Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil/08


CHAPITRE VIII


Du naturel, force, stature, nudité, disposition et ornemens du corps, tant des hommes que des femmes sauvages Bresilliens, habitans en l’Amerique, entre lesquels j’ay frequenté environ un an.


Ayant jusques icy recité, tant ce que nous vismes sur mer en allant en la terre du Bresil, que comme toutes choses passerent en l’Isle et fort de Colligny, où se tenoit Villegagnon, pendant que nous y estions : ensemble quelle est la riviere nommée Ganabara en l’Amerique : puis que je suis entré si avant en matiere, avant que je me rembarque pour retourner en France, je veux aussi discourir, tant sur ce que j’ay observé touchant la façon de vivre des sauvages, que des autres choses singulieres et incognues par deçà, que j’ay veuës en leur pays.

En premier lieu doncques (à fin que commençant par le principal, je poursuive par ordre) les sauvages de l’Amerique, habitans en la terre du Bresil, nommez Toüoupinambaoults, avec lesquels j’ay demeuré et frequenté familierement environ un an, n’estans point plus grans, plus gros, ou plus petits de stature que nous sommes en l’Europe, n’ont le corps ny monstrueux ny prodigieux à nostre esgard : bien sont-ils plus forts, plus robustes et replets, plus disposts, moins sujets à maladie : et mesme il n’y a presque point de boiteux, de borgnes, contrefaits, ny maleficiez entre eux. Davantage, combien que plusieurs parviennent jusques à l’aage de cent ou six vingt ans (car ils scavent bien ainsi retenir et conter leurs aages par lunes), peu y en a qui en leur vieillesse ayent les cheveux ny blancs ny gris. Choses qui pour certain monstrent non seulement le bon air et bonne temperature de leur pays, auquel, comme j’ay dit ailleurs, sans gelées ny grandes froidures, les bois, herbes et champs sont tousjours verdoyans, mais aussi (eux tous beuvans vrayement à la fontaine de Jovence) le peu de soin et de souci qu’ils ont des choses de ce monde. Et de fait, comme je le monstreray encore plus amplement cy apres, tout ainsi qu’ils ne puisent, en façon que ce soit en ces sources fangeuses, ou plustost pestilentiales, dont decoulent tant de ruisseaux qui nous rongent les os, succent la moëlle, attenuent le corps, et consument l’esprit : brief nous empoisonnent et font mourir par deçà devant nos jours : assavoir, en la desfiance, en l’avarice qui en procede, aux procez et brouilleries, en l’envie et ambition, aussi rien de tout cela ne les tourmente, moins les domine et passionne.

Quant à leur couleur naturelle, attendu la region chaude où ils habitent, n’estans pas autrement noirs, ils sont seulement basanez, comme vous diriez les Espagnols ou Provençaux.

Au reste, chose non moins estrange que difficile à croire à ceux qui ne l’ont veu, tant hommes, femmes qu’enfans, non seulement sans cacher aucunes parties de leurs corps, mais aussi sans monstrer aucun signe d’en avoir honte ny vergongne, demeurent et vont coustumierement aussi nuds qu’ils sortent du ventre de leurs meres. Et cependant tant s’en faut, comme aucuns pensent, et d’autres le veulent faire accroire, qu’ils soyent velus ny couvers de leurs poils, qu’au contraire, n’estans point naturellement plus pelus que nous sommes en ce pays par deçà, encor si tost que le poil qui croist sur eux, commence à poindre et à sortir de quelque partie que ce soit, voire jusques à la barbe et aux paupieres et sourcils des yeux (ce qui leur rend la veuë louche, bicle, esgarée et farouche), ou il est arraché avec les ongles, ou depuis que les Chrestiens y frequentent, avec des pincettes qu’ils leur donnent : ce qu’on a aussi escrit que font les habitans de l’Isle de Cumana au Peru. J’excepte seulement quant à nos Toüoupinambaoults, les cheveux, lesquels encore à tous les masles, dés leurs jeunes aages, depuis le sommet et tout le devant de la teste sont tondus fort pres, tout ainsi que la couronne d’un moine, et sur le derriere, à la façon de nos majeurs, et de ceux qui laissent croistre leur perruque on leur rongne sur le col. A quoy aussi, pour (s’il m’est possible) ne rien omettre de ce qui fait à ce propos, j’adjousteray en cest endroit, qu’ayant en ce pays-là certaines herbes, larges d’environ deux doigts, lesquelles croissent un peu courbées en rond et en long, comme vous diriez le tuyau qui couvre l’espy de ce gros mil que nous appellons en France bled Sarrazin : j’ay veu des vieillards (mais non pas tous, ny mesmes nullement les jeunes hommes, moins les enfans), lesquels prenans deux fueilles de ces herbes, les mettoyent et lioyent avec du fil de coton à l’entour de leur membre viril : comme aussi ils l’enveloppoyent quelques fois avec les mouchoirs et autres petits linges que nous leur baillions. En quoy, de prime face, il sembleroit qu’il restast encor en eux quelque scintile de honte naturelle : voire toutesfois s’ils faisoyent telles choses ayant esgard à cela : car, combien que je ne m’en sois point autrement enquis, j’ay plustost opinion que c’est pour cacher quelque infirmité qu’ils peuvent avoir en leur vieillesse en ceste partie-là.

