Histoire de la Révolution française (Michelet)/Livre XX/Chapitre 4

◄  III.
Chap. I.  ►


CHAPITRE IV

LES JACOBINS COMMENCENT À SUIVRE DIFFICILEMENT ROBESPIERRE (1er-16 JUILLET, 12-28 MESSIDOR).


Indignation des sans-culottes. — Robespierre s’indigne de l’indignation. — Terroristes philanthropes. — On organise la conspiration du Luxembourg. — Robespierre reproche aux jacobins leur abattement. — Il commence aux Jacobins le procès des représentants en mission en 1793. — Les jacobins obéissent malgré eux. — Banquets fraternels, censurés par la Commune. — Billaud-Varennes blâme le tribunal révolutionnaire.


Un ordre du jour d’Henriot nous apprend que le soir du 9 messidor, quand Fouquier-Tinville vint à l’ordinaire prendre les ordres du Comité de sûreté générale et traversa les sans-culottes qui montaient la garde à la porte, ils se conduisirent très mal envers lui.

C’est-à-dire que la mort d’Osselin avait marqué la limite de la patience publique et que des cris de malédiction s’élevèrent contre le servile assassin.

On lit au même ordre du jour que les fonctionnaires chargés de la surveillance de la société (les mouchards du Comité) trouvaient dans la garde nationale, garde nationale sans-culotte, la seule qu’on employât alors, une franche et courageuse répulsion.

On s’était trop avancé pour reculer. Peu de jours avant, Couthon avait pris la défense des violences de Lebon contre les autorités révolutionnaires d’Arras, montrant par cette défense que Lebon ne dépassait pas la pensée robespierriste. De même, l’agent de Robespierre à Bordeaux, le jeune Jullien, que beaucoup croyaient modéré, se justifia parfaitement en faisant savoir la capture qu’il venait de faire des derniers Girondins. Deux se tuèrent. Les autres furent cherchés dans les cavernes de Saint-Émilion et chassés avec des chiens[1].

Le drapeau robespierriste se retrouva, à ce prix, le drapeau de la Terreur. Tout ce qu’on avait pu croire des secrètes intentions d’indulgence, de modération, qu’avait Robespierre, n’était que trop réfuté. Il se trouva innocenté, lavé dans le sang, remonte au pinacle de haine, dont, par le ridicule, on croyait le faire descendre.

Le 1er juillet (13 messidor), par son discours aux Jacobins, il reprit possession de cette haute et horrible position.

Ce discours extraordinaire s’indignait de l’indignation qu’on avait montrée, de la sensibilité qu’on témoignait pour les conspirateurs, du système qui tendait à soustraire l'aristocratie à la justice. Quels aristocrates ? Du moins, dans les soixante-douze de Bicêtre, sauf Osselin, je ne vois que de pauvres misérables, presque tous condamnés aux fers, un maçon, un batteur de plâtre, un scieur de long, des ouvriers en boutons, etc.

« La faction des indulgents, grossie de toutes les autres, devient plus hardie. On ose calomnier le tribunal révolutionnaire. On poursuit de calomnies tel patriote qui ne veut que venger la liberté… On dit à Paris, comme à Londres, qu’il a organisé le tribunal pour égorger la Convention, qu’il veut se faire dictateur. Isolé, il n’a pour lui que son courage et sa vertu. (Un citoyen des tribunes : « Tu as pour toi tous les Français ! ») La vérité est mon seul asile, toute ma défense est dans ma conscience. »

Ce ton plaintif effrayait fort. Il amenait, on en était sur, de nouvelles accusations. Robespierre désignait clairement ces agents de calomnies ; ils étaient revêtus d’un caractère sacré, c’est-à-dire représentants. Les calomnies étaient répétées, dans un lieu !… Vous frémiriez si je disais en quel lieu !… Peut-être on viendrait à bout de l'obliger à renoncer à une partie de ses fonctions, autrement dit, le Comité l’amènerait par ses persécutions à donner sa démission.

