Histoire des Canadiens-français, Tome V/Chapitre 6

Wilson & Cie (Vp. 111-122).

CHAPITRE VI

1680 — 1687


La Salle descend le Mississipi. — Fort rétabli aux Illinois. — Cataracoui démantelé. — La Salle en disgrâce ; il retourne au Mississipi par le golfe du Mexique ; sa mort. — Mœurs et coutumes des Sauvages de l’ouest. — Milices canadiennes et troupes de France. — Poste établi au Détroit. — Campagne contre les Iroquois. — Érection d’un fort à Niagara. — Les Sauvages de l’ouest se joignent à l’armée française. — Canadiens dans les colonies anglaises.



I
nfatigable et tenace au delà de toute expression, Cavelier de la Salle s’était remis en route vers le Mississipi. Tout conspirait contre ses entreprises, mais « il paraissait toujours dans son froid et sa possession ordinaire, » selon le père Zenobe Membré. Le roi venait de conseiller à M. de la Barre de ne pas encourager les découvertes et de plutôt « s’appliquer à la culture de la terre dans les habitations défrichées ; » les bailleurs de fonds serraient les cordons de leur bourse ; plusieurs hommes avaient déserté le service de la Salle, trompant ainsi ses calculs et de plus pillant ses marchandises. N’importe ! il repartit pour l’Illinois le 23 juillet 1680 avec une équipe fraîche et bien déterminé à descendre le Mississipi jusqu’à la mer. Que trouva-t-il au fort Crèvecœur et à Saint-Louis, ce fort qu’il avait donné ordre à Tonty de construire sur l’éminence appelée aujourd’hui Starved Rock, un peu plus haut que Crèvecœur, rivière des Illinois ? L’abandon. Ses hommes étaient dispersés ; dix d’entre eux s’étaient mis à la suite des Illinois, faute de pouvoir faire mieux ; cinq autres, accompagnés des père Zenobe Membré et Gabriel de la Ribourde avaient repris le chemin du Canada sous la direction de Tonty. L’apparition des bandes iroquoises au pays des Illinois ; les malheurs financiers récemment survenus à la Salle ; des rumeurs colportées de tribus en tribus contre les Français, tout s’était réuni pour rendre la situation intenable à la poignée de coureurs de bois rassemblée dans Crèvecœur. Tonty, blessé par un Iroquois d’un coup de couteau au flanc, eut le chagrin de perdre le père de la Ribourde[1] dès la première journée de sa pénible retraite ; les privations et mille souffrances particulières à ces voyages l’assaillirent ;
c’est comme par miracle qu’il atteignit Michillimakinac, où le magasin de la Salle venait de

tomber en proie à des voleurs ou à des ennemis très habiles. Parti de Crèvecœur le 11 septembre 1680, Tonty avait passé l’hiver malade à la baie des Puants et arrivait à Michillimakinac le jour de la Fête-Dieu 1681. Deux mois plus tard, la Salle, qui suivait sa trace, se présenta avec des nouvelles : Crèvecœur et Saint-Louis étaient de nouveau occupés par les Français. À mesure qu’un désastre ou un malheur s’abattait sur lui, la Salle redoublait de vigueur et de résolution. Ses marchandises pillées sur le lac Ontario ; ses engagés désertant avec armes et bagages ; les critiques de ses ennemis ; les restrictions de la cour ; l’opposition du gouverneur-général ; le danger de la guerre des Iroquois — rien ne l’arrêtait. Il allait, allait toujours, ne connaissant que sa pensée et voulant la suivre où elle l’appelait. Ce fut l’un des hommes les plus fièrement trempés de son temps, toutefois, s’il était de fer il était aussi cassant — et ses infortunes finissent par ne plus nous étonner.

Le père Membré, Tonty et la Salle voguèrent sans tarder vers le Saint-Laurent. La Salle les laissa avant que d’arriver à Cataracoui ; son projet consistait dans le rétablissement de son crédit, l’organisation d’une nouvelle expédition et la découverte du Mississipi jusqu’à la mer. Telle était son activité que ses deux amis furent rejoints par des renforts et se rendirent à Chicago avant les glaces de l’automne. La Salle[2] les trouva en ce lieu, le 4 janvier 1682[3] étant parti de Cataracoui à la fin du mois d’août[4]. Pour de semblables voyageurs un trajet de cent trente lieues (de Chicago à Crèvecœur) sur les glaces et à travers les neiges ne comptait point : dès les premiers jours de février, ils entraient à Crèvecœur. La Salle ne se reposa nulle part. Le 6 il débouchait sur le Mississipi avec Tonty, le père Membré, vingt-deux Français et dix-huit Sauvages (Abénaquis et Loups) amenant dix femmes et trois enfants. Une nouvelle découverte du grand fleuve s’annonçait : elle devait attirer l’attention beaucoup plus que celle de Jolliet et Marquette, accomplie un peu trop vite pour avoir un grand retentissement, vu la situation de la colonie canadienne à l’époque où elle avait eu lieu.

