Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 307

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 442-443).


Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

samedi, 22 de juillet.

Nous faisons nos préparatifs, pour le petit voyage que ma mère croit indispensable. Mais je suis sûre d’être assez malade pour l’obliger absolument de le différer, si je n’apprends pas que vous vous portiez beaucoup mieux avant notre départ. Le messager m’avait jetée dans une mortelle affliction, en m’apprenant l’état où il vous avait trouvée. Cependant, depuis que vous êtes capable de tenir une plume, et que votre tête s’est fortifiée, j’espère que la douceur de méditer et d’écrire contribuera de jour en jour à votre rétablissement. Je vous dépêche cette lettre par un exprès, afin qu’elle arrive assez tôt pour vous exciter à de nouvelles considérations sur le sujet de mes dernières. Ne m’écrivez rien de décisif, sans y avoir apporté vos plus sérieuses réflexions ; car c’est sur votre réponse que je dois régler la mienne. Dans votre dernière, vous déclarez positivement que vous ne voulez pas être à lui. Assurément il mérite plutôt une mort infame, que le bonheur d’obtenir une moitié telle que vous. Mais comme je le crois innocent de votre dernière disgrâce, et que toute sa famille plaide pour lui, je suis persuadé que la complaisance pour leurs sollicitations et pour les siennes est le meilleur parti que vous puissiez embrasser ; sur-tout lorsque votre propre famille demeure implacable. Il est homme sensé. Pourquoi désespérer qu’il puisse devenir un bon mari, et quelque jour, peut-être, un sujet de quelque mérite ? Ma mère est tout-à-fait de mon opinion. M Hickman eut hier une conférence avec lui, comme je crois vous l’avoir annoncé. Quoiqu’il n’y ait pas pris beaucoup de goût pour ses manières, il le croit sincèrement déterminé à vous épouser, si vous daignez vous rendre à ses instances. Peut-être verrez-vous M Hickman avant notre départ. Si je ne puis vous voir moi-même, je ne partirai pas tranquille sans vous avoir vue par ses yeux. Il vous rendra compte alors de l’admirable portrait que le misérable fait de vous, et de la justice qu’il rend à votre vertu. Ses aveux ne sont pas moins nets dans sa famille, s’il faut s’en rapporter au témoignage de ses cousines. " sa crainte, a-t-il dit à M Hickman, est qu’en faisant éclater vos plaintes, vous ne vous couvriez tous deux d’une tache que le mariage même ne serait pas capable d’effacer. Il appréhende aussi que vous ne ruiniez votre santé par un excès de tristesse ; et qu’en cherchant la mort, lorsque vous pouvez l’éviter, vous vous mettiez hors d’état de vous en garantir, lorsque vous aurez moins de dégoût pour la vie ". Ainsi, très-chère Clarisse, je vous exhorte à surmonter, s’il est possible, votre aversion pour ce monstre. Vous pouvez encore vous promettre d’heureux jours, et redevenir les délices de vos amis, comme votre amitié fera toujours le bonheur de votre fidèle Anne Howe.