Histoire de dix ans/Tome 2/Chapitre 8

(Vol 2p. 265-326).


CHAPITRE VIII.


Définition du système politique de la France. — Budget de 1831. — Situation intellectuelle et morale de la société : Saint-Simouiens ; républicains-démocrates ; église française. M. de Lamennais ; son caractère ; ses doctrines ; procès de l’Avenir. — Travaux législatifs : loi sur le jury ; loi municipale ; conditions du pouvoir mal comprises. — Agitations. — Le parti légitimiste renaît à l’orgueil. — Service funèbre à Saint-Germain-l’Auxerrois ; l’église envahie ; inertie singulière du pouvoir ; ses véritables causes ; mot du roi. — Pillage de l’archevêché ; système de laissez-faire ; profonds calculs. — La cathédrale sauvée. — Aspect de Paris dans les saturnales du mardi-gras. — Scènes législatives. — La Bourse complice de l’émeute ; ordre d’arrestation lancé centre M. Ouvrard. — Fleurs de lys effacées ; croix abattues. — Le roi sacrifie ses armoiries. — Troubles dans Paris. — Portrait de M. Dupin. — Loi électorale ; ses vices. — Loi sur la garde nationale. — Révolution d’Italie ; son importance ; son caractère. — La fils aîné du roi confident des conspirateurs italiens. — Le duc de Modène complice douteux de Menotti. — Nuit du 3 février à Modène. — L’insurrection se propage dans toute l’Italie. — Rome menacée ; une lettre du Palais-Royal ; on abandonne les insurgés après les avoir encouragés. — Retraite de M. Laffitte ; causes réelles de cette retraite. — Jugement sur le ministère de M. Laffitte.


Au milieu de ces événements qui tenaient l’Europe attentive, le roi des Français s’occupait de consolider sa dynastie, et poursuivait avec sérénité l’accomplissement de ses desseins. Voyant les chefs de la bourgeoisie se presser autour de son trône par frayeur, ignorance et petitesse de vues, il avait cessé de leur rendre flatterie pour flatterie. Il apportait moins de réserve dans ses manières ; son langage devenait de jour en jour plus conforme à ses sentiments. La popularité qu’on avait si ardemment recherchée d’abord, non par goût comme Lafayette, mais par calcul, on paraissait maintenant la compter pour peu de chose. On commençait même à laisser volontiers percer dans les discours les principes d’une politique jusqu’alors à demi cachée dans les actes.

À cette époque, des députations étaient envoyées au roi, de tous les points du royaume. Celle de la ville de Gaillac lui ayant dit : « Au dehors, la France veut être indépendante de l’étranger. Au dedans, elle veut l’être des factions. », il répondit : « Si les besoins de la patrie me mettaient dans le cas d’appeler les gardes nationaux et tous les citoyens à défendre notre indépendance contre une agression étrangère, je ferais cet appel avec une entière confiance, mais j’espère que cette nécessité n’existera pas. Nous ne devons pas seulement chérir la paix, nous devons encore éviter tout ce qui pourrait provoquer la guerre. Quant à la politique intérieure, nous chercherons, ajouta-t-il, à nous tenir dans un juste milieu. » Le mot du système venait d’être prononcé.

Ces paroles du roi retentirent dans la France entière. Quelques-uns pensèrent que le monarque n’était pas fâché de se faire honneur auprès des cabinets étrangers de son courage à braver les entraînements populaires. Tous remarquèrent la précision inaccoutumée de son langage.

Restait à savoir de quelle manière on refoulerait les passions actives qui demandaient à la révolution un aliment et une issue. Dans la situation violente où se trouvait la société française, il lui fallait, à défaut d’un gouvernement guerrier, un gouvernement novateur. Or, le pouvoir enfanté au hasard par les trois journées, ne vivait que de la haine des innovations et de la crainte d’une guerre. On devait donc s’attendre à quelque explosion terrible ; et dans l’impuissance de la prévenir, on prépara les moyens de la réprimer. On parla d’acheter des armes, d’approvisionner les places fortes, de lever des troupes, de renforcer les garnisons. Les préparatifs de guerre ne s’étaient jamais faits avec tant d’ardeur que depuis qu’il y avait parti pris de laisser dans le fourreau l’épée de la France. Le gouvernement, en effet, avait besoin ou de soldats contre l’Europe, ou de soldats contre l’émeute. La garde nationale elle-même ne suffisait plus aux défiances du pouvoir et à l’impunité de ses fautes.

Mais les armements devaient entraîner des dépenses considérables. Le budget de 1831, présenté par M. Laffitte, vint tout-à-coup montrer la profondeur de l’abîme. Ce budget ne s’élevait pas à moins de un milliard cent soixante-sept millions.

C’étaient trois cents millions ajoutés au fardeau que, sous la Restauration, avait porté le pays.

Au fond, il n’y avait là rien d’effrayant. Car ce qui importe, dans les impôts, c’est moins leur quotité que leur emploi ; et puisqu’on concentrant les capitaux on centuple leur puissance ; entre les mains d’un pouvoir intelligent et probe, les impôts les plus forts sont les plus féconds. Mais, pendant quinze ans, le libéralisme avait combattu sans relâche le principe d’autorité, et les doctrines libérales avaient germé dans les esprits, appuyées qu’elles étaient par le spectacle d’un pouvoir follement prodigue. Le chiffre du budget fut en conséquence accueilli avec crainte, avec mécontentement. Les égoïstes regrettaient la chimère du gouvernement à bon marché. Les jeunes gens se plaignaient d’une paix aussi coûteuse qu’une guerre, et que pour l’inaction les charges fussent les mêmes que pour la gloire.

Les légitimistes, de leur côté, insistaient sur le ridicule de tant de déceptions. Ils gémissaient triomphalement : d’une part, sur les dépenses devenues plus considérables ; de l’autre, sur les recettes diminuées. Ils rappelaient avec un orgueil mêlé de pitié que, dans les sept premiers mois de 1830, les recettes avaient offert un excédant ; que dans les cinq derniers mois, au contraire, le déficit avait été : en août, de 5,651,000 fr. ; en septembre, de 6,881,000 ; en octobre, de 5,454,000 ; en novembre, de 1,041,000 ; en décembre, de 12,577,000. Puis, ajoutant au chiffre de tous ces déficits celui de 50,000,000 prêtés au commerce, et celui de 54,000,000, surcroît présumé des dépenses de 1830, ils sommaient le génie révolutionnaire de présenter son bilan, et montraient au seuil même de l’année qui s’ouvrait un déficit de plus de cent millions, gouffre immense que, suivant eux, la révolution seule avait creusé.

Les intérêts moraux de la société paraissaient encore plus compromis que ses intérêts matériels. Tout n’était plus que trouble et confusion dans le domaine des intelligences. L’esprit d’examen ne connaissait plus de bornes à ses envahissements, et mettait à s’égarer je ne sais quel étrange raffinement d’audace. Mêlant à des vérités hardies des erreurs cyniques, les Saint-Simoniens ébranlaient, dans le Globe, toutes les vieilles bases de l’ordre social. Que l’industrie fût réglementée au gré d’un pouvoir issu en quelque sorte de lui-même et juge de sa propre légitimité ; que la production fût concentrée à l’excès et que ses bénéfices fussent répartis proportionnellement aux mérites ; que la transmission des biens fût anéantie comme celle des emplois ; que le mariage, légalisation de l’adultère, fît place à la souveraineté des penchants et à l’émancipation du plaisir ; que l’empire de la société fût substitué à celui de la famille ; voilà les doctrines qu’élaboraient alors des jeunes gens mystiques et sensuels, mais pleins de talent, de verve et d’ardeur. Leur morale, ils la résumaient dans ces mots : « À chacun suivant sa capacité, à chaque capacité suivant ses œuvres » ; et témoins indignés des vices d’un ordre social où les récompenses étaient presqu’en raison inverse des services, ils se félicitaient de l’apparente sagesse de leur formule en attendant qu’une école plus exaltée vint proclamer les lois d’une morale supérieure, et faire aboutir la diversité des aptitudes non pas à l’inégalité des droits, mais à l’inégalité des devoirs.

Ces brûlantes investigations se poursuivaient, du reste, au milieu de mille anxiétés stériles et de combats furieux quoique singulièrement frivoles. Les libéraux, vainqueurs, s’étaient divisés en deux camps, celui du mouvement et celui de la résistance, mots sonores qui ne répondaient guère qu’à des instincts, mots vagues au moyen desquels les combattants se faisaient illusion sur l’incertitude de leur but et le vide de leurs croyances.

Puis venaient, à côté d’un petit nombre de républicains-démocrates prenant déjà pour devise l’abolition du prolétariat, les républicains-bourgeois, logiciens du libéralisme, et qui se contentaient de crier à leurs amis de la veille : l’œuvre de destruction n’est pas complète ; pourquoi la royauté debout quand tout le reste est par terre ? Enfin, et pour que rien ne manquât à cette guerre pleine de bruit et de ténèbres, on avait vu descendre dans la lice des hommes qui invoquaient l’Empire au nom de la liberté.

Dans ce vaste tourbillon où roulaient les intérêts et les idées, il était difficile que la religion ne fût pas emportée, elle aussi. Des réformes religieuses étaient tentées : les unes futiles, les autres sérieuses. Un prêtre, nommé Chatel, s’était avisé d’introduire la langue usuelle dans la liturgie, schisme sans portée, sans intelligence, parce qu’il dépouillait de tout mystère, c’est-à-dire de toute poésie, la prière qui, du fond des âmes simples, monte jusqu’à Dieu.

Mais, parmi les réformateurs religieux de l’époque, il y en avait un qui remplissait le siècle de son nom. Tandis que, dans le Globe, les Saint-Simoniens parlaient de régénérer la société, M. de Lamennais, avec bien plus d’autorité, de science, et non moins d’éclat, parlait, dans l’Avenir, de régénérer l’Église. Déplorant les écarts de l’illustre Bossuet, et attaquant dans le Gallicanisme une doctrine qui n’avait jamais donné qu’à la tyrannie des rois ce qu’elle prétendait enlever à la haute tutelle des papes, M. de Lamennais et son disciple l’abbé Lacordaire demandaient que l’Église devint indépendante de l’État ; que l’influence du pouvoir cessât de peser sur la juridiction et l’enseignement ecclésiastiques ; que le clergé relevât plus directement du Saint-Siège ; que les prêtres fussent payés par les fidèles ; mais en même temps ils déclaraient exécrable cette maxime des Gallicans qu’un prince une fois établi peut tout se permettre impunément, comme si la tyrannie ne devait avoir d’autre remède que la volonté du tyran même ; ils applaudissaient d’avance à toutes les révolutions nées d’une juste résistance à la force brutale ; en un mot, ils s’avouaient partisans de la souveraineté du peuple, s’appuyant en cela de l’autorité de Saint-Thomas, et sans s’inquiéter si la souveraineté du peuple en politique ne conduisait point à la souveraineté des fidèles en religion. On voit tout ce qu’il y avait d’heureuse témérité en ces prédications. C’était l’ultramontanisme appelé au secours de la liberté ; c’était le despotisme des rois immolé, par l’ordre de Dieu, à ces deux grandes puissances, le pape et le peuple. L’Avenir fut saisi, défendu avec éloquence par M. Janvier, approuvé dans ses doctrines par le ministère public, et acquitté. Triomphe qui ne faisait qu’ouvrir à M. de Lamennais la carrière des persécutions !

Mais que pouvait la persécution sur un homme de cette trempe ? Pour savoir ce qu’il était capable de souffrir par l’âme et par la pensée, il suffisait de voir combien son corps était débile, combien sa voix était faible, combien était malade et sillonné son visage, où une fermeté indomptable se révélait, pourtant, dans l’énergique dessin de la bouche et la flamme du regard. Doué d’une sensibilité composée en quelque sorte de violence et de tendresse, plein de fougue et de charité tout-à-la-fois, ardent et résigné tour-à-tour, chez lui le tribun s’élevait jusqu’à l’apôtre et le soldat juqu’au martyr. Variable, d’ailleurs, dans ses convictions, à force de dévouement et de sincérité, il apportait dans sa passion pour le vrai ce genre de despotisme que donne l’habitude des méditations solitaires ; et sans ménagements pour les erreurs, y compris les siennes, il était prêt à tout oser contre les autres et contre lui-même.

