Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Robespierre (Maximilien-Marie-Isidore de)

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 4p. 1258-1263).

ROBESPIERRE (Maximilien-Marie-Isidore de), né à Arras le 6 mai 1758, décapité le 10 thermidor an II (28 juillet 1794).

Dans la préface de la nouvelle édition de son Histoire de la Révolution, M. Michelet, qui, on le sait, n’est pas fort tendre pour le célèbre conventionnel et qui lui donne le même nom que les thermidoriens, le Tyran, dit de lui :

« Son histoire est prodigieuse bien plus que celle de Bonaparte. On voit bien moins les fils et les rouages, les forces préparées. Ce qu’on voit, c’est un homme, un petit avocat, avant tout homme de lettres (et il le fut jusqu’à la mort). C’est un homme honnête et austère, mais de piètre figure, d’un talent incolore, qui se trouve un matin soulevé, emporté par je ne sais quelle trombe. Rien de tel dans les Mille et une nuits. En un moment il va bien plus haut que le trône. Il est mis sur l’autel. Étonnante légende ! »

Le problème de cette vie, c’est, en effet, cette puissance énorme, cette autorité presque théocratique acquise avec des moyens relativement médiocres, ou du moins qui n’étaient pas en rapport avec le résultat obtenu. Nous n’avons pas la prétention de résoudre de telles questions dans une simple notice biographique, pas plus que la présomption de les trancher dogmatiquement.

Tout ce que nous pouvons faire, c’est de serrer de près les faits, d’en étudier l’enchaînement et la portée autant que nous le permet notre cadre, et d’apporter dans cette étude, sinon la sèche impartialité de l’analyste, au moins l’indépendance d’esprit et la bonne foi. Le lecteur voudra bien nous pardonner nos erreurs d’appréciation, en faveur de notre intention sincère de ne point tomber volontairement dans le système et le parti pris.

D’après une tradition assez répandue, la famille de Robespierre serait d’origine irlandaise, et elle se serait établie en Artois dans le XVIe siècle. Il en est même qui donnent à son nom une origine tout anglaise (Robert’s Peter, Pierre, fils de Robert). Toujours est-il que, dès le commencement du XVIIe siècle, on voit des Robespierre établis comme notaires à Carvin, entre Lille et Arras. Ils exercèrent le notariat de père en fils. Au XVIIIe siècle, une branche vint se fixer à Arras. C’est de cette branche que sortit Maximilien. Bien que la famille ait eu autrefois des armoiries (v. Borel d'Hauterive, Armoriai, t. Ier, préface), elle n’était pas d’origine nobiliaire ; mais elle avait acquis, par les fonctions remplies, le rang de petite noblesse de robe. Le père et le grand-père de Maximilien signaient le plus souvent Derobespierre. On sait d’ailleurs que la particule, même séparée, n’impliquait pas nécessairement la noblesse. Mais ces détails ont peu d’importance.

Le père de celui qui devait rendre ce nom si célèbre, Maximilien-Barthélemy-François Derobespierre, avocat au conseil d’Artois, avait épousé Jacqueline-Marguerite Carrault, fille d’un brasseur d’Arras, qui lui donna quatre enfants et mourut au moment où l’aîné, Maximilien, n’avait encore que sept ans. Désespéré, le père cessa de plaider, abandonna les affaires, voyagea en Angleterre et en Allemagne et mourut, à ce qu’on croit, à Munich. Cette famille d’orphelins fut recueillie par de grands parents. L'aîné fut placé au collège d’Arras. Cet enfant, destiné à une célébrités ! orageuse et qui débutait dans la vie par la tristesse, était un écolier doux, timide, appliqué, et dont la passion favorite était d’élever des oiseaux. L’abbé de Saint-Waast lui fit donner une des bourses dont il disposait au collège Louis-le-Grand, à Paris (1770). Pendant les longues années de ses études, il se montra ce qu’on appelle un élève modèle, et son nom retentissait chaque année dans les concours universitaires. Orphelin, boursier, tenu pour ainsi dire de réussir pour contenter ses protecteurs, il fit de bonne heure l’apprentissage du labeur soutenu, de l’effort patient, de la persévérance obstinée dans le travail.

