Histoire de l'expédition chrestienne/Livre I/chapitre XI



Des Sarasins & Juifs, & en apres des vestiges de la foy
Chrestienne parmi les Chinois.


CHAPITRE XI.


NOus avons descrit au chapitre superieur les ceremonies & secte des Gentils de la Chine, qui sont propres à ce peuple, ou maintenant estimées leur estre propres ; maintenant je traicteray de celles que les Chinois ont tenues pour estrangeres & bastardes, & neantmoins ont eu quelque cognoissance d’un seul & vray Dieu. Je parleray premierement des Sarazins, en après des Juifs, & finalement des vestiges de la verité Chrestienne : & ce à fin que desormais ez livres suivans je joingne sans interruption la lumiere de l’Evangile maintenant de nostre temps apportée en la Chine avec l’ordre & suite de l’antiquité.

Plusieurs sectateurs de l’impieté de Mahomet sont venus en divers temps de la Perse du costé de l’Occident (soubs lequel nom je comprens le Royaume de Mogor, & autres qui parlent le langage Persan) jusques au Royaume de la Chine. Et certes principalement au temps que les Tartares commandoient aux Chinois, ilz semblent y estre passez en grand nombre ; car alors l’entrée en ce Royaume de ce costé estoit libre aux estrangers. Voire mesmes encor au jour-d’huy quelques marchands feignans venir en Ambassade viennent ensemble tous les ans de Perse, & tousjours quelques-uns d’iceux s’assemblent secrettement avec les autres Sarazins, encor qu’avec grand soin des Magistrats ilz soient tous renvoiez en leur pays. Mais nous parlerons plus amplement de ceci ci-dessous, lors qu’il viendra à propos de parler du voiage d’un de nostre Compagnie au Catay, c’est à dire, au Royaume de la Chine.

Tout est donc maintenant plein de ces Sarazins par quelle voie qu’ilz soient en fin venus (car ilz sont tous estrangers, exceptez fort peu) car ils se sont tellement multipliez par la suite des enfans ; qu’au jour d’huy on compte plusieurs milliers de familles dispersées en chaques provinces, & villes principales. llz ont en icelles leurs temples edifiées à grands frais, ausquelz ils font leurs prieres accoustumees, circoncisent les enfans, & font leurs autres cérémonies. Mais (au moins selon que jusqu’à present nous avons peu comprendre) ilz ne publient, ni se soucient de publier leurs inepties, ains quant au reste ils vivent entierement selon les loix Chinoises, si ce n’est qu’ils ne mangent pas de porc, & sont aussi fort ignorans de leur doctrine, & la pluspart mesprisez par les Chinois. Maintenant neantmoins on les tient pour naturels du pays & les Chinois ne prennent aucun mauvais soubçon d’eux comme des autres estrangers. Voire mesmes ilz sont admis sans aucun esgard aux estudes des lettres, & aux degrez & Magistratures publiques. Or il y en a plusieurs d’iceux lesquelz s’ilz acquièrent le degré des lettres Chinoises, quittent aussi la loy de leurs Ancestres, & ne retiennent du tout rien d’icelle que l’abstinence de la chair de porc, de laquelle ilz ont plustost naturellement horreur, qu’ilz ne s’en abstiennent par consideration de religion.