Ceci annonçait une fixe résolution de suivre la guerre à mort, de reprendre le grand procès contre les représentants. La chose fut expressément demandée à la Convention par une foudroyante adresse qu’on fît venir d’Avignon. Elle répétait les propres paroles du discours de Robespierre sur la faction des indulgents, mais elle précisait les choses, demandant, imposant à l’Assemblée la mort de ceux qui siégeaient à côté de Danton, de ceux qui ont craint l'institution des tribunaux de prairial.

Cette pétition contenait une calomnie meurtrière. Elle disait que les dantonistes s’étaient déclarés les seconds de Jourdan. Loin de là, c’était le dantoniste Merlin (de Thionville) qui avait demandé qu’il fût amené à Paris, poursuivi, jugé.

Toutefois avant de passer outre, d’exiger de l’Assemblée qu’elle se saignât encore, les robespierristes crurent devoir serrer fortement dans leurs mains le drapeau de la Terreur. L’affaire de Bicêtre, n’ayant guère frappé que des pauvres diables, ne les popularisait guère, s’ils ne la soutenaient par une proscription de véritables suspects.

Le philanthrope Herman, cette fois, ne s’en fia à personne. Il alla lui-même, avec Lanne, au Luxembourg, faire une battue de prisonniers (12 messidor, 1er juillet).

Philanthrope ? On croit que je raille ; non, ils étaient philanthropes. Couthon était philanthrope ; on l’avait bien vu à Lyon. Herman l’était en principe. Ses circulaires, dignes des Beccaria et des Dupaty, respirent une tendre humanité[2]. Seulement ils croyaient que le salut de la France tenait au seul Robespierre, que le salut de Robespierre tenait à ce qu’il prît le pas sur les terroristes, l’avant-garde de la terreur. Donc encore un peu de terreur ! pas beaucoup de sang !… Tout était fini. Les comités guillotinés, la Convention épurée, Robespierre allait fonder une république de Berquin et de Florian, commencer ici l’âge d’or, inaugurer le paradis, où tout ne serait que douceur, tolérance et philosophie, où les loups, désapprenant leurs appétits sanguinaires, paîtraient l’herbe avec les moutons.

Pour préparer cet Éden, il fallait d’abord, il est vrai, quelques centaines de têtes. L’avocat général d’Arras, Herman, imposait ce sacrifice à la sensibilité de son cœur. Ce qui l’adoucissait pourtant, c’est qu’après tout ces gens ne seraient que guillotines. Les magistrats d’Ancien-Régime, faits à brûler, rompre et pendre, regardaient la guillotine comme chose indifférente ; c’était, dans leur opinion, comme si l’on mourait dans son lit, — un peu plus tôt il est vrai ; — mais enfin il faut mourir.

Pour choisir les trois cents tètes qu’il fallait se procurer, ils s’adressaient à l’homme qui les avait servis dans l’affaire du 2 avril, à l’administrateur de police Wiltcheritz, attaché au Luxembourg. Wiltcheritz était un étranger, cordonnier de son état, qui avait été adopté par le parti robespier-

riste, et qui, à la chute d’Hébert, de Gbaumette et de l’ancienne Commune, était entré dans la nouvelle, avec Payan, Fleuriot, comme administrateur de police municipale, spécialement attaché aux prisons.

Nous l’avons vu au 2 avril rendre au parti le service d’organiser, pour brusquer la mort de Danton, la première conspiration de prison. Il endoctrina ce Laflotte qui dénonça les prisonniers du Luxembourg.

Quand Herman et Lanne y vinrent, il y avait dans cette prison un homme de plaisir et d’argent, un viveur nommé Boyenval, qui, je ne sais comment, avait pris des épaulettes et se croyait capitaine. Wiltcheritz l’indiqua et le fit venir. On lui montra une liste de quatre-vingt-douze noms, en lui disant qu’il pouvait rendre un service à la patrie, s’immortaliser, qu’il fallait trouver deux cents autres noms ; on en voulait trois cents en tout. Ce nombre lui parut grand. Il s’enferma avec un ami, Beausire, et un porte —clés, Yerney, et, à force d’y rêver, ils trouvèrent jusqu’à cent cinquante. Mais leur imaginative, toute leur bonne volonté, ne purent aller au delà.