Rendu chez les Chicassas, avant que de rencontrer la rivière Arkansas, où Jolliet et Marquette s’étaient arrêtés[5], l’un des membres de l’expédition nommé Prudhomme, probablement fils de Louis Prudhomme, de Montréal, se perdit durant quelques jours dans les bois. On donna son nom à un fort, construit sur la rive gauche du Mississipi, le 24 février, et qu’on appela ensuite fort aux Écors. La Salle s’étant remis en route, arriva, le 3 mars, au village Kappa, chez les Arkansas, où il y eut de grandes démonstrations d’amitiés de la part des Français, fort bien accueillis des sauvages. Le père Zenobe Membré tâcha d’expliquer à ce peuple les mystères de la religion chrétienne. Le 20 mars, parvenue chez les Taensa, par l’entremise de Tonty la caravane fut reçue avec solennité et des réjouissances saluèrent son passage. À chaque affluent du fleuve, la Salle envoyait un détachement reconnaître les rivières, lorsqu’il n’y allait pas lui-même. Passé les Taensa, descendant toujours le Mississipi, on eut occasion de voir les ravages de la guerre, car ces tribus étaient en armes les unes contre les autres. Il fallait de l’habileté et du sang-froid pour ne réveiller en rien les susceptibilités de gens ombrageux qui rencontraient pour la première fois des Européens. La Salle et Tonty avaient adopté la pratique de se montrer redoutables tout en ne commettant aucun excès et en protestant de leurs intentions pacifiques, moyen qui leur réussit partout. Enfin, le 6 avril, ils reconnurent la pointe du delta, où le Mississipi se divise en branches pour entrer dans la mer. Le 7, le chenal de droite apparaissait à la Salle ; Tonty entrait dans celui du milieu ; Jean Bourdon, sieur d’Autray, enfilait celui de gauche, et au bout de deux lieues, ils goûtaient les eaux salées du golfe du Mexique. Ayant vu la fin du fleuve, ils remontèrent « et se rassemblèrent tous avec une joie extrême d’avoir heureusement achevé une si grande entreprise », selon que s’exprime Cavelier de la Salle. La Nouvelle-France venait de doubler l’étendue de ses limites. Ce fut l’une des plus grandes découvertes du siècle. Le 9, dans un endroit préparé à cet effet, on dressa une colonne et une croix portant des inscriptions appropriées, et la Salle, l’épée nue, au bruit de la fusillade, prit possession de ces vastes et riches contrées au nom du roi de France et de la religion catholique. Le père Zenobe Membré officiait à la cérémonie religieuse du jour. Le procès-verbal, dressé par Jacques La Métairie[6], notaire de Cataracoui, est signé des noms de : De La Salle, Zenobe Membré missionnaire, Henry de Tonty, François de Boisrondet[7], Jean Bourdon sieur d’Autray[8], Jacques Cauchois[9], Pierre You[10], Gilles Menneret, Jean Michel[11], chirurgien, Jean Mass, Jean de Lignon[12], Nicolas de la Salle[13]. On cite aussi Gabriel Barbier, fils de Gilbert Barbier, de Montréal.

Le retour de l’expédition ne se fit pas sans obstacles. Parti le 10 avril pour remonter le fleuve, la Salle trouva plus de quinze cents hommes en armes contre lui dans les villages qu’il avait traversés si paisiblement. Sa ferme contenance en imposa aux sauvages ; toutefois, il eut à livrer un combat sérieux dans lequel son intrépidité, la bravoure de ses gens et les fusils eurent l’avantage. Sa politique étant toujours de ne laisser derrière lui que le moins de sujets de haine possible, il traita en amis tous ceux qu’il put voir, même les guerriers qu’il avait combattus. Enfin, après des privations sans nombre, il atteignit le fort Prudhomme, vers le 20 mai, et tout à coup y tomba malade au point que l’on désespéra de sa vie. La Salle a traversé par trois ou quatre fois des crises de ce genre que plusieurs ont regardées comme des tentatives d’empoisonnement commises sur sa personne par ses adversaires dans la traite et les découvertes. Une existence aussi accidentée que la sienne peut bien donner prise à de telles légendes, alors même que les apparences ne seraient pas si fortes que ne nous les montrent ses historiens. Le 2 juin le reste de son monde le rejoignit, mais son état de santé le retint au fort Prudhomme jusqu’au premier juillet et alors tous s’embarquèrent pour le fort de Miamis où ils arrivèrent au mois de septembre. Les nouvelles du Canada étaient mauvaises : Cataracoui était menacé d’abandon. Tonty se chargea des lettres et instructions de son chef, se mit en route, au mois d’octobre, et se dirigea vers Québec. La Salle fit mettre la dernière main au fort Saint-Louis des Illinois, et dès le mois de mars (1683) plus de dix-huit mille Miamis, Chouanans et Illinois comptant près de quatre mille guerriers s’y trouvaient réunis pour résister aux Iroquois dont l’arrivée paraissait imminente. Ces sauvages établirent force cabanes dans les environs et se disposèrent à cultiver le sol sous l’égide des canons français.