Outreplus, ils ont ceste coustume, que dés l’enfance de tous les garçons, la levre de dessous au dessus du menton, leur estant percée, chascun y porte ordinairement dans le trou un certain os bien poli, aussi blanc qu’yvoire, fait presque de la façon d’une de ces petites quilles de quoy on jouë par deçà sur la table avec la pirouette : tellement que le bout pointu sortant un pouce ou deux doigts en dehors, cela est retenu par un arrest entre les gencives et la levre, et l’ostent et remettent quand bon leur semble. Mais ne portans ce poinçon d’os blanc qu’en leur adolescence, quand ils sont grans, et qu’on les appelle conomioüassou (c’est à dire gros ou grand garçon), au lieu d’iceluy ils appliquent et enchassent au pertuis de leurs levres une pierre verte (espece de fausse esmeraude), laquelle aussi retenue d’un arrest par le dedans, paroist par le dehors, de la rondeur et largeur et deux fois plus espesse qu’un teston : voire il y en a qui en portent d’aussi longue et ronde que le doigt : de laquelle derniere façon j’en avois apporté une en France. Que si au reste quelques fois quand ces pierres sont ostées, nos Toüoupinambaoults pour leur plaisir font passer leurs langues par ceste fente de la levre, estans lors advis à ceux qui les regardent qu’ils ayent deux bouches : je vous laisse à penser, s’il les fait bon voir de ceste façon, et si cela les difforme ou non. Joint, qu’outre cela j’ay veu des hommes, lesquels ne se contentans pas seulement de porter de ces pierres vertes à leurs levres, en avoyent aussi aux deux joues, lesquelles semblablement ils s’estoyent fait percer pour cest effect.

Quant au nez, au lieu que les sages femmes de par deçà, dés la naissance des enfans, à fin de leur faire plus beaux et plus grans, leur tirent avec les doigts : tout au rebours, nos Ameriquains faisans consister la beauté de leurs enfans d’estre fort camus, si tost qu’ils sont sortis du ventre de la mere (tout ainsi que voyez qu’on fait en France es barbets et petits chiens) ils ont le nez escrasé et enfoncé avec le pouce : ou au contraire quelque autre dit, qu’il y a une certaine contrée au Peru, où les Indiens ont le nez si outrageusement grand, qu’ils y mettent des Emeraudes, Turquoises, et autres pierres blanches et rouges avec filets d’or.

Au surplus, nos Bresiliens se bigarrent souvent le corps de diverses peintures et couleurs : mais surtout ils se noircissent ordinairement si bien les cuisses et les jambes, du jus d’un certain fruict qu’ils nomment Genipat, que vous jugeriez à les voir un peu de loin de ceste façon, qu’ils ont chaussez des chausses de prestre : et s’imprime si fort sur leur chair ceste tainture noire faite de ce fruict Genipat, que, quoy qu’ils se mettent dans l’eau, voire qu’ils se lavent tant qu’ils voudront, ils ne la peuvent effacer de dix ou douze jours.

