Histoire des Trois Royaumes/III, II

Traduction par Théodore Pavie.
Duprat (1p. 202-217).


CHAPITRE II.


Tao-Kien offre trois fois sa province à Hiuen-Té.


I.[1]


[Année 194 de J.-C] Tsao-Tsao fuyant toujours vit arriver vers lui, du côté du sud, une troupe de combattants qu’il reconnut bientôt pour la division de son lieutenant, Hia-Héou-Tun ; ce général venait à son secours avec des troupes fraîches. Pendant que se livraient ces grands combats, le ciel s’était obscurci et il tomba une pluie abondante. Chaque chef rallia ses cohortes ; Tsao, de retour à son camp, gratifia Tien-Wey, à qui il devait la vie, du grade d’inspecteur dans l’armée et lui fit des présents.

Cependant, revenu aussi au milieu de ses retranchements, Liu-Pou tenait conseil avec Tchin-Kong. « Écoutez, dit celui-ci ; dans la ville de Pou-Yang il y a une famille riche du nom de Tien, laquelle compte bien mille serviteurs. Faites en sorte que le chef de cette famille envoie dans le camp de Tsao-Tsao un billet ainsi conçu : Liu-Pou est un homme violent, cruel ; le peuple l’a pris en horreur. Le voilà qui part pour prendre la ville de Ly-Yang sans laisser ici d’autres troupes que la division de Kao-Chun. Attaquez cette ville au milieu de la nuit et je vous seconderai à l’intérieur en soulevant la population. Or, si Tsao répond à cette fausse invitation, mettez le feu aux quatre portes, embusquez des troupes hors des murs. En dépit de sa haute capacité, de ses talents extraordinaires, Tsao ne pourra nous échapper une fois qu’il aura donné dans le piége. »

Le stratagème plaisait à Liu-Pou ; il fit secrètement prier l’individu nommé Tien d’écrire la lettre convenue. Honteux de sa défaite, Tsao osait à peine regarder en face la ville de Pou-Yang, perdue pour lui, et ne savait quel parti prendre. On lui annonce un messager qu’il reçoit et une lettre dont voici la teneur :

« Liu-Pou est parti pour Ly-Yang ; la ville est déserte, nous vous attendons avec une vive impatience. Nous agirons de concert avec vous ; le signal sera une bannière blanche arborée sur les murs et portant cette devise : Fidélité ! écrite en gros caractères. »

« C’est le ciel qui veut me livrer Pou-Yang, » s’écria Tsao, et dans sa joie il combla de présents le messager. Déjà même il rassemblait ses troupes, mais un des conseillers militaires nommé Liéou-Ye l’arrêta : « Si Liu-Pou n’a pas de grandes ressources d’esprit, il les trouve dans Tchin-Kong ; ce Tien se prête à une trahison. — Avec de pareilles craintes, reprit Tsao, on fait avorter toutes les belles entreprises. — Au moins ayez de la prudence, reprit le conseiller ; séparez vos forces en trois divisions, deux resteront en embuscade hors des murs pour prêter main forte, l’autre entrera dans la ville ; une fois ces précautions prises, vous pourrez agir. » Tsao approuva ce plan qui, disait-il, était d’accord avec ses propres idées.

[Année 194 de J.-C] On était alors au 21e jour du 9e mois de la 1re année Hing-Ping, la 11e du 48e cycle. Arrivé au pied des murailles avec ses troupes, Tsao s’avance pour faire une reconnaissance. Tout autour des remparts il voit flotter de petits drapeaux ; mais à l’angle occidental se déroule la bannière blanche avec la devise : Fidélité. Une joie secrète fait battre son cœur. Ce même jour, à la septième heure, les portes s’ouvrent, et deux divisions sortent pour s’opposer à son approche. En tête marche Heou-Tching ; derrière lui vient Kao-Chun. Mais Tsao envoie contre ces deux généraux Tien-Wey qui, armé de ses deux lances, attaque le premier des deux chefs ennemis. Celui-ci ayant sur les bras un trop rude adversaire tourne bride et rentre dans la ville. Tien-Wey le poursuit jusqu’au pont qui traverse le fossé. À son tour Kao-Chun, hors d’état de résister, court s’enfermer dans les murs de la place.

Aussitôt un des soldats de la garnison profite du moment pour sortir de la ville et vient secrètement remettre à Tsao un billet ainsi conçu : « Cette nuit, à la première veille, quand résonnera le tambour de cuivre, ce sera le signal. Faites marcher vos troupes, les portes vous seront livrées. » Là-dessus, Tsao choisit quatre de ses lieutenants, Heou-Youen, Ly-Tien, Yo-Tsin et Tien-Wey, qui doivent avec lui pénétrer dans la ville à l’heure dite. Il donne à Heou-Tun le commandement de l’aile gauche, et celui de l’aile droite à son parent Tsao-Hong. Dès qu’il fait nuit, après le repas du soir, tous sont à cheval.