M. de la Barre avait remplacé M. de Fontenac. Selon le mémoire de la Salle, le nouveau Gouverneur se ligua avec ses ennemis et se mit en devoir de le chasser du lac Ontario. Le fort Cataracoui avait déjà coûté vingt mille livres en argent à son propriétaire comme prix d’achat ; des bâtiments y avaient été érigés et des défrichements ouverts. Une bonne muraille du côté de la terre et des palissades regardant le lac le mettaient à l’abri des attaques des Iroquois. On y avait conduit des bestiaux. Les barques de ce poste sillonnaient le lac. Le sieur de la Forest y commandait. Cet état de choses durait depuis 1679. Aussitôt qu’il eut pris les rênes de l’administration M. de la Barre rappela la garnison, et personne n’y serait demeuré pour préserver ce poste d’un coup de main sans la dépense que s’imposa l’un des associés et cousin de La Salle, François Lenoir dit Rolland et dit Plet, marchand de Lachine, en envoyant des hommes et des marchandises dans ce lieu. M. de la Barre obligea Lenoir à se retirer et à livrer à ses associés à lui, Jacques Le Ber dit Larose[14] et Charles Aubert de la Chesnaye. La traite que faisait faire pour son compte ce gouverneur n’était point un mystère ; la Salle en parle avec des détails qui confirment le fait. Cataracoui était ruiné en 1683 lorsque Henry de Tonty se présenta pour obtenir justice, au nom de son chef. De plus, les créanciers de la Salle, frappés par ce désastre, réclamaient trente mille écus.

Le père Zenobe Membré, en route pour la France, était passé à Québec l’automne de 1682, et connaissant l’esprit hostile qui y régnait contre la Salle, il n’avait voulu rien raconter de son long voyage. De suite, M. de la Barre avait écrit au ministre de se défier de lui ; que les découvertes dont il allait rendre compte ne valaient pas la peine qu’on s’y arrêtât ; que la Salle avait soulevé les Iroquois contre la colonie et que la guerre paraissait inévitable.

Le roi écrivait à M. de la Barre, le 5 août 1683 : « Je suis persuadé comme vous que la découverte du sieur de la Salle est fort inutile, et il faut dans la suite empêcher de pareilles entreprises qui ne vont qu’à débander les habitants par l’espérance du gain, et à diminuer la ferme des castors. »

En décembre 1683, la Salle mettait le pied à Québec, ignorant que le gouverneur eut renouvellé ses instances auprès du ministre et que le privilége de traite dont il jouissait (expiré le 12 mai 1683) ne serait pas continué. Bientôt, néanmoins, il sut à quoi s’en tenir et partit pour la France.

La suite de la carrière de la Salle est connue. Elle n’a qu’un rapport éloigné avec l’histoire des Canadiens-Français. Placé à la tête d’une grande expédition destinée à retrouver par mer les bouches du Mississipi, l’intrépide Normand fut contrecarré par l’officier (M. de Beaujeu) qui commandait la flotte. On dépassa l’endroit où devait s’établir la colonie. Les navires reprirent la route de l’Europe. La Salle voulut se diriger par les terres du côté du fleuve. Il y périt assassiné, le 19 mars 1687, de la main de quelques-uns de ses gens. Ceux qui étaient restés au golfe du Mexique, se voyant dépourvus de chef et n’étant point, pour la plupart, en état de fonder une colonie agricole, se dispersèrent et se mirent à errer dans les solitudes, attendant ou la mort ou l’occasion de repasser en France.

Le 25 août 1687, M. de Denonville écrivait au ministre : « M. de la Salle a fait des concessions au fort Saint-Louis des Illinois à quelques Français qui y résidaient depuis plusieurs années sans espoir de retour. Cela a donné lieu à une infinité de désordres et d’abominations. Ceux à qui M. de la Salle a fait ces concessions sont tous des jeunes gens qui n’ont aucun moyen de cultiver le sol ; toutes les semaines ils épousent des squaws à la manière indienne qu’ils achètent de leurs parents, aux frais des marchands. Ces vauriens prétendent être les maîtres indépendants de ces terres éloignées ; tout cela est en désordre. Cette année, dix d’entre eux avaient comploté d’aller trouver les Anglais pour les amener au Mississipi : la guerre a arrêté ce dessein. Le remède à tout cela c’est que ces concessions soient révoquées par le roi, et que les garnisons de ces postes éloignés soient changées au moins tous les deux ans ; que le commerce y soit réservé aux postes fortifiés où il y aura des commandants. » Cette année, le gouverneur donna à Henry de Tonty vingt bons Canadiens « pour marcher avec lui à la tête des Indiens sur les derrières des Illinois. » M. Rameau observe la préférence accordée aux Canadiens sur les Français d’Europe pour les expéditions en pays sauvages.

À la fin du dix-septième siècle, ce qui restait de Hurons et d’Algonquins en Canada ne comptait plus que pour un nombre insignifiant, mais de nouvelles nations, découvertes vers ce temps, au sud et à l’ouest des grands lacs attiraient l’attention et cela d’autant plus que les Iroquois commençaient à porter la guerre chez elles, suivant pour ainsi dire à la piste les voyageurs français qui pénétraient graduellement dans ces contrées. Les Cinq-Cantons, échelonnés sur les rives est des lacs Ontario et Érié, renfermaient près de douze mille âmes (deux mille deux cents guerriers) vers 1680, au moment où s’ouvrait la longue série de leurs courses les plus célèbres. C’étaient : 1. les Agniers ou Maquaes ou Mohawks : 5 bourgades, 96 cabanes, 300 guerriers ; 2. les Onneyouts ou Onyades ou Oneidas : 1 bourgade, 100 cabanes, 200 guerriers ; 3. les Onnontagués ou Onondagos : 2 bourgades, 164 cabanes, 350 guerriers ; 4. les Goyogouins ou Caïougas ou Cayugas : 3 bourgades, 100 cabanes, 300 guerriers ; 5. les Tsonnontouans ou Senecques ou Senecas : 4 bourgades, 434 cabanes, 1,000 guerriers. Dans les profondeurs de leur territoire, les Iroquois se rencontraient avec les Hollandais et les Anglais ; en face d’eux les lacs Ontario et Érié s’étendaient jusqu’aux rivières qui donnent accès au centre du Haut-Canada ; par la gauche (au sud) se présentait l’Ohio ou Belle-Rivière qui les menait aux Illinois, au Mississipi. Cette race belliqueuse comprenait la valeur de sa position géographique et sut en tirer parti à l’heure propice. Fière de son indépendance, elle pencha alternativement du côté des Français et des Anglais de manière à ne se donner ni aux uns ni aux autres et tint la diplomatie à ses ordres durant de longues années.