Ils ont aussi des croissans, plus longs que demi pied, faits d’os bien unis, aussi blancs qu’albastre, lesquels ils nomment Yaci, du nom de la lune, qu’ils appellent ainsi : et les portent quand il leur plaist pendus à leur col, avec un petit cordon, fait de fil de cotton, cela battant à plat sur la poictrine.

Semblablement apres qu’avec une grande longueur de temps ils ont poli sur une piece de grez, une infinité de petites pieces, d’une grosse coquille de mer appelée Vignol, lesquelles ils arrondissent et font aussi primes, rondes et desliées qu’un denier tournois : percées qu’elles sont par le milieu, et enfilées avec du fil de cotton, ils en font des colliers qu’ils nomment Boü-re, lesquels quand bon leur semble, ils tortillent à l’entour de leur col, comme on fait en ces pays les chaines d’or. C’est à mon advis ce qu’aucuns appellent porcelaine, dequoy nous voyons beaucoup de femmes porter des ceintures par-deça : et en avois plus de trois brasses, d’aussi belles qu’il s’en puisse voir, quand j’arrivay en France. Les sauvages font encore de ces coliers qu’ils appellent Boüre, d’une certaine espece de bois noir, lequel, pour estre presques aussi pesant et luysant que jayet, est fort propre à cela.

Davantage nos Ameriquains ayant quantité de poules communes, dont les Portugais leur ont baillé l’engeance, plumans souvent les blanches et avec quelques ferremens, depuis qu’ils en ont, et auparavant avec des pieces trenchantes decoupans plus menu que chair de pasté les duvetz et petites plumes, apres qu’ils les ont fait bouillir et teindre en rouge avec du Bresil, s’estans frottez d’une certaine gomme, qu’ils ont propre à cela, ils s’en couvrent, emplumassent, et chamarrent le corps, les bras et les jambes : tellement qu’en cest estat ils semblent avoir du poil folet, comme les pigeons, et autres oyseaux nouvellement esclos. Et est vraysemblable que quelques uns de ces pays par deçà, les ayant veu du commencement qu’ils arriverent en leur terre accoustrez de ceste façon, s’en estans revenus sans avoir plus grande cognoissance d’eux, divulguerent et firent courir le bruit que les sauvages estoyent velus : mais comme j’ay dit cy dessus, ils ne sont pas tels de leur naturel, et partant ç’a esté une ignorance, et chose trop legerement receuë. Quelqu’un au semblable a escrit, que les Cumanois s’oignent d’une certaine gomme ou onguent gluant, puis se couvrent de plumes de diverses couleurs, n’ayans point mauvaise grace en tel equippage.

Quant à l’ornement de teste de nos Tououpinamkuins, outre la couronne sur le devant, et cheveux pendans sur le derriere, dont j’ay fait mention, ils lient et arrengent des plumes d’aisles d’oiseaux incarnates, rouges, et d’autres couleurs, desquelles ils font des fronteaux, assez ressemblans quant à la façon, aux cheveux vrais ou faux, qu’on appelle raquettes ou ratepenades : dont les dames et damoiselles de France, et d’autres pays de deçà depuis quelque temps se sont si bien accommodées : et diroit-on qu’elles ont eu ceste invention de nos sauvages, lesquels appellent cest engin Yempenambi.


Ils ont aussi des pendans à leurs oreilles, faits d’os blanc, presque de la mesme sorte que la pointe que j’ay dit cy dessus, que les jeunes garçons portent en leurs levres trouées. Et au surplus, ayans en leur pays un oyseau qu’ils nomment Toucan, lequel (comme je le descriray plus amplement en son lieu) a entierement le plumage aussi noir qu’un corbeau, excepté sous le col, qu’il a environ quatre doigts de long et trois de large, tout couvert de petites et subtiles plumes jaunes, bordé de rouge par le bas, escorchans ses poitrals (lesquels ils appellent aussi Toucan du nom de l’oyseau qui les porte) dont ils ont grande quantité, apres qu’ils sont secs, ils en attachent avec de la cire qu’ils nomment Yra-yetic, un de chacun costé de leurs visages au dessus des oreilles : tellement qu’ayans ainsi ces placards jaunes sur les jouës, il semble presques advis que ce soyent deux bossettes de cuivre doré aux deux bouts du mord ou frain de la bride d’un cheval.