Ly-Tien pria Tsao de rester hors des murs, tandis qu’il s’aventurait le premier dans la ville, mais celui-ci repoussa ce conseil : « Si je ne me montre pas en personne, répondit-il, qui osera venir au-devant de nous ? » Aussitôt il prend ses troupes et marche. La lune ne montrait pas encore sa lumière ; quand la première veille retentit sur les murs, au moment où frappe le tambour, un bruit confus, auquel se mêle celui de voix nombreuses, se fait entendre dans la ville du côté de l’ouest. Là aussi montent les flammes d’un incendie ; les portes s’ouvrent toutes grandes, le pont-levis s’abaisse. Afin d’entrer le premier, Tsao fouette son cheval ; le voilà en dedans des murailles.

Arrivé jusque dans la rue principale où il ne voit personne venir au-devant de lui, Tsao a deviné le piége ; il tourne bride, crie à ses soldats de reculer ; mais à un signal convenu, au bruit du canon d’alarme, le feu se déclare aux quatre portes comme s’il fût tombé du ciel : devant le cheval de Tsao marchait Tien-Wey, armé de ses deux lances.

On entend retentir de toutes parts les tambours de cuivre ; c’est un vacarme pareil au bruit d’un fleuve débordé, d’une mer en courroux. Par les rues principales de l’est et de l’ouest s’avancent deux divisions qui, avec leurs forces réunies, assaillent Tsao ; il veut fuir par la porte du nord, deux autres divisions le prennent à la fois en flanc et achèvent de détruire les troupes qui l’accompagnent ; en vain se jette-t-il du côté du sud, là encore deux généraux lui barrent le chemin. Alors Tien-Wey, l’œil enflammé, les dents serrées, se fraie une issue jusqu’au delà des portes, et refoule hors des murailles les deux chefs ennemis qui ont fondu sur lui. Il a pu nettoyer le passage, et debout sur le pont il se retourne, mais Tsao ne paraît pas[2].

Semant la mort autour de lui, Tien-Wey se rejette dans la ville : « Où est notre maître ? demande-t-il à Ly-Tien qui se présente à lui par hasard au pied des remparts. — Je le cherche en vain, répond celui-ci. — Eh bien ! courez vite hors des murs, appelez du secours, et moi je rentre pour savoir ce qu’est devenu notre chef. »

Là-dessus, renversant tout sur son passage, il pénètre au milieu de la ville sans apercevoir Tsao. Une seconde fois il va gagner la plaine, et près des fossés il se trouve face à face avec un autre général (Yo-Tsin) qui lui adresse la même question : « Où est Tsao ? — Je le cherche partout, mais en vain, répond Tien. — Allons ensemble le sauver à la pointe de nos lances, s’écrie Tsin. » Tous les deux ils arrivent aux portes de la ville, mais une bombe[3] lancée du haut des murs tombe à leurs pieds en éclatant. Le cheval de Tsin est rejeté en arrière, et Tien-Wey seul, bravant le feu et la fumée, se fraie pour la troisième fois une route dans la ville. Ainsi, trois fois il renouvela cette prouesse dont peu de héros ont été capables depuis !

Que devenait Tsao ? Quand il vit Tien se précipiter hors de la ville, rassemblant ses hommes, il voulut sortir aussi ; aucune porte ne lui livrait passage, et à la lueur des flammes il reconnut devant lui Liu-Pou qui faisait un grand carnage parmi ses soldats. Il fouette son cheval à tour de bras et cherche à traverser la mêlée ; mais le redoutable Liu-Pou est sur ses talons qui d’un coup de lance fait sauter son casque en criant : « Où est Tsao ! — Devant vous, répond Tsao lui-même en lui indiquant du doigt, par-dessus son épaule, quelqu’un au hasard ; le voilà qui galope sur un cheval jaune. » Et il s’esquive ventre à terre en changeant de route, tandis que Liu-Pou l’abandonne et poursuit cet autre cavalier.

Or, comme il arrivait près de la porte de l’est, Tsao rencontre Tien-Wey qui lui crie : « Général, la porte du sud s’est écroulée, passez par celle-ci. » Et ils l’atteignirent à la longue en suivant une rue que le fidèle Tien marqua d’une trace sanglante. De toutes parts les flammes se répandent à travers les rues ; du haut des murailles on lance des tas d’herbes en feu, des fascines incandescentes ; la terre entière paraît enveloppée d’un étincelant réseau.

Avec sa lance, Tien disperse ces matières brûlantes ; il traverse au galop les nuages de fumée, les tourbillons de flammes, Il gagne la plaine après avoir ouvert une route à son général, et Tsao allait franchir la porte quand la galerie s’ébranle ; une poutre enflammée tombe sur la croupe de son cheval et l’abat. Tsao rejette loin de lui le brandon fumant, puis arrive au bord extérieur du fossé, la barbe brûlée jusqu’à la peau. À ce moment Tien-Wey, qui marchait en avant, se trouvait hors des murs ; là il rencontre Heou-Youen, et tous les deux ils se précipitent de nouveau dans la ville pour y chercher leur chef à travers les flammes. Heou-Youen aperçoit Tsao ; il le prend dans ses bras, l’emporte sur son cheval et le sauve, grâce à Tien-Wey qui leur fraie un passage avec sa lance. Les autres divisions avaient à lutter contre les troupes de Liu-Pou qui les attaquaient vigoureusement ; le combat dura jusqu’au jour.