Le climat rigoureux du Canada imposait aux Sauvages de ces contrées une existence misérable ; il n’en était pas de même chez les Iroquois, les Miamis, les Poutouatamis, les Puants, les Maloumines, les Illinois, les Sioux, les Outaouais, les Hurons, qui bordaient les grands lacs vers le sud et le sud-ouest. C’est de ces peuples que La Hontan parle dans les lignes suivantes, après les avoir visités durant les années 1686-87. Quoique remplies d’idées préconçues, les lettres de ce voyageur sont bonnes à consulter et elles méritent souvent plus d’égard que certains documents acceptés sans examen par quelques auteurs d’aujourd’hui : « Les Sauvages sont généralement bien faits, de belle taille, et mieux proportionnés pour les Américains que pour les Européens ; les Iroquois sont plus grands, plus vaillants et plus rusés que les autres peuples, mais moins agiles et moins adroits, tant à la guerre qu’à la chasse, où ils ne vont jamais qu’en grand nombre. Les Illinois, les Miamis, les Outagamis, et quelques autres nations sont d’une taille médiocre, courant comme des lévriers, s’il m’est permis de faire cette comparaison. Les Outaouas et la plupart des autres Sauvages du Nord, à la réserve des Sauteurs et des Christinos, sont des poltrons, laids et mal faits. Les Hurons sont braves, entreprenants et spirituels ; ils ressemblent aux Iroquois de taille et de visage. Les Sauvages sont tous sanguins, et de couleur presque olivâtre, et leurs visages sont beaux en général, aussi bien que leur taille. Il est très rare d’en voir de boiteux, de borgnes, de bossus, d’aveugles, de muets, etc. Ils ont les yeux gros et noirs, de même que les cheveux ; les dents blanches comme l’ivoire, et l’air qui sort de leur bouche est aussi pur que celui qu’ils respirent, quoiqu’ils ne mangent presque jamais de pain : ce qui prouve qu’on se trompe en Europe, lorsqu’on croit que la viande sans pain rend l’haleine forte. Ils ne sont ni si forts, ni si vigoureux que la plupart de nos Français, en ce qui regarde la force du corps pour porter de grosses charges, ni celle des bras pour lever un fardeau et le charger sur le dos. Mais en récompense, ils sont infatigables, endurcis au mal, bravant le froid et le chaud, sans être incommodés ; étant toujours en exercice, courant çà et là, soit à la chasse ou à la pêche, toujours dansant, et jouant à de certains jeux de pelotes, où les jambes sont assez nécessaires. Les femmes sont de la taille qui passe la médiocre, belles autant qu’on le puisse imaginer, mais si mal faites, si grasses et si pesantes, qu’elles ne peuvent tenter que des Sauvages. Elles portent leur cheveux roulés derrière le dos avec une espèce de ruban, et ce rouleau leur pend jusqu’à la ceinture ; elles ne les coupent jamais, les laissant croître pendant toute leur vie, sans y toucher, au lieu que les hommes les coupent tous les mois. Il serait à souhaiter qu’ils suivissent les autres avis de saint Paul par le même hasard qu’ils suivent celui-là. Elles sont couvertes depuis le cou jusqu’au-dessous des genoux, croisant leurs jambes lorsqu’elles s’assoient.

« Leurs villages sont fortifiés de doubles palissades d’un bois très dur, grosses comme la cuisse, de quinze pieds de hauteur, avec de petits carrés au milieu des courtines. Leurs cabanes ont ordinairement quatre-vingts pieds de longueur, vingt-cinq ou trente de largeur, et vingt de hauteur. Elles sont couvertes d’écorce d’ormeau ou de bois blanc. On voit deux estrades, l’une à droite et l’autre à gauche, de neuf pieds de largeur, et d’un pied d’élévation. Ils font leurs feux entre ces deux estrades, et la fumée sort par des ouvertures faites sur le sommet de ces cabanes. On voit de petits cabinets ménagés le long de ces estrades, dans lesquels les filles ou les gens mariés ont coutume de coucher, sur de petits lits élevés d’un pied tout au plus. Du reste, trois ou quatre familles demeurent dans une même cabane. Les Sauvages sont forts sains et exempts de quantité de maladies dont nous sommes attaqués en Europe, comme de paralysie, d’hydropisie, de goutte, de phthisie, d’asthme, de gravelle et de pierre. Ils sont sujets à la petite vérole et aux pleurésies. Quand un homme meurt à l’âge de soixante ans, ils disent qu’il est mort jeune, parce qu’ils vivent ordinairement quatre-vingts, jusqu’à cent ans, et même j’en ai vu deux qui allaient beaucoup au delà.

