Histoire de dix ans/Tome 2/Documents

(Vol 2p. 493-496).


DOCUMENTS HISTORIQUES.


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LETTRE DE LOUIS-PHILIPPE À L’EMPEREUR DE RUSSE. — ARRÊT DE LA COUR DES PAIRS CONTRE LES MINISTRES DE CHARLES X. — NOTE DE M. DE SAINT-AULAIRE AU CARDINAL BERNETTI.


LETTRE DE LOUIS-PHILIPPE À NICOLAS.


Monsieur mon frère,

J’annonce mon avènement à la couronne à votre majesté par la lettre que le général Athalin lui présentera en mon nom ; mais j’ai besoin de lui parler avec une entière confiance sur les suites de la catastrophe que j’aurais tant voulu prévenir.

Il y avait long-temps que je regrettais que le roi Charles et son gouvernement ne suivissent pas une marche mieux calculée pour répondre à l’attente et au vœu de la nation. J’étais bien loin, pourtant, de prévoir les prodigieux événements qui viennent de se passer, et je croyais même qu’à défaut de cette allure franche et loyale dans l’esprit de la Charte et de nos institutions, qu’il était impossible d’obtenir, il aurait suffi d’un peu de prudence et de modération, pour que ce gouvernement put aller long-temps comme il allait. Mais, depuis le 8 août 1829, la nouvelle composition du nouveau ministère m’avait fort alarmé. Je voyais à quel point cette composition était odieuse et suspecte à la nation, et je partageais l’inquiétude générale sur les mesures que nous devions en attendre. Néanmoins, l’attachement aux lois, l’amour de l’ordre ont fait de tels progrès en France que la résistance à ce ministère ne serait certainement pas sortie des voies parlementaires, si, dans son délire, ce ministère lui-même n’eût donné le fatal signal par la plus audacieuse violation de la Charte et par l’abolition de toutes les garanties de notre liberté nationale, pour lesquelles il n’est guère de Français qui ne soit prêt à verser son sang. Aucun excès n’a suivi cette lutte terrible.

Mais il était difficile qu’il n’en résultât pas quelque ébranlement dans notre état social et cette même exaltation des esprits, qui les avait détournés de tant de désordres, les portait en même temps vers des essais de théorie politique qui auraient précipité la France et peut-être l’Europe dans de terribles calamités. C’est dans cette situation, Sire, que tous les yeux se sont tournés vers moi. Les vaincus eux-mêmes m’ont cru nécessaire à leur salut. Je l’étais encore plus peut-être, pour que les vainqueurs ne laissassent pas dégénérer la victoire. J’ai donc accepté cette tâche noble et pénible, et j’ai écarté toutes les considérations personnelles qui se réunissaient pour me faire désirer d’en être dispensé, parce que j’ai senti que la moindre hésitation de ma part pourrait compromettre l’avenir de la France et le repos de tous nos voisins. Le titre de lieutenant-général, qui laissait tout en question excitait une confiance dangereuse, et il fallait se hâter de sortir de l’état provisoire, tant pour inspirer la confiance nécessaire que pour sauver cette Charte si essentielle à conserver, dont feu l’empereur, votre auguste frère, connaissait si bien l’importance, et qui aurait été très-compromise, si on n’eût promptement satisfait et rassuré les esprits.

Il n’échappera ni à la perspicacité de votre majesté, ni à sa haute sagesse que pour atteindre ce but salutaire, il est bien désirable que les affaires de Paris soient envisagées sous leur véritable aspect, et que l’Europe, rendant justice aux motifs qui m’ont dirigé, entoure mon gouvernement de la confiance qu’il a droit d’inspirer. Que votre majesté veuille bien ne pas perdre de vue que tant que le roi Charles X a régné sur la France, j’ai été le plus soumis et le plus fidèle de ses sujets, et que ce n’est qu’au moment que j’ai vu l’action des lois paralysée et l’exercice de l’autorité royale totalement anéantie, que j’ai cru de mon devoir de déférer au vœu national, en acceptant la couronne à laquelle j’ai été appelé. C’est sur vous, Sire, que la France a surtout les yeux fixés. Elle aime à voir dans la Russie son allié le plus naturel et le plus puissant. J’en ai pour garantie le noble caractère et toutes les qualités qui distinguent votre majesté impériale.

Je la prie d’agréer les assurances de la haute estime et de l’inaliénable amitié avec laquelle je suis

Monsieur mon frère, de votre majesté impériale, le bon frère,
Louis-Philippe.


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ARRÊT PRONONCÉ PAR LA COUR DES PAIRS

EN AUDIENCE PUBLIQUE DU 31 DÉCEMBRE 1830.


La Cour des pairs, ouï les commissaires de la Chambre des députés en leur diverses conclusions, et les accusés en leur défense.