Tsao rentre dans son camp ; ses officiers tombent à genoux autour de lui et le félicitent de sa délivrance. « J’ai donné dans le piége du brigand, leur répondit-il avec un sourire, mais j’aurai ma revanche. » Et il eut recours au stratagème suivant qu’il développa lui-même à Kouo-Kia, son conseiller.

Toute l’armée fit des démonstrations de deuil, et on répandit le bruit de la mort de Tsao-Tsao. Dès le matin on fit semer dans Pou-Yang la nouvelle qu’il venait d’expirer sous sa tente après avoir été cruellement maltraité par les flammes. Aussitôt Liu-Pou assemble ses troupes, franchit les monts Ma-Ling[4] et arrive près des retranchements de Tsao-Tsao. Mais les tambours se font entendre ; les soldats embusqués dans la montagne l’enveloppent et l’attaquent de toutes parts ; c’est à peine si Liu-Pou, combattant en désespéré, put échapper à la mort et rentrer dans la ville. Désormais de part et d’autre on demeura tranquille sans sortir des retranchements ni des murailles.

Cette même année, des nuées d’insectes dévorèrent toutes les récoltes ; à l’est des passages, hors du territoire gouverné par l’empereur lui-même, le boisseau de grain se vendait cinquante enfilades de cuivre ; la famine fut si affreuse que les habitants de ce pays désolé se dévoraient les uns les autres. Quand il vit ses vivres épuisés, Tsao-Tsao se retira avec ses troupes dans la ville de Yen-Tching (l’une des trois qui lui restaient fidèles de la province conquise par Liu-Pou), pour y passer cette année de disette.

De son côté, Liu-Pou alla, à la tête de son armée, ramasser de force des provisions dans le Chan-Yang. Ainsi finit (momentanément du moins) cette lutte entre les deux généraux.

Cependant le vieux gouverneur de Su-Tchéou, Tao-Kien, voyant ses infirmités s’aggraver chaque jour, consulta ses deux conseillers, Tchin-Teng et My-Tcho. « Si Tsao s’est retiré, dit celui-ci, c’est que Liu-Pou reste maître de Yen-Tchéou. Maintenant la disette a amené une suspension d’armes ; au printemps, soyez-en sûr, la guerre recommencera. Croyez-moi, cédez votre gouvernement à Hiuen-Té. Déjà il a refusé deux fois, c’est vrai, mais votre santé n’était pas altérée comme elle l’est aujourd’hui. Dans l’état d’accablement où vous vous trouvez, il n’y a plus à balancer ; cédez, seigneur, cédez votre place au héros. »

Aussitôt un exprès envoyé par Tao-Kien alla à Siao-Pey prier Huien-Té de venir au chef-lieu pour délibérer sur les affaires de la guerre ; celui-ci partit emmenant à sa suite Kouan-Yun et Tchang-Fey, ainsi qu’une dizaine de cavaliers. Le vieux gouverneur l’ayant fait approcher de son lit, lui dit : « Seigneur, en vous appelant ici, mon intention a été de vous avertir que la maladie a fait en moi de grands ravages ; ma fin approche, mille et mille fois, seigneur, je vous en supplie, ayez pitié de cette ville qui appartient aux Han ; elle mérite par conséquent que vous la preniez en considération ; acceptez ce sceau, au moins le vieillard pourra-t-il mourir en paix ! — Et vos enfants, objectait Hiuen-Té, ne vous succéderont-ils pas ? — Tous les deux, répondit Tao, ils sont plus propres à labourer leurs champs qu’à gouverner une province ; après ma mort, j’espère que vous daignerez prendre soin de leur éducation, mais surtout veillez à ce qu’ils ne se mêlent en rien aux affaires de l’État. »

Hiuen-Té allégua encore, par modestie, les difficultés qu’entraîne le gouvernement d’une grande province ; mais pour toute réponse Tao-Kien lui désigna comme très-capable de l’aider dans la direction des affaires son assesseur Sun-Kan de Pé-Hay (surnommé Kong-Yeou), et, se tournant vers My-Tcho, il ajouta : « Hiuen-Té est un des grands hommes de notre siècle ; efforcez-vous de le bien servir. » Il s’en fallait beaucoup que Hiuen-Té consentît encore à accepter ce gouvernement tant de fois offert ; mais le vieillard, montrant son cœur avec sa main défaillante, expira.

