Histoire critique de l’établissement de la monarchie françoise dans les Gaules/Livre 4/Chapitre 14

LIVRE 4 CHAPITRE 14

CHAPITRE XIV.

Conduite d’Alaric second dans ses Etats. Il y altere la monnoye d’or. Clovis profite des conjonctures & il lui déclare la guerre, dès que les Visigots ont obligé Quintianus Evêque de Rodez, à se sauver de son Diocèse. Alliance de Clovis avec les Bourguignons, & marche de son Armée.


Nous ignorons pleinement tout ce que Clovis peut avoir fait depuis l’entrevûë d’Amboise jusqu’à son expédition contre les Visigots en cinq cens sept. Les affaires que ce prince avoit dans des Etats où il n’étoit bien le maître que depuis peu de tems, l’auront occupé suffisamment. Je commencerois donc ici l’histoire de cette expédition, s’il ne convenoit point de rapporter auparavant le peu que nous sçavons concernant la conduite qu’Alaric avoit tenuë dans son royaume immédiatement avant le tems où la guerre commença. En effet, la conduite que ce prince tint en quelques occasions, contribua beaucoup à la rupture, comme aux succès de l’expédition dont nous avons à parler.

On a vû que son pere Euric avoit quelque-tems avant que de mourir, fait rédiger par écrit la loi nationale des Visigots. Alaric fit en l’année cinq cens cinq quelque chose de plus et qui marquoit encore davantage la pleine et entiere souveraineté qu’il croyoit avoir sur les Gaules en vertu des cessions faites aux Visigots par l’empereur Julius Nepos et par Odoacer. Les loix qu’Euric avoit publiées, ne regardoient directement que sa nation, mais Alaric fit faire une nouvelle rédaction du code Theodosien, laquelle nous avons encore aujourd’hui, et qu’il publia pour être la loi des Romains mêmes qui vivoient sous son obéissance. Nous parlerons encore ailleurs de ce code d’Alaric connu aussi quelquefois sous le nom du code d’Anien, parce qu’Anien étoit chancelier d’Alaric, lorsque le code dont il s’agit fut rédigé, et parce que ce fut lui qui signa les copies autentiques des nouvelles tables qui furent envoyées aux tribunaux.

Alaric permit aussi en cinq cens six aux évêques catholiques qui avoient leurs sieges dans l’étenduë des pays de la Gaule où il étoit le maître, de tenir un concile national dans la ville d’Agde, et saint Cesaire y présida.

La ville d’Arles dont il étoit évêque, étoit encore alors, comme on l’a vû, du royaume d’Alaric. Il est vrai qu’on prouve que quelques évêques qui assisterent à ce concile, étoient du royaume des Ostrogots, et non pas de celui des Visigots ; mais, comme nous l’avons observé déja, Theodoric étoit tellement uni pour lors avec Alaric son gendre, qu’il aura permis volontiers aux évêques de la partie des Gaules soumise à sa domination, de se trouver à un concile convoqué dans une ville soumise à la domination d’Alaric. Dès que saint Césaire se trouvoit à ce concile, la préeminence de son siege établi dans la même ville où étoit alors celui de la préfecture du prétoire des Gaules, et où étoit d’ancienneté le siege du vicaire particulier des dix-sept provinces des Gaules, aura beaucoup contribué à faire déferer au saint que nous venons de nommer, la présidence de l’assemblée.

La permission qu’Alaric donna de tenir le concile d’Agde, et la nouvelle rédaction des loix romaines qui en avoient besoin, devoient lui concilier en quelque façon les esprits des Romains ses sujets ; mais il fit en même tems un changement dans la monnoye, qui leur déplut infiniment, et d’ailleurs le traitement qu’il faisoit aux évêques catholiques, qu’il soupçonnoit d’être dans les interêts des Francs, rendoit de jour en jour le fils d’Euric le persécuteur, encore plus odieux aux orthodoxes.