Que si outre tout ce que dessus, nos Bresiliens vont en guerre, ou qu’à la façon que je diray ailleurs, ils tuent solennellement un prisonnier pour le manger : se voulans lors mieux parer et faire plus braves, ils se vestent de robes, bonnets, bracelets, et autres paremens de plumes vertes, rouges, bleues, et d’autres diverses couleurs, naturelles, naives et d’excellente beauté. Tellement qu’apres qu’elles sont par eux ainsi diversifiées, entremeslées, et fort proprement liées l’une à l’autre, avec de tres-petites pieces de bois de cannes, et de fil de cotton, n’y ayant plumassier en France qui les sceust gueres mieux manier, ny plus dextrement accoustrer, vous jugeriez que les habits qui en sont faits sont de velours à long poil. Ils font de mesme artifice, les garnitures de leurs espées et massues de bois, lesquelles aussi ainsi decorées et enrichies de ces plumes si bien appropriées et appliquées à cest usage, il fait merveilleusement bon voir.

Pour la fin de leurs equippages, recouvrans de leurs voisins de grandes plumes d’Austruches (qui monstre y avoir en quelques endroits de ces pays-là de ces gros et lourds oyseaux, où neantmoins, pour n’en rien dissimuler, je n’en ay point veu) de couleurs grises, accommodans tous les tuyaux serrez d’un costé, et le reste qui s’esparpille en rond en façon d’un petit pavillon, ou d’une rose, ils en font un grand pennache, qu’ils appellent Araroye : lequel estant lié sur leurs reins avec une corde de cotton, l’estroit devers la chair, et le large en dehors, quand ils en sont enharnachez (comme il ne leur sert à autre chose), vous diriez qu’ils portent une mue à tenir les poulets dessous, attachée sur leurs fesses. Je diray plus amplement en autre endroit, comme les plus grans guerriers d’entre eux, à fin de monstrer leur vaillance, et sur tout combien ils ont tué de leurs ennemis, et massacrez de prisonniers pour manger, s’incisent la poitrine, les bras et les cuisses : puis frottent ces deschiquetures d’une certaine poudre noire, qui les fait paroistre toute leur vie : de maniere qu’il semble, à les voir de ceste façon, que ce soyent chausses et pourpoints decoupez à la Suisse et à grand balaffres, qu’ils ayent vestus.

Que s’il est question de sauter, boire et caouiner, qui est presque leur mestier ordinaire, à fin qu’outre le chant et la voix, dont ils usent coustumierement en leurs danses, ils ayent encor quelques choses pour leur resveiller l’esprit, apres qu’ils ont cueilli un certain fruict qui est de la grosseur, et aucunement approchant de la forme d’une chastagne d’eau, lequel a la peau assez ferme : bien sec qu’il est, le noyau osté, et au lieu d’iceluy mettans de petites pierres dedans, en enfilant plusieurs ensemble, ils en font des jambieres, lesquelles liées à leurs jambes, font autant de bruit que feroyent des coquilles d’escargots ainsi disposées, voire presque que les sonnettes de par deçà, desquelles aussi ils sont fort convoiteux quand on leur en porte.

