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Heures du soirUrbain Canel ; Adolphe Guyot3 (p. 369-413).


MYSTÈRE,

PAR

Mme MARIE DE SURVILLE.


MYSTÈRE.





Sur la côte occidentale de l’Italie, à quelques lieues de Terracine, les navigateurs qui vont de Civita-Vecchia à Naples ont pu remarquer une maison de plaisance bâtie sur une langue de terre qui s’avance dans la mer. Cette villa est entourée de hauts peupliers et de sycomores, et ce bocage est le rendez-vous de tous les oiseaux de la rive ; au coucher du soleil il s’élève de ce petit bois une musique de fauvettes et de rossignols, la plus merveilleuse à entendre. On nous a dit le nom de cette maison de campagne ; nous croyons nous rappeler qu’elle se nomme la villa Capella, et nous aimons à nous figurer que le site où elle est bâtie a pu appartenir à la famille de Bianca-Capello, cette femme si belle et si malheureuse, dont vous savez l’histoire. Quoi qu’il en soit, la villa Capella est une délicieuse retraite d’où l’on aperçoit Ischia et Capréa, ces deux lies de fleurs sur la mer bleue ; et dans le lointain, le sommet fumant du Vésuve, que les habitans de Gaëte et de Terracine nomment Somma ou la Montagna.

Quelques années ont passé sur l’Italie et sur le monde depuis que la maison de plaisance dont nous parlons n’a été habitée. Elle appartient aujourd’hui à un banquier de Gènes, qui n’y va jamais ; il l’acheta, dit-on, d’une jeune dame française qui l’habitait encore vers la fin de l’été de 1826.

Cette femme était veuve depuis cinq ans ; elle avait une petite fille, la plus jolie que l’on puisse rêver. Elle-même était si parfaitement belle !… Comme la mort de son mari lui avait laissé une grande mélancolie, elle s’était décidée à quitter Paris et à venir passer le reste de sa jeunesse dans la solitude de la villa Capella ; elle l’avait achetée et embellie de tout son luxe et de son bon goût parisien. Son ménage se composait d’une dame de compagnie, âgée d’environ quarante ans, qu’on appelait madame Beaumont ; d’une femme de chambre et de quelques domestiques. Notre belle recluse ne voyait personne dans les environs, et par conséquent ne recevait jamais de visites. Le site de la villa était si reculé du reste du continent, qu’un voyageur ne la pouvait même apercevoir ; de grands arbres, nous l’avons dit, enveloppaient la maison qui n’avait de vue que sur la mer.

Toutes les heures que madame de Vély (car il faut dire son nom) ne donnait pas à l’éducation de sa fille Adda, elle les consacrait aux arts, qui sont aussi des passe-temps ; et, en effet, les mois passaient devant elle avec rapidité, mais avec un calme qu’elle n’avait jamais connu en France. C’est que sous le ciel d’Italie il est plus de rêveries pour une âme contemplative que sous aucun climat du monde : là, on s’inonde de soleil et de brises embaumées ; là, les yeux sont enchantés et la tête se perd d’extase et de poésie.

Madame de Vély passait une partie des soirées d’été sur un balcon de marbre qui dominait le golfe ; Adda jouait et courait dans le salon, faisant grand bruit au milieu de ses poupées et de ses villages de carton, tandis que sa mère causait avec madame Beaumont ou jouait de la harpe. Les accords graves et plaintifs allaient, se répétant de rochers en rochers, bien avant sur la mer ; de telle sorte que souvent des pêcheurs, qui passaient, ployaient un moment leur voile pour écouter la syrène chanter. Le bruit s’était accrédité, en effet, qu’un esprit mélodieux habitait ces solitudes.

Un soir, Adda, dans ses folâtreries, laissa tomber du balcon une grande et belle poupée. Oh ! ce fut une désolation. Les flots impitoyables s’emparèrent de l’amie d’Adda et l’emportèrent au loin, car le vent soufflait de terre. Adieu la poupée, adieu les amours de l’enfant ! On la suivit quelque temps des yeux, montant et descendant les vagues, et puis ce fut fini : elle sombra. Adda pleura amèrement, et sa mère, la prenant sur ses genoux, pleura avec elle. C’était un grand chagrin… Eh ! mon Dieu, qui de nous n’en a pas eu de la sorte ? qui de nous n’a perdu une fois son idole de soie et de gaze d’or, l’occupation de ses jours et de ses nuits, son amour ?

C’est à peu près ce que disait madame de Vély à sa fille. « Mon enfant, ajoutât-elle, calme-toi. Tu vois bien que tu me fais du mal en pleurant ainsi. D’ailleurs, nous pourrons avoir une autre poupée ; nous écrirons à Naples. Va, va, je t’en donnerai une autre plus belle.