Au sortir du collège (où il avait eu pour condisciples Camille Desmoulins et Fréron), il fit son droit, toujours sous le patronage et aux frais de Louis-le-Grand (c’était sa prérogative de boursier), qui lui accorda en outre, à la fin de ses études, une gratification de 600 livres pour « ses talents éminents, sa bonne conduite pendant douze années et ses succès. » Il travailla ensuite quelque temps dans une étude de procureur (où il eut Brissot pour maître clerc) et alla enfin exercer à Arras la profession d’avocat.

Nourri des philosophes, surtout de Mably, et plus encore de Rousseau, qu’il avait visité à Ermenonville, dans une de ses courses d’étudiant, et dont il resta toujours le disciple, il semblait plus fait pour les généralités et les abstractions que pour les subtilités de la chicane. Cependant il réussit dans sa profession et conquit rapidement une place honorable au barreau d’Arras. Ses devoirs professionnels, dans cette vie monotone de la province, lui laissaient encore le loisir de s’occuper de littérature. Il se fit admettre dans une société à la fois poétique et pastorale, qui se réunissait sous des berceaux de roses, qui avait pris la rose pour emblème, et qu’on nommait pour cela les Rosati. 11 s’y rencontra avec Carnot, alors en garnison à Arras, et rima comme lui de petits vers galants et bachiques, dans le goût du temps. Il concourut aussi pour l’éloge de Gresset, proposé par l’Académie d’Amiens (1785), puis pour un sujet plus grave, la réversibilité du crime, la flétrissure des parents du criminel ; envoya des vers aux Jeux floraux de Toulouse, etc. Tout cela est faiblement écrit et d’une sentimentalité fade. On en a souvent reproduit des fragments ; ces citations n’auraient que peu d’intérêt pour le lecteur, et sous nous bornerons au madrigal suivant, adressé à une dame d’Arras ;

      Crois-moi, jeune et belle Ophélie,
Quoi qu’en dise le monde et malgré ton miroir.
Contente d’être belle et de n’en rien savoir,
      Garde toujours ta modestie.
      Sur le pouvoir de tes appas
      Demeure toujours alarmée ;
      Tu n’en seras que mieux aimée
      Si tu crains de ne l’être pas.

Cependant, à côté de ces fadaises qui étaient la monnaie courante de la littérature d’alors, on doit signaler, dans quelques-uns des plaidoyers et mémoires académiques de Robespierre, des idées élevées, philosophiques, inspirées de Montesquieu, de Rousseau et de tous les penseurs du siècle.

Il avait été reçu de l’Académie d’Arras, dont il fut nommé directeur en 1789, et aux travaux de laquelle il prenait une part fort active. Il était donc à cette époque un des hommes les plus connus et les plus considérés de sa province. Lors de la convocation des états généraux, il publia une Adresse à la nation artésienne relative à la nécessité de réformer les états d’Artois. Cette publication, suivie de quelques autres, augmenta sa notoriété et le désigna aux suffrages de ses concitoyens. Nommé l’un des commissaires pour la rédaction des cahiers, il fut ensuite élu député du tiers aux états généraux.

Il avait alors trente et un ans.

Dans les débats pour la réunion des ordres, il prit plusieurs fois la parole ; une fois, notamment, de la manière la plus heureuse. L’archevêque d’Aix, pour détourner l’attention de la grande question du vote en commun, était venu inviter insidieusement le tiers à s’occuper de la misère du peuple des campagnes. Robespierre répondit que, si le clergé songeait sincèrement à soulager les maux du peuple, il n’avait qu’à se réunir aux députés des communes pour se concerter sur les mesures à prendre. « Allez dire à vos collègues, ajouta-t-il, qu’ils ne retardent pas plus longtemps nos délibérations par des délais affectés. Ministres de la religion, qu’ils imitent leur maître et renoncent à un étalage de luxe blessant pour l’indigence. Renvoyez vos laquais orgueilleux, vendez vos équipages superbes, vos meubles somptueux et convertissez ce superflu en aliments pour les pauvres. »

La justesse et l’à-propos de cette réplique lui méritèrent l’approbation et l’attention de l’Assemblée. Cependant, dans cette première période il ne joua qu’un rôle effacé, il avouait même qu’il n’abordait la tribune qu’en tremblant. En outre, sa timidité, sa roideur, sa physionomie peu expressive ne prévenaient pas en sa faveur, n’attiraient pas l’attention. Les journaux, la plupart du temps, ne rapportaient pas ses paroles ou estropiaient son nom : on l’appelait Robert-Pierre, Raberspierre, etc. Même les secrétaires de l’Assemblée lui infligeaient cette erreur humiliante.