À peine les premières cérémonies funèbres furent-elles accomplies que tous les mandarins de la principauté pressèrent de nouveau Hiuen-Té de se mettre à la tête des affaires ; et comme il persistait dans ses refus, il fallut que le peuple vînt se prosterner à ses pieds en gémissant : « Si vous ne daignez pas prendre la direction de la province, disaient ces braves gens, nous périrons tous de la main des bandits ! »

Ainsi Hiuen-Té devint gouverneur et seigneur de Su-Tchéou ; My-Tcho et Sun-Kan lui servaient de ministres, et Tchin-Teng était son conseiller intime. D’une part, les troupes restées à Siao-Pey rentrèrent dans le chef-lieu, et des proclamations furent affichées pour tranquilliser l’esprit du peuple. De l’autre, Hiuen-Té rendit à Tsao-Kien les derniers devoirs et prit le deuil ainsi que toute l’armée. Après avoir accompli toutes les cérémonies d’usage avec une grande solennité, il offrit avec le sacrifice aux mânes du vieillard un écrit qui disait :

« Hélas ! dans le service de l’empereur, dans le gouvernement de sa principauté, dans le commandement des troupes, quelles grandes vertus il déploya ! Il fut accompli dans tout ce qui fait l’homme de guerre et le mandarin de lettres ! À la plus stricte équité il savait unir la bonté la plus tendre ! Plein de douceur dans le commandement, doué de profondeur dans la réflexion, il a laissé un souvenir cher à son peuple. Gouverneur du Yeou et du Su-Tchéou, il partagea également ses bienfaits. Les peuples étrangers, pareils à des tigres, se civilisent et s’améliorent si le prince leur donne exemple ; les rebelles, plus nombreux que les fourmis, ne rentrent point dans le devoir tant qu’ils n’ont pas un prince à qui obéir. Sa Majesté, qui aime le mérite, accorda un rang élevé à ceux qui en sont doués pour les mettre en lumière ; aussi appela-t-elle Tao-Kien qui vivait retiré à Ly-Yang. On lui conféra à l’instant le grade de général et le titre honorifique de Ngan-Tong (celui qui pacifie les provinces orientales.) Après avoir rétabli la paix dans l’Empire troublé et ramené l’observance des lois anciennes, Tao-Kien ne tarda pas à mourir ; il ne devait pas vivre éternellement. Privé de son soutien, le peuple a senti que des dangers et la pauvreté le menaçaient. En moins de deux mois cinq districts ont été perdus, et nous tous, ses subordonnés, sur qui nous appuierons-nous ? Nos regrets ne peuvent nous rendre celui que nous pleurons, il ne nous reste plus qu’à implorer le ciel. Hélas ! hélas ! »

Tao-Kien était mort à l’âge de soixante-trois ans.

Après la cérémonie funèbre, Hiuen-Té fit inhumer le défunt sur les bords du fleuve Jaune. Ensuite il transmit à l’empereur le testament par lequel Tao-Kien l’instituait son successeur dans le gouvernement de sa province. Pendant ce temps, Tsao-Tsao, retiré à Yen-Tching, apprit ces événements qui n’étaient pas sans importance. La double nouvelle de la mort de Tao-Kien et de l’élévation de Hiuen-Té lui causa un grand déplaisir ; il se trouvait frustré dans sa vengeance, et un autre que lui obtenait sans effort cette principauté. Sa colère allait jusqu’à vouloir tuer le nouveau vice-roi et anéantir le cadavre de l’ancien pour assouvir sa rage ; il ordonna, en conséquence, que l’on se tînt prêt à marcher. Tout cela causait de vives inquiétudes à Hiuen-Té, qui prévoyait de grands malheurs.


II.[5]


Tsao allait donc partir avec ses troupes pour s’emparer de Su-Tchéou lorsque Sun-Yo l’en dissuada. « Autrefois, lui dit-il, Kao-Tsou, fondateur de la dynastie des Han, et Kwang-Wou, qui en était comme le rénovateur, ont gardé le Kouan-Tchong et occupé le Ho-Neuy[6]. Tous les deux, ils ont fait de ces contrées le point central de l’Empire, la base sur laquelle ils s’appuyaient pour gouverner la terre. Soit que marchant en avant ils obtinssent la victoire sur leurs ennemis, soit que battant en retraite ils fussent réduits à rester sur la défensive, à la fin ils purent, malgré bien des revers et des échecs, arriver à de grands résultats en possédant ces contrées. Seigneur, faites de Yen-Tchéou la base de vos opérations, votre capitale. Les deux fleuves Ho et Tsy enferment dans leur cours le pays le plus important de l’Empire ; il équivaut à ce que les anciens appelaient Kouan-Tchong et Ho-Neuy. Si vous prenez la ville de Su-Tchéou, il faudra y laisser beaucoup de troupes, et alors vous vous priverez d’une forte partie de votre armée ; si vous y mettez une faible garnison, Liu-Pou profitera de cette faute pour s’emparer d’un chef-lieu si utile à posséder. Si nous perdons Yen-Tchéou que nous occupons aujourd’hui sans pouvoir prendre cette autre place trop convoitée, je vous le demande, seigneur, quel refuge vous restera ? Tao-Kien est mort, mais la ville est gardée par Hiuen-Té que le peuple aime avec une affection pareille à celle que témoignaient, dans les anciens jours, les enfants à leurs pères, et il l’aiderait à défendre ses murs jusqu’à la dernière extrémité. Quitter la ville où nous sommes pour prendre Su-Tchéou, c’est abandonner beaucoup pour avoir peu ; risquer la racine pour sauver la branche, changer la paix en périls de guerre ; tout cela vaut la peine d’être pesé ! »