Quant au changement qu’Alaric fit dans les monnoyes, voici ce que nous en apprend Alcimus Avitus, évêque de Vienne, et dont nous avons déja parlé tant de fois. Ce prélat en informant Apollinaris, évêque de Valence, qui lui faisoit faire un cachet en forme d’anneau, de la quantité d’alliage d’argent qu’il falloit mêler avec l’or qu’on employeroit dans cette bague, mande donc à son ami : » Qu’il ne faut point que l’alliage y soit en même proportion qu’il l’est dans ses monnoyes d’or d’un titre alteré, que le Roi des Visigots avoit fait frapper il n’y avoit guéres, & qui avoient été le présage de sa perte arrivée peu de tems après leur fabrication. » On voit encore dans les cabinets quelques-unes de ces médailles d’or, où il paroît qu’il est entré plus d’une moitié d’alliage composé à l’ordinaire en partie de cuivre et en partie d’argent. Il en est même parlé dans une des additions faites à la loi nationale des Bourguignons postérieurement à l’année cinq cens. La loi sixiéme de la seconde de ces additions dit : » On ne pourra point rebuter dans les payemens aucun sol d’or de poids, à quelque coin qu’il soit frappé, à l’exception des sols d’or de Valentinien troisiéme, de ceux qui ont été fabriqués dans la monnoye de Geneve, où Godégisile faisoit son séjour, de ceux des Armoriques & enfin de ceux des Gots où l’on a mis trop d’alliage sous le regne d’Alaric second. » Nous avons déja cité et éclairci cette loi à l’occasion des especes, qu’il est probable que la confédération Armorique avoit fait battre.

D’un autre côté, bien que la crainte qu’Alaric avoit des armes des Francs, l’obligeât à témoigner quelque bonté aux évêques catholiques de ses Etats, la prudence vouloit qu’ils profitassent des conjonctures, pour secouer le joug des Visigots, afin de ne pas demeurer toujours exposés à un traitement pareil à celui qu’ils avoient fait aux deux évêques de Tours, dont nous avons raconté l’infortune. Clovis pouvoit mourir, ou cesser d’être heureux, et le mécontentement des peuples causé par l’altération de la monnoye d’or, devoit avoir la destinée de tous les mécontentemens populaires, qui cessent au bout de quelques tems d’être capables de produire aucun effet considérable. Enfin le lecteur jugera par les circonstances de la guerre de Clovis contre Alaric, qui se lisent dans des auteurs contemporains et dans Gregoire de Tours, si les évêques catholiques dont les diocèses étoient dans les Etats de ce dernier, n’eurent point beaucoup de part à la révolution qui fit passer en cinq cens sept et les années suivantes sous la domination des Francs, la plus grande portion de la partie des Gaules, qui avoit été jusques-là sous la domination des Visigots.

Quoiqu’ayent fait alors ces prélats, on ne sçauroit, comme nous l’avons déja précedemment observé, reprocher rien à leur mémoire. La cession de Julius Nepos faite comme nous avons vû qu’elle l’avoit été, et celle d’Odoacer encore moins valide, n’avoient pas pû transporter aux Visigots les droits de l’empire sur les Gaules. Ainsi ces droits étoient toujours demeurés aux empereurs des Romains ; et après le renversement du trône d’Occident, ils avoient passé à l’empereur des Romains d’Orient. Ce prince jusqu’à la cession des Gaules faite aux Francs vers l’année cinq cens trente-sept par l’empereur Justinien, étoit demeuré toujours le véritable souverain des Gaules. C’étoit donc Anastase qui en cinq cens sept étoit le souverain legitime des évêques, qui nonobstant que leurs diocèses se trouvassent sous la domination d’Alaric, ne laisserent pas de favoriser les armes de Clovis. Or si nous ne sçavons pas que cet empereur eut ordonné d’avance à ces prélats de se conduire, ainsi qu’ils se conduisirent durant la guerre dont nous allons parler, nous sçavons du moins certainement qu’il approuva leur conduite, en conférant, quand elle duroit encore, le consulat au roi des Francs, à celui qu’ils avoient en quelque façon choisi pour les gouverner.