Après la prise de la Bastille, il fut du nombre des députés qui réclamèrent l’organisation immédiate de la garde nationale, prit souvent la parole pendant la discussion de la Déclaration des droits, en faveur de la liberté individuelle, de la liberté de la presse, de la liberté religieuse ; soutint énergiquement contre la commission que c’était à la nation à établir l’impôt, non à le consentir ; se prononça contre le veto royal, parla ou vota enfin dans toutes les questions comme ses collègues de l’extrême gauche et se montra même souvent plus radical que la plupart d’entre eux.

Seul ou appuyé, il suivait sa voie, toujours dans la même direction. Au lieu de la marche tortueuse de Mirabeau, il représentait la ligne droite, inflexible ; beaucoup le tenaient pour un utopiste, et il l’était en effet sur plusieurs questions ; en croyant suivre inflexiblement la ligne des principes, il lui arrivait facilement de s’égarer dans les systèmes, dans les vagues généralités philosophiques ou morales. Cela tenait à son éducation, et plus encore à la nature de son esprit, trop enclin au dogmatisme, tranchons le mot, au pédantisme sentencieux. On a trop répété que l’Assemblée riait de lui, de ses discours et de ses théories. Ce qui est vrai, c’est que sa parole excitait souvent les murmures de la droite et qu’il n’était pas toujours soutenu suffisamment par la gauche. Il arriva même, en effet, qu’il provoqua l’hilarité. Une fois, entre autres, qu’il s’obstinait à parler inutilement sur une question tranchée et d’ailleurs sans importance, l’Assemblée, obsédée, refusa de l’écouter ; il eut beau s’obstiner, il ne put prononcer que quelques mots de protestation. Maury, l’insolent spadassin de parole, saisit l’occasion pour provoquer la bonne humeur de l’Assemblée en demandant l’impression du « discours de M. de Robespierre. »

Sans doute, en présence de tant d’orateurs éminents, il paraissait pâle ; on ne voyait guère en lui qu’un avocat de province, capable et laborieux, mais de peu de souffle et de solidité. Les Actes des apôtres, journal royaliste, l’appelaient la Chandelle d’Arras et se moquaient de lui avec autant d’esprit que de mauvaise foi. Mais beaucoup de ceux qui le combattaient étaient frappés de sa passion sincère et de sa rigidité. On sentait là quelqu’un. Mirabeau, dans tout l’éclat de sa puissance, était loin de le dédaigner ; il disait de lui : « Il ira loin, car il croit tout ce qu’il dit. » Il eût pu ajouter qu’il croyait en lui-même, en ses idées, en son génie. Cette imperturbable confiance, cette religion qu’il avait pour sa personne, pour ses théories, nous dirions presque pour son infaillibilité, contribuait à lui donner la dignité du caractère et de la conduite, mais aussi à surexciter son orgueil naturel.

Quoi qu’il en soit, son rôle dans la Constituante ne fut pas sans éclat. Parfaitement monarchiste alors, il n’en concourut pas moins à l’énervation de la monarchie, à la destruction de l’ancien régime et de la barbarie, au triomphe de la cause révolutionnaire et de la civilisation.

