Histoire de Miss Clarisse Harlove/Lettre 289

Traduction par Abbé Prévost.
Boulé (IIp. 406).


Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

dimanche au soir, 16 de juillet. Pourquoi donc, ma très-chère amie, laissez-vous dans l’impatience un cœur que vous connaissez si dévoué à vos intérêts, faute d’un mot de réponse, dont vous devez sentir l’importance pour vous, et par conséquent pour moi ? Vous étiez fort mal jeudi dernier. Votre lettre, comme je vous l’ai marqué, respirait une profonde mélancolie. Cependant, vous devez être bien mal, en effet, si vous ne pouvez me répondre un mot sur ma dernière ; un mot seulement, pour me dire que vous m’écrirez aussi-tôt que vous en aurez la force. Vous l’avez reçue, j’en suis sûre. Le maître de notre poste la plus voisine engage son honneur, qu’aucun obstacle n’a pu l’arrêter. Je l’avais chargé particulièrement de cette précieuse lettre. Puisse le ciel me faire apprendre bientôt que votre santé n’est pas plus affoiblie, et qu’elle a pu vous permettre de m’écrire ! Je gronderai alors. Oui, oui, je gronderai, et plus vivement que je ne l’ai jamais fait contre vous. Je suppose que, pour excuse, vous me direz que le sujet demande beaucoup de considération. Il en mérite, ma chère ; mais vous avez l’esprit si juste, et je trouve si peu d’obscurité dans une affaire de cette nature, qu’elle ne devait pas vous arrêter plus d’une demi-heure. Peut-être attendiez-vous l’arrivée de Collins, pour le charger de votre réponse. Cependant supposez, ma chère, qu’il lui fût survenu, comme la dernière fois, quelqu’affaire qui l’empêchât de faire demain le voyage de Londres. Ah ! Ma chère, comment pouvez-vous prendre cet air d’indifférence ? Je ne sais si j’aurai la force de ne pas gronder. Cher, cher Collins, hâtez-vous, ne perdez pas un moment. Il aura cette complaisance pour moi. Il part ; il marchera toute la nuit. Je lui ai dit que la plus chère amie que j’aie au monde, a le pouvoir d’être heureuse, et de faire mon bonheur, et que l’un et l’autre dépend de la réponse qu’il m’apportera d’elle. Je lui ai donné ordre d’aller droit à votre demeure, sans passer à la tête du sarasin. Les affaires ont pris un cours si heureux, qu’il peut se présenter à vous sans précautions. Votre lettre est prête apparemment. Si je me trompe, il demandera votre heure pour la prendre. Vous ne sauriez être aussi heureuse que vous le méritez : mais je ne doute pas que vous ne souhaitiez de l’être autant que vous le pouvez ; c’est-à-dire, que vous ne preniez le parti de vous mettre à l’instant sous la protection de Milady Lawrance. Si vous ne voulez pas de lui pour votre propre intérêt, prenez-le pour le mien, pour celui de votre famille, pour celui de votre honneur ! Cher Collins, hâtez-vous, hâtez-vous, soulagez le cœur impatient de la meilleure amie que ma chère Clarisse ait au monde.