Au sein de cette agitation et en présence de tels adversaires, le pouvoir se rapetissait de jour en jour. Au lieu de se mettre à la tête du mouvement qui emportait les esprits, pour le régler et le diriger, seul moyen d’en prévenir les dangers sans en étouffer la sève, il n’opposait aux idées naissantes que des taquineries ou de l’indifférence. Le ministère de l’intérieur, occupé par M. de Montalivet, était absorbé tout entier par des intrigues de cour, des détails d’administration ou de petite police. Nulle direction venue d’en haut ; nulle initiative vigoureuse. L’autorité ne comptait plus que comme obstacle, et de là son discrédit. Car c’est le sort des gouvernements nés d’une révolution de n’être respectés qu’à la condition de prouver leur importance et de suppléer par l’éclat de leurs services au prestige d’une origine indépendante.

Les chambres, cependant, poursuivaient leurs travaux. Une loi fut portée[1] qui disposait qu’à l’avenir le nombre des conseillers ou juges, dans les cours d’assises, serait réduit de cinq à trois ; que la décision du jury se formerait contre l’accusé à la majorité de plus de sept voix, et que certains articles du code d’instruction criminelle seraient abrogés comme attentatoires à la souveraineté du jury. Suivant l’esprit de l’institution du jury, les jurés, on le sait, sont appelés à déclarer si le délit existe, et c’est aux juges d’appliquer la peine. Eh bien, d’après le code d’instruction criminelle, les juges du droit devaient participer, dans un cas déterminé, à la déclaration du fait. Et ainsi se trouvait altérée sinon détruite, entre les juges du droit et les juges du fait, une distinction fondamentale. En là faisant revivre, les chambres opéraient une réforme utile quoique partielle.

Déjà, grâce aux actives et persévérantes sollicitations de M. Patorni, avocat, une ordonnance du 12 novembre 1830, contresignée Dupont (de l’Eure), avait rétabli le jury en Corse, où il avait été suspendu par Bonaparte.

C’était trop peu de ces concessions pour relever le pouvoir, de son impopularité. Elle s’accrut, lorsqu’on vit les chambres adopter avec empressement, une loi[2] qui transformait en impôt de quotité la contribution personnelle, jusque là rangée au nombre des impôts de répartition[3]. Sans doute le temps avait introduit dans la répartition des contingents, de graves abus, de choquantes inégalités ; et on pouvait citer, à l’appui de la loi nouvelle, tel département riche où la contribution personnelle était seulement dans le rapport de 94 centimes par tête d’individu, tandis qu’elle était, pour un département beaucoup plus pauvre, dans le rapport de 1 fr. 87 c. Mais substituer, dans l’assiette et le recouvrement de l’impôt personnel, l’intervention directe, inexorable, des agents du fisc, aux arrangements éternels des contribuables associés, n’était-ce pas enlever aux malheureux le bénéfice d’une protection nécessaire, rendre la perception dure, difficile, aléatoire surtout ? Et s’il était vrai que des départements fussent trop chargés relativement, pourquoi ne pas procéder à une réparation plus équitable, et modifier l’application du système sans en ruiner brusquement le principe ? Voilà ce qu’on opposait à la loi ; et, comme son but avoué était d’augmenter les recettes, on maudissait dans cette innovation la tyrannie déguisée du fisc et une attaque à l’existence du pauvre.

De plus hautes discussions occupèrent bientôt l’attention publique.

La centralisation établie par la Convention et portée par Napoléon à ses plus extrêmes limites, avait fait pendant un quart de siècle la force et la gloire de la France. A l’unité les Montagnards avaient dû d’épouvanter et de vaincre l’Europe. De l’unité venaient tous les prodiges, de la grande aventure impériale. Et pourtant, le jour où il avait cessé d’être nécessaire que la France fut un soldat, l’excès de la centralisation était devenu pour la nation une cause d’énervement. A l’époque dont nous écrivons l’histoire, la plupart des communes de France végétaient dans un état, à peine croyable, d’ignorance, d’égoïsme, de misère et de langueur. Plus d’esprit de corps, plus de passions collectives, plus de traditions. Le sang s’était retiré de toutes les parties du corps social, pour remuer vers le cœur, où il bouillonnait. Et qu’en était-il résulté ? Une ardeur merveilleuse aboutissant à l’impuissance et au scepticisme la concentration de toutes les forces devenue celle de toutes les ambitions ; le désir de briller poussé jusqu’à l’effronterie ; pour un peu de rayonnement une absorption immense, et les intelligences les plus originales perverties par la manie de l’imitation, l’amour du gain, le despotisme de la mode ou l’impatience du succès ; la concurrence et ses fraudes, le charlatanisme et ses opprobres, des excitations sans nombre, mais pour le mal plus que pour le bien ; des ressources incalculables, mais plus propres à entretenir des illusions folles qu’à satisfaire de légitimes espérances ; la civilisation, enfin, épuisant ses mensonges et ses miracles pour rendre l’homme coupable et malheureux, telle était, sous l’influence d’une centralisation mal comprise, la vie de la capitale. La France autour de Paris, c’était le vide autour du chaos.

Quant aux causes de cette situation elles dataient déjà de loin. Environnée de complots, d’embûches et de trahisons, n’apercevant qu’ennemis au-dedans, au-dehors, autour d’elle, à ses pieds, la Convention avait dû tout connaître et tout régler. Aussi l’avait-on vue supprimer la Commune, pénétrer dans les familles par ses agents ; et, s’emparant de la vie des citoyens, leur donner son propre souffle à respirer. Non contente de faire aboutir à elle les intérêts généraux, ce qui constitue la centralisation politique, régime de force, elle avait concentré en ses mains la direction de tous les intérêts locaux, ce qui constitue la centralisation administrative, régime d’étouffement.

Puis était venu Napoléon ; et il n’avait eu garde de séparer les deux systèmes, parce qu’il avait besoin, comme la Convention, d’une dictature dévorante, les hommes n’étant plus que des chiffres dans les calculs de son génie.

Napoléon enchaîné, la France, qui se mouvait dans lui, avait soudain perdu tout mouvement, considérée dans son ensemble. Mais comme Paris restait le centre de toutes les affaires, même les plus petites, il avait gardé du passage de l’Empire une agitation désordonnée. Ainsi la centralisation politique, qui est un bien, était morte ; la centralisation administrative, qui est un mal, survivait. On avait eu, par conséquent, au lieu du despotisme en grand, le despotisme en petit. Une autorité féconde en ses excès avait fait place à une tyrannie paperassière, stérile ; et un gouvernement d’hommes d’état se trouvait avoir légué la première nation du monde à un gouvernement de commis.

Le problême à résoudre consistait donc à établir la centralisation politique sur de larges bases et à détruire, au contraire, la centralisation administrative. En d’autres termes, il fallait : 1° conférer à l’Etat le droit d’agir souverainement dans toutes les grandes choses ; de diriger moralement les esprits par le culte, par l’éducation, par les fêtes, par les spectacles ; de se mettre à la tête de l’industrie, et de lui imposer des lois ; d’établir le crédit public par la suppression des banques individuelles ; d’entreprendre, exclusivement à toute compagnie particulière, le creusement des canaux, la construction des chemins de fer, l’exploitation des mines, etc. ; 2° conférer à la commune le droit de pourvoir, sinon en dehors de toute surveillance, du moins par elle-même, à la réparation de l’église et de l’hôtel-de-ville, à l’entretien du cimetière, à l’embellissement de la cité : en un mot, à tous les intérêts d’une nature spéciale.

Malheureusement, les chambres qui abordaient cet important problême étaient incapables non-seulement de le résoudre, mais de le bien poser. Déjà, en décrétant dans la charte l’égalité des cultes, la liberté de l’enseignement, la concurrence industrielle, elles avaient anéanti la véritable centralisation politique et dépouillé l’Etat de ses plus naturelles, de ses plus hautes, de ses plus nécessaires prérogatives. Pour achever cette œuvre de folie, il ne leur restait plus qu’à fortifier la centralisation administrative, en ôtant à la commune toute liberté d’action, tout principe de vie. C’est ce qu’elles firent dans la loi sur l’organisation municipale.

Dans la chambre des députés, la discussion fut laborieuse, confuse. Les uns, et c’était le plus grand nombre, voulaient qu’à l’égard du pouvoir central, la commune fut placée dans une dépendance complète. Ils demandaient, en conséquence, que le maire et les adjoints fussent nommés par le roi dans les villes considérables, et dans les villes de moindre importance, par le préfet. Quant à la formation du conseil municipal, ils n’osaient trop ouvertement repousser le principe électif, mais ils n’en admettaient qu’une application très restreinte. Les autres soutenaient que la commune ne serait fortement organisée que lorsque tous les habitants seraient appelés à élire le maire, les adjoints et les conseillers municipaux.

L’opinion de ces derniers était évidemment conforme aux vrais principes de gouvernement ; mais ils posaient mal la question. Au lieu de représenter la commune dans ses rapports avec la société tout entière, ils la défendirent au point de vue du droit individuel. Au lieu de prouver qu’il suffisait de la constituer vigoureusement, pour qu’en faisant ses propres affaires elle fit celles de l’État, ils partirent, comme leurs adversaires, de cette supposition qu’entre la commune et l’État il existait une hostilité naturelle. Supposition gratuite et absurde dans la bouche des orateurs de la minorité ! Car prévoir une lutte et demander que la commune fut mise en mesure de la soutenir énergiquement, c’était se donner le tort de vouloir l’organisation de l’anarchie.

Comme on devait s’y attendre, un vote déplorable sortit des ténèbres de cette longue discussion. Voici ce qui fut décidé :[4] Les conseillers municipaux devaient être élus par une assemblée d’électeurs, composée des citoyens les plus imposés aux rôles des contributions directes de la commune, en nombre égal au dixième de la population, dans les communes de mille âmes et au-dessous. Ce nombre devait s’accroître : de cinq par cent habitants, en sus de mille jusqu’à cinq mille ; de quatre par cent habitants, en sus de cinq mille jusqu’à quinze mille ; de trois par cent habitants au-dessus de quinze mille. On adjoignait à cette assemblée d’électeurs, uniquement recommandés par leur fortune, certains citoyens censés plus capables que les autres tels que médecins, avocats, notaires, juges, avoués, officiers de la garde nationale, fonctionnaires jouissant d’une pension de retraite, etc., lesquels, néanmoins, ne pourraient exercer leurs droits d’électeurs qu’en vertu de leur domicile réel établi dans la commune depuis un laps de temps déterminé. Élus pour six ans, et composés de membres ne pouvant avoir moins de 25 ans accomplis, les conseils municipaux devaient être, tous les trois ans, renouvelés par moitié. Pour ce qui est du maire et des adjoints, ils devaient être choisis parmi les conseillers municipaux ; mais leur nomination était attribuée : au roi, dans les chefs-lieux d’arrondissement et dans les communes de trois mille habitants ou au-dessus ; au préfet, dans les communes moins considérables. Nommés peur trois ans, les maires et les adjoints pouvaient être suspendus par arrêté du préfet, et révoqués par ordonnance du roi. Enfin, c’était au préfet et au sous-préfet qu’était confié le droit de prescrire toute convocation extraordinaire du conseil municipal, qui était réduit, dans ce cas, à ne s’occuper que des objets pour lesquels on le convoquait spécialement.

Cette loi, hérissée de détails dont je supprime l’inutile et fastidieuse énumération, souleva d’universelles clameurs. Une assemblée de notables élue par une autre assemblée de notables et dirigée par des agents ministériels, voilà quelle était l’économie de la nouvelle loi ; c’est-à-dire qu’elle appuyait le pouvoir ministériel sur près de trente-quatre mille petites oligarchies bourgeoises. Tous les démocrates s’émurent : Quoi ! s’écriaient-ils, ce sont là les voies dans lesquelles on ose engager la révolution ! La France va donc passer sous le joug des notabilités d’impôts et des notabilités de places ! Que signifient ces capacités municipales qui se révèlent par la cote des contributions ou par un diplôme de licencié ? Un avoué sait mieux qu’un laboureur dépouiller un dossier ; mais sait-il mieux qu’un laboureur ce qui concerne le partage des communaux, par exemple, ou les coupes de bois ? Quel insolent arbitraire dans toutes ces classifications ! On est déclaré notable quand on connaît le code de procédure ou qu’on a étudié la médecine on ne l’est pas quand on possède l’architecture, ou la botanique, ou l’astronomie ! Quelles seront, d’ailleurs, les attributions des conseils municipaux ? Puisqu’on s’avise de classer arbitrairement les capacités, au moins devrait-on nous apprendre sur quels objets leur activité s’exercera. Mais non. Les attributions seront réglées plus tard. De sorte qu’au lieu de créer le pouvoir pour la fonction, on crée la fonction pour le pouvoir ! Aussi bien, faire du droit électoral un monopole, c’est forger un instrument de tyrannie. Mieux vaut briser le principe électif que le corrompre. Si les riches dominent dans les conseils municipaux, on aura organisé une protection pour les intérêts qui ont le moins besoin d’être protégés. L’absurdité est manifeste, l’iniquité flagrante.