Au 5 octobre, il prit deux fois la parole pour appuyer Maillard, l’orateur des femmes, parla avec énergie contre la loi martiale, contre le marc d’argent (v. ce mot), contre la distinction des citoyens actifs et passifs, réclama le suffrage universel, l’élection des juges par le peuple (pour remplacer les parlements), l’admission des juifs et des comédiens aux droits civils et civiques et commença, à la fin de 1789, à jeter aux Jacobins (v. ce mot) les fondements de cette influence qui devint plus tard exclusive et souveraine. Sa popularité grandissait, pendant que celle des premiers acteurs de la Révolution pâlissait visiblement. On voyait en lui un homme austère, uniquement attaché aux principes, et déjà Marat l’avait surnommé l’Incorruptible. À cette époque, il rompit avec les tribuns équivoques, les Lameth et autres : « Libre des hommes d’expédient, dit M. Michelet, il se fit l’homme des principes. Son rôle fut dès lors simple et fort. Il devint le grand obstacle de ceux qu’il avait quittés. Hommes d’affaires et de parti, à chaque transaction qu’ils essayaient entre les principes et les intérêts, entre le droit et les circonstances, ils rencontrèrent une borne que leur posait Robespierre, le droit abstrait, absolu. Contre leurs solutions bâtardes, anglo-françaises, soi-disant constitutionnelles, il présentait des théories, non-spécialement françaises, mais générales, universelles, d’après le Contrat social, l’idéal législatif de Rousseau et de Mably. Ils intriguaient, s’agitaient, et lui restait immuable. Ils se mêlaient à tout, pratiquaient, négociaient, se compromettaient de toute manière ; lui, il professait seulement. Ils semblaient des procureurs, lui un philosophe, un prêtre du droit… Témoin fidèle des principes et toujours protestant pour eux, il s’expliqua rarement sur l’application, ne s’aventura guère sur le terrain scabreux des voies et moyens. Il dit ce qu’on devait faire, rarement, très-rarement comment on pouvait le faire. C’est là pourtant que le politique engage le plus sa responsabilité, là que les événements viennent souvent le démentir et le convaincre d’erreur. »

Depuis l’installation de l’Assemblée à Paris, Robespierre vivait dans un petit logement rue de Saintonge, qu’il habita d’octobre 1789 jusqu’en juillet 1791. Sa vie était fort modeste ; il allait à pied, dépensait trente sous pour ses repas, et sur ses honoraires de député (18 livres par jour) il prélevait un tiers pour sa sœur Charlotte, qui habitait encore Arras, et une autre part pour une personne qui lui était chère. Il n’avait pas de besoins, vivant tout entier de passions intellectuelles, et sa plus grande dépense était pour sa toilette ; car ce révolutionnaire, ce philosophe et ce Spartiate était extrêmement soigné, élégant, même dans son costume. En pleine Terreur, il avait conservé l’usage de la poudre ; il monta poudré à la guillotine. Jamais il ne mit le bonnet rouge. Extérieurement, il était resté un homme de l’ancien régime, glacé, académique et d’une morgue un peu sèche. Il n’avait aucun des dehors de l’homme populaire et du tribun.

Dans le cours de l’année 1790, Robespierre prononça près de quatre-vingts discours à l’Assemblée, sans parler de ses prédications aux Jacobins, où il était extrêmement assidu, parlant, discutant laborieusement, toujours et sur toute question. C’est dans cette assiduité, cette persévérance, cette conscience au travail et cette persistance de volonté, non moins que dans sa probité politique et l’austérité de son caractère, qu’il faut rechercher les causes de l’autorité morale qu’il sut conquérir.

Outre les Jacobins, cette grande force révolutionnaire, il ne dédaigna pas de prendre (indirectement) pour point d’appui le clergé. Élevé lui-même par le clergé, disciple de Rousseau et spiritualiste sentimental, moraliste et censeur assez intolérant, il avait le tempérament prêtre, suivant l’expression très-juste d’un historien. Tout en déclamant d’une manière générale contre la « superstition », il rendit plus d’un service aux prêtres, et sous ce rapport il n’était pas fils du XVIIIe siècle. En mai 1790, il fit la proposition d’autoriser leur mariage et reçut, à ce sujet, de milliers d’ecclésiastiques des lettres de remerciement, des poèmes en toutes les langues, même en hébreu. Il les défendit (au nom de la liberté) contre les girondins, les dantonistes, les hébertistes, enfin contre tous les grands partis révolutionnaires. Il réclama des pensions pour les vieux prêtres (16 juin 1790), plaida pour certains ordres religieux que l’Assemblée avait rangés parmi les ordres mendiants (16 septembre), s’opposa aux mesures de sévérité proposées contre les prêtres qui prêchaient la guerre civile (19 mars 1791), parla et écrivit plus tard (décembre 1792) contre la suppression des traitements ecclésiastiques ; enfin, comme nous le verrons plus bas, en poussant à l’échafaud ceux qui avaient commencé la grande opération de l’élimination du catholicisme, il tut vraiment l’un des restaurateurs de la religion, l’un des précurseurs du concordat.

