge des enfans qu’ils avaient dérobés. » Ces malheureux furent condamnés à être brûlés vifs; et leur histoire fut peinte dans l’église des Jacobins de Poligny. Sur ce tableau remarquable chaque loup avait la patte droite armée d’un couteau de cuisine[3].

Bodin raconte sans rougir qu’en 1542 on vit un matin cent cinquante loups-garoux sur une place publique de Constantinople. L’auteur de la Réalité de la Magie et des apparitions[4] ajoute que ce fait est constaté dans les journaux du temps. Il serait curieux de voir les journaux de la Turquie en 1542. Le même auteur (M. l’abbé Simonnet,) qui a pris à tâche de faire en 1819 une compilation digne à peine du 13e siècle, raconte ensuite l’histoire de trois jeunes gens qui estropièrent leurs sœurs et leurs maîtresses, déguisées en louves ; et il dit qu’il a tiré cela d’une chronique de Poitiers : mais cette chronique et cette histoire n’existent que dans la tête de M. Simonnet. Il était inutile de supposer des contes de loups-garoux, tandis que l’ouvrage de Nynauld sur la lycantropie en est tout farci.

Au reste jusque vers le milieu du 17e siècle on voyait partout en Europe des loup-garoux, des sorciers et des spectres. Tous les écrivains dévots en parlent avec frémissement. On est tout surpris de trouver dans l’admirable roman de Persilès et Sigismonde, le dernier ouvrage de Cervantès, des îles de loups-garoux et des sorcières qui se changent en louves, pour enlever les hommes dont elles sont amoureuses.

On brûlait tous les jours un grand nombre de malheureux hypocondres, accusés de lycantropie ; et les théologiens et dévots se plaignaient continuellement de ce qu’on n’en brûlait pas assez. Delancre propose[5] comme un bel et très-juste exemple, un trait qu’il a pris je ne sais où, d’un duc de Russie, « lequel, averti qu’un sien sujet se changeait en toutes sortes de bêtes, l’envoya chercher ; et, après l’avoir enchaîné, lui commanda de faire une expérience de son art ; ce qu’il fit, se changeant aussitôt en loup : mais ce duc, ayant préparé deux dogues, les fit élancer contre ce misérable, qui aussitôt fut mis en pièces ».

On amena au médecin Pomponace un paysan atteint de lycantropie, qui criait à ses voisins de s’enfuir s’ils ne voulaient pas qu’il les mange. Comme ce pauvre homme n’avait rien de la forme d’un loup, les villageois, persuadés pourtant qu’il l’était, avaient commencé à l’écorcher pour voir s’il ne portait pas le poil sous la peau. Pomponace le guérit, comme on en eût guéri bien d’autres si on n’eût mieux aimé les brûler pour épouvanter les indévots[6].

Les loups-garoux n’étaient pas les seuls en ces bons temps qui mangeassent de la chair fraîche. Sans parler des ogres, que l’on redoute encore dans une foule de villages, il y avait bien d’autres Vampires, qui à la vérité n’étaient pas morts, mais qui n’en étaient pas moins malfaisans. On ne rapportera point ici la hideuse histoire de Gilles de Laval, qui fit mourir des centaines d’enfans pour satisfaire à une démence infâme, à des débauches qu’on ne se hâta pas de punir, parce que le coupable était puissant.

Ouvrez les théologiens qui ont décrit le sabbat, vous y verrez des sorcières occupées à faire cuire et à manger de jeunes enfans… On voulait brûler les sorciers ; il fallait des crimes ; on leur attribuait les idées les plus horribles : on les leur faisait avouer avec les doux moyens de la torture.

  1. Voyez, dans le Démoniana de madame Gabrielle de P., une historiette assez agréable intitulée la Course du loup-garou, p. 203. C’est un extrait piquant des lourdes aventures de M. Oufle, par l’abbé Bordelon.
  2. Boguet. Discours exécrables des sorciers.
  3. Histoire de la Magie en France p. 118. On voit dans le même ouvrage plusieurs autres loups-garoux brûlés pour avoir mangé des petits enfans, même le jour du vendredi…
  4. Ou contre-poison du Dictionnaire infernal, p.84.
  5. Tableau de l’Inconstance des mauvais anges et démons. Liv. IV, p. 304.
  6. Les loups-garoux devaient être communs, dans des temps où le peuple était plongé dans des misères que nous soupçonnons à peine. Des travaux excessifs et la faim amenaient la mélancolie noire. Les prêtres et les moines, qui ne pouvaient autrement retenir le malheureux dans ses devoirs trop pénibles envers tous ses nombreux tyrans, attestaient toutes les histoires de spectres, de sorciers, de loups-garoux. Le paysan, dont le cerveau était troublé, les organes affaiblis, devenait loup-garou, et courait les champs. Peut-être espérait-il moins de maux avec le diable qu’avec ses maîtres. Quoiqu’on sût bien qu’il n’était pas loup, on le brûlait pour la gloire de la religion, etc. Aussi les malheureux craignaient les moines et haïssaient Dieu.