« Les Sauvages ne connaissent ni le tien ni le mien, car on peut dire que ce qui est à l’un est à l’autre. Lorsqu’un Sauvage n’a pas réussi à la chasse des castors, ses confrères le secourent sans être priés. Si son fusil se crève ou se casse, chacun d’eux s’empresse à lui en offrir un autre. Si ses enfants sont pris ou tués par les ennemis, on lui donne autant d’esclaves qu’il en a besoin pour le faire subsister. Il n’y a que ceux qui sont chrétiens, et qui demeurent aux portes de nos villes, chez qui l’argent soit en usage. Les autres ne veulent ni le manier, ni même le voir ; ils l’appellent le serpent des Français. Ils disent qu’on se tue, qu’on se pille, qu’on se diffâme, qu’on se vend, et qu’on se trahit parmi nous pour de l’argent ; que les maris vendent leurs femmes, et les mères leurs filles pour ce métal. Ils trouvent étrange que les uns aient plus de bien que les autres, et que ceux qui en ont le plus soient estimés davantage que ceux qui en ont le moins. Enfin ils disent que le titre de Sauvages dont nous les qualifions, nous conviendrait mieux que celui d’hommes, puisqu’il n’y a rien moins que de l’homme sage dans toutes nos actions. Ceux qui ont été en France m’ont souvent tourmenté sur tous les maux qu’il y ont vu faire, et sur les désordres qui se commettent dans nos villes, pour de l’argent. On a beau leur donner des raisons pour leur faire connaître que la propriété des biens est utile au maintien de la société ; ils se moquent de tout ce qu’on peut dire sur cela. Au reste, ils ne se querellent, ni ne se battent, ni ne se volent, et ne médisent jamais les uns des autres. Ils se moquent des sciences et des arts ; ils se raillent de la grande subordination qu’ils remarquent parmi nous. Ils nous traitent d’esclaves, ils disent que nous sommes des misérables dont la vie ne tient à rien, que nous nous dégradons de notre condition, en nous réduisant à la servitude d’un seul homme qui peut tout, et qui n’a d’autre loi que sa volonté ; que nous nous battons et querellons incessamment, que les enfants se moquent de leurs pères, que nous ne sommes jamais d’accord ; que nous nous emprisonnons les uns les autres ; et que même nous nous détruisons en public. Ils s’estiment au delà de tout ce qu’on peut s’imaginer, et allèguent pour toute raison qu’ils sont aussi grands maîtres les uns que les autres, parce que les hommes étant pétris d’un même limon, il ne doit point y avoir de distinction, ni de subordination entre eux. Ils prétendent que leur contentement d’esprit surpasse de beaucoup nos richesses ; que toutes nos sciences ne valent pas celle de passer la vie dans une tranquillité parfaite ; qu’un homme chez nous ne vaut qu’autant qu’il est riche, mais que parmi eux, il faut pour être homme avoir le talent de bien courir, chasser, pêcher, tirer un coup de flèche et de fusil, conduire un canot, savoir faire la guerre, connaître les forêts, vivre de peu, construire des cabanes, couper des arbres, et savoir faire cent lieues dans les bois sans autres guide ni provision que son arc et ses flèches. Ils disent encore que nous sommes des trompeurs qui leur vendons de mauvaises marchandises quatre fois plus qu’elles ne valent, en échange de leurs castors ; que nos fusils crèvent à tout moment et les estropient, après les avoir bien payés. Je voudrais avoir le temps de vous raconter toutes les sottises qu’ils disent touchant nos manières ; il y aurait de quoi m’occuper dix ou douze jours.

« Ils ne mangent que du rôti et du bouilli, avalant quantité de bouillons de viande et de poisson. Ils ne peuvent souffrir le goût du sel, ni des épiceries ; ils sont surpris que nous puissions vivre trente ans, à cause de nos vins et de nos épiceries. Ils dînent ordinairement quarante ou cinquante de compagnie, et quelquefois ils sont plus de trois cents. Le prélude est une danse de deux heures avant le repas, chacun y chantant ses exploits et ceux de ses ancêtres. Celui qui danse est seul en cette occasion, et les autres sont assis sur le derrière, qui marquent la cadence par un ton de voix hé ! hé ! hé ! hé ! — et chacun se lève à son tour pour faire sa danse. La plus grande passion des Sauvages, est la haîne implacable qu’ils portent à leurs ennemis, c’est-à-dire, à toutes les nations avec lesquelles ils sont en guerre ouverte. Ils se piquent aussi beaucoup de valeur, mais à cela près ils sont de la dernière indolence sur toutes choses. L’on peut dire qu’ils s’abandonnent tout-à-fait à leur tempéramment, et que leur société est toujours machinale. Ils n’ont ni lois, ni juges, ni prêtres ; ils ont naturellement du penchant pour la gravité, ce qui les rends fort circonspects dans leurs paroles et dans leurs actions. Ils gardent un certain milieu entre la gaieté et la mélancolie. Notre vivacité leur paraît insupportable, et il n’y a que les jeunes gens qui approuvent nos manières. »