On sut bientôt dans la prison ce qui se faisait. Qu’on juge de la consternation. Un détenu entra dans un tel désespoir qu’il se précipita du toit de la balustrade de marbre, se brisa en pièces. Le concierge écrivait tous les matins à Herman qu’il n’y avait aucun bruit, pas le moindre soupçon d’émeute, de conspiration. Où puiser des vraisemblances pour la dénonciation ? L’époque approchant, Boyenval, qui devait la soutenir de son témoignage, quoique buvant, s’étourdissant, commençait à prendre peur. Pour remonter son courage, on imagina de lui amener deux hommes graves, qui le virent à la buvette et burent avec lui. Ce n’était pas moins, disait-on, que Robespierre et Carnot : « Capitaine Boyenval, lui dirent-ils, vous serez bientôt général. »

La liste des cent cinquante-quatre détenus que Fouquier-Tinville devait se faire amener du Luxembourg, porte en tête seulement : « Le Comité de salut public arrête que les nommés… seront traduits au tribunal révolutionnaire. » Pas un des membres n’a signé[3], pas même Couthon, surveillant du bureau d’Herman, qui dressait la liste. Elle venait hardiment, comme la loi de Prairial, au nom du Comité de salut public, sans avoir besoin d’une seule signature pour se faire croire.

Fouquier, recevant cette liste énorme, sous même chef et même titre, fît (sans doute de l’aveu de ses maîtres, du Comité de sûreté), fit venir des charpentiers et leur commanda de bâtir dans la salle du tribunal un échafaudage immense pour recevoir en une fois cette légion d’accusés. L’effroyable construction dut se faire en une nuit. Elle partait des tables mêmes, montait au plafond, et, par une exagération vraiment sauvage et satirique, on mit aux extrémités, comme pièces d’attente, des poutrelles qui permettaient des deux côtés un agrandissement facultatif. Les places auraient bientôt manqué pour le tribunal. Herman, selon toute apparence, fut averti de cette maligne ostentation. On fit venir Fouquier-Tinville au Comité de salut public, et verbalement on (quel est cet on ?) lui intima de diviser les cent cinquante-quatre en trois fournées.

Il y avait dans la liste d’abord une masse imposante, tout le Parlement de Toulouse, cinq ou six des grands noms de la monarchie, une douzaine de nobles ou de prêtres ; le reste était des gens obscurs. Mais ni les uns ni les autres n’étaient des hommes d’action. Qu’ils eussent désiré se sauver, cela se peut, mais conspirer, nullement. L’anachronisme était choquant. En 1792, à la bonne heure, ou même en 1793 ; mais, en 1794, l’abattement, la prostration était absolue, les courages à néant… Les royalistes étaient brisés, et récemment encore, de la bataille de Fleurus. À Lazare, huit cents prisonniers, le croira-t-on ? avaient en tout… un geôlier ! et il n’y eut de désordre que des plaintes sur la nourriture.

Le héros de l’audience fut naturellement Boyenval. Fortement lesté d’eau-de-vie, presque seul, il suffit à tout, témoigna sur tout et sur tous, convainquit les accusés ! Magnifique d’assurance, il remonta au Luxembourg comme il eût fait au Capitole. Il rentra maître à la prison et fit écrire sur sa porte : Commissaire national. Les prisonniers, devant lui, étaient frémissants, à genoux ; mais il se montra bon prince. Il se contenta de la femme d’un homme qui, sur son témoignage, venait d’être guillotiné. Il promenait dans la cour la victime humiliée, la tenant au bras, la montrant dans une amoureuse insolence.

