Guerre aux hommes/04/02

É. Dentu, Éditeur (p. 120-134).


II

L’HOMME PAPILLON

m. de léonville


Le papillon est un gracieux lépidoptère aux brillantes couleurs.

Il est beau, mais qu’il est volage !

Grand amateur de la beauté, on le voit, dans les jardins, voler de fleur en fleur.

Il voltige autour de la rose, et lui dit de sa voix la plus douce, la plus persuasive : « Ma toute belle, je t’aime tendrement, ardemment ; je t’aime pour la vie entière, je le sens… Dis, veux-tu m’aimer ? je payerai ton amour d’un siècle de constance ?

« — Oh ! répond la rose d’un petit air incrédule, la constance d’un papillon ! »

« — Mais, belle rose, il y a papillon et papillon ; peut-être quelques-uns de mes pareils ont-ils été parjures, trompeurs avec des roses, tes amies ; mais, moi, d’un papillon je n’ai que les ailes, j’ai le cœur d’un ramier… Si les autres lépidoptères sont menteurs, inconstants, dois-je en supporter, moi innocent, la peine ? Ne sois pas cruelle, rose chérie, sans cela, je te le jure, tu me verras mourir de désespoir, là, près de toi ; ton ombre aimée couvrira mon pauvre corps privé de vie… Mourir près de toi, ah ! ce sera encore du bonheur ! »

La rose écoute, émue et charmée, ce doux et passionné langage. « Comme il m’aime ! se dit la pauvre ingénue. Tous les papillons, sans doute, ne sont pas légers et perfides ! est-ce sa faute, à lui, si les autres le sont ?… »

Il voit son émotion, lit les progrès que son trompeur langage lui fait faire dans le cœur de celle qu’il veut séduire. Se rapprochant alors près, tout près d’elle, il lui murmure avec passion : « Je t’aime, mon âme, ma vie ! Je t’aime à en mourir ! Aime-moi, va, aie confiance ; tu verras comme je serai fidèle et constant !… »

La pauvre rose cède ; elle lui livre son âme entière, ses parfums les plus exquis. Il s’y abreuve avec volupté, puis s’envole ! « Où vas-tu ? » lui demande la rose étonnée ?

« Où je vais ? lui dit-il d’un air moqueur, mais séduire d’autres fleurs, tes rivales, car ne crois pas, orgueilleuse rose, être la plus belle ! Je vais m’enivrer de leur parfum un instant, puis les fuir pour voler vers d’autres !

« — Quoi ! s’écrie la rose indignée, et tu viens de me jurer constance et fidélité !

« — Serment de papillon, ma chère ; il ne fallait pas t’y laisser prendre ! »

Et, sans écouter davantage les tristes reproches de la rose, il se met à courtiser une fière tulipe, sa voisine.

Pendant ce temps, un vilain frelon se pose sur la rose ; désespérée, elle appelle à son secours son amant. Mais celui-ci ne daigne pas même se retourner à sa voix ; elle est pour lui le passé et la tulipe l’avenir !

La reconnaissance, pas plus que la constance, n’est connue du papillon !

La rose est toute tendresse, la tulipe, elle, est peu tendre, mais fière et hautaine.

« Pour la séduire, se dit le papillon, il me faut employer d’autres armes.

« Figure-toi, belle tulipe, lui dit-il, que cette rose niaise et vaine se croit la reine des fleurs !… Ah ! lui ai-je dit, madame, vous pouvez être la vice-reine, mais la reine ne saurait être une autre que la tulipe… Voyez son air fier et majestueux, ses couleurs éclatantes, et comme elle porte bien son royal manteau de pourpre ! — Mais, m’a dit la rose dépitée, elle n’a aucun parfum… — Le parfum, ce n’est rien, ma chère, la beauté est tout. »

La tulipe vaniteuse l’écoute avec plaisir.

Notre rusé papillon s’en aperçoit, et il redouble de flatteries, puis parle amour.

« Oh ! dit la tulipe, tu es trop inconstant !