Outre plus, y ayant en ce pays-la une sorte d’arbres qui porte son fruict aussi gros qu’un oeuf d’Austruche, et de mesme figure, les sauvages l’ayant percé par le milieu (ainsi que vous voyez en France les enfans percer de grosses noix pour faire des molinets) puis creusé et mis dans iceluy de petites pierres rondes, ou bien des grains de leur gros mil, duquel il sera parlé ailleurs, passant puis apres un baston d’environ un pied et demi de long à travers, ils en font un instrument qu’ils nomment maraca : lequel bruyant plus fort qu’une vessie de pourceau pleine de pois, nos Bresiliens ont ordinairement en la main. Quand je traiteray de leur religion, je diray l’opinion qu’ils ont tant de ce maraca, que de sa sonnerie, apres que par eux il a esté enrichi de belles plumes, et dedié à l’usage que nous verrons là. Voila en somme quant au naturel, accoustremens et paremens dont nos Toüoupinambaoults ont accoustumé de s’equipper en leur pays. Vray est qu’outre tout cela, nous autres ayans porté dans nos navires grand quantité de frises rouges, vertes, jaunes, et d’autres couleurs, nous leur en faisions faire des robbes et des chausses bigarrées, lesquelles nous leur changions à des vivres, guenons, perroquets, bresil, cotton, poivre long, et autres choses de leur pays, de quoy les mariniers chargent ordinairement leurs vaisseaux. Mais les uns, sans rien avoir sur leurs corps, chaussans aucunefois de ces chausses larges à la Mattelote : les autres au contraire sans chausses vestans des sayes, qui ne leur venoyent que jusques aux fesses, apres qu’ils s’estoyent un peu regardez et pourmenez en tel equippage (qui n’estoit pas sans nous faire rire tout nostre saoul), eux despouillans ces habits, les laissoyent en leurs maisons jusques à ce que l’envie leur vinst de les reprendre : autant en faisoyent-ils des chapeaux et chemises que nous leur baillions.

Ainsi ayant deduit bien amplement tout ce qui se peut dire touchant l’exterieur du corps, tant des hommes que des enfants masles Ameriquains, si maintenant en premier lieu, suyvant ceste description, vous vous voulez representer un Sauvage, imaginez en vostre entendement un homme nud, bien formé et proportionné de ses membres, ayant tout le poil qui croist sur luy arraché, les cheveux tondus, de la façon que j’ay dit, les levres et joues fendues, et des os pointus, ou des pierres vertes comme enchassées en icelles, les oreilles percées avec des pendans dans les trous, le corps peinturé, les cuisses et jambes noircies de ceste teinture qu’ils font du fruict Genipat sus mentionné : des colliers composez d’une infinité de petites pieces de ceste grosse coquille de mer, qu’ils appellent Vignol, tels que je vous les ay deschiffrez, pendus au col : vous le verrez comme il est ordinairement en son pays, et tel, quant au naturel, que vous le voyez pourtrait cy apres, avec seulement son croissant d’os bien poli sur sa poictrine, sa pierre au pertuy de la levre : et pour contenance son arc desbandé, et ses flesches aux mains. Vray est que pour remplir ceste planche, nous avons mis aupres de ce Toüoupinambaoults l’une de ses femmes, laquelle suyvant leur coustume, tenant son enfant dans une escharpe de cotton, l’enfant au reciproque, selon la façon aussi qu’elles les portent, tient le costé de la mere embrassé avec les deux jambes : et aupres des trois un lict de cotton, fait comme une rets à pescher, pendu en l’air, ainsi qu’ils couchent en leur pays. Semblablement la figure du fruict qu’ils nomment Ananas, lequel ainsi que je le descriray cy apres, est des meilleurs que produise ceste terre du Bresil.

Pour la seconde contemplation d’un sauvage, luy ayant osté toutes les susdites fanfares de dessus, apres l’avoir frotté de gomme glutineuse, couvrez luy tout le corps, les bras et les jambes de petites plumes hachées menues, comme de la bourre teinte en rouge, et lors estant ainsi artificiellement velu de ce poil folet, vous pouvez penser s’il sera beau fils.

En troisieme lieu, soit qu’il demeure en sa couleur naturelle, qu’il soit peinturé, ou emplumassé, revestez-le de ses habillemens, bonnets, et bracelets si industrieusement faits de ces belles et naifves plumes de diverses couleurs, dont je vous ay fay mention, et ainsi accoustré, vous pourrez dire qu’il est en son grand pontificat.

Que si pour le quatrieme, à la façon que je vous ay tantost dit qu’ils font, le laissant moitié nud et moitié vestu, vous le chaussez et habillez de nos frises de couleurs, ayant l’une des manches verte, et l’autre jaune, considerez là dessus qu’il ne luy faudra plus qu’une marote.

Finalement adjoustant aux choses susdites l’instrument nommé Maraca en sa main, et pennache de plume qu’ils appellent Arraroye sur les reins, et ses sonnettes composées de fruicts à l’entour de ses jambes, vous le verrez lors, ainsi que je le representeray encor en autre lieu, equippé en la façon qu’il est, quand il danse, saute, boit et gambade.