Une chose peu remarquée, mais facile à constater, c’est que, dans ces horribles jours, l’abattement des jacobins fut extraordinaire. Le parti anti-robespierriste prenait chez eux beaucoup de force. Il avait fait nommer Fouché président, puis Barère et enfin Élie Lacoste, trois ennemis de Robespierre. Barère présidait encore, le soir de la seconde fournée (21 messidor, 9 juillet], quand Robespierre, y voyant les mines tellement allongées, saisit une occasion pour gourmander les jacobins : « Si cette tribune est muette, ce n’est pas qu’il ne reste à dire ; ce silence des jacobins est l’effet d’un sommeil léthargique qui ne leur permet pas d’ouvrir les yeux sur les dangers de la Patrie… On veut revenir aux Danton, effrayer la Convention, la prévenir contre le tribunal révolutionnaire… (Puis pinçant le président Barère) : Quand on voit des hommes se borner aux tirades contre les tyrans, aux lieux communs contre Pitt et les ennemis du genre humain, toujours déclamer, et, derrière, s’opposer aux moyens utiles, se taire quand il faut parler, ne sacrifier les aristocrates que pour la forme… il est temps de les surveiller, de se mettre en garde contre leurs complots. »

Barère se reconnut à merveille, sentit qu’on venait à lui. Les trois fournées de suspects étaient un pas préalable pour passer aux représentants. Il était très effrayé, mais ne perdait pas la tête. Rentrant chez lui avec Vilatte, un jeune juré bavard, il lui fit, comme par élans, par soupirs d’effusion, la liste effroyable des représentants que Robespierre allait frapper : « Encore s’il n’en voulait que tant... S’il ne voulait que ceux-ci ! S’il ne voulait que ceux-là », etc. Confidences que Vilatte ne manqua de répandre et qui étendirent la terreur dans toute la Convention.

Les jacobins chancelant fort, Robespierre ne perdit point de temps pour tirer d’eux ce qu’il voulait : la radiation d’abord de Dubois-Crancé, de Fouché et le vote d’une adresse où la société, se déclarant contre l’indulgence, endosserait la responsabilité de tout le sang qu’on versait.

Le lendemain de la troisième fournée du Luxembourg (qui eut lieu le 10 juillet, 22 messidor), il mit donc les fers au feu, répéta la dixième fois la calomnie tant répétée : Que Dubois-Crancé avait sauvé les Lyonnais. Les jacobins le rayèrent[4].

Il allait passer à Fouché, mais la société était si morne, elle paraissait si froide, que Robespierre jeune ne put s’empêcher de lui reprocher son silence et sa torpeur. Couthon arriva à temps pour réchauffer la séance, disant très habilement pour Robespierre ce qu’il n’avait dit nullement : « Qu’il ne savait comment faire ; que, modéré pour les uns, exagéré pour les autres, il réunissait sur lui les poignards ; mais que lui, Couthon, demandait à partager tous ses dangers… — Et moi ! et nous ! » ce fut le cri universel dans la salle ; car ils aimaient Robespierre, quelle que fût leur inquiétude sur la voie où il les précipitait.

La société, il faut le dire, était surmenée par lui ; elle pliait sous le faix de ses exigences. Elle l’avait porté longtemps, comme son fidèle coursier, à travers la Révolution ; mais il la menait par de tels chemins, sur le bord de tels précipices, qu’elle n’allait plus si bien et, sans regimber, hésitait. Il voulait faire le tour de force de lui faire rayer, chasser son dernier président Fouché ; il exigeait qu’elle se donnât cette humiliation et ce démenti. Il prit le 14 juillet, lorsque la société, pleine du grand anniversaire, était prête aux idées morales. Ce fut après une attaque (qui parut accidentelle, mais qui préparait) sur l’immoralité de Rousselin que Robespierre, au nom de la conscience, attaqua l’immoralité de Fouché, demanda qu’on le rayât. Pour faire faire à la société ce sacrifice d’amour-propre, il s’adressa justement à son amour-propre, reprochant à Fouché de ne pas venir se justifier devant la respectable société. La haine l’inspirant contre cet homme, en effet si haïssable, il fut vraiment éloquent : « Craint-il les oreilles du peuple ? craint-il ses yeux ?… Craint-il que sa triste figure ne présente visiblement le crime ? que six mille regards fixés sur lui ne découvrent dans ses yeux son âme tout entière, et qu’en dépit de la nature, on n’y lise ses pensées ? »

