Calmann-Lévy (p. 103-109).

XXVI


C’était un des fameux dîners unicolores, mis à la mode par madame de Nébriant. Il y avait eu le dîner bleu, pour les poètes ; le dîner vert, pour les peintres ; le dîner mauve, pour les musiciens. Le dîner auquel j’étais conviée, et qui devait remplacer la fête des fiançailles, était rose en mon honneur.

Mon deuil, et plus encore mon désir nettement exprimé, avaient obligé la baronne à restreindre le nombre de ses convives : douze couverts seulement dans la salle à manger que nous admirions du salon, par la grande baie vitrée à petits carreaux Louis XVI, en attendant le Ministre, M. Rébussat. Décorée, cette salle, et meublée à la mode anglaise, avec une profusion de boiseries blanches, de glaces, de grès flammés et verreries au ton d’onyx. La nappe ouvrée de point de Venise était posée sur une nappe de soie rose, comme la cire des bougies, la mousseline des petits abat-jour, les gros nœuds de moire dressés parmi les orchidées du surtout. La lumière électrique, aux quatre angles du plafond, se tamisait suavement à travers le crêpe de grands pavots pâles. Et ces roses impondérables, mats et chatoyants, des soies, des fleurs, de l’atmosphère même, colorée par le jeu des clartés, cette symphonie qui allait du pourpre tendre au rose à peine nuancé des chairs de blonde, n’offusquait le regard par aucune note discordante. Madame de Nébriant avait su éviter le danger du mauvais goût qui menace ces fantaisies. Vêtue d’une simarre de velours blanc, elle recevait les félicitations avec un plaisir visible.

— Direz-vous encore que vous êtes indifférente au luxe, Hellé ? demanda Maurice, un peu ironiquement. Avouez que cette fête des yeux vous a séduite. Où sont les meubles de sapin et les murs blanchis à la chaux que vous célébriez sur un mode lyrique, l’autre jour ?

— J’admire le luxe quand il devient un art, mais je puis m’en passer. Les roses de quatre sous valent les orchidées de cinq francs. Je vous assure que la vieille bibliothèque de la Châtaigneraie, avec ses hautes fenêtres, ses meubles lourds et luisants, était tout aussi belle à voir que l’appartement de votre cousine.

Madame de Nébriant, traînant les flots de velours, se hâtait vers M. Rébussat : je vis un petit homme à figure de méridional, brune, maigre, spirituelle. Il serra la main de Maurice en lui adressant quelques mots flatteurs sur le succès de son drame et la grâce de sa fiancée. Le vieux sénateur Legrain accapara le ministre. Le directeur d’un grand journal politique les rejoignit. Je dus me mêler au groupe des femmes ; la jaune madame Legrain, en satin noir ; la comtesse de Jonchères, rousse aux épaules célèbres, émergeant d’une robe Empire en satin blanc ; madame Salmson, une Danoise, frêle comme Ophélia, belle de son teint de neige et de ses yeux pâles où Maurice disait entrevoir l’infini d’un ciel polaire ; mademoiselle Frémant, une femme de lettres, très laide, très intelligente, pétrie de fiel et de vinaigre, recherchée et redoutée de tous. Deux clubmen admirablement coiffés, chemisés, habillés, chaussés, discutaient avec elle des problèmes de sentiment.

Je n’étais pas sympathique à ces dames, sauf à mademoiselle Frémant, que j’intéressais. On me trouvait trop orgueilleuse dans mon silence, trop hardie dans les opinions que j’exprimais, pas assez jeune fille, insoucieuse de plaire. Il y avait dans cette malveillance très dissimulée un peu de rancune jalouse, car toutes les amies de la baronne avaient nourri l’espoir de charmer Clairmont et de le fixer. Madame Legrain lui destinait sa fille ; madame de Jonchères se destinait à lui ; madame Salmson était prête à devenir sa muse mystique. Seule, mademoiselle Frémant échappait à la séduction. Elle détestait Maurice comme elle détestait tous les hommes et le criblait de flèches fines, qu’il recevait sans oser se fâcher.