Voyons ce qu’on lit dans Gregoire de Tours, concernant la cause prochaine d’une guerre aussi memorable que celle dont il est ici question. Notre historien écrit immédiatement après avoir parlé de l’entrevûe d’Amboise. » Les Gaules étoient alors remplies de personnes qui souhaitoient avec une extrême passion de se voir sous la domination des Francs ; & même Quintianus Evêque de Rodez fut chassé de son Siege, comme étant de leurs partisans. En effet, les ennemis ne lui reprochoient autre chose que l’envie qu’il avoir de voir les Francs maîtres de son Diocèse. Une brouillerie qu’il eut dans ce tems-là avec ses Concitoyens, donna lieu à des rapports qui firent croire aux Visigots qui se tenoient dans la Cité de Rodez, que Quintianus vouloit effectivement la livrer à Clovis. Ils prirent là-dessus la résolution de se défaire de cet Evêque ; mais le Serviteur de Dieu en ayant été averti à tems, il sortit de la Ville pendant la nuit avec ses créatures & ses domestiques les plus affidés, pour se retirer en Auvergne, où il fut accueilli-avec amitié par Eufrasius, le successeur de l’Evêque Aprunculus, qui, comme on l’a dit, avoir été lui-même obligé de se sauver de Dijon, dans la crainte d’être mis à mort par les Bourguignons qui le haïssoient, parce qu’ils le croyoient bien intentionné pour les Francs. » Eufrasius assigna donc à Quintianus pour sa subsistance des maisons, des champs & des vignes. Les revenus de l’Evêché d’Auvergne, disoit Eufrasius, sont suffisans pour faire fubsister décemment deux Evêques, pourvû que cette charité que Saint Paul a tant recommandée, ne leur manque point. Il arriva même dans la fuite que Quintianus ayant été chassé du Diocèse de Rodez pour la seconde fois, il se retira encore en Auvergne. Durant ce second exil du Saint, l’Evêque de Lyon, dont le Siege avoir des biens dans certe Cité, lui abandonna la jouissance de ces biens-là. Quant aux autres évenemens de la vie de Quintianus, & aux miracles que le Seigneur voulut bien operer par son moyen, on peut les lire dans son Histoire. »

L’histoire particuliere à laquelle Gregoire De Tours nous renvoye dans son Histoire generale, est probablement la vie de Quintianus qui fait le quatriéme chapitre de la vie des Peres, un des opuscules de notre auteur. Je crois devoir rapporter ici ce qu’on y trouve, et tout ce que nous sçavons d’ailleurs concernant les autres évenemens de la vie de Quintianus, occasionnés par son zele pour la cause des Francs, bien qu’ils ne soient arrivés qu’après la mort de Clovis. Ce qui m’engage à les raconter prématurément, c’est que je suis actuellement dans l’obligation de justifier quelques mots que j’ai prêtés à Gregoire de Tours dans la traduction du passage qu’on vient de lire, pour lui faire dire distinctement que Quintianus avoit été chassé deux fois de son siége. Je ne crois pas avoir eu tort en cela. Premierement, les deux exils de Quintianus sont rendus constans par la suite de l’histoire. On y verra distinctement que ce prélat fut obligé à s’exiler lui-même avant que Clovis eût commencé ses hostilités contre les Visigots, et qu’il fut chassé de son siége après la mort de Clovis et sous le regne de Thierri le fils aîné de ce prince. D’ailleurs en mettant au commencement de la narration des événemens de la guerre de Clovis contre Alaric, un récit suivi de toutes les differentes avantures de Quintianus, on rend l’histoire de cette guerre et celle des évenemens qui en furent la suite, beaucoup plus facile à entendre.

Aussi-tôt que Clovis eut été informé de la retraite forcée de Quintianus[1], il monta à cheval, comme nous le dirons bientôt, et dès l’entrée de la campagne, il donna la bataille de Vouglé, après laquelle il envoya son fils Thierri soumettre la cité d’Albi, le Rouergue et l’Auvergne. On peut donc bien croire que Quintianus, pour ainsi dire le martyr des Francs, fut dès l’année cinq cens sept rétabli dans son siege. Ainsi pour cette fois-là Quintianus ne sera demeuré en Auvergne que durant quelques mois, et il n’aura point joui long-tems des revenus que l’évêque de ce diocèse lui avoit assignés pour sa subsistance. Quintianus sera donc revenu dès-lors dans son diocèse, où il étoit encore en possession de la crosse, lorsqu’en l’année cinq cens onze il assista au concile tenu dans Orleans sous le bon plaisir de Clovis et qu’il signa les actes de cette assemblée. Qu’arriva-t-il dans la suite ?

