Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/prairie s. f.

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 1p. 31-32).

PRAIRIE s. f. { prè-rî — du lat. pratum, pré). Agric. Terre semée naturellement ou artificiellement en plantes fourragères ou propres à la nourriture des bestiaux : On sait les dégâts que les taupes et les fourmis commettent dans les prairies. (De Perthuis.)

Par un souffle des vents la prairie est fanée.
                 Lamartine.

L’aigle, reine des airs, avec Margot la pie
        Traversaient un bout de prairie.
                 La Fontaine.

L’églantier parfumé, l’aubépine fleurie
D’une fraîche bordure entourent la prairie.
                 Béranger.

       Ta jeunesse sera flétrie
       Avant l’herbe de la prairie.
       Avant le pampre des coteaux.
                 Millevoye.

Le fleuve, emprisonné dans des rocs tortueux,
Lutte, s’échappe et va, par des pentes fleuries,
S’étendre mollement sur l’herbe des prairies.
                 A. Chénier

       Nous n’irons plus dans les prairies
       Égarer, d’un pas incertain,
       Nos poétiques rêveries.
                Lamartine.

............ Qu’importe au fils de la montagne
Pour quel despote obscur, envoyé d’Allemagne,
L’homme de la prairie écorche le sillon ?
                A. de Musset.

       Avec les fleurs dont la prairie
       À chaque instant va s’embellir,
       Mon âme, trop longtemps flétrie,
       Va de nouveau s’épanouir.
                Gresset.

|| Nom donné aux steppes de l’Amérique du Nord. || Prairies naturelles, Celles dont les herbes n’ont pas été semées : Dans les anciennes cultures, les prairies naturelles avaient un très-haut degré d’importance. (Matthieu de Dombasle.) || Prairies artificielles, Celles dont les herbes ont été semées sur un champ cultivé : L’introduction des prairies artificielles a peut-être triplé, depuis cinquante ans, la production agricole de la France. (Toussenel.)

— Fig. Ce qui est riche et varié : Il y a beaucoup de landes dans mes lettres avant que de trouver la prairie. (Mme de Sév.)

— Poétiq. Émail des prairies, Couleurs vives des fleurs qui embellissent les prairies :

De l’émail élégant des champs et des prairies
      L’aiguille de Minerve orna ses broderies.
                                 Castel.

— Encycl. Sous le terme générique de prairie, remplacé quelquefois par les mots herbage, pacage, pâturage, pâture, pré, etc., on range toutes les terres qui produisent des plantes destinées à servir d’aliment au bétail, soit qu’on les lui fasse consommer sur place, soit qu’on les fauche à certaines époques pour les convertir en foin. La nature et la composition des prairies sont donc susceptibles de varier à l’infini, suivant le climat, le sol et les circonstances économiques de la localité. On est conduit ainsi à établir certaines divisions parmi les terres de ce genre. On appelle herbage ou pâturage celles dont le produit est consommé sur place, et on réserve le nom de prairie ou celui de pré pour celles dont l’herbe est fauchée.

On distinguera ensuite les prairies en naturelles et artificielles. Les premières sont des terres assez fertiles pour s’engazonner naturellement de plantes très-nombreuses et très-diverses, qui ne sont généralement récoltées qu’après avoir répandu leurs graines. Il en résulte que leur durée est à peu près illimitée, si on ne les rompt pas pour les convertir en terres arables. Les prairies artificielles, au contraire, toujours établies par la main de l’homme, ne renferment jamais qu’un très-petit nombre d’espèces de plantes, souvent une seule, au plus deux ou trois ; leur durée est bornée à un petit nombre d’années, quelquefois même à une, et les terres qu’elles occupent rentrent à leur tour dans l’assolement ou la rotation. On doit dire, toutefois, que, par suite des progrès de la culture, les caractères distinctifs de ces deux sortes de prairies tendent, sinon à se confondre, du moins à se rapprocher de plus en plus.

Prairies naturelles. Les prairies naturelles exigent moins de main-d’œuvre et un capital d’exploitation moins élevé que les prairies artificielles ; par contre, elles ne donnent pas une aussi grande production fourragère ; néanmoins, cette production serait susceptible de s’augmenter si, prenant moins à la lettre cette expression de prairies naturelles, on ne les laissait pas, dans beaucoup dé localités, abandonnées à peu près exclusivement aux soins de la nature. Il s’établit ainsi quelquefois une sorte d’assolement dans lequel le cultivateur n’est pour rien. Certaines plantes diminuent peu à peu et finissent par disparaître complètement, à mesure que le sol s’ëpuise des matières minérales qui leur sont nécessaires ; puis elles reparaissent quand ces substances se sont reformées.