M. RÉBUSSAT.
À table, je me trouvai entre Maurice et l’un des clubmen, en face de la baronne, que le ministre et le sénateur encadraient. Maurice, attentif aux moindres paroles de Rébussat, ne me parlait guère, et ma réserve obstinée glaça bientôt l’insipide bavardage de mon voisin de droite. Ce très joli garçon aux cheveux séparés par une raie sur la nuque et collés en plaques luisantes exhibait un plastron à petits plis, un gilet de coupe inédite. Tant de séductions lui conciliaient ordinairement les suffrages des femmes, qui le sentaient pareil à elles par les sentiments et les goûts. Surpris de mon indifférence, que l’amour et la modestie pouvaient expliquer, il se consacra à l’opulente comtesse de Jonchères, dont la gorge, servie comme un dessert, alléchait son regard à quelques centimètres. Délivrée de lui, je pus regarder, écouter à loisir.

M. Rébussat m’intéressait ; Antoine m’avait parlé de lui, naguère, comme d’un souple intrigant, habile à conquérir les hommes en entrant dans leurs intérêts, les femmes en flattant leur vanité de mondaines. Il refusait rarement une invitation chez madame de Nébriant et ses pareilles, spéculant sur les corvées qu’il s’imposait et se faisant une réputation d’homme aimable, délicat, disert, digne de présider une république athénienne. Ses bonnes fortunes étaient célèbres ; bien qu’il ne les avouât jamais, il ne faisait rien non plus pour les démentir. Madame de Nébriant l’adorait, et ce culte prenait les apparences d’un prosélytisme politique. Rébussat avait éprouvé la puissance des salons, ayant fait sa carrière chez les belles madames aux bas d’azur. D’ailleurs intelligent, sceptique, capable d’opérer, avec un brio de gymnaste, les lâchages et les revirements qui l’avaient rendu odieux à Genesvrier.

Si l’homme ne pouvait m’être sympathique, je reconnaissais en lui d’agréables qualités de causeur, une faconde méridionale que vingt ans de Paris avaient disciplinée. Qu’il parlât politique ou littérature, Rébussat savait être clair et amusant, et c’était un vrai plaisir de l’entendre causer avec Maurice. Extasiée, madame de Nébriant avait presque imposé silence à ses convives, auditeurs respectueux.

Quand nous fûmes rentrés au salon, la baronne vint à moi, triomphante :

— Eh bien, ma chère, qu’en dites-vous ? Le ministre est-il assez charmant ?… Et bienveillant ! Vous savez qu’il a promis à Maurice de le décorer, mais chut ! c’est encore un secret… Monsieur Rébussat est tout-puissant à la Comédie. Il fera avoir à Maurice un tour de faveur.

— À moins que d’ici là le ministère ne soit renversé.

— Oh ! ce serait épouvantable ! dit la baronne consternée. Mais monsieur Rébussat gardera son influence, quoi qu’il arrive. Si Maurice est un peu habile, il pourra s’en faire un ami.

Je jugeai inutile d’expliquer à madame de Nébriant pourquoi je ne tenais guère à l’amitié de M. Rébussat. Les femmes jasaient et médisaient entre elles. Par la porte du fumoir, des rires, des éclats de voix venaient jusqu’à nous.

Mademoiselle Frémant se rapprocha de moi. Je m’étais assise sur un petit divan de satin jaune qu’abritaient de hauts palmiers. La « vieille fille de lettres », comme l’appelait Maurice, prit place à mon côté.

— Vous êtes mélancolique, mademoiselle. Je crois que monsieur Clairmont vous délaisse un peu ce soir. Il faut l’excuser : monsieur Rébussat est pour vous un noble rival.

Je prétextai une légère migraine, sentant bien que je n’étais pas au diapason de mes voisins. Mademoiselle Frémant me conseilla l’antipyrine comme un sûr remède à mon mal, puis elle s’acharna sur Maurice, discrètement.