Les réclamations des légitimistes n’étaient pas moins vives. Sur cette liste de notabilités présumées où le législateur venait de mettre des sous-lieutenants en retraite, ils cherchaient en vain le curé, et s’étonnaient que, dans leur aristocratique dédain pour la canaille, les libéraux eussent frappé de la même exclusion le pasteur du village et le maréchal-ferrant. Invoquant les souvenirs de l’ancien régime, ils montraient les vignerons, les perruquiers, les laboureurs, appelés par l’édit de mai 1766 à prendre part aux affaires de la commune ; et le libéralisme des législateurs du jour leur faisait regretter celui du contrôleur-général Laverdy, mort pourtant dans la tempête révolutionnaire.

À ces critiques dont chaque parti faisait tourner la logique au profit de ses espérances ou de ses haines, se joignaient celles de quelques hommes graves qui, portant leurs regards au-delà du présent, voyaient dans cette ardeur aveugle de la bourgeoisie à tout envahir, le germe de sa ruine et le signal des plus affligeants désordres. La loi qui venait d’être votée préparait, en effet, l’anéantissement de la commune, et cet anéantissement fut consommé, comme on le verra plus tard, par la loi sur les attributions municipales.

Ainsi, dès ses premiers pas dans la carrière législative, le gouvernement de la bourgeoisie était convaincu d’egoïsme et d’imprévoyance. Car, chose étrange ! pendant qu’on s’ingéniait si péniblement pour régulariser les fléaux de la centralisation administrative, les derniers vestiges de la centralisation politique avaient disparu. L’impulsion odieuse, mais hardie et persévérante, que les congréganistes, sous la Restauration, avaient donnée à la société, faisait place à des oscillations infinies. Les libéraux, à peine vainqueurs, avaient eu hâte de réaliser leur fameuse théorie de l’athéisme dans la loi, sans songer que tout ce qu’on retranche, dans l’état, à la souveraineté de Dieu, on l’ajoute à la souveraineté du bourreau. L égalité des cultes,[5] consécration nécessaire des plus grossiers charlatanismes, faisait insensiblement passer, des esprits dans les consciences, le trouble qui naît de toute commotion violente ; et la liberté de l’enseignement, proclamée avec faste, préparait aux générations à venir le triste héritage des divisions et des haines dont la vie de la génération présente était tourmentée. Aux pompes du catholicisme, si puissantes sur le peuple qu’on gouverne par l’ame et par les sens, nulles fêtes n’avaient été substituées. Le théâtre restait exploité par des particuliers. Le chant des processions ne dominait plus, même aux jours solennels, le bruit de la rue ; et rien ne remplaçait cet appel mystique aux émotions populaires, énergique moyen de gouvernement. La société, en un mot, ne vivait plus que sur les ruines qu’elle venait de faire.

Au reste, le mal n’avait pas sa source seulement dans les débordements de la controverse et dans la sceptique indifférence des pouvoirs nouveaux. La Restauration avait si témérairement invoqué les choses saintes à l’appui des misérables vanités de ce monde, elle avait tellement compromis dans sa querelle la majesté divine, et tellement accoutumé le peuple à maudire Dieu dans le prêtre, que l’impiété avait revêtu le caractère d’une résistance légitime à l’oppression. L’orgueil des hauts dignitaires de l’Église, l’arrogance et l’astuce des jésuites, le fanatisme calculé de la congrégation, les intrigues de sacristie, bavaient fait qu’exalter ce sentiment d’indépendance que le siècle de Voltaire nous avait légué.

Un événement inattendu vint mettre en relief ce qu’une situation semblable recelait de désordres. Depuis quelque temps les légitimistes semblaient renaître à la confiance. Leur langage devenait de jour en jour plus hautain. Ils parlaient déjà du retour de Henri V avec une assurance pleine d’insulte, et le changement qu’on remarquait dans l’attitude de Louis-Philippe recevait de leurs présomptueux désirs l’interprétation la plus singulière. L’empereur de Russie ayant demandé, comme on l’a vu, qu’on lui envoyât M. de Mortemart pour ambassadeur, et le Palais-Royal n’ayant pas osé désobéir, les légitimistes répandirent le bruit que Louis-Philippe se proposait de rendre la couronne à Henri V, et que le duc de Mortemart était envoyée Nicolas pour l’instruire de ce dessein. En même temps, des démonstrations factieuses avaient lieu sur divers points. A Rodez, on arrachait pendant la nuit un arbre de liberté ; à Collioure, on déployait le drapeau blanc ; il était question de gardes nationaux sur qui s’était levée, à Nismes, la canne de quelques verdets ressuscités. Ces faits, peu importants par eux-même, puisaient dans les allures générales du parti vaincu je ne sais quelle signification alarmante. Le clergé, d’ailleurs, commençait à se montrer remuant, et il était clair pour tous que les carlistes allaient faire, à la première occasion, quelqu’audacieux essai de leurs forces.

On touchait au 14 février, anniversaire de la mort du duc de Berri. La Gazette de France et la Quotidienne annoncèrent que, ce jour-là, un service funèbre serait célébré à l’église St-Roch. Le ministre de l’intérieur en écrivit au préfet de police. Le ministre des cultes, à son tour, fit savoir à l’archevêque de Paris que la cérémonie projetée pouvait devenir une provocation à l’émeute. Le curé de St.-Roch crut donc devoir s’abstenir. Il n’en fut pas de même du curé de St.-Germain-l’Auxerrois, vieillard qui avait accompagné à l’échafaud Marie-Antoinette. Le 14 février, des hommes, placés sur les marches de l’église St.-Roch distribuaient aux arrivants des cartes destinées à leur apprendre que le rendez-vous était un grand nombre de brillants équipages encombraient déjà les avenues de cette église. Couvrant sous la solennité d’un deuil public la satisfaction d’une vengeance essayée, une foule élégante envahit le temple, et le service funèbre commença. A quelques pas de là dormaient dans leurs tombeaux ceux qui, au mois de juillet, étaient tombés morts devant le Louvre. On fit une quête, dans l’église, au profit des soldats de la garde royale blessés dans les trois jours. La cérémonie s’achevait en silence, lorsque, s’avançant vers le catafalque qui s’élevait au milieu de l’église, un jeune homme y attacha une lithographie représentant le duc de Bordeaux. Une couronne d’immortelles fut placée au-dessus de ce portrait, et des militaires y vinrent fixer leurs décorations.

Cependant, des divers quartiers de Paris, étaient accourus sur la place Saint-Germain-L’Auxerrois des agitateurs qu’attirait nouvelle d’un complot de bruit. On apprend ce qui se passe dans l’église ; le récit en vole de bouche en bouche, commenté d’une manière injurieuse, ou habilement exagéré. Bientôt des imprécations retentissent ; la multitude devient de minute en minute plus animée et plus épaisse. Averti, le préfet de police accourt sur la place, il trouve la cérémonie achevé et les fidèles dispersés ; mais le tumulte croissait : M. Baude fait ranger des gardes municipaux devant le portail et fermer la grille. Un pâle jeune homme, vêtu de noir et aux cheveux flottants, était en ce moment sur la place, muet, immobile, et paraissant contempler avec ironie le spectacle de cette multitude impatiente. Au jésuite ! crie une voix. Aussitôt un hourra terrible s’élève. On entoure le jeune homme, on le saisit, on l’enlève : il va être précipité dans la Seine, et déjà il se débat avec angoisse sur le parapet du fleuve. Le préfet de police s’élance pour le sauver, suivi de quelques hommes. Une lutte s’engage. Elle dura plus d’une heure, et Paris resta sans préfet de police, pendant que la foule, roulant le long des quais comme une avalanche, et débouchant de toutes les rues, venait se heurter, avec mille cris confus, contre les portes, les grilles et les murs de la vieille église.

C’était le gouvernement de la bourgeoisie que les carlistes venaient de menacer. Aussi cette émeute n’avait-elle pas la physionomie exclusivement populaire du mouvement insurrectionnel de décembre. Des bourgeois en habit noir et en gants jaunes y figuraient à l’avant-garde. L’impiété rieuse de la jeunesse des écoles s’y mariait à la rue licence du peuple. Les autorités elles-mêmes encourageaient au mal par l’affectation de leur indifférence et le scandale de leur apathie. Ce fut sur l’ordre d’un magistrat de la cité qu’on abattit la croix qui surmontait l’église. Les troupes semblaient se cacher. Tout pouvoir était absent. La garde nationale, si ardente à protéger la boutique, laissait libre la route qui allait conduire la multitude à la dévastation d’un temple.

Il ne tarda pas à être envahi, ce temple, et de honteuses saturnales y révélèrent le désordre moral qu’avait jeté dans les esprits, le long combat soutenu, pendant quinze ans, par l’incrédulité contre l’hypocrisie. Abattre l’autel, briser la chaire, mettre en pièces balustrades et confessionnaux, renverser chaque saint de son piédestal, déchirer les tableaux pieux, fouler aux pieds les riches tentures, tout cela fut l’œuvre d’un moment. On riait, on hurlait, on se provoquait mutuellement à des hardiesses cyniques. Quelques-uns blasphémaient Dieu : tous lançaient anathème aux prêtres. La sacristie, prise d’assaut, avait livré à des vandales bouffons ses plus opulentes dépouilles, et des hommes furent vus dansant en habits sacerdotaux. Une petite troupe de gardes nationaux, commandée par deux citoyens nommés Clavaux et Boissière représentait seule, dans un aussi triste et bruyant pêle-mêle, ce principe d’ordres si brutalement violé, cette fois, par la bourgeoisies. Du reste, pas un vol ne fut commis, pas un acte d’improbité ne fut remarqué. Une aigle dorée fut trouvée dans les débris et fidèlement portée au gouverneur des Tuileries. Au milieu d’une société cupide et sans foi, le désintéressement n’avait pas cessé d’être la vertu des pauvres !

Le sac de St-Germain-l’Auxerrois avait été précédé par l’invasion du presbytère. On le dévasta, mais le peuple s’arrêta, plein de respect, sur le seuil d’un, appartement situé au même étage que celui du curé. Cet appartement était habité par l’abbé Paravey, le même qui, au mois de juillet, avait béni le cimetière du Louvre et prié pour ceux qui étaient morts en combattant.

Sur ces entrefaites, le préfet de police, après avoir sauvé le faux jésuite s’était rendu au Palais-Royal, le cœur plein d’émotion et les vêtements en désordre. Il trouva le roi parfaitement calme. Au fait, les événements, de la journée ne pouvaient qu’être favorables au maintien de la nouvelle dynastie. Ils montraient aux carlistes combien vaines étaient leurs espérances ; et au clergé, de combien de périls le menaçait son alliance obstinée avec un trône abattu. D’autre part, la violence impunie de ce mouvement était une indication donnée aux cabinets étrangers des difficultés insurmontables que rencontrerait en France le rétablissement de la monarchie légitime.

Toutefois, le roi crut devoir retenir à dîner le préfet de police, et se fit adresser ainsi directement tous les rapports de la soirée. Parmi ces rapports, les uns annonçaient que le lendemain l’archevêché serait envahi ; les autres, qu’une attaque serait tentée sur le Palais-Royal, d’après des instructions parties du sein des société secrètes. « Il faut faire la part du feu, dit le roi à M. Baude ; ne songez qu’au Palais-Royal. » En conséquence, le préfet de police, à peine de retour dans son hôtel, écrivit au commandant de la place de disposer autour de la demeure du prince toutes les troupes de la garnison, et de n’ordonner aucun mouvement, quoiqu’il pût advenir.

Pendant la nuit du 14, quelques coups de fusil furent tirés ; on désarma deux ou trois postes, et une bande d’hommes violents fit, sur la maison de M. Dupin aîné, une tentative que la force publique eut à peine le temps de venir réprimer. Tout présageait donc un orage pour le lendemain.