La chose ainsi fut emportée, Fouché rayé. C’était la seconde fois (la première fut Clootz) qu’il leur rayait leur président. Ils obéirent, mais le soir même à la fin de la séance, ils témoignèrent leur chagrin en portant à la présidence un membre du Comité de sûreté, Élie Lacoste, rapporteur de l’affaire des Saint-Amaranthe, si nuisible à Robespierre.

Cela le 14 juillet. Le 19, la Convention, enhardie par ce choix anti-robespierriste des jacobins, fit comme eux ; elle se donna pour président l’homme dont les poumons, l’entrain, la violente sensibilité, pouvaient le mieux lutter, au besoin, contre Robespierre, l’ami de Fouché, Collot d’Herbois. Celui-ci à ce moment était fort populaire. Il jouait une bonne pièce. On a vu qu’il avait été quelque peu assassiné, sauvé par un serrurier qui fut blessé à sa place. Le serrurier étant guéri, Collot s’était fait son cornac, le menait partout, le montrait à la Convention, aux Jacobins, aux sections. Il l’embrassait sur les chemins, pleurait, racontait ses vertus ; il s’était à peu près établi chez la serrurière, voulant éclipser Robespierre, qui logeait chez un menuisier. De là mille scènes pleureuses de fraternisation sans fin, humectées de plus en plus et toujours plus attendries.

Tout au contraire, Robespierre, triste et buveur d’eau, venait de faire une chose qui assombrissait Paris.

Le 14 juillet, à la faveur de l’expansion de la fête et de la beauté de la saison, plusieurs personnes eurent l’idée, heureuse en soi, mais sans doute hasardée dans un tel moment, de dresser des tables dans les rues, d’essayer des repas civiques. C’était une idée de Danton. Elle fut reprise et proposée par la section peut-être la plus affamée de Paris, la pauvre section de la Cité[5]. Riches et pauvres s’y assirent, et il y eut vraiment un moment de fraternité sincère. Les riches, en un temps pareil, étaient trop heureux qu’on voulût bien d’eux. Ils savaient gré aux sans-culottes de leur cordialité : ceux-ci, simples et confiants, acceptaient de tout leur cœur les politesses des riches. S’ils les avaient vus égoïstes, ils ne s’en souvenaient plus. Le spectacle fut admirable, très attendrissant. Hélas ! cela dura un seul jour. La situation réelle, qui n’en subsistait pas moins en dessous, rendait de tels rapprochements au moins bien précoces. La sévérité était nécessaire encore, la justice, et elle eût été difficile dans ces effusions fraternelles.

Ce fut cependant une chose fort impopulaire et triste, très mal vue des pauvres autant que des riches, quand le lendemain la Commune, par l’organe de Payan, flétrit ces repas, les découragea, les déclara suspects. Barère suivit docilement cette impulsion et répéta le discours de Payan à l’Assemblée, ravi d’appuyer tout ce qui pouvait faire haïr les robespierristes.

Ceux-ci s’enfonçaient eux-mêmes, entrant jusqu’au cou dans le sang. Le Luxembourg rendant peu, Herman cherchait à la Force, aux Carmes, à Lazare. Les listes, dressées par les moutons de ces prisons, de concert avec les administrateurs de police qui y résidaient, passaient au bureau d’Herman, qui les faisait signer au Comité de salut public.

Signer de qui ? Apparemment des membres qui étaient là, des plus assidus, c’est-à-dire le plus souvent des travailleurs du Comité, de ceux mêmes qui, absorbés entièrement dans leurs fonctions, étaient le plus étrangers aux idées de proscription.