Nous avons aussi remarqué que les années passées l’ordure des Juifs s’est ensemble coulée en ces Royaumes ; cela nous fut principalement cognu parce que je vous conteray maintenant. Nostre Compagnie ayant ja demeuré quelques ans en la cour de Pequin, un certain Juifs de nation & profession vint visiter le Pere Matthieu Ricci, esmeu par la renommée d’iceluy, duquel & de ses compagnons il avoit leu beaucoup de choses en certain livre traictant de l’Europe escrit par un certain Docteur Chinois. Iceluy né en la Province à Honan, en la ville principale de Chaisamfu, estoit surnommé Ngay, & ayant esté jà enroollé en l’ordre des Licentiez estoit venus à Pequin, pour se presenter aux examens coustumiers du Doctorat. Ce Juif donc d’autant qu’il avoit leu en ce livre que les nostres n’estoient pas Sarazins, & qu’ilz ne cognoissent pas d’autre Dieu, que le Seigneur du ciel & de la terre, il ne fit aucun doute que nous ne fissions profession de la loy Mosaïque. Estant donc entré en nostre maison, il disoit avec un visage aleigre qu’il estoit d’une mesme loy que nous. Et certes des yeux, du nez, & autres traicts de visage il avoit une apparence exterieure du tout différente de celle des Chinois.

Le Pere Matthieu Ricci le mene donc dans l’Eglise. Sur l’autel estoit l’image de la Mere de Dieu, & de l’enfant Jesus, que Sainct Jean Precurseur adoroit à genoux - Car c’estoit le jour de la feste S. Jean Baptiste: & d’autant que le Juifs ne doutoit aucunement de nostre profession, il creut asseurement que c’estoit l’effigie de Rebecca, & ses enfans Jacob & Esau, & se baissant il fit la reverence à l’image, disant premierement qu’il n’avoit pas accoustumé d’adorer les images, mais toutefois qu’il ne pouvoit s’abstenir de faire honneur à ces Peres de sa nation. A chaque costé de l’autel estoient mises les effigies des quatre Evangelistes ; le Juif donc demande si c’estoient là quatre des enfans de celuy qu’on voyoit sur l’autel : le Pere dit qu’ouy, pensant qu’il parloit des douze Apostres ; car l’un croyoit de l’autre ce qui n’estoit pas. De là ayant mené cet homme en sa chambre, il commence de l’interroger plus attentivement qui il estoit, & d’entendre peu à peu qu’il estoit de l’ancienne loy. Or quant à luy il ignorait le nom de Juif, mais toutefois il confessoit qu’il estoit Israelite. D’où l’on peut juger que la separation des dix tribus esparses çà & là est passée jusqu’à l’extrémité de l’Orient. Il vid en après la Bible Royale de l’impression de Plantin, & comme il l’eust ouverte, il recognut les characteres Hebrieux, encor qu’il ne les sceut pas lire.

Les nostres entendirent par cetui ci, qu’en la ville Metropolitaine susdite, il y avoit dix ou douze familles d’israelites, & une tres belle Synagogue, qu’ilz avoient dernièrement bastie pour dix mille escus d’or, qu’en icelle ilz gardoient desja depuis cinq ou six cens ans en grande reverence les cinq livres de Moyse, sçavoir le Pentateuque en volumes confus. il asseuroit qu’en la ville capitale de la Province de Chequiam nommée Hamcheu, il y avoit beaucoup plus de familles avec leurs Synagogues. Et qu’en autres lieux il y en avoit aussi plusieurs, mais sans Synagogues, d’autant que peu à peu ilz mouraient tous.

Il racontoit beaucoup d’histoires du vieil Testament, semblables à celles d’Abraham, Judith, Mardochée, Hesther ; mais en prononçant les noms ilz estoient d’accens assez differens des nostres, & peut estre il approchoit plus de l’antiquité. Car il appelloit Hierusalem Hierusoloim, & le Messie Moscie. Il asseuroit que quelques-uns de sa tribu sçavoient parler la langue Hébraïque, & entre iceux son frere : quant à luy à cause que dez son enfance îl s’estoit addonné aux lettres Chinoises, qu’il avoit mesprisé cete estude, & donnoit assez à entendre que d’autant qu’il s’adonnoit serieusement aux sciences Chinoises, & préceptes des lettrez il avoit esté jugé indigne des assemblees des siens par le maistre de la synagogue, dequoy il ne se soucioit gueres, s’il aqueroit le degré de docteur car les Sarazins font le mesme, & ne craignent plus alors le prelat de leur secte.