Sur les autres questions, d’ailleurs, il demeurait fidèle aux principes de la Révolution. Il réclama le jury en toutes matières, revint en toute occasion sur l’accession de tous les citoyens aux droits civiques, sans condition de cens ; se prononça contre le projet (soutenu par Mirabeau) d’attribuer au roi le droit de paix et de guerre, fut nommé l’un des secrétaires de l’Assemblée (juin 1790), combattit encore Mirabeau en diverses circonstances, défendit Camille Desmoulius contre Malouet, qui demandait des poursuites contre le hardi journaliste ; appuya vigoureusement la demande de suppression des parlements et fut nommé, par les électeurs de Versailles, président du tribunal du district. Cette nomination inattendue montre bien quelle était déjà sa notoriété. Il avait, paraît-il, l’intention d’aller occuper ce siège à la fin de la session ; mais les événements de la Révolution l’obligèrent à rester perpétuellement sur la scène et ne lui permirent pas de remplir ces paisibles fonctions.

Peu de temps auparavant, un homme, qui devait être son disciple le plus ardent, se donna à lui spontanément en lui écrivant une lettre restée célèbre : « Vous qui soutenez la patrie chancelante contre le torrent du despotisme et de l’intrigue, vous que je ne connais, comme Dieu, que par des merveilles, je m’adresse à vous….. Je ne vous connais pas, mais vous êtes un grand homme. Vous n’êtes pas seulement le député d’une province, vous êtes celui de l’humanité et de la République. » Ce correspondant enthousiaste était un jeune homme du nom de Saint-Just, qui va bientôt apparaître sur la scène de la Révolution.

Après la mort de Mirabeau, l’influence de Robespierre ne fit qu’augmenter et parvint même à contre-balancer dans l’Assemblée celle des Lameth, Barnave, Duport, etc. Il se fit écouter en parlant pour l’égalité en matière de successions et en s’élevant contre la précipitation mise par le comité de constitution à soumettre aux délibérations le projet d’organisation ministérielle. Quelques jours plus tard, le 7 avril 1791, il fit décréter qu’aucun membre de l’Assemblée ne pourrait être porté au ministère pendant les quatre années qui suivraient la session, ni recevoir aucun don, pension, place, traitement ou commission du pouvoir exécutif pendant le même délai. Le mois suivant, il soutint sa lutte mémorable contre Barnave et autres en faveur des hommes de couleur et des esclaves. Il s’éleva, dans ces longs débats, à une grande hauteur. Toutefois, il n’a pas dit en propres termes : Périssent les colonies plutôt qu’un principe ! mais simplement : « Périssent les colonies, s’il doit vous en coûter votre honneur, votre gloire, votre liberté ! Périssent les colonies, si les colons veulent par les menaces nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts, etc.. »

De son côté, Duport dit, au cours de la même discussion : « Il vaudrait mieux sacrifier les colonies qu’un principe. ». (Moniteur du 15 mai.) La fameuse phrase s’est donc formée après coup de ces deux mouvements oratoires.

La cause des gens de couleur, plaidée avec tant d’âme par Robespierre, Rewbell et autres, triompha. L’Assemblée leur reconnut les droits de citoyen. La question de l’esclavage fut ajournée. Le lendemain il proposa et fit adopter la motion hardie, inattendue, que les membres de l’Assemblée constituante ne pourraient être réélus à la première législature.