— Mais, ma mère, ce ne sera pas celle-là… Elle m’aimait tant !…

— Hélas ! non, ce ne sera pas celle-là. Je sais bien, moi, tout le chagrin qu’on a de quitter ceux qu’on aime… cela serre le cœur bien fort, ma fille. Oh ! je le sais bien »

Madame de Vély versait beaucoup de larmes, lorsque Adda, posant ses deux petites mains sur le visage de sa mère, se prit à sourire et à la supplier de ne pas se désoler ainsi, ajoutant qu’on devient laide en pleurant, et qu’elle ne voulait pas que maman Valérie fut laide.

À quoi sa mère répondit : « Va, ma fille, que je sois belle ou non, à quoi cela me sert-il aujourd’hui ?… »

Probablement l’enfant ne comprit pas ce soupir échappé de l’endroit du cœur le plus secret. Mais, se reprenant, comme si quelqu’un l’eût entendue, la jeune femme se hâta d’ajouter : « Vois-tu, Adda, il m’est bien égal de devenir laide, si tu es toujours sage comme te voilà. Tu me consoleras de tout, toi. Grandis, enfant ; sois ma joie et mon orgueil ; sois mon seul amour, beau petit ange ! que je te ramène un jour en France, et que toutes les mères soient jalouses en te voyant. »

Alors elle l’enlevait dans ses bras et elle la dévorait de caresses.

Mais quelle fut la surprise de la femme de chambre et celle de toute la maison, quand le lendemain matin, en ouvrant la fenêtre du balcon, on vit sur le pavé de marbre la poupée d’Adda couchée dans un lit de fleurs les plus fraîches et les plus rares. Ce furent des clameurs. Adda en perdait la tête ; madame Beaumont et tous les gens criaient au miracle, et madame de Vély gardait le silence et n’osait donner suite à ses conjectures. On s’informa ; on demanda aux environs ; personne n’avait vu ni touché la poupée. Et ces fleurs pourtant ? ces fleurs merveilleuses ?… pourquoi ces fleurs ? Des roses thé, de gros jasmins d’Espagne, des branches de cédrat telles qu’on n’en voit que dans les îles de Malte ou de Candie… Oh ! il y avait là-dessous de la magie.

Il y avait de l’amour peut-être…

Le soir de ce jour, madame de Vély ne sortit pas pour sa promenade accoutumée. Une pensée vague la tourmentait ; elle était dans cet état de dubitation où nous nous trouvons tout-à-coup quand un chemin inconnu s’ouvre devant nous. Y avait-il du danger, ou non ? Valérie n’osait décider. Elle pensait beaucoup à cette aventure, voilà tout. « Le lendemain, il lui vint dans la tête que peut-être quelques pêcheurs d’Ischia avaient pris la poupée dans leurs filets, qu’ils l’avaient reconnue appartenante à la petite Adda, et qu’ils avaient saisi cette occasion d’apporter des fleurs à la villa, comme hommage de reconnaissance pour quelque service rendu. Cette idée germa si bien et si vite qu’elle devint une idée fixe, et dans l’après-midi même, madame de Vély, reprenant sa liberté d’esprit, sortit avec sa fille et une femme de chambre. Ses promenades ordinaires avaient lieu le long du rivage, ou sur les hauteurs qui dominent la plaine de Terracine. Cette fois elle demanda sa gondole et des rameurs. L’espoir de rencontrer les pêcheurs l’attirait sur le golfe. La barque vogua dans la direction d’Ischia, et en effet les tartanes de la pêche au thon ne tardèrent pas à se montrer sur la barre de l’horizon. Leurs voiles en triangles recevaient les derniers rayons du jour ; on les eût prises pour de la gaze lamée d’argent, tant elles brillaient. Madame de Vély voulut qu’on approchât à la portée de la voix des deux petits bâtimens, qui restaient immobiles faute de brise. Elle se plaça à la proue de la gondole, et demanda aux mariniers des nouvelles de la pêche.

« Misera ! misera ! lui répondirent les hommes des tartanes en secouant leurs filets.

— Comment !… pas un thon ?… reprit en italien madame de Vély.

— Uno, ma piccolo, signora comtessa.

— Un seul ! oh ! tant pis. À propos, vous m’avez apporté hier un poisson superbe et d’une singulière espèce : en voici le prix. Quant aux fleurs, je ne les paie pas ; je vous en remercie ; elles sont magnifiques. »

En même temps la gondole s’approcha d’une tartane et la toucha. Madame de Vély jeta sur le pont une bourse qui renfermait quelques sequins. Les mariniers, ébahis d’entendre parler d’un poisson merveilleux et de fleurs, se figurèrent alors que c’était un prétexte charitable dont se servait la dame française pour leur offrir quelques secours. Ils ramassèrent la bourse et crièrent : Viva, en agitant leurs bonnets phrygiens. Valérie n’eut pas d’autres explications sur le naufrage de la poupée ; elle était convaincue qu’elle avait dénoué le nœud de cette aventure, et elle continua sa promenade.

Le soir, elle joua de la harpe sur le balcon, comme à l’ordinaire. Madame Beaumont aimait les nocturnes, et Valérie en chanta deux ou trois nouvellement arrivés de France.