» Les Visigort, dit Gregoire de Tours, ayant reconquis après la mort de Clovis une partie des Pays qu’il avoit conquis sur eux, le Roi Thierri envoya son fils Théodebert, & le Roi Clotaire envoya en même tems Gonthier son fils aîné, pour reprendre ces Pays-là ; mais Gonthier se contenta de s’avancer jusqu’au Rouergue, & sans qu’on pénetrât le motif de sa conduite, il rebroussa chemin brusquement. » Clovis mourut en cinq cens onze, et l’expédition de Theodebert ne se fit, comme nous le verrons, que très-peu de tems avant la mort de Thierri fils de Clovis, c’est-à-dire, vers l’année cinq cens trente-trois.

Il paroit donc que très-peu de tems après la mort de Clovis arrivée en cinq cens onze, les Visigots avoient repris Rodez, et qu’ils la tenoient encore malgré les Francs en cinq cens trente-trois. La ville de Rodez est voisine des cités de la métropole de Narbonne, que les Visigots avoient conservée durant la guerre que Clovis leur fit en cinq cens sept, et dont nous allons donner l’histoire.

Dès que les Visigots auront été rentrés dans Rodez, ce qui arriva vers cinq cens douze, Quintianus en sera sorti une seconde fois pour se réfugier encore dans l’Auvergne, qui n’étoit point du nombre des cités que les Visigots avoient reconquises après la mort de Clovis, et où notre prélat avoit été si bien reçû dans le tems de son premier exil. Ce second exil de Quintianus est même rendu constant par une très-ancienne vie de ce saint, laquelle se garde dans la bibliotheque de l’église de Rodez. M Dominici qui la cite dans son histoire de la famille d’Ansbert, rapporte qu’on y lit : que sous le regne de Thierri, Quintianus fut chassé de son siege par les Visigots, qui l’accusoient de vouloir livrer le Rouergue à ce prince. ç’aura été durant ce second exil, que l’évêque de Lyon aura donné à Quintianus, la jouissance des biens que l’église de Lyon avoit en Auvergne. Ce fut durant ce second exil que Quintianus fut fait lui-même évêque d’Auvergne, quatre ou cinq après la mort de Clovis, c’est-à-dire, vers l’année cinq cens seize.

Voici comment Gregoire de Tours raconte ce dernier évenement dans ses opuscules et dans son histoire. » Eufrasius Evêque de l’Auvergne, mourut quatre ans après Clovis Dès-lors la plûpart des Citoyens de la Province, voulurent nommer Quintianus pour son Successeur, mais la brigue d’Apollinaris l’emporta. Apollinaris fut donc installé, & il mourut ensuite le quatriéme mois de son Episcopat. Dès que le Roi Thierri eut appris cette mort, il fit entendre que son intention étoit, que cette fois-là, l’Eglise d’Auvergne eût à élire Quintianus pour son Chef. C’est un homme, disoit-il, à qui nous avons obligation & qui n’a été chassé de son Siege, qu’à cause de son attachement aux interêts de notre Nation. Àussi-tôt les Evêques qui s’étoient rendus en Auvergne, & le Peuple, élurent Quintianus, & ils l’installerent sur le Siege vacant par la mort d’Apollinaris[2]. » La mémoire de saint Quintianus est encore précieuse aujourd’hui aux peuples de Clermont, où ses reliques y sont exposées à la vénération des fidéles dans l’église de saint Symphorien et de saint Genest.