On a cherché bien des motifs à cette proposition. Le principal nous paraît être une réminiscence des légendes sur les législateurs antiques qui, leur œuvre accomplie, s’éloignaient, rentraient dans la foule des citoyens, se dérobaient à la reconnaissance publique, etc. Pour cet homme, si parfaitement classique, ce dut être la raison capitale. "

À la fin de ce mois de mai, il se joignit à Duport pour demander l’abolition de la peine de mort ; mais ses paroles, d’une éloquence émue, ne purent néanmoins convaincre l’Assemblée.

La fuite du roi, s’il faut en croire Mme Roland et certains mémoires, causa à Robespierre un trouble profond ; il craignait une « Saint-Barthélémy de patriotes, » et son esprit soupçonneux ne rêvait qu’embûcbes et complots. À ceux qui parlaient de République, il demandait avec un ricanement d’inquiétude, ce que c’était que la République. Mais peut-être ces rapports sont-ils exagérés. Ce qu’il y a de certain, c’est que le soir du 21 juin, aux Jacobins, il prononça un discours éloquent, mais qui attestait le trouble de son âme et qui était plein de fantômes, de dénonciations vagues, de visions lugubres ; au lieu de proposer dés mesures efficaces, d’agir en homme, et en homme d’État, comme Danton, il accuse, il dénonce, il s’enivre de méfiance et d’effroi ; puis il s’attendrit sur lui-même, il met sa personne en scène, il parle des « mille poignards » dont il est entouré, suivant une habitude qui devint chez lui une manie. « Nous mourrons tous avant-toi ! » s’écrie Camille Desmoulins. Cet élan de sensibilité naïve entraîne l’auditoire, qui s’emporte en manifestations touchantes et passionnées. Dans cette société des Jacobins, le député d’Arras commençait à passer à l’état de fétiche.

Pendant toute cette crise, Robespierre ne montra qu’incertitude et irrésolution ; il déclara même, le 13 juillet, aux Jacobins, qu’il n’était ni monarchiste ni républicain. Qu’était-il donc alors ?

Ami de la constitution ?

Mais la constitution était monarchique. La vérité est qu’il ne savait trop quel parti prendre et que toutes les solutions lui paraissaient alors également périlleuses. Il était dans cette donnée, que la monarchie peut donner la liberté tout aussi bien que la République, et quelquefois mieux. Bref, malgré ses théories, relativement assez avancées, il hésitait visiblement à se lancer sur la grande mer de la Révolution.

Dans toutes les crises, d’ailleurs, il montra la même réserve, les mêmes irrésolutions poignantes. Il était homme de parole et de doctrine, et non pas homme d’action.

Toutefois, à la tribune, il reprenait pied, se retrouvait lui-même, et il proposa à l’Assemblée de consulter la nation pour statuer sur le sort du roi.

« Lors du massacre du Champ-de-Mars, bien qu’il se fût opposé à la pétition pour la déchéance du roi, il put craindre pour sa sûreté. Du moins, le soir de cette journée funeste, les patriotes étant poursuivis de tous côtés, ses amis craignirent pour une vie si précieuse. Un honnête et enthousiaste jacobin, le maître menuisier Duplay, l’emmena chez lui, dans sa maison de la rue Saint-Honoré. Le lendemain, cette famille refusa de le laisser partir. Malgré sa réserve naturelle, il fut vaincu par les instances les plus affectueuses et il consentit (sous la réserva de payer pension) à élire domicile dans cette maison, sentant peut-être que sa popularité ne pouvait que gagner à cette intimité avec une famille d’artisans. C’était comme une réminiscence de l’Émile. Duplay d’ailleurs, était riche, propriétaire, et son intérieur était confortablement bourgeois. Pendant la petite terreur qui suivit le malheureux événement du Champ-de-Mars, Robespierre rédigea et fit voter par les Jacobins une adresse à l’Assemblée nationale, pièce assez habile, mais peut-être un peu trop louangeuse, et qui n’avait évidemment pour but que de préserver la grande société des persécutions.

Dans les derniers jours de la Constituante ; il lutta avec plus de courage que de succès pour faire révoquer le décret du marc d’argent et autres lois impopulaires.