« — Que tu te connais mal, ma chère ! vrai, tu te fais injure ; avec une autre fleur, on peut l’être… mais avec toi, leur reine à toutes !… Non, c’est pour la vie que je te voue mon amour. Pour moi, il n’y aura qu’une fleur dans le jardin, ma belle et rouge tulipe ! »

La tulipe croit à ces mensongères paroles, elles s’abandonne aux baisers du beau papillon, en lui disant :

« Oui, toujours nous nous aimerons ainsi, n’est-ce pas, mon bien-aimé ?

« — Oui, dit en riant le volage, prêt à prendre son essor. Toujours, c’est-à-dire une minute ! Pour la fleur, la minute vaut des années, ma chére… »

Et il s’envole.

La tulipe furieuse le rappelle, l’accable de reproches :

« Quoi ! lui dit-elle, c’est avec moi, moi la reine des fleurs, que tu oses te conduire ainsi ?

« — Toi la reine des fleurs ! allons donc ! lui dit le papillon d’un air dédaigneux, pas même la vice-reine, prends-en ton parti, ma chère. Une fleur sans parfum… Le parfum est plus que la beauté ! »

Il vole vers la timide violette, cachée modestement dans le gazon ; la douce odeur qu’elle exhale la lui fait découvrir, il se pose près d’elle et lui dit : « Violette, ma douce mie, que je t’aime ! Vois-tu, chère mignonne, les autres fleurs sont belles, mais elles ne sont que belles… Toi, tu es belle, tu es bonne, tu es modeste, ton parfum est enivrant ; à toi seule tu vaux plus qu’elles toutes ! Aussi comme je t’aimerais si tu le voulais !

« Comme nous serions heureux, là, cachés dans ce grand gazon, loin des regards indiscrets ! Notre amour, ignoré de tous, n’en serait que plus grand.

« — Oh ! répond la violette, tu es trop brillant pour moi ; tes belles paroles ressemblent aux couleurs qui ornent tes ailes ; mais on m’a conté que tu étais trompeur, volage ; moi je rêve un amour sans fin.

« — Mais, Violette, ma mie, peux-tu ne pas croire à la franchise de mes paroles ? Moi, volage, allons donc ! on t’a trompée ; des jaloux, des envieux, qui n’en a pas ?

« Du reste, avec toi, l’inconstance serait-elle possible ? Où trouver plus de grâce, de modestie, un parfum plus suave ? Attiré par lui, j’ai traversé tout le jardin sans jeter même un regard sur les autres fleurs. Ce qu’il faut à mon cœur, c’est un cœur tendre, fidèle, comme le tien, un cœur qui m’aime pour la vie. »

Enfin, il fait mille et mille serments d’amour, de constance… La pauvre violette y croit, elle l’aime, et lorsqu’il s’envole loin d’elle pour aller conter fleurette à une blanche marguerite, elle, elle se penche tristement sur sa tige, n’a pas un reproche pour lui, mais muette dans sa douleur, elle se dit :

« Être trompée !… c’est affreux ! Aimer et n’être plus aimée, c’est pire que la mort ! »

Pauvre violette ! Heureusement pour elle qu’elle est morte bien vite de sa douleur.

Le beau papillon voltige de fleur en fleur. De celle qui lui résiste, il va médire avec sa voisine : « Elle veut que je l’aime, lui dit-il, elle me fait mille avances. Mais, pour moi, elle n’est point assez jolie. »

Lorsqu’il repasse près des fleurs ses victimes, et qu’il les voit tristement penchées sur leur tige, il dit en les toisant d’un air railleur :

« Quoi ! déjà fanées ! »

Et bien vite il va se mirer dans le bassin aux eaux limpides : « Et moi toujours beau ! dit-il d’un air triomphant ; volons à d’autres conquêtes ! » Mais il n’a pas achevé, qu’une main le saisit par les ailes, les lui froissant et brisant à moitié : c’est la main d’une gaie et rieuse jeune fille, qui n’a pas même un regard de pitié pour lui.

Il va tomber mourant tout près de la tulipe, qui, sans compassion pour son triste état, le raille sans pitié : « Ah ! beau papillon ! lui dit-elle, on t’a enfin coupé les ailes ! »

Ainsi finit, le plus souvent, le brillant papillon.

De M. de Léonville c’est le portrait fidèle. Vous raconter sa vie serait inutile, c’est exactement celle de ce volage lépidoptère. La tendre madame X… est la rose, la fière comtesse D… la tulipe… la timide madame L… la violette.