Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/SCALION DE VIRBLUNEAU

Administration du grand dictionnaire universel (14, part. 1p. 311).


SCALION DE VIRBLUNEAU, sieur d’OFayel, poète français de la fin du xvie siècle. Il est surtout connu par le très-pittoresque portrait qu’en a tracé Théophile Gautier dans les Grotesques. Scalion de Virbluneau est un type tout à fait oublié aujourd’hui, le type de l’amoureux transi, de l’amoureux de vieille roche, qui aimait mieux sécher sur pied respectueusement devant sa « déesse » que de la toucher du bout du doigt. Il est la caricature de la galanterie de son temps ; c’était un grand seigneur, un gentilhomme qui daignait faire ses vers lui-même. C’était une fureur, alors, que d’être amoureux et de chanter systématiquement ses amours en plusieurs livres, sous la forme éternelle du sonnet. Le sonnet venait d’être importé d’Italie en France par Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois ; aussi le premier livre de Scalion est-il tout écrit en sonnets ; il porte ce titre : les Loyalles et pudicques amours de Scalion de Virbluneau ; à madame de Boufflers ; à Paris, chez Jamet Mettayer, imprimeur du roy, 1599. Il a pour épigraphe le distique suivant :

Les vœux de foy et d’espérance
Ont en amour grande puissance.

Les sonnets qui composent le livre susnommé sont adressés, en grande partie, à une dame idéale ou réelle, qui se nommait Angélique et qui était probablement d’une vertu rigide, car les sonnets du malheureux Virbluneau ne roulent que sur sa cruauté. « Ce ne sont que doléances et complaintes à n’en plus finir, dit Théophile Gautier dans sa prose colorée. On mettrait à flot un vaisseau à trois ponts sur les larmes qu’il répand ; son oreiller en est tout trempé, ses matelas sont traversés de part en part ; c’est un cataclysme universel ; sa cervelle se fond en eau ; il a plutôt l’air d’un fleuve ou d’un dieu marin que d’un Cupidon. » Pour surcroit d’originalité chez le sieur d’Ofayel, l’amour ressemblait à s’y méprendre à la théologie. C’est la même métaphysique embrouillée, la même subtilité, le même fatras scientifique, la même symétrie de pensées et de formes. L’amour argumente chez lui comme un docteur de Sorbonne in baroco et in baralipion, il syllogise la passion. C’est quelque chose d’inextricablement tortillé, d’excessivement pointu et tiré par les cheveux, que l’on ne conçoit guère maintenant et qui ne ressemble ni aux bonnes et franches allures de la vieille galanterie gauloise ni aux prétentieuses afféteries des madrigaux mythologiques du xviiie siècle. Le sonnet est la goutte d’ambre qui tombe sur toutes ces pensées voltigeantes, qui les embrasse étroitement et nous les conserve embaumées à travers les siècles et les variations de langage. À la fin, ne sachant plus à quel Saint se vouer, Scalion finit par souhaiter d’être gant ; écoutons-le :

Ah ! main qui doucement me déchirez le cœur
Et qui tenez ma vie en l’amoureux cordage,
Main où nature veult montrer son bel ouvrage,
Et où le ciel versa sa bénigne faveur.

Las ! au lieu de ce gant qui reçoit tant d’honneur,
Que d’embrasser ce qui m’enflamme le courage
Permettez qu’a présent j’aye cet avantage
Que d’être gardien d’une telle valeur.

Si vous aimez le froid, je suis la froideur mesme ;
Si vous aimez le chaud, j’ai un feu si extresme
Qu’il enflammerait bien l’air, la terre et les cieux.
Faictes donc, je vous pri, que mon désir advienne.
Ou si me refusez, je suppliray les dieux,
O délicate main ! que le gant je devienne.

Après cinq ans d’un amour aussi platonique que larmoyant, Scalion n’ayant pu amollir le cœur d’Angélique, dédia son volume à Mme de Boufflers et alla porter ses sonnets et ses protestations aux pieds de Mlle Adriane, et comme, pudique et loyal en toute chose, il visait au mariage, il lui adressa entre autres ce vers :

Acceptez pour mari Scalion de Virbluneau.

« Il se maria donc avec Adriane, et ils eurent beaucoup d’enfants. » Mais son bonheur conjugal n’arrêta pas sa verve poétique et plaintive. Aussi, cette nouvelle phase dans l’existence de notre poëte vaut-elle à la postérité un nouveau volume de sonnets intitulé ; les Prospères et parfaites amours de Scalion de Virbluneau. « Il y pleurniche bien encore de temps à autre, dit Théophile Gautier, mais c’est par habitude. »

Lorsque l’on étudie les vieux poëtes français, il est curieux de voir avec quel sans-gêne leurs successeurs les ont pillés. Ainsi, Molière, qui a incontestablement pris à Cyrano de Bergerac sa scène de la galère (des Fourberies de Scapin), qui se trouve tout au long dans le Pédant joué de ce poëte, nous paraît avoir également « emprunté » à Scalion de Virbluneau l’idée du madrigal que chante le marquis de Mascarille dans les Précieuses ridicules ; cette idée se retrouve textuellement dans un sonnet du sieur d’Ofayel. Voici les deux vers :

Alarme ! alarme ! alarme ! et au secours !
On m’a volé mon cœur dans ma poitrine.

Ne retrouve-t-on pas là le fameux : Au voleur ! au voleur ! du chef-d’œuvre que nous venons de nommer.