« Mais que faire ? je manque de vivres, dit Tsao. — Seigneur, répliqua Sun-Yo, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’envoyer votre armée fourrager à l’est, au pays de Tchin-Ty. Depuis Jou-Nan jusqu’à Yng-Tchouen, des bandits de l’espèce des Bonnets-Jaunes, Ho-Y et Hwang-Chao, pillent toute la contrée. Ils ont amassé beaucoup d’or, d’étoffes précieuses et de vivres. Les vaincre n’est pas pour vous une entreprise difficile ; par là vous gagnerez de quoi solder et nourrir vos trois corps d’armée. Et ce sera bien mériter de l’empereur, soulager le peuple dans ses maux, obéir aux volontés du ciel. »

Tsao-Tsao, fort empressé de suivre cet excellent conseil, laissa les villes occupées sous la garde de Hia-Heou-Tun et de Tsao-Jin ; lui-même, au douzième mois il se dirigea vers Tchin-Ty. Ensuite, il arriva à Jou-Nan, et les chefs des Bonnets-Jaunes, Ho-Y et Hwang-Chao, instruits de son approche, marchèrent à sa rencontre. C’était dans les monts Yang-Chan qu’ils avaient rassemblé leur immense armée de cent mille hommes. Elle s’avançait comme un troupeau de loups et de renards, couvrant la campagne sans ordre, sans discipline. Les archers et les arbalétriers lancèrent contre ces bandes leurs flèches et leurs pierres pour les arrêter. Tsao dit aussi à Tien-Wey de sortir des rangs. Celui-ci, armé de sa double lance, paraît sur le front de la ligne, et bientôt il a renversé de cheval le lieutenant de Ho-Y, envoyé pour le combattre.

Tsao profita du moment, et put repousser l’ennemi au-delà des monts, au pied desquels il établit lui-même son camp. Le lendemain eut lieu une nouvelle attaque des brigands, commandés par Hwang-Chao. Un général (du nom de Ho-Man) sort à pied des rangs ; il est de haute taille, sur sa tête brille un casque doré, sur ses épaules une tunique verte de fine soie brochée ; dans sa main il porte une lourde masse de fer, avec laquelle il commence l’attaque. Ly-Tien est envoyé contre lui ; mais Tsao-Hong, qui veut avoir tout l’honneur de la victoire, descend de cheval et s’avance le cimeterre au poing. Le combat est longtemps douteux ; la lutte dure plus de deux heures. Enfin Hong, faisant semblant de fuir, attire l’ennemi sur ses pas, puis se détourne brusquement, le frappe de son glaive et lui coupe une jambe. Le rebelle tombe mort.

Ly-Tien, qui s’est précipité au galop sur les lignes des Bonnets-Jaunes, fait leur chef, Hwang-Chao, prisonnier, et les met dans la plus complète déroute. Beaucoup d’entre eux se rendirent ; les armes, les étoffes précieuses, les vivres, tout le butin des rebelles fut la proie du vainqueur. Ho-Y put se sauver avec quelques cavaliers ; entièrement perdu, il voulait se retirer à Kou-Po, quand il fut arrêté derrière les monts par un chef de partisans, homme athlétique et colossal, à la figure martiale, doué d’une force surhumaine. Ho-Y veut tenir tête à cet étranger qui lui barre le chemin ; mais bientôt il est enlevé vivant de dessus son cheval par ce rude adversaire et fait prisonnier. Ceux qui l’accompagnent tombent entre les mains du chef de partisans, qui les charge de liens et les pousse devant lui dans ce village de Kou-Po où ils cherchaient un asile.

Cependant, Tien-Wey qui poursuivait les fuyards, arrive au hameau ; il entend de grandes clameurs, et voyant paraître ce robuste campagnard, il lui crie : « N’es-tu point toi-même un de ces Bonnets-Jaunes ? — Les cent Bonnets-Jaunes qui fuyaient de ce côté, je les ai tous pris vivants et enfermés ici, répond l’inconnu. — Pourquoi ne me les livres-tu pas ? — Si tu veux m’arracher des mains ce précieux cimeterre, reprit le campagnard, je te donnerai mes prisonniers ! » Cette proposition fut mal accueillie par le général victorieux ; il y répondit par une attaque, à laquelle cet homme athlétique opposa une vive résistance. Ce petit combat ayant duré plusieurs heures, les deux adversaires se trouvaient un peu las ; toutefois ils le recommencèrent pour ne le finir qu’avec le jour. Alors, épuisés de fatigue, eux et leurs chevaux, ils se séparèrent.

Les soldats de Tien allèrent bien vite porter la nouvelle de ce qui se passait à Tsao-Tsao ; le général, étonné et mécontent, arrive avec ses troupes pour s’assurer par ses yeux de la vérité du récit qu’on lui a fait. Le lendemain, le chef de partisans n’hésita pas à marcher contre Tsao lui-même. Frappé de sa physionomie presque surhumaine, de son allure imposante et terrible, Tsao ne put s’empêcher d’admirer cet homme ; il conseilla à Tien de feindre une retraite pour l’attirer dans un piége. Celui-ci sort pour combattre et croise longtemps le fer avec le campagnard, qui le poursuit jusqu’aux portes du camp dès qu’il le voit reculer. Les archers et les arbalétriers se retirent en lançant des flèches ; Tsao lui-même emmène ses troupes à près d’un mille en arrière du champ de bataille, et fait creuser un fossé dans lequel il cache ses soldats.