Nous en sçaurions probablement davantage concernant l’attachement de Quintianus pour les princes Francs, si nous avions encore la lettre qui lui avoit été écrite par Avitus évêque de Vienne. Mais, comme l’observe le Pere Sirmond, il ne nous est demeuré que la suscription de cette lettre. Le corps de la lettre est perdu. L’écrit qu’on trouve aujourd’hui placé sous le titre de Lettre d’Avitus évêque de Vienne à Quintianus évêque, est une des copies de la lettre circulaire qu’Avitus adressa aux évêques suffragans de la métropole de Vienne pour les inviter au concile qui se tint en cinq cens dix-sept à Epaone, dans le royaume des Bourguignons. Or Avitus ne sçauroit avoir adressé une de ces lettres à Quintianus, évêque d’Auvergne. Cette cité étoit sous la métropole de Bourges, et non pas sous celle de Vienne. D’ailleurs l’Auvergne n’étoit point du royaume des Bourguignons dans le tems du concile d’Epaone. Elle étoit dans le royaume des Francs. Ainsi la veritable lettre adressée à Quintianus par Avitus, est perdue. En quel tems l’a-t-elle été ? Quelles ont été les vûes de ceux qui peuvent l’avoir supprimée ? Nous l’ignorons. M Dominici de Toulouse, sçavant jurisconsulte du dix-septiéme siécle, dit dans un livre qu’il fit imprimer en 1645 touchant la prérogative des aleuds. » Nous avons une Vie de saint Amant Evêque de Rodez écrite il y a plus de cinq cens ans en langue Romance & en vers mesurés & rimés, & l’on y trouve plusieurs particularités concernant Quintianus, un des predecesseurs de saint Amant. L’Auteur de cette Vie dit entr’autres choses : Que Clovis dès qu’il eut appris la disgrace de Quintianus, monta à cheval attaquer les Visigots. L’importance du fait que ces Vers nous apprennent, ajoute M. Dominici, me fait prendre la hardiesse de les rapporter ici, bien qu’ils soient composés dans l’ancien patois de notre pays. » En effet, ces vers qu’on peut lire au bas de la page, font voir que Clovis commença son expédition contre les Visigots avant le tems où il avoit résolu de la commencer, mais qu’il se pressa, et qu’il la commença prématurément, parce qu’il apprit que le projet de ses amis étoit découvert, et qu’ils étoient en danger. Voici, suivant Gregoire de Tours, ce que fit Clovis avant que de partir.

Cet auteur après avoir employé tout le trente-sixiéme chapitre du second livre de son Histoire, à raconter la retraite forcée de Quintianus, et l’accueil qui lui fut fait en Auvergne, commence ainsi le chapitre suivant. » Le Roi Clovis dit donc aux siens : Je ne puis souffrir que ces Ariens tiennent plus long-tems une si grande partie des Gaules. Marchons contr’eux, & réduisons à l’aide du Ciel sous notre obéissance, le beau Pays qu’ils occupent. Tout le monde applaudit à la proposition de ce Prince, qui mit aussi-tôt en mouvement ses troupes, à la tête desquelles il s’achemina vers Poitiers où le trouvoit pour lors Alaric.

Avant que de continuer à rapporter la narration de Gregoire de Tours, il convient de dire ici une chose qu’il a oublié d’écrire. Comme il a omis de dire que Clovis avoit pour allié Theodoric dans la guerre faite en l’année cinq cens contre les Bourguignons ; il omet aussi de dire que Clovis dans la guerre qu’il fit en cinq cens sept aux Visigots, avoit Gondebaud pour son allié. Mais la chose n’en est pas moins certaine, puisque nous la tenons d’auteurs, dont le témoignage ne sçauroit être rejetté ni reproché.

Le premier de ces témoignages est celui des trois disciples de saint Césaire évêque d’Arles, qui ont écrit sa vie en commun peu de tems après sa mort, et qui l’ont adressée à sa sœur l’abbesse Césaria. On y lit que saint Césaire se trouva enfermé dans Arles, lorsque Clovis en fit le siege, et nos auteurs disent, en parlant de cet évenement. » Après que le Roi Alaric eût été tué dans la bataille qu’il perdit contre le Roi Clovis, les Francs & les Bourguignons vinrent assiéger la Ville d’Arles. Theodoric avoit pris parti dans cette querelle. Il avoit envoyé quelques-uns de les Generaux au secours des Visigots ; & lui-même il s’étoit rendu en personne dans la Province Viennoise. » Nous renvoyons à un autre endroit la suite de ce passage.