Celui là mesme donna advis au Pere des reliques des Chrestiens, dont nous parlerons tantost : maintenant seulement des Juifs. Trois ans donc apres : car on n’a pas peu plutost, le Pere Matthieu Ricci envoia un de noz frères Chinois de nation en ceste ville Metropolitaine, à fin qu’il s’enquestast de la verité de ce que cet Israëlite luy avoit rapporté : & certes il trouva qu’il estoit des Juifs tout ainsi qu’il luy avoit dit. Il se fit aussi copier le commencement & la fin des livres qu’ilz gardoient en leur Synagogue : nous les avons en apres confrontez avec nostre Pentateuque, & avons trouve que c’estoit le mesme, & les mesmes characteres, si ce n’est que selon la façon ancienne ilz manquoient de points. Le Pere Matthieu Ricci avoit par le mesme frere nostre envoyé des lettres escrites en Chinois au maistre de la Synagogue, par lesquelles il l’asseuroit qu’il avoit à Pequin en la maison entièrement tous les livres du viel Testament : mais aussi les livres du nouveau Testament, qui contenoient les choses faictes par le Messie ; car il asseuroit qu’il estoit desja venu. Ici le maistre de la Synagogue fit instance, asseurant que le Messie ne viendroit pas devant dix mille ans. Le mesme rescrivit, parce qu’il avoit entendu beaucoup de choses de sa vertu par le tesmoignage de la renommée, que s’il vouloit s’abstenir de la chair de porc, & passer vers luy, qu’il luy resigneroit la dignité de maistre de la synagogue.

Apres cela trois autres Juifs de la mesme ville vindrent à Pequin, tellement disposez à recevoir la foy Chrestienne, que si leurs affaires leur eussent permis de sejourner là quelque peu de jours, ilz sembloient pouvoir estre baptisez. L’un d’iceux estoit son nepveu & premier filz de son frere ; nos Peres ayans receu ceux-ci fort humainement leur enseignerent beaucoup de choses que leurs Rabins mesmes ignoroient. Et estans instruictz touchant l’advenement du Messie, ilz adorerent tous son image posee sur l’autel, avec mesme ceremonie qu’ont accoustumé les Chrestiens. Ilz receurent des nostres un abrege de la doctrine Chrestienne, & autres livres de nostre religion parlans desja Chinois, & les emportèrent aux leurs. Ces trois se plaignoient de beaucoup de choses de leur loy : qu’elle tendoit maintenant à sa fin par l’ignorance du langage de leurs peres, & qu’en bref ilz seroient tous Sarazins ou Ethniques. Ilz disoient que ce maistre de leur synagogue estoit maintenant mort de vieillesse, que le filz, qui avoit esté par droict hereditaire mis en sa place, estoit jeune, & du tout ignorant de la loy. Ilz se plaignoient aussi qu’il leur sembloit malseant de n’avoir aucune image en un temple magnifique, ni aussi en leur maison aux oratoires privez. Que s’ilz voioient l’image de Jesus-Christ leur Sauveur dans leur temple, qu’ilz seroient fort enflammez du zele de la Religion. Ils se plaignoient principalement qu’on leur defendoit de manger la chair d’une beste qu’ils n’avoient pas tuée de leurs mains, ce que s’ilz eussent observé par les chemins, qu’ilz seroient jà mortz de faim. Qu’il leur sembloit aussi & à leurs femmes & parentz Ethniques que circoncir les enfans au huictiesme jour estoit une institution barbare & cruelle ; ce que s’il estoit permis par nostre loy de laisser, ilz la recevroient facilement, & qu’ilz n’apporteroient pas beaucoup de difficulté en l’abstinence de la chair de porc. Et voila quasi tout ce que jusqu’à present nous avons peu apprendre touchant les juifz.