Onze heures. Chacun était retiré chez soi dans la villa, excepté madame de Vély qui était restée avec la lune sur le balcon : un grand désir de rêverie l’avait retenue là. Le ciel était si clair et l’air si doux à respirer ! Valérie avait les yeux fixés sur des tulipiers qui se miraient dans la mer, à deux cents pas de la maison, lorsqu’elle crut distinguer une vapeur blanche glissant derrière ces arbres. Son premier mouvement fut de rentrer ; son second mouvement fut de revenir à la rampe. Mais adieu le fantôme ; il s’était fondu dans la nuit. Valérie passa la main sur ses beaux yeux, et se dit en souriant : « Suis-je folle ? »

Et comme elle se penchait sur la balustrade, elle entendit quelque chose qui tombait derrière elle ; elle se retourna et ramassa un énorme et magnifique bouquet. Des fleurs pareilles à celles de la veille ! Oh ! le frisson la prit ; elle s’élança dans son appartement… mais elle emporta le bouquet. Sa femme de chambre entrait ; Valérie jeta les fleurs sur son lit et tira les rideaux ; puis elle dit à Nizza : « Je me déshabillerai seule ; allez, allez, Nizza. »

Une heure après, elle était encore debout devant ses bougies, les yeux fixés sur le bouquet magique, et la tête perdue dans la sphère des rêveries.

Une femme, un enfant et un poète, en pareille circonstance, croient tout possible. Valérie s’arrêta presque sérieusement à l’idée d’un sylphe ou d’un enchanteur ; elle dormit très-légèrement, on le pense bien, et encore ses rêves furent-ils remplis de jasmins, de résédas, d’œillets. Il plut des fleurs du plafond durant toute la nuit ; la chambre était encombrée de corbeilles… Ce ne furent qu’allées et venues d’esprits, de jeunes ondines et d’archanges qui portaient, à pleins bras, tout ce que le paradis terrestre avait d’arbustes odoriférans.

Le lendemain il ne resta de tous ces parfums qu’un seul bouquet et le souvenir du balcon. Une confidence à madame Beaumont était indispensable ; on la fit avec toute la précaution que cette grave affaire exigeait. Madame Beaumont ne voulut rien préjuger… elle leva les mains et les yeux au ciel, et parut invoquer le Saint-Esprit ; du reste, elle engagea madame de Vély à ne plus chanter le soir sur le balcon ; lui conseilla de ne parler à personne de ce qui arrivait, et se chargea d’aller elle-même aux informations.

« Je tiendrai bientôt le fil de tout cela, » ajouta-t-elle avec ce sourire demi-fin qui, sur la lèvre d’une duègne, veut dire : Rien ne résiste à ma pénétration.

Elle se trompait ; les négociations secrètes, les visites aux environs, les questions insidieuses, toutes les ruses d’une diplomatie féminine, n’aboutirent qu’au vide. L’abime était sans fond et noir à regarder ; madame Beaumont y laissa tomber ses lunettes.

Quelques jours passèrent. La police de la dame de compagnie était aux abois ; sa jeune maîtresse, ou plutôt son amie, sortait plus rarement et ne restait presque jamais seule le soir au balcon. Mais, au bout de trois semaines sans incidens nouveaux, Valérie reprit ses habitudes : cela arrive presque toujours ainsi après un grand danger passé. Quel aéronaute renonce aux nuages ? quel plongeur songe au requin ? Pourtant l’un a pu se voir emporté dans la zone glaciale, et l’autre a failli laisser une jambe dans la gueule armée de crochets et de tranchans. Que voulez-vous ? le cœur humain est fondu de la sorte.

Nous ignorons si madame de Vély avait une âme doublée de ce triple airain dont parle Horace ; mais, au mépris du requin, elle se hasarda un matin à aller seule se promener le long de la mer, à un quart de lieue de la villa. Après avoir bien regardé de toutes parts autour d’elle, la voilà qui s’assied sur une roche abritée. Le flot venait mourir à ses pieds ; on eût dit qu’il voulait les baiser, tant il ondulait mollement. Des graines rouges comme des escarboucles, de petits coquillages verts et bleus, parsemaient le fond du sable, et l’eau était si limpide qu’on ne perdait pas une nuance de ce beau tapis maritime. À force de regarder les coquillages et la poudre d’or, la jeune femme se prit d’un grand désir de les toucher. L’eau était tiède et d’une pureté cristalline ; d’ailleurs pas une voile en mer, pas une âme sur la rive… Madame de Vély se déchaussa et livra au flot les deux pieds de nymphe qu’il désirait tant ; deux pieds nus et blancs comme ceux de Galatée. Le flot les caressa de tout son amour, et la belle Valérie de sourire au flot et de lui dire qu’elle ne l’avait jamais vu si pur, ni si frémissant.

