Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/girondin s. m.

Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1276-1277).

GIRONDIN s. m. (ji-ron-dain — rad. Gironde). Hist. Député du parti de la Gironde : Si les girondins sont les femmelines de la Révolution, Robespierre et ses hommes en sont les castrats. (Proudh.)

— Adjectiv. Qui appartient au parti de la Gironde : Grangeneuve était girondin., homme d’idées courtes, mais inflexible. (Lamart.)

— Encycl. Les girondins, un des grands partis politiques de la Révolution, étaient ainsi nommés de ce que ses principaux chefs étaient députés du département de la Gironde.

C’est au début de l’Assemblée législative que la brillante pléiade commença à se constituer comme parti. Déjà, d’ailleurs, quelques-uns de ses membres, Brissot, Pétion et Buzot, avaient une certaine notoriété, le premier comme écrivain et journaliste, les deux autres comme membres de l’Assemblée constituante. D’autres, comme Vergniaud, Guadet et Gensonné, avaient une véritable célébrité locale et brillaient au barreau de Bordeaux. Dès le début de la Révolution, ils furent revêtus de diverses fonctions municipales et judiciaires dans cette ville, puis nommés députés à l’Assemblée législative, avec Grangeneuve, Ducos, Lafon-Ladebat, Servière, Lacombe et quelques autres. En même temps arrivaient également à l’Assemblée Isnard, Brissot, Condorcet, Fauchet, Maille, Larivière, etc. Parmi les autres personnages qui se rattachèrent à ce groupe, citons tout de suite les époux Roland, fixés récemment à Paris ; Barbaroux, délégué des patriotes marseillais, Gorsas et Carra, journalistes, Louvet, l’auteur de Faublas, Valazé, Kervélégan, Kersaint, Boyer-Fonfrède, Lasource, Salle, Lanjuinais, Lanthenas, etc., qui entrèrent l’année suivante à la Convention nationale. Rapprochés par la conformité des principes, tous ces hommes formèrent le groupe qu’on pourrait nommer des révolutionnaires modérés. Il ne faudrait pas cependant imaginer une véritable secte et des principes arrêtés d’une manière fixe et rigide. Des écrivains systématiques ont essayé des classifications arbitraires, auxquelles répugne toute histoire, et plus encore celle-là, où la spontanéité individuelle joue un si grand rôle. Ils ont fait de la Montagne l’école de Rousseau et du sentiment ; de la Gironde, l’école de Voltaire et de la sensation, etc. En réalité, les hommes de ce temps étaient tous pénétrés plus ou moins confusément des doctrines générales du XVIIIe siècle, sans qu’il soit bien facile de discerner quel élément prédominait en eux. Si Robespierre était disciple de Rousseau, Camille Desmoulins se rattachait plutôt à Voltaire et Danton à Diderot. Beaucoup d’autres montagnards ont également la tournure d’idée de l’école voltairienne.

D’un autre côté, dans la Gironde, que de disciples de Rousseau ! Buzot, les Roland et tant d’autres ne jurent que par lui ; mais laissons ces puérilités, dont se sont amusés des esprits d’ailleurs extrêmement distingués, mais qui ne supporteraient plus aujourd’hui la critique. Ce qu’on peut admettre, c’est que les girondins personnifiaient plus spécialement la classe moyenne lettrée, amie d’une liberté tempérée, et qu’elle était animée d’un esprit provincial très-prononcé. Autour d’eux se groupèrent un certain nombre d’hommes ayant les mêmes tendances, qui souvent formèrent un faisceau de volontés ou un ensemble d’action, et souvent aussi se divisèrent au gré de leurs opinions et de leurs sentiments. Tous ces éléments, dont l’alliance fut mobile comme les événements, formaient, sans doute, un parti, mais sans grande discipline et sans étroite cohésion.