Et en effet, dès que le jour parut, des groupes menaçants se formèrent aux environs du Palais-Royal ; mais toutes les avenues en étaient soigneusement gardées. Aucune mesure, au contraire, n’avait été prise pour protéger la demeure de l’archevêque. Des agitateurs mystérieux se mêlent au peuple. Habiles à manier ses ressentiments, ils le détournent du Palais-Royal et l’entraînent à l’archevêché. Le rappel avait été battu mollement dans la matinée, et la garde nationale, ses chefs absents, ne s’était point rassemblée. Cependant, un détachement de la 12e légion, commandé par M. François Arago, descendait du Panthéon à la Cité. Au petit pont, l’adjudant du bataillon, le comte de Clonard, atteignit, par un mouvement involontaire, en agitant son sabre, un homme du peuple. Le malheureux tombe mortellement blessé. On s’empresse autour de lui ; on le porte sanglant au milieu de la foule répandue sur la place du Parvis, et tous de s’écrier : « Vengeance ! vengeance sur l’assassin ! » Le comte de Clonard avait disparu dans le tumulte. M. Arago fit porter le mourant à l’Hôtel-Dieu, où il l’accompagna mais à peine eût-il reparu qu’on l’entoura, en l’accusant du meurtre. Entraîné vers le fleuve où on le voulait précipiter, il ne dût son salut qu’à son esprit d’à-propos et à sa fermeté. La colère du peuple, un moment apaisée, pouvait se rallumer à la plus légère provocation. Quand M. Arago et ses compagnons d’armes arrivèrent à l’entrée du jardin, là où se trouvaient les écuries, les assaillants étaient déjà en pleine possession de l’archevêché, dont ils achevaient la démolition avec une sorte de frénésie. Une masse d’hommes robustes, s’attachant à la grille, l’avait pliée en deux par un soudain et puissant effort. En un clin-d’œil, les appartements avaient été envahis, les lustres mis en pièces, les portraits déchirés, les marbres brisés, les tables et les fauteuils rompus, les boiseries arrachées ; de vastes pans de murs s’écroulaient tout-à-coup comme poussés par une force magique les glaces volaient en éclat ; on voyait tournoyer en l’air et tomber dans le jardin, lancés de toutes les fenêtres, livres rares, manuscrits précieux, riches crucifix, missels, chasubles, soutanes, ornements de toute espèce. Piller, personne n’y songeait ; mais l’ardeur de détruire s’était, ainsi qu’une fatale ivresse, emparée de tous les esprits. Plusieurs compagnies de la 9e légion, commandées par M. de Schonen, avaient pénétré dans l’archevêché ; mais, isolés les uns des autres par le flot irrésistible des démolisseurs, les gardes nationaux erraient ça et là, par petits groupes, au milieu des décombres, et ne faisaient qu’assister l’arme au bras à cette immense destruction. Du reste, là, comme la veille à St.-Germain-l’Auxerrois, c’étaient les bourgeois qui avaient imprimé le mouvement et qui donnaient l’exemple. Ce qui fut perdu pour l’art et pour la science, dans ce jour de folie, est incalculable. Jamais dévastation n’avait été plus extraordinaire, plus complète, plus rapide, plus joyeusement insensée car toutes ces choses s’accomplissaient au milieu d’une effroyable tempête de bravos, de rires, d’exclamations burlesques ou de cris furieux.

Trop faible pour lutter contre les démolisseurs, M. Arago envoya le frère de M. de Montalivet demander du renfort au commandant général de la garde nationale de Paris. L’envoyé ne reparut pas ; il écrivit que les secours allaient arriver : ils furent vainement attendus. La surprise de M. Arago était extrême : il s’expliquait malaisément que le pouvoir se fit complice de l’émeute. Des ouvriers étaient occupés à abattre la croix de la cathédrale, il voulut les en empêcher : ils répondirent qu’ils ne faisaient qu’obéir à l’autorité, et montrèrent un ordre signé du maire de l’arrondissement.

Du sac de l’archevêché à celui de la cathédrale il n’y avait qu’un pas. Le peuple menaçait de forcer les portes de Notre-Dame où s’étaient réfugiés quelques gardes nationaux commandés par M. de Schonen. M. Arago laisse sa compagnie dams la rue de l’archevêché, s’avance vers le parvis de Notre-Dame, à travers la foule qu’il dominait de toute la tête, et élevant la main. « Vous voyez cette croix qui s’ébranle sous les coups répétés des démolisseurs. L’éloignement la fait paraître petite : en réalité, elle est énorme. Attendrez-vous qu’elle tombe, et, avec elle, cette lourde balustrade en fer qu’entraînera certainement le poids de sa chute ? Retirez-vous donc, ou, je vous le jure, ce soir plus d’un fils pleurera son père et plus d’une femme son mari. » En disant ces mots, M. Arago prend la fuite comme frappé d’épouvante. La foule, effrayée, se précipite, tandis que, prévenus de ce qu’ils avaient à faire, les gardes nationaux s’élancent sur la place et s’établissent à toutes les issues. La cathédrale était sauvée.

Mais, à l’archevêché, les démolisseurs poursuivaient leur œuvre avec une fureur croissante. Témoin de cette lugubre comédie, M. Arago frémissait de son impuissance, et comme savant et comme citoyen. Convaincu, enfin, qu’il y avait parti pris, de la part du pouvoir, de favoriser l’émeute, il allait donner ordre à son bataillon d’avancer, décidé à tout plutôt qu’à une résignation grossière, lorsqu’on vint l’avertir que quelques personnages marquants, mêlés aux gardes nationaux, les engageaient à laisser faire. On lui cita particulièrement M. Thiers, sous-secrétaire d’état au ministère des finances. Il l’aperçut, en effet, se promenant devant ces ruines avec un visage satisfait et le sourire sur les lèvres.

Vers trois heures, une légion de la garde nationale parut, mais pour parader seulement autour de l’édifice ; et comme M. Arago invitait le commandant, M. Talabot, à entrer dans l’archevêché, pour que l’émeute fut du moins chassée du théâtre de ces dévastations. « J’ai ordre, répondit M. Talabot, de paraître ici et de m’en retourner. »

Rien de plus étrange que l’aspect de Paris durant cette journée. Partout les croix chancelaient au dôme des églises ; partout les fleurs de lys étaient effacées. La Seine charriait des monceaux de papiers, des étoles, des matelas, des linges blancs figurant des hommes qui se noient. Penchés sur leurs bateaux, des pêcheurs recueillaient çà et là les débris du catholicisme insulté ; et de tous côtés on se pressait vers les ponts pour jouir de ce spectacle. Le peuple avait envahi, au palais de justice, la salle des pas perdus, et il allait renverser la statue de Malesherbes, la prenant pour la statue d’un saint. « C’est un ami du peuple ! » s’écria, en s’élançant avec courage au devant de la foule, un jeune magistrat, M. Hortensius St-Albin. Et l’image du vénérable Malesherbes fut respectée. On était en plein carnaval : aux émotions de l’émeute se mêlaient toutes les extravagances du mardi-gras ; le pavé des quartiers opulents résonnait sous la roue des équipages ; les masques couraient tumultueusement par la ville. Le soir tout Paris fut illuminé. Sur le point où l’archevêché s’élevait la veille, il n’y avait plus que des ruines.

Quelques jours après, et quand l’étourdissement public fut passé, les partis, avec leur mauvaise foi ordinaire, commencèrent à s’accuser réciproquement. Les légitimistes reprochaient au pouvoir d’avoir lui-même présidé au soulèvement, dont, à les entendre, une cérémonie toute pieuse avait été le prétexte hypocrite. Les libéraux de l’opposition dénonçaient, non pas la complicité du pouvoir, mais sa faiblesse, fruit de ses divisions. Les hommes du château, de leur côté, honteux de la nature de leur triomphe, affectaient contre les carlistes une indignation douloureuse sur laquelle renchérissaient mensongèrement ceux qui étaient le plus intimement initiés à la politique occulte de la cour. « Vous n’êtes pas seulement coupables de vos folies, s’écriait le Journal des Débats avec une feinte colère et en s’adressant aux légitimistes, vous êtes coupables des folies des autres. Quand Guillaume monta sur le trône d’Angleterre, le parlement écossais s’assembla en convention à Edimbourg. Voyant l’assemblée décidée à couronner Giuillaume, le comte de Dundée sortit de la salle. Un de ses amis courut après lui. « Où allez-vous ? » lui dit-il. Le comte alors ôtant son chapeau et levant les yeux au ciel. «  Où me conduira l’ombre de Montrose.  » Voilà de la franchise et de l’honneur ! … Et vous aussi, vous avez, pour vous conduire, des ombres généreuses ; allez où vous conduiront les mânes des Cathelineau et des Larochejacquelein ; faites la guerre civile ! cela vaut mieux que de machiner d’obscurs complots. »

A ces déclamations stériles de la presse se joignirent celles de la tribune, plus stériles encore et plus haineuses. Violemment interpellé sur sa conduite, M. Baude ne répondit que par de longues divagations, aimant mieux sans doute se sacrifier que révéler des secrets qui eussent rejeté sur d’autres têtes une responsaibilité pleine de scandale et de péril. Les interpellations n’avaient point épargné le ministre de l’intérieur, M. de Montalivet : il se défendit en imputant tout le mal à la négligence du préfet de la Seine, qui, à son tour, se plaignit de n’avoir été ni consulté, ni prévenu, et d’avoir été si complètement mis à lécart par M. de Montalivet, que les journaux seuls lui avaient appris les instructions adressées aux maires pendant l’émeute. Alors fut joué devant la chambre attentive un drame triste et singulier. Pendant qu’à la tribune où il s’était élancé pour la seconde fois, M. de Montalivet, le corps frémissant et l’œil en feu, insultait avec arrogance aux susceptibilités d’étiquette qui armaient contre lui son inférieur, M. Odilon Barrot, de sa place, jetait en quelque sorte sa démission au ministre, d’un air à la fois dédaigneux et irrité. Durant plusieurs jours, les débats continuèrent entre les meneurs de la bourgeoisie sur un ton d’aigreur où éclatait l’anarchie que portaient dans leurs flancs toutes les puissances nouvelles. M. Dupin aîné et M. de Lafayette, M. Guizot et M. Laffitte, vinrent successivement se reprocher les uns aux autres les malheurs d’une situation qu’ils s’accordaient tous également à représenter sombre, incertaine et terrible.

L’arbitraire n’est qu’une forme de l’anarchie. Pour donner le change au public, le pouvoir déploya une violence étourdie. Il fit arrêter, sans cause sérieuse, des républicains, des légitimistes, et fournit de la sorte à ses ennemis l’occasion de se dire persécutés. Conduite téméraire ! car rien ne révolte davantage que la faiblesse qui s’emporte au-delà des droits même de la force ! L’arrestation de M. Ouvrard eut probablement soulevé des récriminations moins vives. On racontait que ce financier célèbre jouait à la Bourse pour son compte et pour celui de M. de Talleyrand, qui, de Londres, assurait-on, lui faisait secrètement passer toutes les nouvelles. Il poussait fortement à la baisse depuis 1830, et on lui supposait un intérêt direct dans toutes les agitations. A ceux auprès de qui cette opinion s’était accréditée, la coopération d’un joueur aux troubles de février, paraissait chose fort naturelle, la haine du crucifix et l’outrage à Dieu pouvant être, selon les temps, une très-heureuse spéculation à la baisse ! Ce qui est certain, c’est que, sur un rapport du préfet de police, un ordre d’arrestation fut lancé contre M. Ouvrard. Mais il sut échapper aux poursuites.

Cependant, les croix étaient partout abattues ; sous les yeux de l’autorité. Et elle laissait faire, méconnaissant ce qu’il y a de philosophique dans cette majesté d’un gibet que le monde avait adoré comme un sublime et touchant symbole du dévouement.

Il est vrai que, dans la pensée des démolisseurs, la proscription des croix se liait à celle des fleurs de lys. Mais si, de la part des novateurs audacieux, la guerre aux fleurs de lys était concevable, elle l’était beaucoup moins de la part des hommes qui avaient la prétention d’opposer aux envahissements de l’esprit moderne le prestige des traditions monarchiques. La cour n’en consentit pas moins à renier cet emblème. Doublement infidèle à des souvenirs de famille et à des souvenirs de monarchie, elle souffrit que l’émeute vînt injurieusement vérifier l’armure de Condé et raturer le bouclier de Duguesclin. Une ordonnance parut au Moniteur, qui donnait au sceau de l’état une physionomie plus bourgeoise. Les voitures du roi sortirent du palais avec des armoiries grattées, et le successeur des Capets fit disparaître les fleurs de lys qui ornaient les balcons en fer de sa demeure.