— Vous avez accepté une belle, mais difficile tâche, et je vous en loue, mademoiselle. Domestiquer un papillon ! Il faut avoir des doigts prudents et délicats pour accomplir ce miracle. Enfin, vous avez bien des atouts dans votre jeu : la beauté, l’esprit, la fortune. Il ne fallait rien moins que cela pour fixer ce charmant étourdi de Clairmont… Tout Paris va défiler chez vous. Il a l’invitation facile, notre poète, et l’admiration aussi. Voyez, il boit les paroles du ministre. J’aime cette candeur chez les hommes de talent. Ils magnifient tout ce qui les entoure. « Effet de mirage », comme disait feu Tartarin, Monsieur Clairmont voit un Mécène en Rébussat, comme il a vu des brigands héroïques dans une vingtaine de Macédoniens vermineux et pelés qui ont fait mine de l’arrêter sur une route et ont baisé ses bottes pour quelques pièces d’or.

Je savais bien que l’aventure de Maurice, en Macédoine, se réduisait à un incident de voyage plutôt comique et digne de réjouir About. Mais je n’aimais pas les railleries de mademoiselle Frémant, sa manière de plaisanter rendant la riposte plus délicate.

J’allais changer de place quand je vis Maurice et Rébussat s’approcher. Le visage coloré, l’œil brillant, le ministre semblait charmé par l’admiration attendrie des femmes. Maurice même était repoussé au second plan, malgré sa supériorité d’artiste, nu plutôt il s’y reculait volontairement, par une manœuvre calculée… L’espoir d’être joué sur le premier théâtre de Paris le rendait presque obséquieux devant Rébussat.

Cette attitude, méchamment observée par mademoiselle Frémant, m’irrita. Mais le ministre s’avançait vers moi, et le divan que j’occupais devenait le point de mire de tous les regards.

M. Rébussat, ayant appris que j’étais la nièce de Sylvain de Riveyrac, m’interrogea gracieusement sur mon oncle, un homme de goût, disait-il, digne d’élever la compagne d’un grand poète. Je répondais avec une réserve polie, admirant l’art que mettait cet homme à me conquérir en me parlant chaleureusement de celui que j’avais tant aimé et qu’il ne connaissait point. Je m’expliquais ses triomphes, sa rapide fortune.

Maurice était ravi. Il voulut me faire briller et raconta comment j’avais collaboré à son drame en lui inspirant l’idéale figure de Mélissa. La conversation dévia peu à peu sur la vie littéraire, les livres nouveaux. Rébussat donnait son avis, et chacun répondait, contant une anecdote, cherchant un mot flatteur ou mordant, sans heurter l’opinion du ministre, écouté comme un oracle.

On cita des noms qui évoquaient pour tous les auditeurs des physionomies familières et des gloires parisiennes que j’ignorais. Puis on parla des excentriques de la littérature, — les néo-mystiques, les sataniques, les anarchistes, les fous, — et soudain j’entendis prononcer le nom d’Antoine Genesvrier.

C’était Marie Frémant qui parlait. Connaissait-elle la rancune que le ministre gardait à l’écrivain et se préparait-elle un malin plaisir en faisant enrager le grand homme de madame de Nébriant et madame de Nébriant elle-même ? Sa petite tête, qui affectait la forme triangulaire d’une tête de reptile, sous des bandeaux plats d’institutrice, exprimait une admirable candeur.

— Qui a lu le Pauvre, d’Antoine Genesvrier ? Le Pauvre une œuvre d’amour et de colère, le plus beau livre de l’année.

Madame de Nébriant déclara qu’elle avait vaguement entendu parler de ce livre, mais qu’elle n’aimait pas les romans à thèse.

— Vous, une fervente d’Ibsen ?

— Ce n’est pas la même chose ! fit la baronne avec embarras.

— Ibsen est un philosophe, un génie nébuleux et puissant, dit Rébussat, dont le teint mat s’était soudain coloré. Genesvrier, qui se croit un penseur et un écrivain, est tout simplement un de ces individus qui se jettent comme des bouledogues aux trousses des gens qui ont du talent, de la fortune ou de la chance.

— Vraiment ? s’écria mademoiselle Frémant, toujours candide. Vous m’affligez. Ce Genesvrier m’avait plu… Mais chère baronne, ne m’avez-vous pas, autrefois, conté son histoire ? Il appartenait à une honnête famille, et il avait quelques liens de parenté avec cette aimable vieille, madame Marboy, qui devait venir ce soir ?