On sait que ce fut sur sa proposition que l’Assemblée avait décrété qu’aucun de ses membres ne ferait partie de la législature suivante. Il rentra donc dans la vie privée, comme ses collègues de la Constituante. Peu de temps après, il fit un voyage dans sa ville natale, où il fut l’objet d’ovations multipliées. Il se reposa environ six semaines dans une campagne des environs d’Arras ; ce furent les derniers instants de calme de son orageuse existence. De retour à Parts, le 28 novembre 1791, il consacra dès lors toute son activité aux discussions des Jacobins. L’un des grands débats de cette époque fut la question de la guerre. Les girondins, et avec eux une grande partie de la nation, voulaient qu’on la déclarât à l’empereur pour ses actes d’hostilité non dissimulée et pour l’appui qu’il donnait aux rassemblements armés d’émigrés qui se formaient insolemment sur nos frontières.

Robespierre, après, un moment d’hésitatium, se déclara énergiquement contre la guerre. Il sentait bien qu’elle était inévitable, et que même elle était en quelque sorte commencée, en ce sens que la coalition contre la France nouvelle se nouait ouvertement ; mais il ne voulait pas qu’on devançât l’heure et qu’on se précipitât dans les aventures. Il redoutait les trahisons du pouvoir exécutif, non moins que le développement de l’esprit militaire, toujours funeste à la liberté..

Théoriquement, il n’avait pas tort dans ses prévisions ; mais les circonstances étaient impérieuses et, dans l’état des choses, il était peut-être plus périlleux d’attendre que tous les préparatifs de l’ennemi fussent terminés, plus sage de se confier à la prudence de l’audace.

Cette polémique soutenue contre les girondins, et particulièrement contre Brissot, envenima des haines mutuelles qui n’étaient encore qu’à l’état latent, et fut comme le prélude des combats meurtriers qui suivirent et qui eurent leur dénoûment tragique en 1793. Combattu par Brissot, par Louvet, par Guadet et par la presse girondine, Robespierre, de son côté, traita fort cruellement ses adversaires, que son esprit soupçonneux lui représentait comme dés ennemis de la Révolution.

Élu précédemment accusateur public près le tribunal criminel du département de Paris, il avait pris.part aux travaux préliminaires de cette magistrature nouvelle ; mais, au moment où elle allait entrer complètement en exercice, en avril 1792, il se démit de ces fonctions lucratives pour réserver tout son.temps aux-affaires publiques. Il avait d’ailleurs l’intention de fonder un journal, dont il commença en effet la publication en mai, sous le titre du Défenseur de la constitution (v. ce nom). Il était un peu tard pour.défendre la constitution de 1791 ; mais, bien qu’il ne conservât sans doute que peu de foi dans l’institution monarchique, Robespierre, on le sait, n’aimait guère à se placer hors de la légalité. D’ailleurs, sa prudence et sa réserve ne l’empêchèrent point d’exposer des idées et des principes très-élevés dans son journal (qui lui servit aussi dans sa guerre contre les girondins). Mais jusqu’au dernier moment, il s’attacha à se maintenir dans les limites légales. À la veille du 20 juin, il se montra, aux Jacobins, opposé au mouvement : « Rallions-nous autour de la constitution, disait-il ; je prends acte de ce que je me suis opposé à toutes les mesures contraires à la constitution. »

À ce moment où la France était exposée aux plus grands périls, à cause de l’usage même que le roi faisait de la constitution, l’invoquer, la prendre pour arche de salut, n’était pas la marque d’une grande hardiesse politique. C’est sans doute pour caractériser cette timidité d’esprit ou du moins ce manque d’audace pratique, que Danton disait plus tard en sa langue grassement familière : « Ce b.....-là n’est pas capable seulement de cuire un œuf ! »

Robespierre ne joua non plus aucun rôle actif dans la grande journée du 10 août, qui sauva la France et la Révolution. Toutefois, avant cet événement, il s’était prononcé pour la déchéance du roi et pour la convocation d’une Convention nationale.