La période de l’Assemblée législative fut l’époque brillante des girondins. Ce furent eux qui jouèrent alors le rôle le plus important sur la scène politique, et qui portèrent les plus terribles coups à la monarchie. Il n’est pas inutile de rappeler que ce furent eux aussi qui prirent l’initiative des mesures sévères contre les émigrés et les prêtres réfractaires, mesures justifiées par les circonstances, les périls publics, les complots dont on était enveloppé, mais enfin qu’il ne faudrait pas, comme on le fait trop habituellement, laisser entièrement à la charge de la Montagne, qui n’existait pas encore à l’état de parti constitué.

Leurs orateurs les plus brillants et les plus influents sur l’Assemblée étaient alors Vergniaud, Guadet, Gensonné et Isnard. Brissot, sans être précisément un orateur remarquable, entraînait parfois d’importantes résolutions. On sait que ce fut lui en partie qui fit déclarer la guerre à l’Autriche. Son journal, le Patriote français, lui donnait aussi beaucoup d’influence. Le parti s’appuyait, en outre, sur d’autres feuilles fort répandues, le journal de Gorsas, la Chronique de Paris, etc., et pouvait agir sur la capitale par Pétion, nommé maire de Paris en novembre 1791, et qui était alors dans tout l’éclat de sa popularité.

En mars 1792, les girondins arrivèrent au pouvoir, c’est-à-dire qu’ils placèrent quelques-uns des leurs au ministère, en compagnie de Dumouriez : Duranton à la justice, Clavière aux finances, Servan à la guerre, et, à l’intérieur, Roland, dont la femme, la célèbre Mme Roland, passait pour l’Égérie du parti, et avait, en effet, une grande influence sur ses amis, qui se réunissaient souvent dans son salon pour y débattre les grandes questions à l’ordre du jour. Peut-être, d’ailleurs, a-t-on légèrement exagéré l’importance de son rôle ; mais ce n’est pas ici le lieu de traiter cette question spéciale. (V. Roland.) Ce qu’il y a d’exact, c’est qu’elle a souvent rédigé les pièces adressées par Roland au roi, à l’Assemblée nationale et aux administrations.

Nous n’avons pas à suivre ici les événements historiques, la dissolution du ministère girondin, la journée du 20 juin, la suspension de Pétion, les orages de l’Assemblée, enfin la révolution du 10 août, qui consomma la ruine de la monarchie. Nous rappellerons seulement qu’à cette époque déjà de graves dissentiments s’étaient produits entre les girondins et les révolutionnaires plus ardents qui allaient composer la Montagne. Robespierre et Brissot avaient soutenu l’un contre l’autre, dans la presse et aux Jacobins, des luttes acharnées sur la question de la guerre. Le dernier avait eu également maille à partir avec Camille Desmoulins, qui lui avait lancé son fameux Brissot démasqué. Enfin des attaques mutuelles, des récriminations, des débats passionnés n’annonçaient que trop la terrible lutte qui bientôt allait déchirer la République.

Peu de temps avant le 10 août, les girondins avaient répondu à quelques avances de la cour par un mémoire où ils exposaient leurs vues sur la situation. Sans aucun doute, ils voulaient reconquérir le ministère ; mais la négociation n’aboutit pas, quoique Guadet eût eu une entrevue secrète, au château, avec le roi et la reine. Nous trouvons ce fait attesté d’une manière positive dans l’ouvrage de son neveu, les Girondins.

Au lendemain du 10 août, l’Assemblée composa un ministère en quelque sorte mi-parti : Roland, Clavière, Servan, Danton, Monge et Lebrun. Bientôt les massacres de septembre ensanglantèrent Paris, et il est incontestable que les girondins, que le maire Pétion, que Roland et les autres ne firent rien pour empêcher ces terribles représailles populaires. Qu’ils eussent été impuissants, cela est probable ; mais cela même eût dû les rendre moins ardents et plus réservés dans leurs accusations ultérieures.