— Des liens très vagues… Oh ! c’est un simple fou. Madame Marboy ne le voit guère… Elle est souffrante, cette pauvre femme, et ne peut quitter la chambre. J’espère que nous la reverrons bientôt.

Madame de Nébriant essayait de détourner la conversation, craignant une apologie malencontreuse. Je regardai Maurice. Ses yeux, obstinément, fuyaient mes yeux. Il se taisait.

Mais mademoiselle Frémant tétait tenace.

— Un fou, Genesvrier ?

— Et un fou dangereux ! reprit le ministre. Un de ces hommes qui se salissent eux-mêmes, avec la boue qu’ils ramassent… Oh ! Genesvrier n’est point sans talent. Il a l’instinct du style, le goût de l’épithète violente, une certaine grandiloquence qui peut faire illusion. Il compte quelques partisans parmi la jeunesse — cette étrange jeunesse d’aujourd’hui, si peu française, qui ne sait plus rire et s’abîme dans les théories absconses, enivrée de déclamations… Oui, Antoine Genesvrier a l’étoffe d’un bon pamphlétaire, bien qu’il imite un peu trop Jacques Laurent… Après tout, ses fureurs sont affaire de métier, et je ne lui reprocherais point de gagner consciencieusement l’argent que Laurent et les amis de Laurent prodiguent, si je ne suspectais sa bonne foi.

Je me sentis pâlir. Encore une fois je regardai Maurice. Il se taisait.

— Comment ! s’écria mademoiselle Frémant, ce défenseur des opprimés, cet apôtre, ne serait point un honnête homme ?

— Heu !… dit Rébussat avec un fin sourire, il n’a ni tué ni volé…

— Mais il y a des gens tarés qui n’ont pas de casier judiciaire.



MAURICE TOURNA LA TÊTE…

— C’est ce que je voulais dire.

Je murmurai malgré moi :

— Et que reproche-t-on à monsieur Genesvrier ?

Maurice tourna la tête et me regarda fixement avec des yeux qui m’imposaient le silence.

— Ce qu’on lui reproche, mademoiselle ? Oh ! mon Dieu ! pas grand’chose… Cela dépend des manières de voir… Beaucoup de gens ne feraient pas un crime à Genesvrier d’être un roublard, d’insulter ceux qui ne pensent pas comme lui ou comme son patron, d’affecter l’austérité d’un Robespierre et l’humanité d’un Saint-Just, et de préparer, par la plus patiente comédie, sa candidature aux prochaines élections.

— Mais ce n’est pas un politicien, c’est un écrivain, un philosophe…

— Dites plutôt un de ces ratés, jaloux, aigris, qui flagornent les ignorants et leur soufflent l’envie, la haine, toutes les mauvaises passions dont ils sont animés ! Genesvrier a mangé une belle fortune, très vite, et l’on ne sait trop comment. C’est un déclassé, et, j’ose le dire avec certitude, c’est un effroyable ambitieux.

Il y eut un silence. Maurice était pâle, et ses yeux, maintenant, me suppliaient. Mais l’âcreté du fiel me monta du cœur aux lèvres. Une force invincible me souleva.

— Je ne suis pas de votre avis, monsieur ! dis-je d’une voix claire, un peu tremblante et qui sonna haut dans le grand salon. Je connais monsieur Genesvrier, et je le tiens pour un très honnête homme.

Rébussat, étonné d’abord, sourit avec un charmant dédain :

— Vous êtes bien jeune, mademoiselle, et il est facile d’abuser une personne de votre âge, inexpérimentée, vibrante aux grands mots généreux.

— Mon oncle avait l’expérience des hommes. Il était vénéré par tous ceux qui l’approchaient, et il nommait Genesvrier son ami. C’est pourquoi, monsieur, je me fais un devoir de le défendre. Antoine Genesvrier est pauvre, parce que sa fortune a sauvé beaucoup de malheureux. Il n’a d’autre ambition que de faire œuvre utile. Il n’a souci que de la vérité.