« Considérant que par les ordonnances du 25 juillet ; la Charte constitutionnelle de 1814, les lois électorales et celles qui assuraient la liberté de la presse, ont été manifestement violées, et que le pouvoir royale a usurpé la puissance législative ;

« Considérant que si la volonté personnelle du roi Charles X a pu entraîner la détermination des accusés cette circonstance ne saurait les affranchir de la responsabilité légale :

« Considérant qu’il résulte des débats qu’Auguste-Jules-Armand-Marie, prince de Polignac, en sa qualité de ministre-secrétaire d’État des affaires étrangères, de ministre de la guerre par intérim et de président du conseil des ministres ; Pierre-Denis, comte de Peyronnet, en sa qualité de ministre-secrétaire d’État de l’intérieur ; Jean-Claude-Baltazard-Victor Chantelauze, en sa qualité de garde-des-sceaux, Mnistre-secrétaire d’État de la justice ; et Martial-Côme-Annibal-Perpétue-Magloire, comte de Guernon-Ranville en sa qualité de ministre-secrétaire d’État des affaires ecclésiastiques et de l’instruction publique responsables aux termes de l’art. 13 de la Charte de 1814, ont contresigné les ordonnances du 25 juillet dont ils reconnaissent eux-mêmes l’illégalité qu’ils se sont efforcés d’en procurer l’exécution et qu’ils ont conseillé au roi de déclarer la ville de Paris en état de siège, pour triompher par l’emploi des armes de la résistance légitime des citoyens ;

« Considérant que ces actes constituent le crime de trahison prévu par l’article 56 de la Charte de 1814 ;

« Déclare :

« Auguste-Jules-Armand-Marie, prince de Polignac ;

« Pierre-Denis, comte de Peyronnet ;

« Jean-Claude-Balthazard-Victor de Chantelauze

« Et Martial-Côme-Annibal-Perpétue-Magloire, comte de Guernon-Ranville,

« Coupables du crime de trahison ;

« Considérant qu’aucune loi n’a déterminé la peine de la trahison, et qu’ainsi la cour est dans la nécessité d’y suppléer ;

« Vu l’article 7 du Code pénal, qui met la déportation au nombre des peines afflictives et infamantes ;

« Vu l’article 17 du même Code qui porte que la déportation est perpétuelle ;

« Vu l’article 18 qui déclare qu’elle emporte la mort civile ;

« Vu l’article 25 du Code civil, qui règle les effets de la mort civile ;

« Considérant qu’il n’existe, hors du territoire continental de la France, aucun lieu où les condamnés à la peine de la déportation puissent être transportés et détenus,

« Condamne le prince de Polignac à la prison perpétuelle sur le territoire continental du royaume, le déclare déchu de ses titres, grades et ordres, le déclare mort civilement, tous les autres effets de la peine et la déportation susbsistant ainsi qu’ils sont réglés par les art. précités ;

« Ayant égard aux faits de la cause, tels qu’ils sont résultés des débats ;

« Condamne le comte de Peyronnet, Victor de Chantelauze, le comte de Guernon-Ranville, à la prison perpétuelle ;

« Ordonne qu’ils demeureront en état d’interdiction légale, conformément aux art. 28 et 29 du Code pénal, les déclaré pareillement déchus de leurs titres, grades et ordre ;

« Condamne le prince de Polignac, le comte de Peyronnet, Victor de Chantelauze, le comte de Guernon-Ranville, personnellement et solidairement aux frais du procès ;

« Ordonne qu’expédition du présent arrêt sera transmise à la chambre des Députés, par un message, sera imprimée et affichée à Paris, et dans toutes les autres communes du royaume, et transmise au garde des sceaux, ministre-secrétaire au département de la justice pour en assurer l’exécution.

« Fait et prononcé au Palais de la Cour des Pairs, où siégeaient MM………, lesquels ont signé[1].


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NOTE

DE M. DE SAINT-AULAIRE AU CARDINAL BERNETTI, SECRÉTAIRE-D’ÉTAT


Le soussigné, ambassadeur de France à Rome, a reçu avec reconnaissance la communication que son éminence le cardinal Bernetti, pro-secrétaire d’état du saint-siége, a bien voulu faire d’une pièce imprimée à Ancône et de laquelle il résulterait que les promoteurs et les partisans de la révolte dam les états du pape, ont osé chercher une excuse de leur conduite dans de prétendues promesses de protection que leur aurait faites le gouvernement français.

Le soussigné n’a pu voir sans un vif ressentiment les auteurs de cette assertion aggraver ainsi leurs fautes par des calomnies aussi contraires à l’évidence des faits qu’offensantes à la France. Le soussigné sait que ces assertions sont appréciées à leur juste valeur par les hommes sages de tous les pays, et le sentiment de la dignité de la France lui interdit toute espèce d’apologie. Néanmoins, le soussigné se prête à rappeler les témoignages d’intérêt et de sollicitude que le gouvernement du roi très-chrétien a donnés au saint-père, aussitôt qu’il fut informé de la révolte qui venait d’éclater à Bologne, et sa volonté manifestée plusieurs fois de rester fidèle aux traités qui garantissaient la souveraineté séculaire du saint-siége.

Rome, 29 avril.

Signé : Saint-Aulaire.
  1. Par un arrêt du 11 avril 1830, la cour des pairs, prononçant sur les contumaces des trois autres ministres compris dans l’accusation (baron d’Haussez, baron Capelle, et comte de Montbel) les a condamnés à la prison perpétuelle, etc. etc.