Quant au reste de l’artifice dont les sauvages usent pour orner et parer leurs corps, selon la description entiere que j’en ay fait cy dessus, outre qu’il faudroit plusieurs figures pour les bien representer, encores ne les scauroit-on bien faire paroir sans y adjouster la peinture, ce qui requerroit un livre à part. Toutesfois au parsus de ce que j’en ay jà dit, quand je parleray de leurs guerres et de leurs armes, leur deschiquetant le corps, et mettant l’espée ou massue de bois, et l’arc et les flesches au poing, je le descriray plus furieux. Mais laissant pour maintenant un peu à part nos Toüoupinambaoults en leur magnificence, gaudir et jouir du bon temps qu’ils se scavent bien donner, il faut voir si leurs femmes et filles, lesquelles ils nomment Quoniam (et depuis que les Portugais ont frequenté par delà en quelques endroits Maria) sont mieux parées et attifées.

Premierement outre ce que j’ay dit au commencement de ce chapitre qu’elles vont ordinairement toutes nues aussi bien que les hommes, encor ont-elles cela de commun avec eux de s’arracher tant tout le poil qui croist sur elles, que les paupieres et sourcils des yeux. Vray est que pour l’esgard des cheveux, elles ne les ensuyvent pas : car au lieu qu’eux, ainsi que j’ay dit ci-dessus, les tondent sur le devant et rongnent sur le derriere, elles au contraire non seulement les laissent croistre et devenir longs, mais aussi (comme les femmes de par-deça) les peignent et lavent fort soigneusement : voire les troussent quelquesfois avec un cordon de cotton teint en rouge : toutesfois les laissans plus communément pendre sur leurs espaules, elles vont presques tousjours deschevelées.

Au surplus, elles different aussi en cela des hommes, qu’elles ne se font point fendre les levres ni les joues, et par consequent ne portent aucunes pierreries au visage : mais quant aux oreilles, à fin de s’y appliquer des pendans, elles se les font si outrageusement percer, qu’outre que quand ils en sont ostez, on passeroit aisement le doigt à travers des trous, encores ces pendans faits de ceste grosse coquille de mer nommée Vignol, dont j’ay parlé, estans blancs, ronds et aussi longs qu’une moyenne chandelle de suif : quand elles en sont coiffées, cela leur battant sur les espaules, voire jusques sur la poictrine, il semble à les voir un peu de loin, que ce soyent oreilles de limiers qui leur pendent de costé et d’autre.

Touchant le visage, voici la façon comme elles se l’accoustrent. La voisine, ou compagne avec le petit pinceau en la main ayant commencé un petit rond droit au milieu de la jouë de celle qui se fait peinturer, tournoyant tout à l’entour en rouleau et forme de limaçon, non seulement continuera jusques à ce qu’avec des couleurs, bleuë, jaune et rouge, elle luy ait bigarré et chamarré toute la face, mais aussi (ainsi qu’on dit que font semblablement en France quelques impudiques) au lieu des paupieres et sourcils arrachez, elle n’oubliera pas de bailler le coup de pinceau.

Au reste elles font de grands bracelets, composez de plusieurs pieces d’os blancs, coupez et taillez en maniere de grosses escailles de poissons, lesquelles elles sçavent si bien rapporter, et si proprement joindre l’une à l’autre, avec de la cire et autre gomme meslée parmi en façon de colle, qu’il n’est pas possible de mieux. Cela ainsi fabriqué, long qu’il est d’environ un pied et demi, ne se peut mieux comparer qu’aux brassars dequoy on jouë au ballon par deça. Semblablement elles portent de ces colliers blancs (nommez Boüre en leur langage) lesquels j’ay descrit ci dessus : non pas toutesfois qu’elles les pendent à leur col, comme vous avez entendu que font les hommes, car seulement elles les tortillent à l’entour de leur bras. Et voila pourquoy, et pour se servir à mesme usage, elles trouvoyent si jolis les petits boutons de verre, jaunes, bleux, verts, et d’autres couleurs enfilez en façon de patenostres, qu’elles appellent Mauroubi, desquels nous avions porté grand nombre pour traffiquer par-dela. Et de faict, soit que nous allissions en leurs villages, ou qu’elles vinssent en nostre fort, à fin de les avoir de nous, en nous presentant des fruicts, ou quelque autre chose de leur pays, avec la façon de parler pleine de flaterie dont elles usent ordinairement, nous rompant la teste, elles estoyent incessamment apres nous, disant : Mair, deagatorem, amabé mauroubi : c’est à dire, François tu es bon, donne moy de tes bracelets de boutons de verre. Elles faisoyent le semblable pour tirer de nous des peignes qu’elles nomment Guap ou Kuap, des miroirs qu’elles appellent Aroua, et toutes autres merceries et marchandises que nous avions dont elles avoyent envie.