Maintenant je commencerai de recueillir & poursuivre les reliques de la verité Chrestienne d’autant plus volontiers, que je scay que cela sera tres-agreable à nos Europeens. Nous avons appris ceci les anneez précédentes par ce mesme Juif, & quelques autres indices. Quand le Pere Mathieu Ricci eut entendu clairement que ce Licentié Chinois estoit de la loy ancienne des Juifz, il emploia son industrie, à trouver quelque marque plus evidente du Christianisme, que celle que nous avions jusqu’alors eue. Mais aussi long-temps qu’il a appelle les Chrestiens par ce nom, il n’a rien avancé : mais les descrivant peu a peu par divers passages de la loy, il a obtenu ce que principalement desiroit. Entre les Chinois il n’y a aucun usage de la croix, par ainsi le nom mesme en est incognu. C’est pourquoy les nostres luy ont imposé un nom Chinois, l’ayant emprunté du charactere qui signifie le nombre denaire, en forme d’une croix par ce signe + ; & peut estre cela n’est pas arrivé sans la providence divine, qu’il ait aujourd’huy donné à nostre croix le mesme nom qu’autresfois les anciens, contrainctz par le mesme defaut du langage, luy avoient jà auparavant imposé parmi les Chinois. Car les uns & les autres l’ont appelle Sçiecu, c’est à dire, charactere du nombre de denaire : & en cela ilz ne se sont pas beaucoup esgarez de l’exemple des lettres sacreez, esquelles la lettre T, est denotée, empruntant aussi une figure plus parfaicte de la croix.

Comme donc on parloit de la croix appellée par ce nom, cest Israelite raconta qu’en la Métropolitaine Caifumfu sa patrie, & en un autre port tres-fameux nommé Lincino de la Province Sciantum, & en la Province de Scian il y avoit quelques estrangers desquelz les predecesseurs estoient venus de Royaumes estrangers, & qu’ilz estoient adorateurs de la croix, & avoient accoustumé d’en signer leur boire & manger avec le doigt, mais que ni luy, ni ceux là ne sçavoient pourquoy ilz faisoient ceste ceremonie. Le tesmognage de cest Israelite s’accordoit à ce que les Peres avoient jà entendus de diverses personnes touchant ceste coustume de faire le signe de la Croix en divers lieux. Voire mesme qu’on signoit les petitz enfans du mesme charactere de ce signe salutaire au front avec de l’encre en divers lieux, pour les preserver des malheurs qui arrivent ordinairement aux enfans. Ce que Jerosme Rusellus dit en ses commentaires sur la Cosmographie de Ptolomée, parlant des Chinois, s’accorde aussi avec ceci. Et d’autant que nous parlons de l’usage de la croix parmi les Chinois, on ne doit aucunement passer sous silence une autre remarque d’icelle. Un de nos Peres a veu une cloche de fonte tres elegante à vendre entre les mains d’un Antiquaire, au sommet de laquelle une petite Eglise estoit gravée, & au devant de l’Eglise une croix, & aux environs quelques characteres Grecz. Celui qui l’a veu, la voulut acheter, mais ilz ne resteèrent pas d’accord du prix, & du depuis cet Antiquaire n’a jamais paru pour copier ces characteres.