L’onde ne répondit pas, mais une voix parla derrière madame de Vély ; elle se retourna avec saisissement. Rien sur la rive : trois palmiers seulement s’y balançaient. La baigneuse pensa que le vent avait gémi ainsi dans les feuilles. Cependant elle se hâta de reprendre sa chaussure et de s’éloigner. À son retour, en traversant un petit bois de sycomores, elle vit un chien lévrier attaché à un tronc d’arbre ; c’était une grande levrette albanaise, noire comme la nuit, longue et déliée, l’œil brillant et la tête haute et légère à se mouvoir. Dès que le bel animal aperçut madame de Vély, il se coucha et se mit à gémir, comme s’il lui disait : « Détachez-moi… ayez pitié de moi. » Valérie comprit ce langage, et la grande levrette fut détachée ; alors elle se roula comme un serpent aux pieds de la jeune femme ; elle bondit et retomba, bondit encore et encore revint se rouler devant sa libératrice. Celle-ci ne put se défendre de passer la main sur sa tête et de l’appeler belle et folle. Or, la levrette avait un collier d’argent massif, ce qui surprit Valérie ; elle le regarda plus attentivement et lut son nom sur le collier. « Oh ! non… ce n’est pas possible !… » s’écria-t-elle en tournant et retournant le large anneau d’argent ; mais ces mots étaient gravés en grosses lettres sur le métal : « J’appartiens à madame la comtesse de Vély. »

La levrette devint calme, comme si elle avait compris cette phrase, et suivit sa maîtresse. La renvoyer fut impossible ; Valérie le tenta deux fois… faiblement cependant. L’albanaise marcha plus près d’elle ; si bien qu’à l’entrée de la villa, quand sa libératrice voulut la repousser, par un dernier scrupule, l’esclave se colla contre sa robe de manière à ne plus la quitter. Madame de Vély prit subitement son parti ; en rentrant, elle dit devant tous que ce chien était à elle : c’était le seul moyen d’éteindre la première et la dernière question.

Nous abrégeons ce récit.

Des bouquets de fleurs reparurent sur le balcon, mais toujours vers onze heures du soir, quand tout le monde, excepté une personne, dormait à la villa. Madame Beaumont n’eut jamais occasion de les voir, en sorte qu’elle oublia le premier et tout le merveilleux de cette aventure. La confidence qu’on lui avait faite fut regrettée, dit-on. Non pas que la bonne dame n’exerçât aucune espèce de censure dans la maison, ou qu’on se défiât de sa discrétion, mais parce qu’elle pouvait avoir un esprit un peu faible et se tromper étrangement sur ce qui était.

Il est à remarquer que les fleurs enchantées ne tombaient des nuages que les soirs où une harpe et une voix avaient chanté. C’était un hommage, un applaudissement, un triomphe de fleurs, tel que nous en avons vu pour Desdémone et dona Anna au théâtre royal italien de Paris. Ainsi passèrent quelques semaines sans que madame de Vély pût découvrir le mot du mystère, ou même entrevoir la baguette de l’enchanteur. Elle s’habituait peu à peu à cette adoration muette ; ce qui l’avait tant effrayée une première fois, lui paraissait d’une singularité charmante. Elle s’attachait à cet être invisible, à ce Trilby d’Italie, comme à un ami du foyer, et elle en vint à ce point que lorsque le bouquet manquait (par un rare hasard), elle disait en s’endormant : « Mon sylphe n’est pas venu. » Pour tout l’or du monde, elle n’aurait pas voulu voir plus clair dans ce brouillard d’illusions. Quelquefois même elle tremblait d’une découverte… elle fuyait alors épouvantée. Voyez comment est fait le cœur humain ! Madame de Vély, deux mois auparavant, aurait fait sonder la mer pour y trouver la vérité.

La vérité… elle lui apparut, enfin, sous la forme d’un billet. Le bouquet l’avait apportée dans le calice d’une tulipe. Valérie prit ce papier en frissonnant et elle l’approcha de la flamme d’une bougie. Soit hasard, soit prédestination, la cire du cachet se fondit et le billet s’ouvrit. Il était temps encore de le brûler… La singularité du papier piqua la curiosité de la belle veuve. C’était une espèce de carte satinée, une sorte de vélin indéchirable (on nous passera le mot), tel qu’on en fabrique, dit-on, dans le Levant. Valérie considérait ce papier oriental d’où s’exhalaient des parfums d’ambre et d’aromates. Le cachet, à demi brûlé par la bougie, était une cire verte empreinte d’une croix grecque couronnée. Dans cette cire passait un fil d’or et de soie qui se croisait deux fois sur lui-même autour du billet plié. À tout cela était attaché un mystère attrayant. Les yeux de madame de Vély tombèrent involontairement sur ces mots : « Esprit de ces solitudes. » Alors Ève cueillit la pomme. Voici ce billet.