Ces actes de condescendance avaient pour but de plaire à la bourgeoisie, qui en parut réellement flattée ; mais ils furent désapprouvés par ceux des meneurs qui, dans une politique d’expédients, ne voyaient qu’une politique sans dignité. M. Chambolle, secrétaire de la présidence à la chambre des députés, étant allé voir sur ces entrefaites M. Casimir Périer : « Eh bien, lui dit M. Périer, avec un emportement dont les convenances nous forcent de modérer l’expression, le roi sacrifie ses armoiries ? C’était le lendemain de la révolution qu’il fallait s’y résoudre, et je le lui conseillais, moi ! Mais non. Il ne voulait pas alors qu’on les effaçât, ces fleurs de lys, auxquelles il tient plus encore que les aînés. Maintenant, l’émeute passe sous ses fenêtres, et le voilà qui jette son écusson dans le ruisseau ! »

Depuis le 15 février, Paris vivait d’une vie brûlante, dont plusieurs mouvements tumultueux révélèrent l’ardeur sans l’épuiser. Dans un de ces mouvements, excité par la fausse nouvelle que les Polonais venaient d’être battus, l’ambassadeur de Russie fut insulté et les vitres de son hôtel furent brisées à coups de pierres. Mais des démonstrations plus dignes de la France témoignèrent de ses sympathies pour la Pologne : un grand nombre d’étudiants, sur l’appel de M. Allier, parcoururent la ville, tristes, silencieux et recueillis : ils portaient un drapeau tricolore entouré d’un crêpe, et l’allèrent déposer sur les fosses creusées au pied du Louvre. Vers le même temps, de pauvres ouvriers se rassemblèrent aux environs du Palais-Royal. Ils ne descendaient dans la rue, ceux-là, ni pour abattre les croix et dégrader des monuments, ni pour faire asseoir le carnaval sur l’autel ; ils criaient seulement : de l’ouvrage et du pain ! On marcha sur eux la baïonnette au bout du fusil.

Quant au roi, il ne manquait jamais, le lendemain des émotions populaires, de se montrer sur les places publiques, accompagné de ses enfants : il accoutumait ainsi les esprits à confondre le rétablissement de l’ordre avec la conservation de sa personne et de sa race.

Au reste, la cour avait, pour détourner d’elle les colères de l’opposition, non seulement l’obscurité qui couvrait encore une partie de sa politique, mais l’impopularité croissante de la chambre, et, surtout, l’impopularité des hommes qui la dirigeaient.

De ces hommes, le plus influent était M. Dupin aîné. Composée de bourgeois peu délicats par l’esprit et par les mœurs, la majorité de la chambre aimait dans M. Dupin aîné un geste impatient, des mouvements brusques, une rusticité pleine de fiel ; une figure expressive et dure, une éloquence dont rien ne modérait l’apreté, une certaine façon aussi étroite que pittoresque de présenter les questions, un heureux bon sens, l’art enfin de relever par une saillie décisive ou un tour vif des idées triviales et des sentiments vulgaires. M. Dupin avait les qualités et les défauts qui réussissent dans une assemblée d’hommes de robe et de marchands. Car son goût pour l’argent se traduisait en principes d’économie ; il parlait avec turbulence de protéger l’ordre, et professait avec colère une fausse théorie de modération. Dévoué au roi sans scrupule, il apportait dans son rôle de courtisan une rudesse qui en masquait l’humilité. Les esprits superficiels prenaient aisément pour de l’indépendance les accès de ce dévouement boudeur, et les services que M. Dupin rendait à la cour n’en étaient que plus précieux. C’était l’orateur qui convenait le mieux à la politique du château, parce qu’il en suivait à merveille les phases changeantes, grâce à une mobilité d’opinion excessive et à des aptitudes d’avocat. A la chambre, M. Dupin soutenait les prérogatives de la représentation avec une hauteur, une susceptibilité de zèle, qui rappelaient la fougue des anciens parlementaires. Mais au lieu de défendre, comme eux, les privilèges du parlement contre le roi, M. Dupin les défendait contre le peuple. Au surplus, il semblait avoir hérité de toute la haine des vieilles magistratures pour la noblesse d’épée et le sacerdoce. A part la rigidité de la conscience et l’esprit de suite, M. Dupin était un janséniste en politique.

Une assemblée, personnifiée par un tel homme, était l’expression vraie du gros de la bourgeoisie ; et l’on conçoit combien elle devait être odieuse à tous ceux dont la révolution de juillet avait exalté le cœur et agrandi les désirs. Aussi tonnait-on contre elle de toutes parts. On lui reprochait d’être restée à la tête des affaires au nom d’un principe qui la rendait illégitime ; d’avoir fait survivre son importance aux circonstances qu’elle donnait pour prétexte à son usurpation. On lui reprochait sa répugnance pour les véritables artisans d’une révolution dont elle profitait, son égoïsme, son orgueil, peu justifié par sa capacité, son dédain pour le peuple, dont elle négligeait les intérêts et refusait d’interroger la volonté. Bientôt la dissolution de la chambre devint le sujet de toutes les conversations et le champ de bataille de tous les partis.

Plus que personne, le président du conseil, M. Laffitte, était intéressé à ce que la chambre fut promptement dissoute. Isolé dans le ministère depuis la retraite de M. Dupont (de l’Eure), entouré de collègues qui parlaient de résistance quand il parlait de mouvement, sans influence sur les affaires de l’Intérieur que M. de Montalivet lui-même ne réglait qu’en sous-ordre, sans influence sur les affaires de l’extérieur qui obéissaient à une impulsion aveuglément secondée par M. Sébastiani, sans autre consolation que les éclairs d’une popularité prête à s’éteindre, M. Laffitte assistait avec une mélancolie secrète à la ruine de ses espérances. Les témoignages d’une auguste amitié ne suffisaient plus à son âme devenue soupçonneuse, et il serait volontiers rentré dans la vie privée où le rappelait le soin de sa fortune s’il n’eût été retenu par cette croyance que son pays avait encore besoin de lui, dernière et touchante illusion d’un patriotisme trop facile !

Mais cette illusion même allait pour jamais s’évanouir. M. Laffitte, je l’ai dit, ne différait pas essentiellement par ses opinions de la majorité de la chambre. Cependant, il avait de plus qu’elle un honorable penchant à se rapprocher du peuple, à servir timidement sa cause, à mériter son estime. Voilà ce qu’on ne lui pardonnait pas. Beaucoup, d’ailleurs, croyaient flatter le roi, en combattant un homme auquel le roi devait tant de reconnaissance.

La chambre et le ministère se trouvaient donc également menacés dans leur existence, et il fallait pourvoir d’avance aux nécessités de la crise prévue. Dans les salons, dans les journaux, à la Bourse, dans tous les lieux publics, on ne parlait plus que de la chambre à dissoudre et du mode suivant lequel une chambre nouvelle serait formée. La question était solennelle : on n’en pouvait soulever de plus grave. Entre la domination du peuple par le suffrage universel et le règne de la bourgeoisie par un monopole électoral basé sur la fortune, il s’agissait de décider. Les partis comprirent qu’ils touchaient à un moment suprême, et de toutes parts ce cri fut poussé : la réforme électorale !

Logiciens rigoureux et interprètes fidèles du principe de la souveraineté du peuple, les républicains demandaient pour tout citoyen le droit de suffrage ; ils représentaient quelle force et quel éclat puiserait dans son origine même une assemblée dont la légitimité résulterait de la volonté de tout un peuple ; la loi devant être faite pour tous, ils avaient peine à concevoir qu’elle ne fut pas faite par tous ; ils montraient l’autorité législative devenant, si on la concentrait aux mains des riches, une massue avec laquelle ils écraseraient les pauvres, et ils adjuraient la nation de prendre garde à la tyrannie de la loi, plus dangereuse que celle de l’homme, parce qu’elle dure davantage et qu’elle étend son joug sur plus de têtes à la fois. La tyrannie de l’homme, en effet, est capricieuse comme toute passion individuelle ; elle a des moments d’intermittence, quelquefois de prudents retours. Sa durée, d’ailleurs, se peut mesurer et définir. Où finit Vitellius, Vespasien commence. La tyrannie de la loi, au contraire, emprunte à la solennité de certaines formes sacramentelles un caractère de force, de fixité, qui la rend plus imposante, moins facile à détruire, et fait dépendre sa disparition non d’un accident particulier, mais d’une secousse sociale.

Plaidée vivement par les républicains, la cause du suffrage universel l’était avec non moins d’ardeur par les légitimistes. Mais comme les vues étaient différentes, les modes d’application proposés n’étaient pas les mêmes. Les légitimistes voulaient l’élection à deux degrés, bien convaincus qu’elle livrerait le gouvernement de la société aux grandes influences locales, le peuple des campagnes étant soumis à l’ascendant de la fortune par ses besoins, et à celui du clergé par son ignorance.

La bourgeoisie, dans ce qui constituait sa puissance politique, se défendit avec moins de sincérité que de passion. Les écrivains voués au triomphe définitif de ses intérêts n’hésitèrent pas à refuser au peuple cette aptitude électorale que lui avait, pourtant, reconnue Montesquieu, le premier publiciste de la monarchie constitutionnelle ; ils exagérèrent les difficultés matérielles que présenterait l’application du suffrage universel, et, faisant revivre les plus sinistres souvenirs de là terreur, sans tenir compte des circonstances exceptionnelles qui en avait fait tantôt un moyen de salut, tantôt un encouragement à l’héroïsme, ils insistèrent sur ce que la domination de la multitude a de tumultueux, de sauvage et, presque toujours, de sanglant.

Ainsi apparaissait dans tout son jour l’énorme malentendu qui, au mois de juillet 1830, avait réuni dans de communes colères la bourgeoisie et le peuple. Plus on avançait, plus il devenait manifeste qu’en 1830 la bourgeoisie n’avait cherché qu’à maintenir ses propres privilèges contre la ligue du trône, de la noblesse et du clergé ; de sorte que la révolution récente n’avait même pas été un déplacement d’oppression.

Sous la Restauration, il avait fallu payer 500 fr. de contributions directes pour être électeur et 1000 fr. pour être éligible : c’était ce système que les libéraux voulaient encore faire prévaloir. Seulement, les libéraux du mouvement demandaient que le cens fût abaissé un peu plus ; ceux de la résistance qu’il le fut un peu moins. Débat d’une évidente frivolité !

Le projet de loi, si impatiemment attendu, fut enfin présenté. Le ministère vint proposer à la chambre ! 1° d’abaisser de 1000 à 500 fr. le cens de l’éligibilité ; 2° de doubler le nombre des électeurs, en accordant un nombre invariable d’électeurs à chaque département, nombre que les plus imposés seraient appelés à former. Un semblable système ne portait aucune atteinte aux privilèges politiques de la bourgeoisie, tels que la charte de 1814 les avait consacrés ; il ne faisait que les mettre en rapport avec le changement apporté, depuis lors, dans la distribution des fortunes territoriales par le morcellement non interrompu des héritages. Cependant, la majorité de la chambre en prit alarme. Avec l’aveuglement naturel aux intérêts égoïstes, elle se crut menacée dans la libre jouissance du monopole, et une commission nommée par elle conclut au maintien de l’ancienne loi électorale, à cela près que le cens d’éligibilité serait réduit de 1000 à 750, et le cens électoral, de 500 à 240 fr..