Réélus à peu près tous à la Convention nationale, il se trouvèrent en face de leurs adversaires, et presque aussitôt entamèrent ce duel implacable qui fut si funeste à la Révolution et dans lequel ils furent écrasés. À l’article Convention nationale, nous avons esquissé les principales péripéties de ce combat tragique ; nous n’avons donc pas à y revenir. Nous rappellerons seulement que les girondins, emportés par la passion, humiliés peut-être de se voir débordés par les événements et les idées, effacés ou du moins amoindris par des hommes plus énergiques et plus populaires, éclatèrent en attaques violentes et inconsidérées, dans leurs journaux et à la tribune, contre les anarchistes, les factieux, les désorganisateurs, contre la Montagne, Paris et sa formidable Commune, Marat, Danton, Robespierre, rééditèrent, en un mot, les déclamations des feuillants, et ressassèrent chaque jour les accusations de complot, de projets de dictature, etc. Leurs ennemis, sans doute, ne les ménageaient pas, mais il est incontestable que, dans ces funestes et meurtriers débats, ils prirent imprudemment l’initiative de toutes ces agressions, et que les premiers ils en appelèrent à la proscription. Ce furent eux notamment qui firent envoyer Marat devant le tribunal révolutionnaire. (V., pour tous ces détails, l’article Convention nationale.)

Dans le procès du roi, ils tentèrent visiblement de sauver la vie du malheureux monarque, demandèrent qu’on pût en appeler au peuple du jugement, puis, après la condamnation, réclamèrent le sursis. Cependant beaucoup d’entre eux votèrent la mort.

À l’article indiqué ci-dessus, nous avons également raconté comment leurs attaques continuelles, leur insistance à rappeler les massacres de septembre, leurs malédictions contre la capitale et leur projet d’entourer l’Assemblée d’une garde départementale avaient exaspéré contre eux la population parisienne, qui demanda à plusieurs reprises leur suspension, et enfin se souleva dans les journées des 31 mai-2 juin 1793, pour l’imposer à la Convention.

Sous la pression du peuple, la Convention décréta que les députés suivants seraient mis en arrestation chez eux : Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salle, Barbaroux, Chambon, Buzot, Biroteau, Lidon, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Dufriche-Valazé, Kervélégan, Gordien, Rabaut-Saint-Étienne, Boileau, Bertrand-Lahosdinière, Vigée, Mollevault, Larivière, Gomaire, Bergoing, Clavière, Lebrun.

Legendre fit rayer Boyer-Fonfrède et Saint-Martin ; Marat fit également rayer Dussaulx, Ducos et Lanthenas.

Isnard et Fauchet furent seulement consignés dans Paris.

Ce coup d’État populaire suscita des mouvements insurrectionnels à Bordeaux, à Marseille, à Lyon et dans plusieurs départements ; du moins beaucoup d’administrations départementales, dévouées aux girondins, se déclarèrent en état de résistance contre Paris et la Convention.

Cependant les députés étaient simplement gardés chez eux et pouvaient circuler accompagnés d’un gendarme. Tout espoir d’accommodement futur n’était donc pas perdu. Mais la plupart trompèrent la surveillance peu rigoureuse dont ils étaient l’objet et s’évadèrent. Il ne resta à Paris que Vergniaud, Gensonné et quelques autres. Quelques députés du parti, non décrétés d’arrestation, se joignirent aux fugitifs, dont la plupart se jetèrent dans la Normandie pour y fomenter l’insurrection. Cette résolution violente les perdit, en les mettant en quelque sorte au niveau des Vendéens. On sait d’ailleurs que cette insurrection du Calvados fut comprimée pour ainsi dire sans combat, et après une action militaire insignifiante à Vernon, affaire qui ne fut qu’une déroute. Ceux des députés qui avaient organisé à Caen la résistance armée s’enfuirent et gagnèrent la Gironde. Aussitôt après leur révolte ouverte, ils avaient été déclarés traîtres à la patrie et mis hors la loi. Quelques-uns demeurèrent cachés à Saint-Émilion, près de Bordeaux, chez Guadet père et chez une parente de la famille, une femme courageuse et dévouée, Mme Bouquey.