Les prairies naturelles conviennent : pour les domaines qui n’ont pas un capital d’exploitation suffisant ; dans les climats chauds et secs, où les fourrages artificiels ne peuvent pas toujours bien réussir ; sur les terres placées en pente rapide, ou exposées aux inondations périodiques, ou trop basses pour pouvoir être bien égouttées ; enfin, sur certains sols qui, par leur composition, leur fraîcheur ou la facilité de les irriguer, sont éminemment propres à ce genre de culture. Toutefois, avant de les établir, il faut bien étudier les conditions du sol et surtout du climat ; une chaleur modérée dans l’atmosphère et une certaine dose de fraîcheur ou d’humidité dans le sol sont indispensables pour faire espérer des produits satisfaisants.

Du reste, les conditions de sol, d’humidité et de climat varient d’une localité à l’autre et influent puissamment sur la végétation ; il s’ensuit que la flore des prairies est loin d’être partout la même et que nous trouvons ici de nouvelles distinctions à établir. Si l’on s’en tient d’abord aux considérations orographiques et botaniques, on est conduit à admettre trois classes : 1° les prairies hautes ou les pâturages sur les montagnes ; 2° les prairies moyennes ou celles des vallons élevés et des coteaux ; 3° enfin, les prairies basses ou celles des plaines et des vallées peu élevées. Les premières, par l’air vif et pur qu’on y respire, par la quantité des plantes aromatiques qui y croissent, semblent être exclusivement destinées aux chèvres et aux bètes à laine. Les secondes, moins sèches et plus abondantes que les précédentes, offrent déjà une nourriture suffisante aux races chevalines. Enfin les dernières, pourvu toutefois qu’elles ne soient pas marécageuses ou aigres, peuvent seules fournir des pâturages assez gras pour les bêtes à cornes.

Il serait trop long d’énumérer les plantes utiles ou nuisibles qui caractérisent ces sortes de prairies, — nous renverrons sur ce point aux ouvrages spéciaux. Nous nous contenterons de reproduire, d’après d’Ourches, le résumé suivant : ■ Les botanistes qui ont analysé les prairies naturelles ont reconnu : 1° que, sur quarante-deux espèces de plantes que contenaient quelques prairies moyennes, il y en avait dix-sept 4e convenables à la nourriture des animaux et que les vingt-cinq autres étaient inutiles ou nuisibles ; 2° que, dans les hauts pâturages, sur trente-huit espèces, il ne s’en trouvait que huit d’utiles ; 3» enrin, que, dans les prairies basses, il n’y en avait que quatre sur vingt-neuf. Il résulte de ces expériences, qui ont été faites avec te plus grand soin en Bretagne, que, sur le foin des prairies moyennes, il doit y avoir quatre septièmes de perte, plus des trois quarts sur celui des hauts pâturages, et six septièmes sur celui des prairies basses, si l’animal rejette tout ce qui lui est insipide ou nuisible, ou qu’il est exposé à quantité de maladies lorsque, à la suite de son travail, attaché à un râtelier, la faim le force de manger tout ce qu’on lui donne. •

Toutefois, la distinction scientifique que nous venons d’établir ne serait pas suffisante dans la pratique, où il faut tenir compte à la fois de la nature, de la quantité et de la qualité du produit. La composition et la profondeur du sol, le degré d’humidité, l’exposition, d’autres causes encore, peuvent modifier puissamment la végétation. On est donc conduit à adopter une autre division, plus spécialement agricole, et à établir quatre groupes principaux, pouvant à leur tour se subdiviser. Ce sont : l° les prairies maigres, pâtis ou pâturages secs, dont l’herbe est trop courte ou trop rare pour pouvoir être fauchée et qui, ne pouvant être que pâturées sur place, n’offrent que de bien faibles ressources pour la multiplication du bétail ; 2» les prairies sèches, dites aussi prés à une herbe, comprenant les prés-pâtures ou prés-gazons, dont l’herbe est assez élevée et assez fournie pour être fauchée et donner un bon fourrage, peu abondant ; 3° les prairies fraîches, appelées aussi pris à deux herbes ou prés à regains, basses, mais non marécageuses, situées près des cours d’eau ou susceptibles d’être soumises à des irrigations régulières et donnant ainsi un fourrage remarquable en quantité et en qualité ; 4° les prairies humides ou warécageuses, retenant toujours, mênw en été, un excès d’humidité et souvent même une eau stagnante à la surface, et donnant un foin peu abondant et médiocre.

