Guerre aux hommes/04/05

É. Dentu, Éditeur (p. 148-154).

changé de couleur, que toujours sa bonne foi a été parfaite.

Du reste, cette peau de caméléon a servi à M. de la Risière, elle lui a rempli sa bourse, et orné sa boutonnière ; joli succès, qu’on ne peut appeler un succès d’estime.


V

LES ADORATEURS ÉCONDUITS


Les adorateurs éconduits…

Voilà la catégorie d’hommes la plus dangereuse pour les femmes, celle qui leur fait le plus de mal.

Les adorateurs éconduits ternissent plus de réputations que les adorateurs heureux.

Les femmes ne savent pas assez tout le mal que leur font, que peuvent leur faire ces parasites de leur foyer !…

Ils sont reçus dans une maison, la jeune femme, aimable, enjouée par caractère, les accueille bien, elle ne soupçonne même pas qu’ils aient une arrière-pensée.

Ils sont invités aux dîners, aux soirées ; d’abord ils sont très-aimables, ils hasardent quelques timides flatteries, ils sont prévenants, empressés… La dame, habituée à cette monnaie courante du monde, eau bénite de cour, trouve la chose naturelle, et n’y attache aucune importance.

Comme elle a l’habitude de sourire gracieusement, comme ses yeux sont naturellement doux, elle se sert pour eux des mêmes sourires, des mêmes regards. Eux, une certaine dose de fatuité aidant, se figurent que ce sourire est gracieux pour eux seuls, que ce regard n’est doux que poux eux. Alors, ils hasardent quelques phrases tendres.

La jeune femme n’y fait pas grande attention : elle croit avoir malentendu ou mal compris.

Ceux-ci prennent ce silence pour une approbation ; ils parlent de leur amour, ils font une déclaration.

La jeune femme comprend alors, et elle leur répond avec ce ton froid et sec de la dignité, de la vertu blessée.

Les jeunes gens ont ordinairement le mauvais goût de persister, alors la femme les met à la porte.

Ceux-ci, furieux, disent par dépit, bien haut, que c’est une coquette, une femme sans cœur, qu’elle se fait un jeu d’allumer l’amour au cœur des hommes qui l’entourent pour se moquer d’eux après. Le violent dépit, né de l’amour-propre froissé, fait de ces hommes autant d’ennemis acharnés de cette pauvre femme, qui n’en peut mais… Ils la déchirent partout à belles dents, l’appelant coquette et légère. Ils épient ses démarches, ses regards dans le monde. Malheur à elle si jamais elle faillit, et si son secret tombe entre leurs mains ! Comme ils se vengeront !

Il est des adorateurs éconduits, qui moins honnêtes encore… se vantent pour dissimuler leur défaite. Ils diront d’un petit air dédaigneux : « Je suis mal avec elle à présent… Que voulez-vous, elle est d’une jalousie féroce, d’une exigence sans pareille. Et ma foi j’en avais assez… »

Oui, les adorateurs éconduits deviennent les pires ennemis qu’une femme puisse avoir.

Les femmes doivent bien se tenir sur leur garde et se dire que tous ces petits messieurs qui sont là, aimables, attentifs, empressés auprès d’elles, qu’elles traitent sans conséquence, et reçoivent chez elles, sont autant d’ennemis toujours prêts à les déchirer.