Ceux qui étaient restés à Paris ne cessaient de demander des juges, et naturellement ils subirent le contre-coup des événements. Le 3 octobre 1793, sur le rapport d’Amar, furent décrétés d’accusation, comme prévenus de conspiration contre la République : Brissot, Vergniaud, Gensonné, Duperret, Carra, Mollevault, Gardien, Dufriche-Valazé, Vallée, Duprat, Brullart, ci-devant marquis de Sillery, Condorcet, Fauchet, Doulcet, de Pontécoulant, Ducos, Boyer-Fonfrède, Gamon, Lasource, Lesterpt-Beauvais, Isuard, Duchâtel, Duval, Devérité, Mainvielle, Delahaye, Bonnet, Lacaze, Mazuyer, Savary, Lehardy, Boileau, Rouyer, Antiboul, Bresson, Noël, Coustand, Andrei, Grangeneuve, Vigée, Philippe-Égalité ; sans préjudice de ceux qui avaient été déclarés traîtres à la patrie. En outre, on décréta d’arrestation 75 autres députés, qui avaient signé des protestations contre l’acte des 31 mai-2 juin. On voit que la proscription, par suite de diverses circonstances, alla bien au delà des vingt-deux principaux girondins, dont à l’origine on demandait seulement la suspension. Beaucoup d’ailleurs étaient en fuite.

Le 24 octobre, 21 comparurent devant le tribunal révolutionnaire et, après plusieurs jours de débats, furent condamnés à mort. (30 octobre) et exécutés le lendemain. Le dernier banquet des Girondins est une fable de Charles Nodier. Ramenés dans leur prison, ils firent un repas frugal et passèrent une partie de la nuit en mâles entretiens, mêlés de chants patriotiques. L’imagination des romanciers a fait le reste.

Dufriche-Valazé s’était frappé d’un coup de poignard après avoir entendu son arrêt. Voici les noms de ceux qui furent exécutés : Brissot, Lasource, Vergniaud, Gensonné, Lehardy, Gardien, Boileau, Vigée, Ducos, Boyer-Fonfrède, Lacaze, Duprat, Duperret, Mainvielle, Fauchet, Carra, Duchâtel, Antiboul, Lesterpt-Beauvais, Sillery.

Tous montèrent sur l’échafaud avec courage et en acclamant la République. Quatre avaient moins de trente ans, huit moins de quarante ans, un seul avait passé cinquante ans.

Terminons cette énumération funèbre par quelques détails sur les autres proscrits.

Mme Roland avait été emprisonnée ; traduite devant le tribunal révolutionnaire quelques jours après, elle fut condamnée et exécutée. Roland, après avoir erré à travers la Normandie, s’était tué sur une grande route, dans le district de Louviers, le 23 ou le 24 octobre, au moment même où les 21 passaient en jugement, c’est-à-dire avant et non après la mort de sa femme, comme on l’a imprimé partout. Et parmi les autres proscrits : Gorsas, exécuté à Paris le 8 octobre ; Biroteau, à Bordeaux le 24 du même mois ; Coustard, Manuel, à Paris le 14 novembre ; Cussy, le lendemain ; Lidon, tué en se défendant à Brive, ainsi que Chambon ; Kersaint, exécuté à Paris le 4 décembre avec Rabaut-Saint-Étienne ; Valady, à Périgueux ; Noël, à Paris le 8 décembre ; Grangeneuve, à Bordeaux le 21 ; Déchézeaux, à Rochefort le 17 janvier 1794 ; Bernard (des Bouches-du-Rhône), à Paris, le 22 ; Mazuyer, le 19 mars. Rebecqui, député de Marseille, se noya. Condorcet, longtemps caché, essaya de fuir, fut arrêté à Clamart, emprisonné à Bourg-Égalité (Bourg-la-Reine), et s’empoisonna dans son cachot.