Ce projet de réforme répondait aux sentiments de la majorité de la chambre, précisément parce qu’il était dérisoire. Mais n’y avait-il point péril à l’adopter ? car la controverse provoquée par la loi d’élection était devenue extrêmement aigre et violente. En parlant du travail de la commission, la Gazette de France disait : « Avant la révolution, 500 fr. ; après, 240. Différence en faveur de la révolution : 60 fr. » – Et les légitimistes, commentant ce mot avec d’amères railleries, insultaient à la stérilité des insurrections populaires. Plus sincères que les légitimistes, les républicains ne montraient pas moins, d’ardeur, et la doctrine du suffrage universel, qu’ils prêchaient, gagnait les esprits rigoureux tout en émouvant les âmes désintéressées, parce que c’était une doctrine simple, décisive, logique, sans ambages, sans réticences, et propre à exalter la plus active passion de l’homme : l’amour de l’égalité. Braver cette passion était chanceux : il y avait à transiger avec elle, à la flatter par d’apparentes concessions, prudence et habileté. L’opinion qui fixait à 200 fr.— le cens électoral avait donc prévalu dans la presse : elle ne tarda pas à prévaloir dans la chambre. M. de Lafayette lui donna publiquement son adhésion, sans dissimuler ses sympathies pour un système beaucoup plus large, et M. de Sade la formula en amendement, dans la séance du 25 février. Ce jour-là plusieurs membres de la majorité étaient absents. La minorité, gagnée à la proposition de M. de Sade, voulait en conséquence clore la discussion pour brusquer le vote. Alors, par un de ces petits subterfuges dont l’histoire parlementaire de la bourgeoisie ne devait fournir que trop d’exemples, M. Benjamin Delessert, qui occupait le fauteuil du président, se couvrit et leva arbitrairement la séance. Mais les ruses de ce genre tournent d’ordinaire contre qui les emploie. L’Opposition n’en devint que plus animée ; les journaux du mouvement redoublèrent d’énergie, et, le lendemain, le chiffre de 200 fr. fut voté par une majorité formée de la gauche de l’assemblée, de la droite, et d’une fraction du centre intimidée par la presse. La réduction du cens d’éligibilité à 500 fr. fut une seconde victoire des libéraux du mouvement sur ceux de la résistance. Mais là se bornèrent les concessions de la majorité. Le ministère avait demandé qu’on adjoignît aux censitaires un certain nombre de citoyens dont la profession semblait prouver la capacité. Non contente de restreindre outre mesure le cercle de ces adjonctions et de frapper d’une exclusion injurieuse les professeurs titulaires des facultés de droit, de médecine, des sciences, des lettres, les notaires, les avocats, les avoués, les juges, etc., elle n’admit au nombre des électeurs les officiers jouissant de 1200 fr. de retraite, les membres et les correspondants de l’Institut, qu’à la condition qu’ils paieraient 100 fr. de contributions directes, c’est-à-dire le demi-cens. Cette dernière disposition, adoptée sur la proposition de M. J. de La Rochefoucauld, paraissait ridicule et fut jugée telle par l’opinion publique ; mais elle avait une signification claire, sérieuse, profonde. La France désormais ne pouvait plus se faire illusion sur la nature du joug qu’on lui préparait. Condamner l’intelligence à céder le pas à la fortune, et placer dans la possession de quelques arpents de terre acquis souvent ou par succession, ou par fraude, ou par procès injustes, ou par agiotage, les garanties de moralité, de lumières, qu’on réclamait pour l’exercice de la souveraineté, c’était dire assez ouvertement sur quelle pente on allait pousser la nation. L’amour de l’argent était dans les mœurs : la tyrannie de l’argent passait dans les institutions, et la transformation de la société en devenait la décadence. Les esprits honnêtes durent avoir de tristes pressentiments, car une domination d’un genre tout nouveau allait peser sur le peuple, sans le consoler en l’éblouissant. Or, pour une grande nation, un despotisme qui l’écrase vaut mieux qu’un despotisme qui l’humilie.

Du reste, les législateurs de la bourgeoisie avaient oublié qu’ils vivaient dans un pays où la concurrence allait abaissant de plus en plus le niveau des fortunes immobilières, et où le code civil consacrait le morcellement indéfini des héritages. Ils n’avaient pas compris que plus le sol serait divisé, moins il y aurait de propriétaires en état de payer le cens de 200 fr. Quoi de plus chimérique que de vouloir immobiliser la puissance politique en lui donnant pour base la propriété, là où la propriété était devenue excessivement mobile ? Telle qu’on venait de l’adopter, la loi électorale[6] établissait donc entre les institutions politiques de la France et ses institutions civiles une contradiction choquante, et de véritables hommes d’état auraient prévu que le cens détruirait le code, si, tôt ou tard, le code ne détruisait pas le cens.

Quoi qu’il en soit, la puissance politique de la bourgeoisie était fondée, au moins pour un certain temps. Quant à sa puissance matérielle, la loi sur la garde nationale y avait déjà pourvu[7]. Cette loi commençait par des mots caractéristiques. « La garde nationale est instituée pour défendre la royauté constitutionnelle.» Elle permettait de placer dans le cadre de réserve ceux auxquels le service ordinaire serait onéreux, et elle mettait à la charge du garde national l’équipement, qu’une ordonnance ultérieure devait régler. Combinaisons habiles, et dont l’ensemble tendait à exclure des rangs de l’armée civile la nombreuse classe des prolétaires qui faisait peur aux heureux.

Après des précautions semblables, la chambre n’opposa plus qu’une faible résistance aux partis divers qui poussaient à une dissolution. A peu près certaine d’être réélue, le désintéressement lui était facile. Mais, avant de se séparer, elle eut la joie d’assister à la chute du ministère Laffitte, chute dont les circonstances méritent d’être rapportées en détail.

Nous avons dit quelle secousse en 1830 avait été donnée au monde. Nulle part l’impression n’avait été plus vive qu’en Italie. De tous celés les patriotes italiens s’agitèrent. L’un d’eux, le célèbre et infortuné Menotti, était depuis long-temps l’ami de François IV, duc de Modène, et ils avaient formé ensemble des projets dont le but était, pour celui-ci, l’acquisition d’une couronne, pour celui-là, l’indépendance de l’Italie. On a cru que leurs communes espérances s’appuyaient sur des engagements secrets pris en France par de hauts personnages.

Une conversation que le duc de Modène eût avec M. Misley, au mois d’octobre, dans un secret réduit du palais ducal, pourra donner une idée des sentiments de ce prince. Le duc accueillit le conspirateur avec une affabilité extrême. « Vous pouvez, lui dit-il, m’ouvrir toute votre âme ma parole d’honneur, que je vous donne ici, vous met à l’abri de tout danger. M. Misley répondit que sa confiance était entière ; que la facilité avec laquelle il s’était prêté à une semblable entrevue en était la preuve, puisque nul n’ignorait que ses principes étaient républicains. « C’est à cause de ces principes et de la manière dont vous les avez soutenus, interrompit le prince, que vous possédez toute mon estime. » Et l’entretien l’amenant à parler des libéraux italiens en général, il déclara que le rôle qu’il avait été forcé de prendre en Italie lui interdisait l’espoir de voir se rallier à lui les libéraux, ceux de la Romagne, surtout, qui, bien injustement, lui attribuaient tous leurs maux. M. Misley s’efforça de persuader au duc que, dans les comités formés en France et en Angleterre pour la réalisation du projet, et même parmi les chefs romagnols, on n’attendait plus que des preuves de la loyauté de ses intentions. Mais le duc de Modène paraissait craindre qu’après s’être servi de lui comme d’un instrument, les patriotes italiens, au lieu de le couronner roi constitutionnel, ne fissent tourner la révolution à la république. Il termina l’entretien en chargeant M. Misley de ses remerciments pour tous les braves patriotes qui l’avaient investi de leur confiance. Il leur souhaitait bonne chance dans leur entreprise hasardeuse, et désirait « qu’une occasion s’offrît à lui de montrer qu’il était, lui aussi, bon Italien, et prêt à tout sacrifice pour le véritable bien de son pays. Agissez avec prudence, dit-il à M. Misley en le congédiant, et venez me voir avant votre départ pour Paris. »

Ainsi, le duc de Modène encourageait secrètement l’insurrection, sans néanmoins s’engager, et de façon à se ménager toutes les chances, selon l’usage des princes.

Menotti n’était pas tout-à-fait dupe de cette tactique ; mais le nom du duc lui était utile soit pour donner plus d’importance à ses projets, soit pour séduire par l’appât d’une haute complicité les patriotes douteux. Il entretenait donc avec le duc de Modène des relations fréquentes, exagérait à dessein le profit d’une telle amitié politique, et donnait ainsi une sorte de caractère officiel à ce recrutement de conspirateurs qui était, alors, la grande occupation de sa vie[8].

Mais dans la partie bizarre que jouaient l’un contre l’autre ces deux hommes le duc de Modène apportât une dissimulation abominable et profonde. Tandis que Menotti faisait, auprès de ses amis les plus défiants, de courageux efforts pour défendre la sincérité du prince mise sans cesse en question, celui-ci ne songeait qu’à interroger les événements. Également prêt à se mettre à la tête des conspirateurs s’ils étaient les plus forts, où à devenir, dans le cas contraire, le plus cruel de leurs ennemis, il attendait que la France se prononçât.

Les principaux chefs de l’opposition en France ne faisaient pas mystère de leurs sympathies pour la cause de l’Italie, et le principe de non-intervention, proclamé par M. Laffitte, à la face dû monde, devait paraître inviolable. Mais derrière la politique ostensible de la France n’y avait-il pas une politique secrète, dont les vues étaient opposées aux déclarations les plus solennelles des ministres français ? Des communications ténébreuses n’engageaient-elles pas le cabinet du Palais-Royal envers la cour de Vienne ? Le duc de Modène l’apprit ou le crut, car ses dispositions changèrent tout-à-coup, et ce changement se prouva par les plus indignes manœuvres[9].

Menotti et ses amis ne se découragèrent pas, cependant. À vrai dire, ils pouvaient bien compter jusqu’à un certain point sur l’adhésion instinctive du peuple, mais non sur sa coopération active. Car ils n’avaient guère étudié les besoins de ce peuple, qui était heureux matériellement, et ils n’avaient noué avec lui aucun de ces rapports qui servent de fondement à une grande influence. D’un autre côté, l’Autriche seule était en état de comprimer leurs efforts, et pour eux, par conséquent, toute la question était de savoir si la France serait fidèle à ce principe de non-intervention qu’elle avait si bruyamment adopté.

Dans le discours du 1er décembre, que nous avons déjà cité, M. Laffitte, on l’a vu, s’était écrié : « La France ne permettra pas que le principe de non-intervention soit violé. » Quelques jours après, M. Dupin, dont on connaissait les relations avec la cour, s’était exprimé en ces termes à la tribune, au milieu des applaudissements de l’assemblée : « La France, en se renfermant dans son froid égoïsme, aurait dit qu’elle n’interviendrait pas, cela pouvait être une lâcheté, mais dire qu’elle ne souffrira pas qu’on intervienne, c’est la plus noble attitude que puisse prendre un peuple fort et généreux.[10] »

« La bon-intervention, avait dit à son tour, du haut de la tribune de la chambre des pairs, le maréchal Soult, ministre de la guerre, la non-intervention est désormais notre principe. Nous le respecterons religieusement sans doute, mais à la condition essentielle qu’il sera respecté par les autres.[11] »

Des déclarations aussi claires parurent suffisantes à des jeunes gens sans expérience et peu versés dans l’art funeste des mensonges politiques. Aussi bien, M. de Lafayette, trompé lui-même, affirmait à M. Misley que le principe de non-intervention serait courageusement maintenu et qu’à la cour il en avait reçu l’assurance. Enfin, le fils aîné du roi des Français, le duc d’Orléans, paraissait si bien disposé pour les conspirateurs italiens, qu’il était initié à leurs secrets, et que, dès le mois de novembre 1830, il avait désigné à M. Viardot le jour où l’insurrection de Modène devait éclater[12].

C’était une révolution profonde et propre à changer la face du catholicisme, que cette révolution d’Italie qui tendait à rayer le pape de la liste des souverains temporels, tout en lui laissant le titre de chef suprême et inviolable de l’Église. Car la décadence du catholicisme, l’altération de son principe, la chute de ses traditions, l’alliance adultère de la cour de Rome avec les tyrannies originairement combattues par elle, tout cela était le fruit de cette puissance temporelle des papes, définitivement consacrée par Alexandre VI, agrandie par l’épée de Jules II, et maintenue, depuis, à force d’intrigues, d’iniquités, de scandales. Devenus princes au même titre et de la même sorte que les autres princes de la terre, les papes avaient dû naturellement subir le joug des intérêts mondains. Et c’est ainsi que la papauté, jadis tutrice des peuples, s’était peu-à-peu rendue complice de leurs tyrans. Enlever son pouvoir temporel au Saint-Siège, c’était fortifier, en l’épurant, son pouvoir spirituel ; c’était le forcer à reprendre la tutelle du monde.

Sous ce rapport, l’insurrection de la Romagne contre le pape avait un caractère essentiellement démocratique et universel, un caractère français par conséquent. L’appuyer était donc pour la France et un devoir de sympathie et une affaire de haute politique.