« Je suis l’esprit de ces solitudes, vous en êtes la beauté. Je vous ai vue et j’en ai aimé mille fois plus mon royaume. Ne me cherchez ni dans les airs, ni sur la terre, ni sur la mer vous ne me trouveriez pas. Je suis partout et nulle part. Je suis dans vos cheveux de reine, comme une perle dans de la soie ; je suis à vos genoux, le soir au balcon ; j’étais dans le flot qui mouillait vos pieds. Je joue avec votre fille. C’est moi qui lui donne ce rire qui vous enchante. Avec elle je viens vous conter les ennuis ou les joies de mon cœur ; avec elle j’embrasse vos mains et votre front. Adieu, beauté. Si mes fleurs vous plaisent, chantez ; vous en aurez à pleines corbeilles. Adieu Je suis le prince de tous et je suis votre esclave. »

Au revers du billet, on lisait : « Votre levrette s’appelle Diana. »

Ô première lettre d’amour ! vous brûlez comme le glaive de l’archange !

Nous ne parlerons pas des impressions que fit ce billet sur l’âme exaltée de Valérie. Une lumière nouvelle venait de jaillir ; un monde inconnu se déroulait devant elle. La pensée de sa fille lui revint ; c’était un éclair. Elle courut dans la chambre voisine, où Adda dormait ; et elle la prit dans ses bras avec transport. L’enfant, surpris dans son sommeil, jetait des cris ; mais sa mère la pressant plus fort contre sa poitrine, lui disait :

« Tais-toi… oh ! tais-toi, ma fille.

— Eh ! qu’avez-vous, ma mère ?

— Ce que j’ai ?… j’ai de violens désirs de t’embrasser, Adda.

— Vous pleurez, ma mère !

— Moi ?… non, je ris. Regarde. Je suis folle de toi.

— Qu’elle est drôle, maman ! » ajouta la petite Adda déjà toute consolée.

Après mille baisers, sa mère lui recommanda de s’endormir. Puis elle rentra dans sa chambre et se mit à genoux devant un fauteuil, et, la tête dans les mains, elle pleura beaucoup plus qu’elle ne pria. Que de choses, pourtant, à dire au Seigneur ? Mais par où commencer ?… Eh ! savait-elle ce qu’elle voulait cette femme ?

Mais, la première émotion passée, Valérie reprit sa raison : elle enferma le billet magique dans un petit coffre et elle éteignit ses bougies.

On pense bien que du moment où le sylphe eut écrit, il perdit ses ailes diaphanes aux yeux de madame de Vély. Elle s’avoua même, en rougissant un peu, que jamais, depuis deux mois, elle n’avait cru un instant au merveilleux dont son imagination s’était amusée. Quelqu’un l’aimait ; quelqu’un habitait presque chez elle et la suivait dans ses moindres actions avec une adresse incroyable. Voilà qui devenait plus effrayant que toute apparition surnaturelle. Depuis quelques jours son sang brûlait de fièvre ; ses nerfs étaient tendus comme des cordes en vibration. Elle résolut de sortir de cet état convulsif, qui ferait mourir s’il se prolongeait. Elle écrivit, et à qui ?… au sylphe. Voici la lettre qu’elle déposa le soir sur le balcon :

« Je ne suis pas un enfant crédule ; mais vous êtes, vous, un être fort adroit, et vous deviendriez fort dangereux, peut-être, si j’avais moins de raison. Je vous sais gré de vos galanteries mystérieuses. Pourtant je vous prie de les cesser. Brisons là le rêve, l’un et l’autre. Je ne recevrais plus vos fleurs, si vous vous obstiniez à m’en envoyer. »

Selon nous, cela voulait dire : J’attends un bouquet de vous, ce soir. Le sylphe fut exact. À minuit les fleurs et une réponse arrivèrent. Mais cette fois, le tout fut jeté, par une fenêtre ouverte, dans la chambre à coucher de madame de Vély. Rejeter le bouquet et la lettre dans la mer ou dans le jardin, eût été les livrer aux mariniers ou aux gens de la maison. D’ailleurs ce billet était sans doute une lettre de congé ; c’étaient les adieux du pauvre sylphe. Ils étaient ainsi conçus :