Le lendemain, provoqué par une fausse attaque, le chef de partisans poursuit Tien jusqu’au lieu où quatre généraux se tiennent en embuscade avec des soldats armés de crocs, qui le font rouler dans le fossé, lui et son cheval, le saisissent et le conduisent à la tente de Tsao. Celui-ci, ayant ordonné aux siens de se retirer, dénoua de ses mains les liens du prisonnier, le fit changer d’habits, le pria de s’asseoir et l’interrogea.

« Je me nomme Hu-Tchu (mon surnom Tchong-Kang), je suis de Tchao-Hien, dans le Tchao-Koue, répondit l’inconnu. Au milieu des troubles qui déchiraient l’Empire, j’ai réuni environ mille hommes de ma famille pour me défendre contre les brigands. Un jour, dix mille Bonnets-Jaunes se présentèrent ; ma petite troupe éleva un grand tas de pierres, avec lesquelles j’attaquai moi-même l’ennemi, et le forçai à se retirer ; une autre fois, le village manquait de grains, et les brigands firent un traité avec nous par lequel ils nous donneraient du blé en échange de nos bœufs. Ils vinrent apporter les vivres promis et emmenèrent les bœufs ; mais ces animaux, qui ne tardèrent pas à s’échapper, retournèrent aussitôt à leurs étables. Alors je pris deux queues de bœuf dans ma main et je fis quelques pas en avant ; mais les brigands épouvantés n’osèrent redemander le prix de leurs grains et disparurent. C’est ainsi que j’ai sauvé ce hameau de leurs dévastations. »

« Il y a longtemps que votre réputation est arrivée jusqu’à moi, répondit Tsao ; voulez-vous vous ranger sous mes drapeaux ? — Volontiers, dit le chef de partisans, je me mets à vos ordres, seigneur, avec mes mille hommes ! » Tsao lui témoignant beaucoup d’égards, le nomma à l’instant même inspecteur dans son armée, et récompensa son courage par de riches présents. Le général des Bonnets-Jaunes, Ho-Y, eut la tête tranchée. Les pays de Jou-Nan et de Yng-Tchouen étant pacifiés, Tsao retourna dans le Chan-Tong. On était alors au 4e mois de la 2e année Hing-Ping.

[Année 195 de J.-C.] Tsao-Jin, que Tsao-Tsao avait laissé dans le pays occupé, envoya Heou-Tun à sa rencontre, et le chargea de lui annoncer qu’il tenait de source certaine que les deux chefs ennemis, lieutenants de Liu-Pou, enfermés dans Yen-Tchéou (Sie-Lan et Ly-Fong) se trouvaient presque sans troupes, leur maître les ayant emmenées pour fourrager au loin. La ville pourrait être prise à la première attaque. À cette nouvelle, Tsao se porta en hâte sur Yen-Tchéou. Les deux généraux, Sie-Lan et Ly-Fong, avec fort peu de monde, osèrent l’attendre hors des murs, et les deux armées se trouvant en présence, le nouveau commandant Hu-Tchu demanda la permission de commencer le combat, pour remercier son général de lui avoir laissé la vie sauve.

Tsao lui accorda cette faveur avec plaisir, et l’ancien chef de partisans eut bientôt, dans un combat singulier, renversé et tué Ly-Fong. L’autre lieutenant de Liu-Pou, Sie-Lan, fuyait au plus vite vers la ville ; mais Ly-Tien lui ayant barré le chemin comme il arrivait au pont, il fut contraint de chercher un refuge du côté de Kuu-Ye. Serré de près, vigoureusement poursuivi, il tomba percé d’une flèche, et ses soldats se débandèrent. Celui qui lança ce trait, ce fut un officier natif de Wou-Tching, nommé Liu-Kien.

La ville de Yen-Tchéou fut donc au pouvoir de Tsao. Tchang-Yo lui conseilla de mener son armée vers Pou-Yang ; ce furent le nouveau commandant Hu-Tchu et l’héroïque Tien-Wey qui conduisirent l’avant-garde. Les deux frères Heou-Tun et Heou-Youen étaient à l’aile gauche ; Ly-Tïen et Yo-Tsin à la droite ; Tsao en personne au centre. Yu-Kin et Liu-Kien (celui qui venait de tuer dans sa fuite Sie-Lan) commandaient ensemble l’arrière-garde.

Comme ils approchaient de Pou-Yang, Liu-Pou s’avança au-devant d’eux, malgré les observations de son conseiller Tchin-Kong, qui voulait attendre que toutes les troupes fussent réunies. Mais dans son orgueil Liu-Pou supposait que personne ne serait assez hardi pour lui tenir tête. Il rangea donc ses soldats en bataille, et, la lance au poing, il vint injurier Tsao : « Brigand, disait-il, tu m’as tué les deux généraux que j’aimais le plus ! » Hu-Tchu s’est élancé à sa rencontre, mais la lutte se prolonge sans succès de part et d’autre. « Liu-Pou ne peut être vaincu par un seul homme, » dit Tsao, et il envoie Tien-Wey contre ce guerrier, afin qu’une double attaque l’accable malgré sa valeur. Les quatre autres généraux qui commandaient les deux ailes se précipitent à leur tour, et Liu-Pou, attaqué par six adversaires, lâche pied sans résister plus longtemps.