Toute terre, d’abord cultivée, puis abandonnée à elle-même, finirait par se transformer en prairie ; mais il faudrait un temps asses long, plusieurs années, pour qu’elle fût bien garnie de plantes fourragères et donner un produit de quelque importance ; d’ailleurs, elle renfermerait ainsi de bonnes et de mauvaises herbes. Dans tout herbage naturel, en effet, on trouve des plantes utiles, c’est-à-dire qui conviennent.parfaitement à la nourriture des animaux ; d’autres inutiles, en ce que, dédaignées par le bétail OU trop courtes pour être broutées ou fauchées, ou bien enfin voraces ou étouffantes, elles occupent le sol sans profit et au détriment des bonnes herbes ; d’autres enfin, nuisibles ou malfaisantes. Le plus grand soin du cultivateur doit être de faire prédominer les premières lorsqu’il crée artificiellement une prairie naturelle.

Les végétaux qui entrent dans la composition d’une bonne prairie sont très-nombreux, mais quelques-uns ne se rencontrent qu’accidentellement ; les espèces dominantes se divisent en trois groupes, qui appartiennent aux graminées, aux légumineuses ou à d’autres familles. Voici les principales et les plus importantes de ces espèces. I. Graminées : agroslides vulgaire, traçante, d’Amérique ; avoines élevée, jaunâtre, pubescente, des prés ; brize moyenne ; brome des prés ; canche flexueuse ; chiendent ; crételle ; dactyle pelotonné ; fétuques des prés, élevée, loliacée, ovine, traçante ; flèoîe des prés ; liouve odorante ; glycéries aquatique, flottante ; houlques laineuse, molle ; ivraies vivace et d’Italie (ray-grass) ; paturins commun, des prés, des bois, maritime ; phalaride roseau ; vulpins des prés, des champs, géuiculé.-II. Légumineuses : gesses des prés, des marais ; lotiers corniculé, velu, maritime ; luzernes cultivée, lupuline, falquée ; sainfoin commun ; trèfles blanc, rouge, moyen, hybride, fraisier, maritime, élégant, des champs ; vesces cultivée, multiflore, des haies, des buissons, etc. — III. Diverses : achillée millefïui’le ; berce brancursint» ; centauréejaeée ; chicorée sauvage ; cumin des prés ; pastel ; pimprenelle ; jonc de Bothnie ; moutarde sauvage ; sanguisorbe officinale, etc.

Le choix et le mélange des graines étant faits convenablement, on procède au semis, suivi d’un hersage et d’un roulage. Il faut ensuite donner aux prairies les soins d’entretien nécessaires ; tels sont : l’irrigation, le drainage, les engrais et amendements, la des PRAt

traction et l’épandage des taupinières, l’êpierrement, etc. Il faut surtout extirper les mauvaises herbes et les remplacer par des graines de bonnes plantes, détruire les animaux nuisibles, etc. La récolte comprend : la fauchaison, la fanaison, la mise en meules du foin ou du fourrage, etc. V. les mots cités dans cet article.

Prairies artificielles. Ce nom se trouve mentionné pour la première fois vers la fin du xvio siècle, dans les écrits d’Olivier de Serres. Mais si notre illustre agronome a su apprécier tous les avantages de ce genre de culture et établir sur ce point, comme sur tant d’autres, des règles scientifiques et pratiques, en réalité l’invention des prairies ar. tifieielles paraît devoir être reportée un demisiècle plus haut et attribuée à l’Italien Camille Tarelio, dont l’ouvrage a paru en 1566. Ces dates suffisent pour montrer.combien peu est fondée la prétention des Anglais, qui accordent cet honneur à Hartlib, un de leurs compatriotes, né au commencement du xviie siècle. Mais c’est a une époque beaucoup plus récente que ces prairies ont été appelées à jouer un rôle sérieux en agriculture.

Les prairies artificielles, .comme nous l’avons vu, se composent d’un petit nombre de plantes, souvent d’une seule, destinées à être fauchées, plus rarement pâturées sur place ; mais toujours elles font partie intégrante de l’assolement et n’occupent le sol que pendant un laps de temps plus ou moins’restreint. On ne peut donc pas donner ce nom à un pré permanent que l’on formerait artificiellement en semant de la graine de foin. Les plantes employées pour former les prairies artificielles sont, pour la plupart du moins, des espèces améliorantes ou fertilisantes ; elles viennent donc parfaitement à leur place après les récoltes épuisantes et peuvent même, dans les sols peu riches ou qu’on n’a pas les moyens de bien fumer, servir de tête d’assolement. Le produit est facile à recueillir, a emmagasiner ou à faire consommer aux bestiaux.