« Moi, vous quitter !… jamais. Deux cygnes habitaient un golfe de la Grèce. Un jour, comme ils étaient près de la rive, des enfans musulmans passèrent. Les oiseaux divins s’enfuirent épouvantés. Mais l’un gagna la haute mer, et l’autre (imprudent ! ) ne le suivit pas et prit son vol vers le continent. Les enfans musulmans le tuèrent à coups de mousquet. — Ô mon cygne ionien, je ne me séparerai pas de vous. Quelle pitié ! Voudriez-vous me voir revenir un jour tout sanglant mourir à vos pieds ? Que vous ai-je fait ?… Depuis six mois, je passe toutes mes nuits et tous mes jours dans la contemplation de votre visage. Pour entendre votre parole, et une parole qui ne s’adresse pas à moi, je traverse le golfe, quel que soit l’ouragan. Hier encore, j’ai suivi vos traces tout le long du sable, et, à chaque pas je me suis prosterné et j’ai baisé l’empreinte sacrée. Qui m’eût rencontré ainsi, se fût dit : Voilà un pauvre insensé qui se traîne à genoux. — L’autre nuit, ceux qui m’auraient aperçu, me glissant sur la frise de votre maison pour vous jeter mes fleurs, auraient crié : Voilà quelque voleur furtif qu’il faut tuer. Et je serais tombé mort sous les coups de feu. — Vous quitter !… et où irais-je ? Je n’ai mon foyer domestique ni sur la terre d’Italie, ni en Espagne, ni en France votre patrie, ni dans aucun royaume d’Occident. Ma sphère était l’Orient… Aujourd’hui, c’est le climat de Terracine. Mes étoiles sont vos yeux, mon air embaumé, c’est votre souffle ; mon firmament, c’est la splendeur de votre front. Voyez-vous, m’empêcher de vous dire que je vous aime, serait me livrer enchaîné au vautour du Caucase. Que vous fait cette parole : Je vous aime ? Vous l’ai-je demandée pour moi, ô souveraine ? vous ai-je dit : Donnez-moi un gage de votre cœur ? Ah ! pauvre esclave muet, je me suis prosterné dans mon adoration quand la reine passait sans regarder. Non, vous ne me devez rien… rien qu’un peu de pitié. Ce que vous accordez à tous, me le refuserez-vous ? Allez, allez, je suis plus malade que les pêcheurs d’Ischia que vous avez secourus dans le temps de la peste ; je suis plus affligé que la veuve de Gaëte que vous avez consolée. Vous voyez que je connais toutes les actions de votre charité ; votre vie angélique m’est révélée tout entière. — Adieu. Vous avez voulu être cruelle une fois, vous n’avez pas réussi. J’ai pris la coupe que vous m’avez envoyée, et j’ai jeté la ciguë. Adieu… je veille sur vous et sur votre fille qui est aussi mon amour, puisqu’elle est le vôtre.

» Souveraine, je baise vos sandales. »



Terracine, on le sait bien, est située sur la Méditerranée. De grands rochers, polis comme du marbre, bordent son rivage : mais ces belles roches sont entrecoupées de massifs de verdure, de touffes d’aloës et de hauts palmiers. Quelquefois des buffles (habitans des marécages voisins) viennent se percher sur ces galeries de la mer, et se dessinent en noir sur le fond bleu du ciel. C’est à Terracine qu’aboutissait la voie Appienne que parcouraient tant de chars et de litières de pourpre. Encore aujourd’hui, après avoir traversé le désert romain, grand et brûlé, il est délicieux de venir se reposer dans cette jolie ville, fraîche comme une baigneuse.

C’était la fête de Notre-Dame d’août ; il y avait affluence de peuple et de pèlerins à Terracine. On était venu de dix et quinze lieues à la ronde, et ceux de Velletri, et ceux de Gaëte, et ceux d’Istri et de Fondi, ceux même de Capréa ; beaucoup de monde enfin. La procession devait avoir six mille cierges, deux ou trois cents bannières, et on ne sait combien de musiciens. La châsse d’argent de la Vierge était promise aussi à la vénération des fidèles. Les rues et la place de l’église fourmillaient de curieux et de gens en dévotion. À voir ces myriades de têtes se mouvant, on eût dit les ondulations d’un bois d’olivier dans la saison des vents. Toutes les fenêtres étaient endimanchées de fleurs et de tapis. La variété des costumes, la multiplicité des couleurs fortes et tranchées, donnaient des éblouissemens. On entendait les pieux cantiques se mêler aux voix des vendeurs d’ex-voto et de scapulaires, et aux cris des marchands de cocoméro. Il y avait des aveugles et des ulcéreux qui venaient pour toucher la châsse ; il y avait de jeunes filles qui venaient pour acheter des chapelets de verroterie, et peut-être pour montrer leur taille fine et leur corset de velours vert. Des carrosses aussi passaient dans la foule ; l’aristocratie italienne ne néglige jamais une occasion de se montrer à la plèbe qui aime à la voir et à l’applaudir.

Dans ce bon pays d’Italie, le marchand avoue encore qu’il n’est pas monstrueux qu’un homme habile un palais tandis qu’un autre homme loge dans une boutique. Les grands seigneurs reconnaissent leurs cliens dans la multitude, comme les patriciens autrefois les comptaient au forum. M. le duc passe-t-il ? Voilà des moines qui saluent, voilà des femmes qui font des révérences verticales et réitérées, voilà de jeunes muletiers qui viennent baiser la main de Son Altesse. Est-ce madame la duchesse qui arrive ?… Oh ! ce sont des viva, brava, d’un bout de la rue à l’autre ; et on s’entretient ensuite des belles pendeloques de diamans que porte la signora, ou de sa robe de soie, ou des superbes chevaux empanachés qui la traînent, ou bien encore de la signorina sa fille, qui n’a que six ans, et que l’on marie déjà à deux ou trois princes et autant de comtes du Saint-Empire. Heureux peuple ! Va, ne change pas, adorable Italie.