Ce mesme Israelite adjoustoit que ces mesmes adorateurs de la croix prenoient une partie de la doctrine qu’ilz recitoient, au lieu de prieres, de leurs livres, & qu’elle estoit commune à tous les deux ; peut estre il vouloit dire les Psaumes de David. Il disoit qu’il y en avoit eu principalement plusieurs d'iceux ez Provinces Septentrionales, & si florissans en lettres & en armes, que les Chinois soupçonneux de nature avoient crainte qu’ilz n’attentassent quelque nouveauté. Il estimoit que les Sarazins, ennemis jurez du nom Chrestien par tout le monde, avoient esmeu ce soupçon seulement depuis soixante ans. Ceste crainte vint si avant, que comme ilz avoient peur que les Magistratz leur missent les mains dessus, ilz s’enfuirent tous deçà delà, & pour crainte de la mort les uns se firent Sarazins, les autres Juifz, plusieurs adorèrent les Idoles. Leurs temples ont esté changez en temples d’Idolâtres. Et nommoit le temple de la croix entre les siens, du nom qu’on l’a appelle depuis qu’il fut au service des Idoles. Depuis ce temps ilz sont tellement abatus de crainte, qu’ilz ne tiennent rien plus secret que d’estre issus de ce peuple. D’où est arrivé que lors que nostre frere se transporta là pour s’informer des restes du Christianisme, & apporter avec foy le nom des familles dont le Juif avoit faict mention, il n’y eut aucun d’eux qui s’osast avouër estre tel : parce peut estre que nostre frere au visage estoit recognu pour Chinois ; & avoient opinion que ce fust un espion envoié du Magistrat. Et jusqu’à present à cause du petit nombre des nostres, on n’a encor peu envoier là aucun Prestre d’Europe ; encor qu’il sera necessaire d’establir là une demeure pour chasser la vaine peur qu’ilz ont conceue, ce qui se fera un jour avec la grace de Dieu.

Ilz confondent toutes ces trois sectes des Barbares (comme appellent les chinois, d’un seul nom, & appelknr leurs sectateurs Hoei, Hoei, l’etymologie duquel nom nous est jusqu’à present incognue. Les plus sçavans toutefois en font distinction en ceste manière. Ilz appellent les Sarazins Hoei, s’abstenans de la chair de porc. les Juifz Hoei, qui aussi rejettent les nerfz de leurs tables, car ilz observent encor aujourd’huy ceste coustume introduite parmi ceste nation à cause du nerf frapé de la cuisse d’Israël : mais ilz appellent les adorateurs de la croix Hoei, qui refusent manger de la chair des bestes qui ont les ongles rondz ; car encor que tous les Chinois, Sarazins, & Juifz reçoivent en leurs tables les chevaux, muletz, & asnes, eux peut estre par la coustume de leur nation avoient horreur d’en manger. Il asseuroit aussi qu’on les appelloit avec d’autres noms. Car les Chinois les nomment aussi Hoei, adorateurs de la Croix. Mais non seulement les Chinois, mais aussi les Juifz appellent les Sarazins Hoei, faisans profession de trois loix : pource qu’ilz ont ramassé un meslange des Juifz, Chrestiens & Ethniques. Mais les Sarazins outre le nom vulgaire du peuple, duquel ilz appellent tous les Chrestiens Isai, c’est à dite, Jesuins, en ce Royaume mesme ils appellent aussi ces anciens professeurs de la croix Terzai. Je ne scay d’où provient la cause de ce nom, si ce n’est que j’ay ouy dire à un certain Armenien, que les Armeniens Chrestiens en Perse sont nommez de mesme nom. D’où peut estre on pourroit penser que ces adorateurs de la croix sont venus d’Armenie, & de l’Occident, peut estre en divers temps, & lors principalement que les Tartares avec des grandes armeez s’estoient jettez en la Chine, qu’ilz entrerent en ce Royaume : auquel temps il paroit que Marc Paul Venetien est ici parvenu.