Mais ce ne sont pas là les seuls avantages qu’elles présentent. « Comparées atiec les prairies naturelles, les prairies artificielles, disent MM. Girardin et Du Breuil, donnent, sur la même étendue de terrain, une plus grande quantité de nourriture pour les bestiaux. On obtient immédiatement un maximum de produit, que les prairies naturelles no donnent qu’après plusieurs années de création. L’excédant d’engrais, prélevé par les fourrages dans l’atmosphère et accumulé dans le sol, est utilisé au moyen de récoltes intercalaires, tandis que cette accumulation d’éléments de fertilité reste improductive sous le gazon des prairies naturelles. Four les prairies artificielles, on choisit la plante dont on veut les composer, et l’on peut ainsi employer certaines espèces précoces, qui fournissent aux bestiaux une nourriture verte avant l’époque où les prairies naturelles pourraient eu donner. »

Est-ce à dire que l’on doive abandonner complètement ces dernières ? Evidemment non ; car elles peuvent toujours être associées aux prairies artificielles et même, dans certains cas, leur être entièrement substituées, par exemple dans les climats secs et chauds, mais où l’irrigation est possible. Il ne faut pas oublier, d’uilleurs, que certaines plantes, telles que le trèfle, en revenant trop souvent a la même place, effritent le sol ou l’épuisent de ses principes minéraux ; que les prairies artificielles ne sauraient, en outre, détruire « complètement les mauvaises herbes, comme le foùt les prairies naturelles, et surtout les racines fourragères sarclées. Enfin, nous ferons remarquer que les plantes qui les comfiosent, pour mériter de rester classées parmi es espèces améliorantes, doivent être récoltées avant la production de la graine. Ces réserves faites, on peut dire que Tes prairies artificielles sont la base de toute culture progressive et améliorante., ...... •

S’il est une question qu’il soit intéressant d’éclairer, dit Gilbert, c’est celle, si souvent soulevée, si vivement débattue et encore si indécise, sur la proportion dans laquelle les prairies artificielles doivent entrer dans une exploitation : les uns, sans cesse occupés des grains qui servent à la nourriture de l’homme, ont prétendu qu’il fallait resserrer les prairies artificielles dans les bornes les plus étroites et n’ont pas senti que les productions des terres n étaient pas en raison de leur étendue, mais’de leur culture ; d’autres, oubliant qu’il existait des hommes et que la véritable destination des animaux était de concourir à leur subsistance, oubliant encore qu’il ne suffit pas que les animaux aient un aliment abondant, mais qu’il leur faut encore des litières pour se coucher et pour entretenir la fécondité des terres, n’ont pas craint de les employer presque toutes a la culture des prairies artificielles. Quelques-uns, plus sages, ont tâché de garder un juste milieu entre ces deux extrêmes et ont fixé, les uns au quart, les autres au tiers, d’autres à la moitié de l’exploitation le terrain qu’elles doivent occuper. Il n’est pas bien difficile de rendre raison des différences qui se trouvent dans cette fixation ; elle est subordonnée à des circonstances qui ne permettent pas qu’elle soit générale ; les terrains très-riches, n ayant pas besoin de la même quantité d’engrais que ceux qui sont pauvres, n’ont pas besoin de la même quantité de bestiaux et, par une suite

PRAI

nécessaire, de prairies naturelles ou artificielles. On peut donc établir, conime règle générale, que la proportion des herbages dans une exploitation doit toujours être en raison inverse de la richesse du fonds et des autres ressources locales qui servent à la subsistance des animaux. • ’

On pourrait cultiver en prairie artificielle toutes les plantes qui empruntent leurs aliments surtout a l’atmosphère, et presque tous les végétaux sont dans ce cas, ’du moins jusqu’à 1 époque de la floraison ; mais il faut aussi que les espèces choisies satisfassent à certaines conditions, notamment de pouvoir être employées avec avantage à la nourriture du bétail. Voici les plantes généralement adoptées et que l’on s’accorde à diviser en deux groupes. 1. Légumineuses : trèfles rouge, blanc, incarnat, hybride, élégant-, luzernes cultivée, liipuline, falquée, moyenne ; sainfoins commun et d’Espagne ; vesces ; pois gris ; gesses ; lentilles ; ornithope ou sarradelle ; lupins ; ajonc. — II. Graminées et diverses : vmes viv&ce, multiflore et d’Italie ; moha de Hongrie ; millet ; sorgho ; maïs ; chicorée sauvage ; spergule ; pastel ; moutarde blanche ; navettes drhiver et d’été ; choux cultivé, colza, de China, etc.

En général, on se trouve très-bien de mélanger, dans les semis, des plantes de même durée, mais de familles diverses.