Mais entre les choses doublement estranges et vrayement esmerveillables, que j’ay observées en ces femmes Bresiliennes, c’est qu’encores qu’elles ne se peinturent pas si souvent le corps, les bras, les cuisses et les jambes que font les hommes, mesmes qu’elles ne se couvrent ni de plumasseries ni d’autres choses qui croissent en leur terre : tant y a neantmoins que quoy que nous leur ayons plusieurs fois voulu bailler des robbes de frise et des chemises (comme j’ay dit que nous faisions aux hommes qui s’en habilloyent quelques fois), il n’a jamais esté en nostre puissance de les faire vestir : tellement qu’elles en estoyent là resolues (et croy qu’elles n’ont pas encor changé d’avis) de ne souffrir ni avoir sur elles chose quelle qu’elle soit. Vray est que pour pretexte de s’en exempter et demeurer tousjours nues, nous allegant leur coustume, qui est qu’à toutes les fontaines et rivieres claires qu’elles rencontrent, s’accroupissans sur le bord, ou se mettans dedans, elles jettent avec les deux nains de l’eau sur leur teste, et se lavent et plongent ainsi tout le corps comme cannes, tel jour sera plus de douze fois, elles disoyent que ce leur seroit trop de peine de se despouiller si souvent. Ne voila pas une belle et bien pertinente raison ? mais telle qu’elle est, si la faut-il recevoir, car d’en contester davantage contre elles, ce seroit en vain et n’en auriez autre chose. Et de faict, cest animal se delecte si fort en ceste nudité, que non seulement, comme j’ay jà dit, les femmes de nos Toüoupinambaoults demeurantes en terre ferme en toute liberté, avec leurs maris, peres et parens, estoyent là du tout obstinées de ne vouloir s’habiller en façon que ce fust : mais aussi quoy que nous fissions couvrir par force les prisonnieres de guerre que nous avions achetées, et que nous tenions esclaves pour travailler en nostre fort, tant y a toutesfois qu’aussitost que la nuict estoit close, elles despouillans secretement leurs chemises et les autres haillons qu’on leur bailloit, il falloit que pour leur plaisir et avant que se coucher elles se pourmenassent toutes nues parmi nostre isle. Brief, si c’eust esté au chois de ces pauvres miserables, et qu’à grands coups de fouets on ne les eust contraintes de s’habiller, elles eussent mieux aimé endurer le halle et la chaleur du Soleil, voire s’escorcher les bras et les espaules à porter continuellement la terre et les pierres, que de rien endurer sur elles.

Voila aussi sommairement quels sont les ornemens, bagues et joyaux ordinaires des femmes et des filles Ameriquaines. Partant sans en faire ici autre epilogue, que le lecteur, par ceste narration les contemple comme il luy plaira.