Cependant la procession sortit de l’église au bruit des tambours et des boîtes. Alors les croisées et les balcons se peuplèrent de têtes ; il pleuvait des feuilles de roses de toutes les terrasses des maisons. C’était vraiment beauté de voir tous ces toits plats, hérissés d’arbres et d’arbustes, comme des jardins descendus des nuages sur la ville. À une fenêtre de la grande rue se trouvait madame de Vély, avec sa fille et madame Beaumont ; ces dames avaient de la dévotion et elles étaient venues, comme tant d’autres, gagner les indulgences promises par le Saint-Père. Adda s’extasiait sur la richesse des chapes et le nombre des encensoirs. Tout-à-coup son attention fut distraite par quelque chose d’étranger à la procession ; beaucoup de curieux remarquaient un jeune homme, portant un costume grec, qui se tenait agenouillé sur le perron de marbre de la maison en face de celle où se trouvaient les dames françaises. Il était beau, ce Grec ; il avait des cheveux bruns qui tombaient sur ses épaules ; son œil était grand et plein de flammes, et son profil droit et régulier rappelait (non pas à Adda, mais à bien d’autres) ces figures héroïques dont les poètes ont si souvent parlé, et dont tous les musées d’Italie conservent les types. Adda était émerveillée surtout de la veste noire, chamarrée de cordons d’or, que portait l’étranger ; de sa large jupe blanche, de ses bas brodés richement, et de sa chaussure de maroquin. L’enfant n’oubliait pas de faire remarquer à sa mère et à madame Beaumont le grand poignard dont le manche était ciselé, et le bonnet de velours d’où pendait une mèche d’or. Rien n’était omis par la petite fille ; mais ces dames étaient bien plus étonnées et plus édifiées du recueillement avec lequel le jeune étranger regardait passer la procession. Quand la châsse sainte approcha, il se prosterna plus profondément que ses voisins, les mains jointes et collées à son front ; et quand la châsse se fut éloignée, il releva sa tête brune, regarda le balcon où était madame de Vély, et puis il jeta de grands yeux au firmament. Ces dames ne revenaient pas de leur surprise.

« Un schismatique grec, disait madame Beaumont, cent fois plus respectueux devant les reliques que les trois quarts de ces catholiques !

— Oui, répondait madame de Vély. Ce jeune homme doit avoir une belle âme.

— Il a une bien belle figure, maman, » reprenait Adda.

La procession rentra. Ces dames allèrent assister au sermon et au salut, et quand le soir arriva, elles descendirent au rivage où leurs gens les attendaient dans la felouque qui les avait amenées. L’équipage était composé d’un pilote à cheveux gris, et de quatre rameurs. Le vent soufflant du sud au nord-ouest, on déploya la voile latine pour retourner à la villa Capella.

Beau temps ! belle joie ! Les marins chantaient leurs barcarolles et les oiseaux du ciel leurs chansons. Madame de Vély était couchée sur un tapis d’Égypte et tenait sa fille dans ses bras. Elle avait la tête remplie de rêves sans fin ; elle regardait la mer et répondait à contre-sens aux mille questions d’Adda. Sa préoccupation était si complète qu’elle ne s’apercevait pas que le vent avait dérangé ses beaux cheveux et qu’ils flottaient en dehors de la barque ; une lame d’eau qui vint les mouiller l’éveilla de sa rêverie. Cependant les marins chantaient moins haut et le patron se plaignait de la voile mal dirigée au vent. La mer devenait houleuse ; les vagues moutonnaient de plus en plus, et le cormoran rasait leurs cimes en criant. Des nuages cuivrés montaient du côté du Vésuve, dans le lointain ; bientôt tout prit le caractère d’un gros temps. Le patron annonça qu’un grain approchait ; mais il rassura madame Beaumont qui déjà pâlissait sur son banc. On était encore à deux lieues de la villa, car on avait été obligé de gagner beaucoup au large à cause des roches nombreuses qui peuplent la côte dans ce parage. Le vent devint si contraire et si brutal qu’il fallut plier la voile. Alors les rameurs se mirent à l’œuvre ; il y en avait un plus taciturne que les autres, qui manœuvrait avec une étonnante vigueur : c’était un jeune homme qu’on avait pris pour aide à Terracine. Jusqu’à ce moment il s’était tenu à l’écart, la tête à moitié enfoncée dans son bonnet de laine rouge. Le patron tournait la pointe du petit bâtiment du côté de la haute mer, et le rivage ne coupait déjà plus l’horizon de sa ligne dentelée. C’était un ouragan ; bientôt ce fut une tempête. La grande barque montait et descendait au gré des lames furieuses ; malheureusement la nuit vint, et le patron lui-même perdait par degrés de son assurance. Un coup de vent cassa le mât et l’emporta avec les cordages comme une comète échevelée ; les rames étaient impuissantes ; les marins allaient et venaient dans ce travail de tempête. On avait fait descendre madame de Vély et ses compagnes dans la petite chambre qui était sous le gouvernail. Ces dames priaient Dieu de toute leur âme et songeaient à la mort. Madame de Vély embrassait Adda avec une douloureuse expression de désespoir ; ses mouvemens étaient désordonnés… Eh ! c’est que cette mère avait là son enfant. On entendit des cris sur le pont. Le bâtiment avait heurté un récif ; heureusement une vague immense l’avait repoussé. Mais le vieux pilote perdait la tête et se recommandait à Notre-Dame de Mont-Carmel.