Autour de moi je sentais s’étendre et s’appesantir le lourd silence hostile, l’inquiétude irritée de Maurice, la colère de madame de Nébriant. Rébussat, plissant ses lèvres minces, souriait d’un sourire aigu.

— Je vous félicite, mademoiselle, d’être fidèle à vos amitiés, si étranges qu’elles soient. Je respecte le sentiment… naïf qui vous anime. Mais ce cher Clairmont ne parait pas convaincu…

— Mademoiselle de Riveyrac exagère, balbutia Maurice… Monsieur Antoine Genesvrier amusait monsieur de Riveyrac par sa manie de philanthropie, mais ils se fréquentaient peu.

— il était son ami… comme il fut le vôtre, m’écriai-je, révoltée par cette veulerie qui me faisait presque haïr Clairmont. Ayez le courage de l’avouer, mon cher. Vous connaissez Genesvrier, vous lui serrez la main et vous savez, comme moi, que c’est un honnête homme. Pour moi, je me trouverais bien lâche de ne point dire ce que je pense.

— Assurément les opinions sont libres, dit froidement Rébussat. Vous avez tort de taire la vôtre, mon cher Clairmont… Mais laissons Genesvrier, ses vices et ses vertus, et prions madame Salmson de nous chanter ses délicieuses mélodies danoises. La musique « apaise, enchante et délie », comme dit notre Sully-Prudhomme… Chère madame…

Madame Salmson retirait ses longs gants. Elle se dirigea vers le piano ; les groupes se rompirent et se reformèrent. Je me trouvai seule près de mademoiselle Frémant.

— Ma chère enfant, me dit-elle à mi-voix, savez-vous ce que c’est qu’une gaffe ?

— Une maladresse involontaire… juste le contraire de ce que j’ai fait.

— Vous êtes brave. C’est très bien, mais savez-vous que votre bravoure peut coûter cher à monsieur Clairmont ? Rébussat a la rancune tenace. Il vous réunira dans son ressentiment, et la croix de notre cher poète est bien compromise.

— Un bout de ruban serait trop payé par une lâcheté. Je n’ai pu me taire. Mon cœur éclatait… Je vous supplie, mademoiselle, de réserver votre jugement sur Antoine Genesvrier…

L’émotion m’étouffa.

— Comme vous êtes pâle ! dit mademoiselle Frémant. Ah ! folle et généreuse enfant, que votre belle colère me fait plaisir ! Vous m’aviez plu, déjà. Depuis une heure, je vous aime… Mais, avec ce caractère, que faites-vous ici ? Vous n’êtes pas du monde. Nul ne vous y comprendra, tous vous jalouseront, et votre mari lui-même, — qui a des ambitions mal cachées ! — invoquera ses intérêts contre vos sentiments. Ah ! mademoiselle Hellé, qui ne savez ni vous taire prudemment ni mentir à votre pensée, vous êtes bonne à épouser Don Quichotte. Hâtez-vous d’arranger les choses. Il faut que Rébussat puisse pardonner à madame Clairmont les hardiesses de mademoiselle de Riveyrac… Notre pauvre poète ! a-t-il l’air ennuyé ?

La voix cristalline de madame Salmson se brisait en notes brillantes. Discrètement, je me levai, j’avertis la baronne que j’étais fort lasse et que j’allais me retirer.

Je me glissai, inaperçue, dans le petit salon, où une femme de chambre jeta sur mes épaules ma sortie de bal. Un valet était allé me chercher une voiture. Soudain Clairmont parut.

— Vous partez, Hellé, sans me dire adieu ?

— Oui.

— Pourtant, fit-il, j’ai quelques explications à vous demander.

— Je vous les donnerai demain.

— Êtes-vous folle ? reprit-il, les dents serrées, l’œil méchant ; vous m’avez fait un tort irréparable, et vous vous êtes compromise, ridiculement… pour… pour un…

— Maurice, je vous attendrai demain et je vous dirai ce que je pense de votre attitude. Ma voiture est là. Je vous quitte. Ne vous donnez pas la peine de m’accompagner : monsieur le Ministre vous attend.