Enfin, les fugitifs de la Gironde, traqués, changeant souvent d’asile, eurent presque tous un sort aussi funeste. Salle et Guadet furent arrêtés à Saint-Émilion et exécutés le 18 juin 1794. Buzot, Pétion et Barbaroux, cachés en dernier lieu chez un homme courageux de Saint-Émilion, le perruquier Troquart, s’enfuirent de nouveau après l’arrestation de Salle et de Guadet, errèrent à travers champs et finirent quelques jours après par le suicide. Louvet, Meillan et quelques autres étaient parvenus à s’évader. Les 75, qu’on nomma communément les 73, furent mis en liberté quelque temps après le 9 thermidor et rentrèrent à la Convention.

Il n’est pas possible de rappeler sans émotion le souvenir de ces tragédies nationales. Les girondins, bien évidemment, étaient sincèrement attachés à la République ; mais, entraînés par un malheureux et petit esprit de parti, irrités d’être dépassés, de descendre au second rang, ils convertirent la Convention en une arène de gladiateurs, et il est hors de doute que s’il eussent été vainqueurs ils auraient cruellement frappé les montagnards. On a dans l’histoire assez d’exemples qui montrent combien, dans tous les temps, les modérés sont implacables dans leur victoire. Dans cette circonstance, c’est au nom de l’ordre et des lois qu’on eût proscrit les anarchistes.

Nous connaissons trop bien comment les choses se passent en pareille occasion. Quant au sort réservé à Paris, qui ne devait avoir, suivant eux, qu’un 83e d’influence, on s’en fera une idée, non-seulement par la fameuse imprécation d’Isnard, mais encore par le passage suivant des Mémoires de Buzot : « Je le dis avec vérité, la France ne peut espérer ni liberté ni bonheur que dans la destruction entière et irréparable de cette capitale. » (V. l’édition intégrale de M. Dauban, in-8°, Plon, 1866.)

Ce sont là, dira-t-on, des paroles de colère ; sans doute, mais elles donnent une idée du tempérament de ces modérés. On pourrait multiplier les exemples. Cette haine de Paris, qui reparaît à diverses époques et qui s’appuie sur de vains prétextes, n’est pas autre chose que le soulèvement de l’esprit réactionnaire, contre le libre esprit de la grande cité révolutionnaire, un appel aux jalousies locales, à l’esprit étroit de ces masses rurales que leur ignorance et leur isolement rendent plus faciles à gouverner, c’est-à-dire à dominer.

« Il ne doit plus y avoir de capitale dans une république ! » disait Barbaroux dans la séance du 30 octobre 1792. C’était là une des thèses favorites des girondins, qui semblent avoir eu le pressentiment de cette théorie qui consiste à s’appuyer sur les doctrines de la démocratie pour étrangler la démocratie, à interpréter les principes de la liberté de manière à en tirer la suppression de la liberté.

Ils n’en étaient pas là sans doute ; mais ce ne sont pas moins ces paroles imprudentes et ces menaces qui les firent accuser de fédéralisme. Fédéralistes, ils ne l’étaient pas dans le sens du démembrement, mais plusieurs d’entre eux, comme Brissot, l’étaient bien réellement par le fond de leurs pensées, les autres par leurs tendances et l’aveuglement de leurs rancunes.