« Qu’on vienne annoncer à un père de famille que ses enfants se sont signalés contre les ennemis et qu’ils ont fait plusieurs esclaves, il ne répondra que par un : « voilà qui est bien ! » sans s’informer du reste. Qu’on lui dise que ses enfants ont été tués, il dit d’abord : « cela ne vaut rien ! » sans demander comment la chose est arrivée. Qu’un jésuite leur prêche les vérités de la religion chrétienne, les prophéties, les miracles, etc., ils le paieront d’un : « cela est admirable ! » et rien de plus. Qu’un Français leur parle des lois du royaume, de la justice, des mœurs et des manières des Européens, ils répéteront cent fois : « cela est raisonnable ! » qu’on leur parle de quelque entreprise qui soit d’importance ou difficile à exécuter, ou qui demande que l’on y fasse quelques réflexions, ils disent que « cela est de valeur ! » sans s’expliquer plus clairement, et ils écouteront jusqu’à la fin avec une grande attention. Cependant il faut remarquer que lorsqu’ils sont avec des amis, sans témoins, et surtout dans le tête-à-tête, ils raisonnent avec autant de hardiesse que lorsqu’ils sont dans le conseil. Ce qui paraîtra extraordinaire, c’est que n’ayant pas d’étude, et suivant les pures lumières de la nature, ils soient capables malgré leur rusticité, de fournir à des conversations qui durent souvent plus de trois heures, lesquelles roulent sur toutes sortes de matières, et dont ils se tirent si bien, que l’on ne regrette jamais le temps qu’on a passé avec ces philosophes rustiques. »

À l’assemblée tenue le 12 novembre 1682, M. de la Barre avait fait sanctionner la demande de quinze cents nouveaux colons « afin de remplacer les habitants partis pour l’armée. » Sa dépêche resta sans réponse. Il voulait aussi pouvoir compter sur deux ou trois cents soldats, dont une partie destiné à la Galette et à Cataracoui, et il ajoutait : « Il serait facile aux Iroquois de détruire successivement tous ceux qui pourront s’opposer au dessein qu’ils ont de se rendre maîtres de l’Amérique septentrionale et obliger les Français de quitter la colonie, par le secours des Anglais et Hollandais. » Le gouverneur demandait mille fusils à bon marché et autant d’épées pour les donner aux habitants aux prix de France.

La ville de Québec, déjà forte par sa situation, n’avait point de murailles. La ville des Trois-Rivières était entourée d’une palissade en ruine. Montréal, plus exposé, demandait d’être mis à l’abri d’un coup de main. Aussitôt en fonction, M. de Denonville s’occupa de ce soin ; l’automne (1685) n’était pas expiré qu’il avait visité la place et donné ses ordres en conséquence. Le chevalier de Callières, ancien capitaine au régiment de Navarre, et qui venait d’arriver de France, fut nommé gouverneur. En même temps, M. Denonville renvoyait les capitaines[15] d’Esnos ou Hainaut, Montortier et du Rivaux[16], et plusieurs autres officiers, rapporte La Hontan. Cinq cents soldats partis de France, sous les ordres des capitaines d’Orvilliers, Saint-Circq, Macary, de Flour, de Troyes, Daneau, Dumuy, des Meloises, Clément de Valrennes, des Bergères et d’Esquérac, des lieutenants de la Motte, Desjordis, aîné, Desjordis, cadet, Larivière, Chaufour et Ramsay, étaient attendus à Québec ; lorsque le navire mouilla l’ancre on apprit que cent cinquante de ces militaires étaient morts durant la traversée. Néanmoins, depuis que le régiment de Carignan s’était dispersé sur les terres, la colonie n’avait point vu autant de soldats dans ses garnisons. Les compagnies furent logées un peu partout, dans les paroisses. M. de Denonville, écrit La Hontan, « est venu à Montréal avec cinq ou six cents hommes de troupes réglées. Il nous a tous mis en quartier d’hiver dans les différentes habitations des côtes, Mon quartier s’appelle Boucherville. J’y suis depuis quinze jours (ceci est daté du 2 octobre 1685). Les troupes sont ordinairement logées chez les habitants des côtes ou seigneuries, depuis le mois d’octobre jusqu’à celui de mai. L’habitant, qui ne fournit simplement que l’ustensile à son soldat, l’emploie à couper du bois, à déraciner des arbres, à défricher des terres ou à battre du blé dans les granges durant tout ce temps, moyennant dix sols par jour outre sa nourriture. Le capitaine y trouve aussi son compte, car pour obliger ses soldats à lui céder la moitié de leur paie, il les contraint de revenir, trois fois la semaine, chez lui, pour faire l’exercice. Or, comme les habitations sont éloignées de quatre ou cinq arpents les unes des autres et qu’une côte occupe deux ou trois lieues de terrain de front, ils aiment bien mieux s’accorder avec lui que de faire si souvent tant de chemin dans les neiges ou dans les boues. À l’égard des soldats qui ont de bons métiers, le capitaine est assuré de profiter de leur paie entière, en vertu d’un congé qu’il leur donne pour aller travailler dans les villes ou ailleurs. Presque tous les officiers se marient en ce pays-là… Il y en a quelques-uns qui ont trouvé de bons partis, mais ils sont très rares. Ce qui fait qu’on se marie facilement c’est la difficulté de pouvoir converser avec les personnes de l’autre sexe. Il faut se déclarer aux pères et mères au bout de quatre visites qu’on fait à leurs filles : il faut parler de mariage ou cesser tout commerce sinon la médisance attaque les uns et les autres comme il faut… Dès que nous eûmes mis pied à terre, l’année dernière, M. de la Barre envoya nos trois compagnies en quartier aux côtes du voisinage de Québec. Ce mot de côtes n’est connu en Europe que pour côtes de la mer, c’est-à-dire les montagnes, les dunes et tout autre sorte de terrain qui la retiennent dans les bornes, au lieu qu’ici, où les noms de bourgs ou de villages sont inconnus, on nomme côtes certaines seigneuries dont les habitations sont écartées de deux ou trois cents pas et situées sur le rivage du fleuve Saint-Laurent. On dit, par exemple : telle côte a quatre lieues d’étendue, une autre en a cinq. »