Ce fut en ce moment qu’un des rameurs, le jeune homme taciturne, s’élança au timon du gouvernail et dit au patron : « Va-t’en ! va-t’en ! » Nul n’eût résisté à cette voix. Elle avait vibré comme celle de César ou de Bonaparte. Le pilote céda la barre en s’inclinant et sans demander au rameur s’il connaissait le passage. Le jeune homme posa sa main nerveuse sur le timon et il le tint roide comme si son bras eût été de fer. Un épouvantable coup de vent arracha un grand cri aux mariniers. « Taisez-vous, femmes ! » leur jeta la voix du terrible pilote. Madame de Vély, entendant cette clameur, crut que tout était fini. Elle s’élança sur le pont, tenant sa fille avec violence. Les marins étaient tous couchés sur le ventre ; madame Beaumont, évanouie à moitié, attendait la mort dans la chambre basse. Le jeune pilote et madame de Vély étaient seuls debout. « Que faites vous, madame ? lui dit le maître, ne restez pas ici ; vous tomberiez. »

Comme elle s’obstinait à ne pas quitter le pont, comme elle chancelait et risquait d’être emportée, le jeune homme lui tendit le bras, et elle se réfugia contre sa poitrine. Lui, la tenait embrassée ; elle, serrait sa fille sur son sein ; lui, les pressait toutes deux avec transport… et, cependant, sa main droite gouvernait le bâtiment, comme l’eût fait le premier pilote de la marine royale d’Angleterre. Son bonnet phrygien avait été emporté ; sa chevelure noire flottait et se mêlait aux cheveux blonds et soyeux de Valérie. « Oh ! n’ayez pas peur, lui disait-il, je suis là. »

On voyait, aux lueurs de l’orage, son œil flamboyer, et toutes les veines de son front se gonfler et se mouvoir. Il était beau, ce jeune homme, alors qu’il disait à Dieu : « Prends vingt ans de ma vie, Seigneur, prends-la toute, et fais que je sauve cette barque !…

— Ah ! s’écriait Valérie, sauvez ma fille !

— Et vous aussi, madame, je vous sauverai.

— Voyez… s’il n’y a plus d’espoir, jetez vous à la nage avec cet enfant…

— Et avec vous aussi, madame ! » répondait-il en la serrant

Dans son désordre madame de Vély se tenait étroitement liée au corps de ce jeune homme. Elle l’appelait sauveur, sauveur de sa fille. Lui, respirait son souffle et pleurait d’extase. La tête de Valérie retomba avec abandon sur la poitrine du pilote. Un coup de vent survint, et lui, remercia le vent qui lui jetait sur la bouche la chevelure la plus douce et la plus embaumée. Une fois il pressa de ses lèvres la tête adorée… Madame de Vély se releva et s’écria : « Qui êtes-vous ?… » Un éclair lui montra le visage du jeune Grec de Terracine. « Ô mon Dieu ! dit-elle ! c’est vous ! » comme si elle le connaissait depuis longues années. « Moi, oui, moi ! » répondit le Grec. Madame de Vély voulut s’éloigner. « Et où iriez-vous ? reprit-il. Grâce à la tempête, votre seul asile est là, contre ma poitrine. » En même temps la veste brodée d’or parut sous la veste du matelot. Valérie resta dans les bras du sauveur de son enfant.

Le vent se calma. Le pilote put gouverner à son gré. Madame de Vély lui demanda : « Est-ce que vous gagnez la haute mer ?

— Oui, dit le jeune homme.

— Grand Dieu ! et où aller ?…

— Ah ! souveraine, s’écria-t-il, Dieu m’est témoin que je veux vous emporter si loin que jamais vous ne serez à d’autre qu’à moi.

— Grâce ! grâce ! lui dit Valérie. Gagnons la côte d’Italie. »

Alors le Grec : « Ô mon âme, es-tu donc si vertueuse que tu n’enlèves pas cette femme !…

— Non, non ! répétait Valérie. Italie ! Je veux que vous me rameniez en Italie.

— À ce prix-là m’aimerez-vous, madame ? »

Valérie ne répondit pas.

« M’aimerez-vous, ange de ma vie ? »

La belle veuve le regarda. Et à une troisième question, elle répondit : « Un jour… peut-être… si vous sauvez ma fille. »

Le Grec tourna la proue vers la terre d’Italie.


— fin. —