Leur jeunesse, leurs talents, leur éloquence et leur courage sont dignes d’admiration, comme leur destinée tragique est digne de pitié. Jamais on ne regrettera assez cette scission fatale. Mais si l’on s’en tient au point de vue purement politique, on ne peut s’empêcher de remarquer que les historiens qui jugent les girondins avec le plus de tendresse et de partialité n’hésitent pas néanmoins à les condamner dans leurs conclusions. Ainsi M. de Lamartine déclare « qu’entre les mains de ces hommes de parole, la France, reconquise par la contre-révolution et dévorée par l’anarchie, eût bientôt cessé d’exister, et comme république et comme nation. » M. Thiers avoue que par eux la Révolution, la liberté et la France ont été compromises. Enfin M. Michelet s’écrie : « Nous aurions voté contre eux !… La politique girondine, aux premiers mois de 1793, était impuissante, aveugle ; elle eût perdu la France. »

Girondins (histoire des), ouvrage de Lamartine (Paris, 1847, 8 vol. in-8°). Le grand poète était-il doublé d’un grand historien ? C’est l’opinion de ses admirateurs à outrance ; mais nous croyons que c’est une erreur. Une grande illusion des hommes de notre temps, et de l’auteur des Méditations en particulier, c’est de croire que toutes les aptitudes sont sœurs, qu’un grand artiste peut faire un homme d’État, qu’un grand poëte peut aborder tous les genres littéraires. L’erreur est double dans ce cas : rien n’est exclusif comme le talent poétique, rien n’est personnel comme le talent de l’historien ; l’un n’est fait que pour raconter, l’autre ne sait que chanter. Donc il fallait s’y attendre : L’Histoire des girondins n’est pas une histoire, c’est un poème. Elle a du poëme, en effet, la richesse du style, l’intérêt dramatique, la liberté d’allure, mais aussi la disproportion au point de vue historique, la préoccupation du pittoresque, qui écourte ou supprime les événements prosaïques et donne une importance exagérée aux anecdotes poétiques. On ne doit donc pas, en ouvrant l’Histoire des girondins, s’attendre à une de ces graves lectures qui éclairent le passé par un habile groupement des faits et par la savante simplicité du récit ; mais si l’on n’a recherché, comme le poète lui-même, que la couleur quelquefois vraie, souvent fausse, toujours éclatante ; si l’on a voulu seulement voir agir et se mouvoir des hommes de chair et d’os ; si, en un mot, on s’est seulement promis une suite de drames pleins d’intérêt ; si l’on a voulu une action arrangée, charpentée comme celle d’une pièce de théâtre, on sera satisfait au delà même de ses espérances. Le livre de Lamartine est la plus irrégulière de toutes les histoires, mais le plus intéressant de tous les poèmes.

Du reste, tel qu’il est, histoire ou poème, ce livre a pour nous un mérite qui doit nous faire oublier tous ses défauts : il est nettement républicain. Et si l’on se rappelle qu’il a paru en 1847, c’est-à-dire un an avant la chute de la monarchie de Juillet ; si l’on se souvient de la popularité qu’il avait conquise à son auteur, du rôle que celui-ci a joué dans la révolution de Février, on sera contraint de reconnaître que l’Histoire des girondins a eu une très-grande influence sur ces événements et a puissamment préparé le triomphe définitif de la démocratie. Cela étant, à quoi bon se demander si l’auteur de l’Histoire des girondins a violé ou observé les convenances historiques ? La question littéraire est absolument primée par la question du progrès, L’Histoire des girondins est un livre intéressant ; mieux que cela, il est une bonne action. Nous ne voudrions pas en savoir davantage, si notre rôle de critique ne nous imposait le devoir de dire des vérités même inutiles. Lamartine s’est fait historien, force nous est de le juger à ce point de vue.

Un défaut capital dans l’Histoire des girondins, c’est certainement l’absence de ces recherches patientes, de ce travail préliminaire que réclame la gravité de l’histoire. M. de Lamartine ne l’a pas étudiée, il l’a improvisée. Il semble avoir voulu se presser pour rallier la jeunesse aux idées démocratiques, c’est-à-dire au triomphe du droit ; le but était noble, mais le moyen dangereux pour la réputation de l’écrivain. Du reste, comme nous avons dit, l’effet du livre fut immense. Avant la publication de l’Histoire des girondins, beaucoup de gens ne voyaient dans la Révolution de 1793 que le travail de la hache ; M. de Lamartine a su faire découvrir l’idée dont cette hache fut un jour l’instrument ; il lui a rendu sa valeur véritable : c’était un moyen d’action et non un but.