Voila les principales remarques que nous avons trouveez de ce Royaume de la Chine. Mais toutefois nous pouvons rapporter les commencemens de la foy Chrestienne en ce Royaume plus haut, parce que nous avons faict recueillir des livres Chaldéens de la Province des Malabares, laquelle contrée on cognoist si clairement avoir esté Christianisée parle soin & diligence de S. Thomas, que les plus opiniastres mesmes n’en sçauroient douter. En ces livres done nous lisons tres-clairement que la foy Chrestienne a esté introduite en la Chine par le mesme Apostre, & plusieurs Eglises basties en ce Royaume. Et à fin qu’aucun ne vienne d’adventure à douter d’une chose de si grande consequence, je transcrirai ici les tesmoignages des mesmes livres traduitz de mot à mot du Chaldée en Latin, que le Pere Jean Marie de Campori de nostre Compagnie, qui depuis plusieurs anneez cultive ceste vigne, & fort docte en langue Chaldeane, a translaté par le commandement du Reverendissime Archevesque le Pere François Roitz Pasteur de ceste mesme Eglise de nostre Compagnie, & par les prières des nostres transcrit de sa propre main, à fin qu’ilz fussent inserez en ces memoires, de peur qu’un jour ceste mémoire si insigne d’antiquité ne perist. Il y a donc ainsi.

Au Breviaire Chaldeen de l’Eglise Malabarique de Sainct Thomas, il s’appelle Gaza c’est a dire thresor, en l’office de Sainct Thomas Apostre, au second nocturne, en une des leçons il y a ainsi mot pour mot : Par S. Thomas l erreur de l’idolâtrie s’est esvanouie des Indes. Par S. Thomas les Chinois & Ethiopiens ont esté convertu à la Verite. Par S. Thomas ils ont receu le Sacrement de Baptesme, & l’adoption des enfans. Par S. Thomas ils ont creu & ont confessé à la Vérite. Par S. Thomas ils ont creu & ont confessé le Pere, le Fils, & S. Esprit. Par S. Thomas ils ont garde la foy receue d’un seul Dieu, Par S. Thomas les splendeurs de doctrine vivifique sont parvenues a l’Inde universelle. Par S. Thomas le Royaume des cieux est volé & monté aux Chinois.

En apres en certaine Antienne il y a ainsi : Les Indiens, Chinois, Perses & autres Insulains, & ceux qui en Syrie, Armenie, Grece & Romanie offrent adoration à ton nom sainct en commemoration de S. Thomas.

Et en la somme des Canons synodaux, partie seconde, sermon sixiesme, chapitre dixneufiesme des canons establis sur les Evesques & Metropolitains, ensemble est le canon de Theodose Patriarche en ces mots.

Ces six chaizes chefs de Provinces, & Metropolitaines, sçavoir Hilam, Nziuin, Prath, Assur, Bethgarmi, & Halah, qui ont esté estimez dignes de se trouver presens à l’ordonnance du Patriarche, & ne sont pas esloignez, qu’ilz viennent comme les autres tous les quatre ans ensemble aupres du Patriarche. De mesme aussi tous les Evesques de la grande Province, sçavoir les autres Metropolitains, de la Chine, Inde, Pasé, des Mauzees, Xam, des Raziquees, d’Herione (c’est Cambaia) & Smarcandie (c’est Mogor) qui sont tres-esloignez, & que les montagnes excessives, & mers turbulentes ne permettent de passer comme ils voudroient, envoyent une fois tous les six ans des lettres de consension (c’est à dire communion)au Patriarche., Or quand les Portugais sont abordez à Cochin. S. Jacques gouvernoit ceste Eglise des montagnes Malabares qui signoit ainsi Metropolitain de l’Inde & de la Chine, comme il conste par les livres du nouveau Testament escrit de sa propre main, où au bas y a ainsi : Jaques Metropolitain de l’Inde, & de la Chine a escrit ce livre. S. Joseph apres le susdit S. qui est mort à Rome sousignoit de mesme façon. Joseph Metropolitain de toute l’Inde, & Chine ; Et c’est ici le plus ancien tiltre des Evesques de ceste Eglise.

Et ceci soit assez dict touchant tout le Royaume selon la briefveté proposée jusqu’à ce qu’on publie un volume entier de ces choses, ce que Dieu aydant se fera quelque jour. Commençons maintenant à parler de l’entrée de la Religion Chrestienne en ce Royaume, qui est ce à quoi nous avons principalement visé en cest œuvre.


Fin du premier livre.