M. Denonville avait demandé au ministre l’autorisation d’élever un fort en pierre à Niagara, pour gêner autant que possible les Anglais que le gouverneur Dongan poussait à s’emparer du commerce des lacs. Mais Dongan était trop libre dans ses mouvements, trop hardi dans sa politique et trop rusé pour se laisser devancer par un adversaire dont l’expérience était nulle et qui avait les mains liées. Il convoqua à Albany les députés des cantons iroquois, chauffa leur imagination et les prépara à une lutte prochaine. Quelques maraudeurs donnèrent à connaître aux Français le danger qui menaçait leurs établissements. L’été de 1686, M. Denonville utilisa les services des pères jésuites comme parlementaires ; la saison se passa dans l’attente de la guerre ouverte. Les courses des Iroquois devenaient plus fréquentes ; bientôt il n’y eut plus à douter de la tournure que prenaient les choses, mais Louis XIV intervint auprès du cabinet de Londres et fit embarquer, au printemps de 1687, huit cents hommes de troupes[17], assez mauvaises recrues il est vrai, dont la présence dans la colonie eut un effet prodigieux. M. Denonville se monta la tête. Il fit emprisonner, puis envoyer en France les chefs iroquois assemblés à Cataracoui, la plus grande injure qu’il put commettre envers ce peuple. Une levée de boucliers était dès lors imminente. Quatre bataillons de milices, de deux cents hommes chacun, sous les ordres de MM. de la Valtrie, Berthier, Grandville[18] et Le Moyne ; huit cent trente-deux hommes de troupes réglées ; quatre cents sauvages se trouvèrent réunis au camp de l’île Sainte-Hélène. Cette démonstration mit en danger les missionnaires jésuites des cantons iroquois ; le père Lamberville fut expulsé ; le père Milet échappa au feu par une sorte de miracle. L’armée[19], descendant à la rivière aux Sables, sur le lac Ontario, fut rejointe par le contingent des sauvages de l’ouest sous les ordres de Perrot, du Luth, Tonty et la Durantaye, comme nous l’allons expliquer. Les Tsonnontouans, tribu la plus compromise dans toute cette affaire, furent châtiés d’importance, mais M. Denonville n’alla pas plus loin et se contenta de construire un fort à Niagara où il mit une garnison de cent hommes que le scorbut décima l’hiver suivant ; le chevalier de Troyes y mourut, accusé par les soldats d’avoir, par sa dureté, été la cause de l’épidémie. En même temps les Iroquois paraissaient dans les campagnes aux environs de Chambly et sur divers points de la contrée.