Mais le cabinet du Palais-Royal avait des vues moins élevées, et nourrissait des projets dont les patriotes italiens ne pouvaient pénétrer le sens caché. Ils résolurent d’agir.

Il fut décidé que le signal de la révolution partirait de Modène, qu’il serait donné dans la maison même de Menotti. Le complot devait éclater le 7 février ; mais des indices trop certains étaient venus prouver aux conspirateurs qu’on était sur la trace de leurs projets. Il y avait parmi eux un citoyen, nommé Ricci, bon Italien, mais servant dans les gardes du duc de Modène, et fils d’un homme désigné d’avance aux ressentiments des conspirateurs. On raconte que, tremblant pour la vie de son père, Ricci l’alla trouver quelques jours avant l’explosion du complot, pour le supplier de s’absenter de Modène dans la journée du 7 février. Surpris des instances de son fils, cet homme conçut des soupçons qu’il s’empressa de communiquer au prince. Ricci fut mandé au palais, accablé de menaces, et on croit que, si ses aveux ne trahirent le nom d’aucun de ses amis, ils compromirent du moins le Succès du hardi projet qu’ils avaient formé. Plus tard, du reste, les rancunes mal éteintes du duc fournirent au malheureux jeune homme l’honneur d’une noble expiation.

Quoi qu’il en soit, jugeant que le complot était éventé, à certaines mesures inusitées et notamment à celle qui ordonnait au brave général Zucchi de quitter Modène, Menotti et ses compagnons résolurent de précipiter le dénoûment.

Le 3 février une agitation inaccoutumée régnait à Modène. Tandis que, d’une part, les conjurés faisaient leurs préparatifs en toute hâte et avec une héroïque témérité, de l’autre, le duc de Modène donnait des ordres empressés, fortifiait son palais et consignait les troupes dans les casernes. A huit heures, les conjurés se trouvaient réunis dans la maison de Menotti, au nombre de quarante environ. Parmi leurs complices il y en avait beaucoup, ceux de la campagne surtout, qu’on n’avait pas eu le temps de prévenir. Mais, confiants dans leur courage et dans la fortune de leur pays, ces généreux Italiens se disposaient, les uns à envahir le palais ducal, les autres à marcher aux quatre portes de la ville, pour s’en emparer, lorsque les rues qui entouraient la maison de Menotti se remplirent de soldats. Les conjurés n’occupant que le premier étage, et le rez-de-chaussée étant habité par une paisible famille, composée eh grande partie de femmes et d’enfants, la porte principale de la maison de Menotti était restée ouverte. Des dragons et des pionniers pénètrent dans la cour, montent au premier étage, et essaient d’enfoncer la porte de l’appartement qui renferme les conjurés. « Que faire ? s’écrie l’un d’eux. » Menotti prend un pistolet et le décharge. En un instant la porte est, des deux côtés, criblée de balles. Courant aux fenêtres, quelques-uns des conjurés font feu sur les troupes postées dans la rue, et le combat s’engage. C’était un drame terrible et singulier. Au bruit de la fusillade se mêlaient, partant à la fois et du rez-de-chaussée et du deuxième étage des cris affreux poussés par des femmes, par des enfants. Les dragons jugeant à la résistance opiniâtre qu’on leur opposait qu’ils avaient affaire à de nombreux ennemis, reculèrent enfin, et descendirent en désordre l’escalier taché de leur sang. Soudain, le bruit de la fusillade s’éteignit ; les soldats se glissèrent dans l’ombre des portiques : autour de la maison tout fit silence. Alors, dans l’exaltation de cette victoire étrange, les conjurés se mirent à table, joyeux et mélancoliques tour-à-tour ; et ils burent à la délivrance de leur pays, en attendant la mort. Un moment l’espoir se ranima dans leur âme. Ayant entendu au loin de vagues clameurs, ils crurent que les portes de la ville étaient forcées par les gens de la campagne, leurs complices, et ils montèrent tous au haut de la maison, pour voir venir leurs libérateurs. Ils se trompaient ces clameurs lointaines étaient poussées par quelques soldats du tyran, et célébraient d’avance son facile triomphe. Tout-à-coup une voix retentit dans la rue : « Qui vive ? crie une sentinelle. — Menotti ! répond un homme qui se laissait couler le long du mur, suspendu à une corde ; je vais parler au duc. » À ces paroles succède un coup de feu, et Menotti est ramassé sanglant sur le pavé. Pendant ce temps, une scène touchante se passait dans le palais ducal. On avait conseillé au prince de faire sauter l’asyle des conjurés ; mais le ministre Scozia, dont la famille habitait la maison menacée, s’était jeté aux pieds du prince, et il le conjurait avec larmes de ne pas envelopper dans la même vengeance les coupables et les innocents. Le duc envoya pourtant du canon contre les conjurés ; et ceux-ci, pour ne pas compromettre plus long-temps la vie des familles qui, étrangères à leurs desseins, se trouvaient associées à leurs périls, coururent se remettre aux mains des soldats. On les traîna au palais en les accablant d’injures et de mauvais traitements. Plusieurs d’entr’eux furent grièvement blessés. M. Ruffini[13] reçut deux coups de baïonnette.

La journée du 4 février fut pour la ville de Modène une journée de deuil. Mais le lendemain on y apprenait qu’une insurrection venait d’éclater à Bologne, et le duc de Modène, après avoir fait brûler ses papiers secrets, prenait tout tremblant la route de Mantoue, suivi de l’infortuné Menotti : il devait plus tard s’assurer de la discrétion du conspirateur en le livrant au bourreau.

De Bologne, la révolution s’étendit rapidement dans toute la Romagne. Quelques jours s’étaient à peine écoulés que déjà le drapeau tricolore était arboré à Pérouse, à Spoleti, à Foligno, à Terni ; l’insurrection embrassait la province de l’Ombrie, celle de Trasimène ; le cardinal Benvenuti, légat à latere, tombait, à Cosimo, au pouvoir des insurgés ; Ancône se rendait sans coup-férir aux braves colonels Sercognani et Armandi ; enfin, Marie-Louise fuyait ses états que l’incendie avait gagnés. Bientôt l’étendard glorieux de la jeunesse italienne flotta sur les hauteurs d’Ottricoli, à quinze lieues de Rome, et la terreur fut au Vatican.

Malheureusement, le peuple applaudissait à la révolution sans se passionner pour elle. A demi satisfait de sa destinée dont la honte n’était pas de nature à frapper ses regards, il était plus disposé à saluer au passage ses libérateurs qu’à se faire parmi eux un rôle actif et violent. Les chefs manquaient, et ailleurs. Pas d’unité, nulle direction. A Bologne, à Modène, à Parme, à Reggio, on avait vu s’improviser autant de gouvernements, non rivaux, mais divers, et auxquels un respect fatal du principe de non-intervention enlevait jusqu’à la pensée de combiner leurs efforts. Propager l’insurrection en Toscane, il n’y fallait pas songer, le peuple étant gouverné dans ce pays avec une sagesse paternelle et jouissant d’une prospérité sans égale.

Dans un tel état de choses et au milieu de tant d’obstacles, l’audace restait aux patriotes italiens comme chance de succès. Il y avait péril et non pas folie à marcher sur Rome : c’est ce que plusieurs proposèrent. Mais le gouvernement de Bologne hésitait : il consulta le colonel Armandi qui se trouvait alors à Ancône, et n’avait pas encore été nommé ministre de la guerre. Le colonel répondit avec l’autorité qu’il puisait dans sa vieille expérience militaire, que les dispositions du peuple, qui vit, à Rome, sous l’entière dépendance de la cour pontificale, dépendaient une expédition de ce genre ; qu’il était impossible de la tenter heureusement avec une poignée d’hommes inhabiles à la guerre et mal armés ; que c’était nuire à la révolution italienne que de courir aussi aveuglément les risques d’un premier revers, alors qu’il s’agissait de hasarder une petite troupe dans une plaines immense, où la nature du terrain ne permettait ni de marcher de poste en poste ni de camper avec sureté. Cette opinion prévalut.

Au reste, Rome venait subitement de changer d’aspect. Dans les premiers jours de l’insurrection, le Vatican s’était montré en proie aux plus vives alarmes, et on y avait fait des préparatifs de fuite. Soudain des nouvelles arrivent, venant de France, et aussitôt la cour pontificale renaît à l’espoir, à l’orgueil ; des proclamations menaçantes partent de la ville éternelle ; les Transtéverins sont en armes. « Bonnes nouvelles ! écrit le colonel Ravinetti dans une proclamation adressée aux troupes papales. Le roi de France, par un courrier exprès, donne au Saint Père l’assurance de sa protection et de son intervention pour maintenir les États-Pontificaux sous le gouvernement du Saint Siège. » En effet[14], Louis-Philippe à la première nouvelle de l’insurrection de Bologne, s’était empressé d’écrire au Saint Père pour lui témoigner son intérêt et sa sollicitude. Fidèle, de son côté à la politique de son maître, M Sébastiani avait donné en France des ordres pressants pour empêcher le départ de tous les réfugiés italiens qu’appelaient en Italie les espérances et les dangers de leurs frères.

À cette époque, pourtant, la cause de l’indépendance italienne éveillait en France des sympathies aussi énergiques que généreuses et une circonstance particulière y rendait plus vive la haine que portaient au gouvernement autrichien les partisans sincères de la révolution de juillet. Un jeune Italien, d’une figure douce et altérée par de cruelles souffrances, était arrivé à Paris. Il se nommait Maroncelli. Les noirs cachots de Spielberg avaient long-temps pesé sur lui, et le récit des tortures qu’il avait endurées était affreux. Victime innocente de la tyrannie d’un gouvernement soupçonneux, il s’était vu traîner dans un pays étranger où on lui avait donné pour prison une basse-fosse humide et sombre, pour nourriture du pain noir trempé dans de l’eau chaude, pour lit une planche nue, pour vêtement l’habit des galériens. Sa jambe gauche, engagée dans un anneau de fer auquel pendait une chaîne d’un poids de vingt livres, s’était gonflée au point qu’une amputation était devenue nécessaire, de sorte qu’il suffisait de sa présence pour dénoncer la barbarie de ses bourreaux. La publicité donnée à ces détails, dans un moment où tous les cœurs battaient pour l’Italie, produisit une impression universelle et profonde.

Or, le même jour on apprenait à Paris que M. d’Appony venait d’annoncer au cabinet du Palais-Royal une prochaine intervention des Autrichiens dans le duché de Modène. L’Autriche fondait sa prétention sur le droit de réversibilité que lui avait reconnu l’acte du congrès de Vienne ; vain prétexte ! un droit éventuel de réversibilité pouvait-il enlever au duché de Modène ce caractère d’Etat indépendant que lui avaient donné les stipulations du congrès de Vienne, et que le gouvernement français s’était engagé à faire respecter, lorsqu’il avait proclamé le principe de non-intervention ? M. Laffitte déclara en plein conseil qu’à de telles prétentions, si l’Autriche persistait, il n’y avait qu’une réponse possible, la guerre. Tous tes ministres applaudirent. M. Sébastiani lui-même, ministre des affaires étrangères s’engagea à répondre en ce sens.

En effet, le maréchal Maison, ambassadeur de France à Vienne, fut chargé de présenter à l’Autriche une déclaration qui lui interdisait, en termes formels, l’entrée des Etats-Romains. À cette espèce d’ultimatum au bout duquel était la guerre, l’Autriche répondit non-seulement avec fermeté, mais avec insulte. Gardien de l’honneur de son gouvernement, et convaincu que la France ne pouvait sans s’avilir laisser fouler aux pieds un principe qu’il avait mission de faire respecter, le maréchal fit sur-le-champ connaître au cabinet du Palais-Royal la réponse du ministre autrichien. En même temps il écrivit au général Guilleminot, ambassadeur de France à Constantinople, que c’en était fait de la paix du monde ; que la France était forcée décidément à tirer l’épée, pour soutenir l’honneur d’une déclaration repoussée avec menace ; que les moments étaient précieux, et qu’il fallait se hâter de chercher partout des ennemis à la Russie.