Ce qui ajoutait encore à l’impression produite par le livre, c’est que l’historien semblait exempt de parti pris ; son âme tendre de poëte était passée tout entière dans l’histoire, où elle chantait et pleurait tour à tour, ayant des larmes pour les victimes et pour les bourreaux. Il en verse dés le début sur la mort de Mirabeau, car c’est là que commence son histoire. Nous assistons ensuite à la fondation de la République, au procès et à la mort du roi, aux luttes sanglantes de la Gironde et de la Montagne, enfin à cette crise de thermidor qui renversa avec Robespierre l’idée violente, mais pure, de la démocratie, pour lui substituer l’intrigue et la débauche, digne berceau du Directoire, qui devait aboutir au despotisme par le 18 brumaire.

Dans ce magnifique récit, il est fâcheux qu’on ait à relever quelques erreurs matérielles, expliquées, mais non justifiées par la précipitation du travail. Indiquons quelques-unes de ces erreurs. L’auteur se trompe sur l’âge de la reine, sur la constitution de l’Allemagne, et, ce qui est plus grave, invente en passant un margrave de Prusse. Il fait mourir sur l’échafaud des gens qui se sont paisiblement éteints dans leur lit, et prête des paroles éloquentes à des députés qui n’avaient jamais osé affronter la tribune.

Lamartine a rendu justice à plusieurs personnages de la Révolution, dont le rôle plein de grandeur, quoique souvent terrible, avait été méconnu par la haine des partis. Il nous a fait comprendre la valeur de Danton, et nous a révélé le profond politique, le grand citoyen sous le tribun et l’agitateur populaire.

Quant à l’idée qui domine cette histoire, elle ne se révèle qu’à la conclusion. L’auteur, dans le cours de ses récits, se montre tour à tour girondin et montagnard ; mais la grandeur et l’unité de la patrie l’emportent à la fin ; il avoue nettement ses sympathies pour la Convention. Son livre, « c’est, dit Pascal Duprat, Vergniaud réconcilié avec Robespierre. » Chateaubriand ajoute : « Il a doré la guillotine. » Sous l’amertume de ce mot de l’auteur des Martyrs, il est facile de saisir une grande vérité : un historien eût compris la Révolution ; Lamartine l’a sentie.

Girondins (LES), chant patriotique intercalé par MM. Alexandre Dumas et Auguste Maquet dans leur drame intitulé : le Chevalier de Maison-Rouge, représenté au Théâtre-Historique en 1847. La musique est de M. A. Varney (v. pour l’origine du refrain Mourir pour la patrie, et les détails, l’art, chevalier du Maison-Rouge dans ce dictionnaire.). Aux deux strophes de la pièce, qui excitèrent l’enthousiasme des combattants de Février 1848, un poëte anonyme ajouta, sur les barricades peut-être, celles qui suivent :

Frères, pour une cause sainte,
Quand chacun de nous est martyr,
Ne proférons pas une plainte,
La France un jour doit nous bénir.
    Mourir pour la pairie ! (bis)
C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. (bis)

Du Créateur de la nature
Bénissons encor la bonté,
Nous plaindre serait une injure,
Nous mourons pour la liberté.
    Mourir pour la patrie ! (bis)
C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. (bis)

Ces paroles ont été conservées par le peuple vainqueur et chantées avec celles de MM. Alex. Dumas et Maquet. Elles figurent maintenant dans les recueils spéciaux sous la signature de ces derniers, dont le chant a eu cette bonne fortune de faire son tour de France comme une nouvelle Marseillaise.