Etrange, injuste arrangement qui répartissait la responsabilité exactement en sens inverse de la raison et de la justice !

La spécialité était tellement établie au Comité que personne n’eût discuté les choses étrangères à sa sphère. On signait les yeux fermés.

Qui eût dû signer ? Evidemment les trois membres qui eurent successivement la surveillance du bureau de police d’Herman : Saint-Just, Robespierre, Couthon.

Robespierre restait chez lui. Saint-Just était à l’armée. Couthon était seul, et encore assez peu exact, par suite de ses infirmités. Les œuvres de leur Herman durent être constamment endossées par d’autres.

Cette situation étrange était-elle supportée patiemment ? Non. Le seul qui osât se plaindre, c’était le seul qui fût sûr de n’être point accusé d’indulgence, Billaud-Varennes. Nous le savons d’un témoin qu’on ne peut guère récuser, de Saint-Just lui-même. Il dit dans son dernier discours : « Billaud assiste à toutes les séances sans parler, à moins que ce ne soit contre Paris, contre le tribunal révolutionnaire. »

  1. La lettre écrite de Saint-Émilion et lue à la Convention le 6 messidor fait honneur au jeune agent robespierriste d’avoir dirigé l’expédition, en indiquant les mesures qu’on devait prendre, envoyant et renvoyant les chasseurs, d’abord maladroits, etc. Peut-être y eut-il moins de part et voulut-on, en donnant cette couleur au récit, flatter Robespierre. Jullien a passé toute sa vie à effacer cette lettre, vie honorable, laborieuse, prodigieusement active, tout occupée de philanthropie et de choses utiles.
  2. Le régime des prisons, établi par lui, fut détestable par la faute des entrepreneurs. Mais il était établi largement ; l’État payait 50 sols (assignats ou numéraire, les assignats étant au pair) pour chaque prisonnier. Tous avaient du vin.
  3. Archives, section judiciaire, dossier de Fouquier-Tinville.
  4. Il est curieux de voir comment MM. Bouchez et Roux profitent des moindres équivoques pour faire dire à Robespierre le contraire de ce qu’il veut dire. Lisez la table de leur tome XXXIII, vous le trouverez, p. 341 : Robespierre déclare qu’il veut arrêter l’effusion du sang. Allez à cette page (copiée du Moniteur, qui lui-même copie le Journal de la Montagne, imprimé aux Jacobins) ; vous y lisez que, selon Robespierre, la justice natio- nale n’a pas été exercée à Lyon avec le degré de force qu’exigent les intérêts d’un grand peuple, que la commission temporaire (de Collot d’Herbois et Fouché) déploya d’abord de l’énergie, mais bientôt céda à la faiblesse humaine qui se lasse, etc. La persécution fut établie contre les patriotes. Puis il rappelle qu’il a défendu ces patriotes. Et le rédacteur du journal étendant complaisamment la pensée de Robespierre : « Les principes de l’orateur sont d’arrêter l’effusion du sang versé par le crime. » Ce qui précède explique parfaitement que Robespierre parle spécialement de Lyon, des ultra-terroristes de Lyon qu’il protégeait contre Fouché, de ceux qui ne se contentaient pas des seize cent quatre-vingt-deux exécutions faites sous Collot d’Herbois et Fouché.

    C’est la tête de ces patriotes que Robespierre prétend avoir sauvée des persécutions de Fouché et qu’il veut protéger encore. Telle est si bien sa pensée qu’il invoque à l’appui le souvenir de Gaillard, le plus violent des ultra-terroristes de Lyon.

  5. Voir aux Procès-verbaux de la section de la Cité (Archives de la Préfecture de police) l’éloge que cette section fait de l’idée du banquet et de celui à qui elle l’attribue : « Attendu que cette glorieuse journée a pris naissance dans la personne du citoyen Grenier, son nom sera au procès-verbal. »