Alors ce même homme riche dont on s’était servi pour attirer Tsao dans un piège (il se nommait Tien), voyant Liu-Pou battre en retraite, fait lever le pont ; en vain celui-ci crie qu’on lui ouvre les portes, on lui répond que la ville est livrée. Liu-Pou, furieux, conduit ses troupes vers Ting-Tao, tandis que son fidèle conseiller Tchin-Kong protège la retraite de toute sa famille qu’il fait sortir par la porte de l’est. Tsao, devenu maître de la ville, pardonna à celui qui la lui livrait, la trahison à laquelle il avait pris part lors de la première attaque.

« Aujourd’hui, Liu-Pou est comme un tigre traqué et à demi forcé, il ne faut lui laisser aucun repos, » dit le conseiller Liéou-Ye ; et Tsao, lui confiant la garde de la ville conquise, poursuivit son ennemi jusqu’à Ting-Tao. Déjà Liu-Pou avec deux de ses lieutenants (Tchang-Miao et Tchang-Tchao) s’était jeté dans cette place, tandis que les autres généraux (Kao-Chun, Tchang-Leao, Tsang-Pa et Heou-Tching) se trouvaient encore loin de là occupés à enlever des vivres de tous côtés ; car on était au temps de la récolte dans les districts que baigne la rivière Tsy. Au lieu d’attaquer, Tsao se retira à quatre milles de la ville et resta tout un jour campé. Il envoya ses troupes couper le blé pour se nourrir. Ce fut une occasion favorable dont profita Liu-Pou ; instruit de cette inaction, il s’approche des retranchements ennemis et s’assure qu’à la gauche du camp se déploie une forêt impénétrable. Il craint d’abord que cette forêt ne cache un piége, car de son côté Tsao, connaissant le chemin par lequel celui-ci devait s’en retourner, avait dit aux siens d’attacher une bannière à un arbre du bois, afin de le confirmer dans les soupçons qu’il pourrait avoir. En même temps, au fond d’un ruisseau à sec qui régnait tout le long du camp du côté de l’ouest, une division devait être placée en embuscade. Sans aucun doute, Liu-Pou mettrait le feu à la forêt dès le lendemain, et les soldats cachés dans le lit du torrent venant à lui couper la retraite, il serait pris. Une cinquantaine d’hommes seraient laissés par Tsao dans le camp, ils y battraient le tambour à grand bruit, tandis que les enfants faits prisonniers par les soldats, garçons et filles, pousseraient tous des cris tumultueux ; Liu-Pou aurait peur et n’oserait avancer.

En effet, celui-ci consultait Tchin-Kong qui recommandait la prudence avec un ennemi aussi habile que Tsao : « Eh bien ! reprit Liu-Pou, je détruirai par le feu les soldats embusqués ! » Laissant donc la ville sous la garde de ses deux meilleurs officiers (Tchin-Kong et Kao-Chun), il s’avance le lendemain avec toute son armée. La bannière attachée à un arbre l’attire sur ce point, il met le feu aux quatre coins du bois ; mais il n’y avait là personne ! Alors Liu-Pou se tourne contre le camp ; les tambours, les clameurs des enfants, tout ce tapage l’étonne, le laisse indécis ; derrière les retranchements une troupe de soldats se présente ; Liu-Pou les chasse devant lui. Mais, au signal donné par le canon, les soldats cachés derrière le bord du ruisseau se démasquent, et tous les généraux de Tsao se lancent au galop contre Liu-Pou qui les voit en se retournant. Triompher de tant d’ennemis est chose impossible, et il se jette en fuyant à travers la campagne. Un de ses meilleurs officiers (Tching-Lien) tombe près de lui percé d’une flèche que lui lance Yo-Tsin ; sur ses trois corps d’armée deux sont presque détruits.

Tchin-Kong apprend ce désastre de la bouche des fuyards qui se réfugient dans les murs. « Une ville sans soldats ne peut se défendre, dit-il à Kao-Chun ; sortons avec les vieillards et les enfants en protégeant leur retraite. » Cette même nuit, les troupes victorieuses entrèrent l’épée à la main dans Ting-Tao, saccageant et tuant comme si elles eussent coupé des bamboux. Le chef de la garnison, Tchang-Chao, se donna la mort ; sa famille fut massacrée jusqu’au troisième degré, Tchang-Miao alla chercher un refuge près de Youen-Chu. Tout le pays compris sous la dénomination de Chan-Tong fut au pouvoir de Tsao qui tranquillisa le peuple et répara les villes. On était alors au 4e mois de la 2e année Hing-Ping.