Isidore De Seville qui est un autre de nos témoins, dit positivement, que dès le commencement de la guerre dont il est ici question, et avant que la bataille de Vouglé se donnât, les Bourguignons étoient les alliés des Francs. Je rapporterai d’autant plus volontiers cet endroit de son Histoire des Gots, qu’il aide à constater la date de la bataille qui se donna près de Vouglé, la premiere campagne de la guerre de Clovis contre Alaric. » L’an de Jesus-Christ quatre cens quatre-vingt-quatre, & la dixiéme année du regne de Zenon, parvenu à l’Empire en quatre cens soixante & quatorze : Euric étant mort, son fils Alaric second fut proclamé dans Toulouse Roi des Visigots. » Alaric mourut la vingt-troisiéme année de son regne. Ce fut à lui que Clovis Roi des Francs, qui vouloit se rendre maître de toutes les Gaules, & qui avoit les Bourguignons pour alliés, déclara la guerre. Alaric fut donc tué dans une bataille qu’il perdit en Poitou. Theodoric Roi d’Italie ayant appris la malheureuse destinée de ce Prince qui étoit son Gendre, passa les Alpes incontinent & vint dans les Gaules. » Nous renvoyons à un autre endroit la fuite du passage d’Isidore.

Dès qu’Alaric qui étoit monté sur le trône en quatre cens quatre-vingt-quatre, a regné vingt-trois ans, il s’ensuit que ç’a été en cinq cens sept qu’il est mort à la bataille de Vouglé. Il est vrai que Grégoire de Tours, lui donne une année de regne de moins qu’Isidore De Seville, mais on voit bien que cette difference vient de ce que l’on a compté les années révolues, et l’autre les années courantes. Quand Gregoire De Tours dit qu’Alaric avoit regné vingt-deux ans, lorsqu’il fut tué à Vouglé, il entend dire que ce prince avoit fini la vingt-deuxiéme année de son regne. D’un autre côté, quand Isidore écrit qu’Alaric a regné vingt-trois ans, il entend dire qu’Alaric a commencé la vingt-troisiéme année de son regne. Du moins cette supposition ne sçauroit être contredite, parce que nous ne sçavons point précisément ni le jour de l’avenement d’Alaric à la couronne, ni le jour où se donna la bataille de Vouglé dans laquelle il fut tué.

J’ajouterai encore ici un autre passage d’Isidore De Séville très-propre à confirmer que ce fut en cinq cens sept que se donna la bataille de Vouglé. Isidore ayant dit tout ce qu’il avoit à dire concernant Alaric Second, il écrit : » Après la mort d’Alaric, dont nous venons de parler, Gésalic qu’il avoit eu d’une Concubine, fut proclamé dans Narbonne Roi des Visigots la dix-septiéme année de l’Empire d’Anastase. » Comme Anastase avoit été fait empereur en quatre cens quatre-vingt-onze, la dix-septiéme année de son regne a dû se rencontrer avec l’année cinq cens sept. Enfin l’auteur du supplément à la chronique de Victor Tununensis, dit positivement que la bataille de Vouglé se donna en cinq cens sept sous le troisiéme consulat d’Anastase, et sous le premier de Venantius.

Nous verrons que les Bourguignons ne furent pas les seuls alliés qu’eut Clovis, lorsqu’il marcha cette année-là contre les Visigots, et qu’il avoit encore dans son armée un corps de Ripuaires commandé par Clodéric fils aîné de Sigebert roi de cette tribu. Reprenons la narration de Gregoire de Tours, où nous l’avons quittée pour faire les digressions qu’on vient de lire, et qui m’ont paru propres à la faire mieux entendre.

  1. Greg. Tur. Hist. libro 2. cap. 57.
  2. Greg Tur. Ruinar. pag. 1163.