Il faut dire un mot de ce qui s’était passé dans l’ouest. L’octroi de quelques commissions dans l’armée plaisait beaucoup aux Canadiens. Sur la demande de M. de Meulles, le roi ordonna que, chaque année, deux des fils des gentilshommes de ce pays seraient nommés aux troupes dites de la marine. En même temps, on réorganisait la milice. Déjà des hostilités avaient éclaté en Acadie. L’hiver de 1686-87 se passa en préparatifs de guerre. Le fort de Cataracoui fut ravitaillé et muni de soldats. Henry de Tonti, Daniel Greysolon Du Luth Nicolas Perrot, Olivier Morel de la Durantaye reçurent instruction de soulever les sauvages de l’ouest. Le Détroit, que le père Hennepin signale, en 1679, comme un beau et bon pays, était convoité par les Anglais. M. de Denonville, successeur de M. de la Barre, écrivait le 6 juin 1686, à Daniel Greysolon du Luth que c’était la clef des lacs, et enjoignait à cet officier de partir de Michillimakinac pour occuper la place avec cinquante coureurs de bois. Aussitôt l’ordre reçu, Du Luth descendit au Détroit, y planta une palissade et se prépara à faire bonne contenance contre les Hollandais d’Albany qui, l’année précédente, avaient porté des marchandises anglaises dans cette région. Des ordres furent donnés de mettre à mort tout Français qui serait pris appartenant aux bandes de traiteurs étrangers. À l’automne, le gouverneur-général se félicitait de ce que le fort « Saint-Joseph » du Détroit constituait un important moyen de défense. Du Luth était placé sous la direction de la Durantaye, nommé commissaire dans la région des lacs, avec son quartier-général à Michillimakinac. Le traité de Whitehall[20], intervenu en 1686, restreignait les limites de traite des Anglais, mais ceux-ci avançaient toujours et trafiquaient au lac Huron, au cœur du pays français. Une trentaine d’entre eux furent capturés dans ces parages et amenés à la Durantaye. En même temps, la guerre se déclarait contre les Iroquois. M. de Denonville appelait les milices et mobilisait le peu de troupes qui se trouvaient à sa disposition. Nicolas Perrot, à la tête des Outaouais, se présenta à Michillimakinac. Henry de Tonty, laissant chez les Illinois, le sieur de Bellefontaine pour y commander, parut au Détroit (19 mai 1687) avec quatre-vingts de ses sauvages, et y trouva son cousin Du Luth qui rassemblait les guerriers du voisinage du fort pour marcher contre les Iroquois. Les sieurs Tilly de Beauvais et de la Forest amenèrent bientôt leurs contingents, et enfin Perrot et de la Durantaye arrivant de Michillimakinac, entraînèrent cette petite armée, forte de quinze cents hommes, selon le rapport anglais, ou seulement de quatre cents d’après M. de Denonville, vers la rivière aux Sables (lac Ontario) où le gouverneur-général avait réuni les milices canadiennes et les troupes régulières. En descendant le lac Érié, la Durantaye captura trente autres Anglais, placés sous les ordres d’un nommé McGregory et auxquels Lafontaine et Marion, interprètes français, servaient de guides. Le résultat de la campagne vigoureuse dirigée contre les Iroquois fut tel que, l’année suivante (1688), on jugea qu’il n’était plus nécessaire d’entretenir un fort au Détroit ; on en retira la garnison, probablement aussi le poste de traite.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Canadiens-Français ont formé des groupes de population, fondé des villages et des villes sur le territoire des États-Unis. Depuis deux siècles, nos familles ont commencé à laisser le Bas-Canada pour s’établir dans les colonies voisines. Qui se serait imaginé d’aller découvrir dans le premier habitant du site où est maintenant Harrisburg, la capitale de la Pennsylvanie, un Canadien-Français ! Pierre Bisaillon fut ce pionnier. D’autres le suivirent promptement. William Penn, fondateur de la Pennsylvanie, avait jeté les yeux sur les Canadiens et cherchait à s’en faire des amis. Une curieuse lettre de lui (21 juin 1682) adressée à Frontenac, invoque la nécessité de vivre en bons voisins, tel que doivent faire des chrétiens et des hommes libres ; il offre des marchandises à bas prix ; la guerre lui répugne ; il dit avoir avec lui « un peuple modeste, juste et honnête. » M. de la Barre ayant remplacé cette année M. de Frontenac, la politique que ce dernier avait suivie à l’égard de la traite fut généralement abandonnée, et des difficultés survenant avec les Anglais de ce que l’on appela plus tard l’État de New-York, aussi bien que entre le Maine et l’Acadie, il ne fut pas donné suite aux offres de Penn. Une bonne partie de nos coureurs de bois trafiquaient sans permission avec les Anglais et y trouvaient plus de bénéfice que parmi les Français. La lettre de Penn, qui ne fut peut-être qu’une circulaire destinée à allécher ces aventuriers, ne pouvait mieux tomber qu’en ce moment ; tout nous porte à croire qu’elle produisit un effet considérable.


  1. S’étant éloigné quelque peu dans le bois, il ne reparut plus.
  2. Selon le père Le Clercq, La Salle et le père Membré seraient arrivés aux Miamis le 3 novembre 1681.
  3. Le Père Le Clercq, dit qu’il s’embarqua, le 2 décembre 1681, avec Tonty sur le lac Michigan pour aller à Chicago, où La Salle les rejoignit avec le reste de ses gens, le 4 janvier.
  4. Le 11 août 1681 il était à Montréal où il faisait son testament. Le 27 décembre il parait être parti de Cataracoui. (Voir Gabriel Gravier : Découvertes, etc., de Cavelier de la Salle, p. 180, 386).
  5. Le père Le Clercq conteste la plupart des découvertes de Jolliet et Marquette.
  6. Il était à Sillery en 1662.
  7. Il formait parti de l’expédition de la Salle en 1679.
  8. Fils de Jean Bourdon et de Jacqueline Potel.
  9. Épousa, l’année suivante, Elizabeth, fille de Louis Prudhomme, à Montréal.
  10. Dit le sieur de la Découverte. Nous en reparlerons.
  11. Il se maria à Lachine, en 1687, avec Jeanne André.
  12. Peut-être Deligneron.
  13. Neveu du découvreur. En 1698, il était écrivain au bureau de la marine à Toulon.
  14. Sa mère était Collette Cavelier, paroisse de Pitre, évêché de Rouen. Vers 1675, Le Ber et Louis Jolliet avaient demandé la concession de Cataracoui. (Voir Gravier : Cavelier de La Salle, p. 60).
  15. La Hontan les appelle capitaines de vaisseaux.
  16. Commandait une compagnie franche.
  17. Commandés par le chevalier Philippe de Rigaud de Vaudreuil, le même qui devint gouverneur de la Nouvelle-France.
  18. Pierre Cœur, ou Pierre Béquart, écuyer, sieur de Grandville.
  19. Le 19 juin, Jean Péré, amenant des captifs iroquois, rejoignit M. de Denonville, à la Pointe à Baudet. Le 1er juillet, il conduisait un parti contre les cantons. Le 14 septembre on le voit négocier officiellement avec les gens d’Albany.
  20. Voir Édits et Ordonnances, I, p. 257.