  1. Vol. I, liv. III, ch. III, p. 47 du texte chinois.
  2. Dans ce passage, une foule de noms propres a été supprimée, les généraux secondaires des deux armées nous sont trop indifférents pour que nous les nommions à chaque ligne, comme le fait l’auteur chinois.
  3. Plus haut il a été question de canon ; ici la bombe est mentionnée. Le mot chinois Ho-Pao est expliqué par Morrison : « Guns, cannons and rockets, in which powder is inclosed. » Nous traduisons donc tantôt par canon, tantôt par bombe, selon que l’une de ces deux expressions se prête mieux au sens. Il est probable qu’il s’agit dans tout l’ouvrage, non point de canon, mais de ces boîtes dont on se servait jadis en France aux fêtes publiques et dont les Hindous ont conservé l’usage. Cette machine de guerre, citée fréquemment dans le San-Koue-Tchy, ne renfermait pas de projectiles ; on l’employait surtout pour faire des signaux de nuit.
  4. Le mont Ma-Ling était le lieu où s’élevait la sépulture de l’épouse de Tsiang-Taï-Kong, nommée Ma. Ce fut là aussi que les troupes de Pang-Youen essuyèrent une défaite. (Note de l’éditeur chinois.)
  5. Vol. I, liv. III, ch. IV, p. 61 du texte chinois.
  6. Les pays en dedans des passages et entre les divers bras du fleuve Jaune.


Notes


Il s’agit ici des deux grandes rues qui traversent la ville chinoise en se croisant à angle droit ; les quatre extrémités de ces deux rues correspondaient aux quatre points cardinaux et conduisaient aux portes. Un peu plus loin (page 206, ligne 19), il est fait allusion aux galeries, aux pavillons élevés sur les portes et dans lesquels on plaçait des troupes pour défendre l’entrée.


Nous revenons encore sur ce passage qui a fourni une note placée au bas de la page. Le texte dit : « Du haut des murs un canon, une machine à feu (ho-pao) éclata en bas ; » peut-être faut-il supposer qu’il s’agit d’un pot de feu lancé par les soldats placés dans le pavillon au-dessus des portes ?


Cette ruse de Tsao peint parfaitement le caractère de ce grand homme que les historiographes chinois représentent comme impassible dans le péril et conservant toujours son sang-froid. Quelques lignes plus bas, on le voit rire le premier du malheur au-devant duquel il a couru lui-même un peu légèrement. On reconnaît aussi la folle bravoure de Liu-Pou, incapable de réflexion ; guerrier sans vertus, sans moralité, agissant d’instinct en toute occasion.


A propos de cette famine, L’Histoire de la Chine, vol. III, page 569, dit seulement : « La récolte ayant été mauvaise, il régna une espèce de famine dans la province qui était le théâtre de la guerre. » Cette disette ne fut donc que partielle. Il s’agit ici du grand boisseau, égal au chy, contenant dix petites mesures dites téou et pesant 120 livres chinoises. Sur le système monétaire des Chinois, voir les Mémoires publiés par M. Ed. Biot, vol. III et IV du Journal asiatique, troisième série.


Il y a littéralement : « L’ainé Tao-Chang et le cadet Tao-Yng ne sont point hommes à gérer des emplois ; ils n’ont qu’à s’occuper de travaux agricoles, retourner à la vie privée... »


Il y a littéralement : « Qui n’avait pas eu le mérite de décocher la moitié d’une flèche, et sans aucun effort se trouvait possesseur du Su-Tchéou. »


Le texte dit littéralement : « L’empereur sera dans le repos et la joie ; le peuple dans l’allégresse, et vous aurez obéi aux volontés du ciel. » On reconnaît là les trois choses qui font la base du droit public en Chine ; l’obéissance aux volontés du ciel qui donne le pouvoir, le maintien de la dynastie et la conservation du peuple désigné par l’ancienne dénomination, les cent familles.


Ces crocs de fer étaient de plusieurs espèces ; ils sont représentés à ta planche XXVIII du vol. VIII des Mémoires sur les Chinois, et l’usage en est expliqué dans le texte placé en regard.


Cette phrase, traduite mot à mot, aurait besoin d’un commentaire ; est-ce un signal que faisait Hu-Tchu aux brigands en leur montrant ces queues de bœuf, ou bien prit-il deux de ces animaux par la queue pour les arracher de l’étable et les rendre à leurs nouveaux maîtres ?


Il n’est pas rare de trouver une réponse analogue à celle-ci dans la bouche des personnages du San-Koué-Tchy ; c’est par politesse sans doute qu’ils répondent, comme Tsao, en parlant à un inconnu dont jamais ils n’ont entendu parler : « Il y a longtemps que votre réputation est arrivée jusqu’à moi... »


Le mot que nous avons traduit par « ruisseau à sec » signifie plutôt une digue, une écluse, comme le texte dit qu’on cacha les soldats dedans, et qu’un crayon facile à reconnaître a ajouté les mots : Wou-Chouy, sans eau, en façon d’épithète, au caractère chinois ; nous avons adopté le mot ruisseau à sec, parce qu’il donne un sens plausible.


Ces enfants des deux sexes enlevés par les soldats chinois et gardés dans les camps sont une mention assez curieuse. S’agirait-il seulement d’enfants ramassés à travers la campagne pour les employer dans la circonstance présente ?