Traitant du mariage des sauvages, je diray comme leurs enfans sont accoustrez dés leur naissance : mais pour l’esgard des grandets au dessus de trois ou quatre ans, je prenois sur tout grand plaisir de voir les petits garçons qu’ils nomment conomi-miri, lesquels fessus, grassets et refaits qu’ils sont, beaucoup plus que ceux de par-deça, avec leurs poinçons d’os blanc dans leurs levres fendues, les cheveux tondus à leur mode, et quelque fois le corps peinturé, ne failloyent jamais de venir en troupe dansans au devant de nous quand ils nous voyoyent arriver en leurs villages. Aussi pour en estre recompensez, en nous amadouans et suyvans de pres, ils n’oublioyent pas de dire, et repeter souvent en leur petit gergon, Contoüassat, amabé pinda, c’est à dire, Mon amy et mon allié, donne moy des haims à pescher. Que si là dessus leur ottroyant leur requeste (ce que j’ay souvent fait) nous leur en meslions dix ou douze des plus petits parmi le sable et la poussiere, eux se baissans soudainement, c’estoit un passetemps de voir ceste petite marmaille toute nue, laquelle pour trouver et amasser ces hameçons trepilloit et grattoit la terre comme connils de garenne.

Finalement combien que durant environ un an, que j’ay demeuré en ce pays-là, je aye esté si curieux de contempler les grands et les petits, que m’estant advis que je les voye tousjours devant mes yeux, j’en auray à jamais l’idée et l’image en mon entendement : si est-ce neantmoins, qu’à cause de leurs gestes et contenances du tout dissemblables des nostres, je confesse qu’il est malaisé de les bien representer, ni par escrit, ni mesme par peinture. Par quoy pour en avoir le plaisir, il les faut voir et visiter en leur pays. Voire mais, direz-vous, la planche est bien longue : il est vray, et partant si vous n’avez bon pied, bon oeil, craignans que ne trebuschiez, ne vous jouez pas de vous mettre en chemin. Nous verrons encore plus amplement ci apres, selon que les matieres que je traiteray se presenteront, quelles sont leurs maisons, utensiles de mesnage, façon de coucher, et autres manieres de faire.

Toutesfois avant que clorre ce chapitre, ce lieu-ci requiert que je responde, tant à ceux qui ont escrit, qu’à ceux qui pensent que la frequentation entre ces sauvages tous nuds, et principalement parmi les femmes, incite à lubricité et paillardise. Sur quoy je diray en un mot, qu’encores voirement qu’en apparence il n’y ait que trop d’occasion d’estimer qu’outre la deshonnesteté de voir ces femmes nues, cela ne semble aussi servir comme d’un appast ordinaire à convoitise : toutesfois, pour en parler selon ce qui s’en est communement apperceu pour lors, ceste nudité ainsi grossiere en telle femme est beaucoup moins attrayante qu’on ne cuideroit. Et partant, je maintien que les attifets, fards, fausses perruques, cheveux tortillez, grands collets fraisez, vertugales, robbes sur robbes, et autres infinies bagatelles dont les femmes et filles de par-deça se contrefont et n’ont jamais assez, sont sans comparaison, cause de plus de maux que n’est la nudité ordinaire des femmes sauvages : lesquelles cependant, quant au naturel, ne doivent rien aux autres en beauté. Tellement que si l’honnesteté me permettoit d’en dire davantage, me vantant bien de soudre toutes les objections qu’on pourroit amener au contraire, j’en donnerois des raisons si evidentes que nul ne les pourroit nier. Sans doncques poursuivre ce propos plus avant, je me rapporte de ce peu que j’en ay dit à ceux qui ont fait le voyage en la terre du Bresil, et qui comme moy ont veu les unes et les autres.

Ce n’est pas cependant que contre ce que dit la saincte Escriture d’Adam et Eve, lesquels apres le peché, recognoissans qu’ils estoyent nuds furent honteux, je vueille en façon que ce soit approuver ceste nudité : plustost detesteray-je les heretiques qui contre la Loy de nature (laquelle toutesfois quant à ce poinct n’est nullement observée entre nos pauvres Ameriquains) l’ont autresfois voulu introduire par-deça.

Mais ce que j’ay dit de ces sauvages est, pour monstrer qu’en les condamnans si austerement, de ce que sans nulle vergongne ils vont ainsi le corps entierement descouvert, nous excedans en l’autre extremité, c’est à dire en nos bombances, superfluitez et exces en habits, ne sommes gueres plus louables. Et pleust à Dieu, pour mettre fin à ce poinct, qu’un chacun de nous, plus pour l’honnesteté et necessité, que pour la gloire et mondanité, s’habillast modestement.

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