Le général Guilleminot ne pouvait hésiter. Depuis la révolution de juillet, la situation de l’ambassade française à Constantinople était difficile. Au moment de la révolution qui avait précipité Charles X de son trône, la Russie avait pour ministre plénipotentiaire auprès de la Porte M. de Ribeaupierre. C’était un de ces Russes aux manières élégantes, et un homme de salon, avant tout ; mais cela le l’empêcha pas de laisser éclater contre le régime qui venait de prévaloir eh France une haine dont la bienséance ne modéra pas toujours les emportements. Soumis à l’ascendant de la Russie, le Divan s’était d’abord opposé à la substitution, du drapeau tricolore au drapeau blanc : le général Guilleminot envoya son gendre, le comte Roger, au plénipotentiaire russe pour demander des explications. Lorsque M. Roger entra, M. de Ribeaupierre était à table, entouré de ses officiers. Ne pouvant contenir l’explosion de ses répugnances, il mit à attaquer violemment la révolution de France et ses suites. Homme de cœur et tout dévoué à son pays, M. Roger répliqua avec vivacité, comparant à ces mouvements séditieux qui, en Russie, n’aboutissaient qu’à des assassinats, ce glorieux événement de juillet qui avait élevé la France dans l’estime du monde. Quoique tort animée, cette scène n’eut pas de conséquences fâcheuses. Les obstacles, qui supposaient au changement du pavillon français furent même écartés. Mais une hostilité sourde n’avait pas cessé d’exister entre les deux ambassadeurs. Le général Guilleminot ne fut, donc ni surpris, ni affligé de la dépêche du maréchal Maison. Des négociations, habilement conduites, pouvaient créer, soit dans le Caucase, soit en Perse, des moyens efficaces de diversion, et sauver la Pologne ; mais l’essentiel était d’amener la Turquie à se déclarer contre les Russes, au premier coup de canon. Dans ce but, des ouvertures furent faites au Divan, et tout fut secrètement préparé, dans la prévision d’une guerre imminente.

Pendant ce temps, la dépêche adressée au Palais-Royal par le maréchal Maison arrivait à Paris. Elle était ainsi conçue : « Jusqu’ici, m’a dit M. de Metternich, nous avons laissé la France mettre en avant le principe de la non-intervention, mais il est temps qu’elle sache que nous n’entendons pas le reconnaître en ce qui concerne l’Italie. Nous porterons nos armes partout ou’s’étendra l’insurrection. Si cette intervention doit amener la guerre, eh bien, vienne la guerre ! Nous aimons mieux en courir les chances que d’être exposés à périr au milieu des émeutes. »

Le maréchal Maison ajoutait que, pour prévenir les dangers dont la France était menacée, Il fallait sans retard prendre l’initiative de la guerre et jeter une armée dans le Piémont.

Cette dépêche, commentée dans le public avec une ardeur passionnée, avait été remise le 4 à M. Sébastiani. Le président du conseil, M. Laffitte, ne la connut que le 8, par hasard pour ainsi dire, et en la lisant dans le National. Oh l’avait donc cachée pendant quatre jours au président du conseil ! La surprise de M. Laffitte fut grande. Il demanda des explications. M. Sébastiani ne sut alléguer pour sa justification que des motifs dont la puérilité était offensante, et M. Laffitte résolut de déposer un pouvoir dont on ne lui avait laissé que les périls. Pourtant, toujours dupe de lui-même, il ne put s’avouer qu’à la dernière extrémité une déception aussi amère. Il voulut une fois encore interroger la reconnaissance du prince auquel il avait donné la couronne, et il se plaignit à lui douloureusement de ce qui venait de se passer, mêlant à l’expression de ses griefs personnels la critique adoucie d’une politique qui l’avait eu pour instrument sans l’avoir tout-à-fait pour approbateur. Le roi répondit à M. Laffitte avec cette familiarité naïve qui lui était ordinaire ; il consola doucement l’ami, et parut pénétré du désir de conserver le ministre. Puis, comme s’il eut été entièrement étranger à cette politique dont M. Laffitte blâmait la direction, il l’engagea à s’en expliquer avec ses collègues. C’est ce que fit M. Laffitte dans une réunion qui eut lieu le 9 mars. Mais déjà tout était préparé pour un changement de cabinet. M. Casimir Périée jugeait que son heure était venue, et M. Bouvier-Dumolard avait sur ce point reçu ses confidences. M. Laffitte fut accueilli froidement par ses collègues. Il comprit bien alors tout ce qu’il avait livré en livrant son pays, et il se retira des affaires, le cœur à jamais blessé.

Ainsi tomba ce ministère qu’une révolution avait enfanté. La dépêche cachée au président du conseil fut le prétexte et non la cause de sa retraite. M. Laffitte tomba parce que les services qu’il pouvait rendre à la nouvelle dynastie étaient epuisés. Et comment se serait-il maintenu ? D’une part, si ses sentiments le portaient vers le peuple, ses opinions l’en éloignaient ; de l’autre, l’amitié d’un roi était pour sa sensibilité une épreuve trop dangereuse. M. Laffitte avait une haute capacité financière, un esprit pénétrant, une facilité d’élocution remarquable, une bienveillance remplie de grâce et d’élévation. Il joignait, chose rare, à la science des affaires des connaissances littéraires fort étendues. Dans un autre milieu et sous d’autres influences, il aurait pu rendre les plus grands services à son pays. Mais, partagé entre le soin de cultiver sa popularité et celui de ménager son crédit, il devait manquer également de vigueur et pour le bien et pour le mal. C’est ce qui arriva. Il fut irrésolu dans un moment où les intérêts avaient hâte de se classer et les passions de se produire. Il fut condamné à n’agir que par autrui, alors qu’il fallait dompter, en la sauvant, une société incertaine, tourmentée, et au sein de laquelle durait encore le frémissement des luttes de la veille. Le nom de M. Laffitte était respecté on le compromit. Son influence était décisive on la fit servir au triomphe des plus regrettables desseins. Et voilà comment son ministère marqua, dans l’histoire de son pays, comme une période malheureuse.

Ce fut, en effet, durant cette période que s’établit, par l’abandon successif de toutes les nations opprimées, le système diplomatique qui tendait à faire descendre la France au rang des puissances secondaires, pour faire accepter par les puissances principales la dynastie de Louis-Philippe. Ce fut aussi dans cet intervalle que la bourgeoisie se mit en mesure de commander aux affaires. Par la loi sur les municipalités, elle paralysa du même coup dans les communes l’action du peuple et le règne des grandes influences locales. Par la loi sur les élections, elle s’empara exclusivement du pouvoir. Par la loi sur la garde nationale, elle se réserva la domination de la place publique. Dirigée par des meneurs sans entrailles, dont ses instincts servaient merveilleusement les calculs, elle s’arma contre l’insurrection, au 21 décembre, pour contenir les républicains, et elle encouragea l’émeute, au 14 février, pour enrayer les légitimistes : ennemie et amie de l’ordre tour-à-tour, selon les besoins du moment. Ce que l’égoïsme d’une pareille conduite devait avoir de fatal et aux intérêts de la classe asservie, et à ceux de la classe dominante elle-même, on le verra par la suite de cette histoire. Mais d’aussi hardis envahissements n’eussent jamais été possibles, au sortir d’une révolution faite par le peuple, s’il n’y avait eu aux affaires des hommes dont la réputation fût de nature à donner le change aux mécontents et à dérouter l’opinion. Ces hommes furent, à des titres divers et avec une part inégale de responsabilité, MM. de Lafayette, Dupont (de l’Eure) et Laffitte. Grâce à leur honorable mais impuissant triumvirat, beaucoup prirent pour une transition nécessaire ce qui n’était au fond qu’un déplacement de tyrannie. Les chefs du parti républicain ne s’y trompèrent pas ; mais ils n’avaient été jusque là ni assez forts pour s’imposer, ni assez écoutés pour faire prévaloir la sagesse de leur défiances.


  1. Loi relative à la composition des cours d’assises et aux déclarations du jury. — Adoptée provisoirement par la chambre des députés, le 11 janvier 1831 ; amendée par la chambre des pairs le 11 février 1831, et définitivement adoptée le 26 février 1831.
  2. Loi sur l’impôt direct votée par la chambre des députés, le 26 janvier 1831, et adoptée définitivement le 17 mars 1831.
  3. L’impôt de répartition est celui dont l’autorité législative fixe d’avance le chiffre, et qu’elle répartit entre les départements. L’autorité départementale répartit à son tour le contingent qui lui est échu, entre les arrondissements ; l’autorité d’arrondissement entre les communes, et les communes entre les individus.

    Pour l’impôt de quotité, pas de contingents fixés d’avance ; chaque individu se trouve immédiatement en contact avec le fisc, qui lève sur lui l’impôt conformément aux conditions établies par la loi.

    Dans l’impôt de répartition, qui est un véritable abonnement du gouvernement avec les localités, le fisc ne peut pas toucher plus que la somme fixée, mais il ne peut pas toucher moins.

    Dans l’impôt de quotité, au contraire, il a les embarras de la perception, et en court, bonnes ou mauvaises, toutes les chances.

  4. Loi sur l’organisation municipale votée par la chambre des députés, le 17 février 1831, adoptée sans modification par la chambre des pairs, le 1er mars 1831, et définitivement adoptée le 4.
  5. Il ne faut pas confondre la liberté de conscience avec l’égalité des cultes. La conscience est un sanctuaire que nul pouvoir humain n’a le droit de violer ; mais il y a loin de ce respect pour le culte individuel et domestique à la suppression de toute religion de l’Etat. L’Etat se doit de diriger les intérêts moraux de la société comme il dirige ses intérêts matériels. S’il se déclare indifférent, il abdique.
  6. Adopté par la chambre des députés le 9 mars 1831, et par la chambre des pairs le 15 avril suivant.
  7. 6 janvier 1831.
  8. On nous a communiqué la correspondance secrète de Menotti. Voici ce qu’il écrivait, le 29 décembre 1830, à M. Misley, alors à Paris.

    « Mon frère t’aura appris mon retour de Florence. J’ai eu un long entretien avec…, et nous avons très-bien disposé tout. — À mon retour, je suis allé chez le duc pour le tenir toujours dans la même position. Il a été content de moi et moi de lui. J’espère être parvenu à lui faire faire quelques grâces pour la nouvelle année ; mais je ne crois rien tant que je ne verrai. — Tout est tranquille ici, et tout se dispose pour le mieux. — Il y aura un comité central à Bologne. — Sans un centre il était impossible de bien marcher, et moi seul, d’ailleurs, je ne pouvais suffire à tout. La Romagne est toujours dans la plus grande fermentation, mais elle ne bougera pas. — Les Piémontais sont-ils définitivement d’accord avec nous ? Adieu. J’attends impatiemment de tes nouvelles. »

    Autre lettre de Menotti, en date du 2 janvier 1831 :

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    Le seul élément dont nous manquons, c’est l’argent, et avec de l’argent, croyez que nous pourrions effectuer te mouvement quand nous voudrions. — Les vieux libéraux, qui en ont, n’en veulent pas donner. N’importe. Cela ne nous découragera pas ni ne ralentira notre activité. — Le duc est toujours décidé à laisser faire. Aussi nous vivons comme dans une république. On dit que Maximilien (frère du duc) viendra ici ; je ne le crois pas. — En Italie tout est tranquille. — La France interviendra-t-elle au cas où les Autrichiens passeraient le Pô ? Voilà ce que nous voulons absolument savoir. Organisez-vous le mieux que vous pourrez. — Il nous faut le Piémont. — Faites décider à l’union. Adieu. »

  9. Le 7 janvier 1831, Menotti écrivait à M. Misley :

    « J’arrive à l’instant de Bologne. Il faut te dire que le duc est un véritable coquin (birbante). J’ai couru le danger d’être tué hier. Le duc a fait répandre par les san-fédistes (secte anti-libérale) le bruit que moi et toi sommes des agents stipendiés pour former des centres et les dénoncer. Cela avait été si bien cru à Bologne qu’on a manqué de m’assassiner. Le fait est qu’en huit jours toute la Romagne avait changé de face, mais elle reviendra à moi… Maintenant que je sais que je suis tenu pour un agent du duc. je me réglerai avec tant de prudence que je parviendrai à mon but sans manquer à mes promesses… Adieu. »

  10. Séance du 6 décembre 1830.
  11. Séance du 8 décembre 1830.
  12. Le 19 janvier 1831, Menotti écrivait à M. Misley :

    « Avant hier, j’ai vu l’ami… par son entremise j’espère un crédit de 9000 francs qui est garanti sur hypothèque. — C’est très-bien que d’Orléans nous protège, et c’est aussi avec le plus grand plaisir que j’apprends la bonne intelligence qui existe entre toi et Lafayette, etc. »

  13. C’est de M. Ruffini lui-même que nous tenons quelques-uns des détails qui précèdent.
  14. Voir aux documents historiques.