Le 11, il fut adjoint par sa section (place Vendôme) aux commissaires qui composèrent ce qu’on a nommé la commune du 10 août. Il y siégea assidûment jusqu’au 26, jour où il fut nommé président de l’assemblée primaire de sa section. Élu membre du tribunal extraordinaire du 17 août, il refusa d’accepter ces fonctions. Quelques écrivains royalistes l’ont accusé d’avoir trempé plus ou moins directement dans les massacres de septembre. Mais il est tellement avéré qu’il fut absolument étranger à ces terribles exécutions, qu’une réfutation de cette inepte calomnie est inutile.

Élu député de Paris à la Convention nationale, il fut également nommé par l’assemblée électorale du Pas-de-Calais. Par la constitution de son bureau, la grande Assemblée montra tout de suite qu’elle inclinait alors du côté des girondins. Le premier bureau fut, en effet, composé exclusivement de membres de ce parti. Le schisme politique qui séparait les républicains éclata violemment dès les premières séances. Des divers côtés volaient déjà les appellations meurtrières, également injustes et qui attestaient la profonde inimitiè des partis. Presque aussitôt, les girondins accusèrent Robespierre d’aspirer à la dictature et de vouloir former avec Danton et Marat une espèce de triumvirat. De plus, avec une violence plus qu’injuste, ils rejetaient sur les montagnards la responsabilité des massacres de septembre. Robespierre, non moins que Marat, fut l’objet de leurs attaques incessantes. Lasource, Rebecqui, Barbaroux, ressassèrent tour à tour cette vague et meurtrière accusation de projet de dictature ; Robespierre y répondit d’abord avec dignité et une modération relative, soit à la tribune de la Convention, soit dans ses Lettres à ses commettants, dont il commença la publication à cette époque pour remplacer son Défenseur de la constitution. Mais en même temps, il combattait vigoureusement ses ennemis, défendait contre eux Paris et la commune, s’opposait au projet de garde départementale présenté par Buzot, et contribuait à l’exclusion de Brissot de la société des Jacobins, (il est du moins permis de le conjecturer).

La guerre continua de part et d’autre avec le plus déplorable acharnement. Le 29 octobre 1792, après des attaques.plus ou moins directes de Roland, de Guadet, de Lanjuinais, un enfant perdu de la coterie girondine, Louvet, l’auteur de Faublas, lancé par les Roland, vint lire à la tribune un acte d’accusation contre Robespierre, tissu de vagues dénonciations qui concluait à la nomination d’un comité d’examen de la conduite de Maximilien et à la mise en accusation immédiate de Marat. Le choix d’un tel accusateur, célèbre comme écrivain graveleux, était en lui-même assez malheureux. Suivant toutes les probabilités, il appartenait à Mme Roland, et les principaux girondins y furent étrangers. Robespierre, très-habilement et pour laisser à l’opinion le temps de se prononcer, demanda quelques jours pour préparer sa défense. Il écrasa facilement son mince adversaire et, sur la proposition de Barète, la Convention écarta l’accusation par l’ordre du jour. La Gironde resta compromise de ces attaques inconsidérées et de cet échec. Elle n’en devint malheureusement que plus implacable, comme il arrive dans les luttes de parti.

On sait que la Convention se consuma dans ces discordes intestines, qui bientôt divisèrent toute la France et qui finirent par entraîner la décadence et la ruine de la République.

Lorsque la question du parti qu’il y avait à prendre à l’égard du roi fut posée devant l’Assemblée et devant le pays {3 décembre 1792), Robespierre développa son opinion avec une précision qu’il n’avait pas toujours. Il se prononça pour le jugement par la Convention et pour la mort. Il dit en substance : » Vous n’êtes point des juges, mais des hommes d’État ; c’est moins une sentence que vous avez à prononcer qu’une mesure de salut public à prendre. »

Il avait sur ce sujet l’opinion de la Montagne entière et de la plus grande partie de la France, à savoir que Louis XVI devait être puni pour ses trahisons, pour ses appels à l’étranger, pour ses manœuvres contre-révolutionnaires, ses violations de la constitution et des lois ; puni pour le sang versé au Champ-de-Mars et au 10 août, pour les périls qu’il avait attirés sur la patrie ; qu’on devait enfin jeter sa tête aux rois de l’Europe comme une réponse à leurs attaques et à leurs hostilités. Il demandait d’ailleurs, comme il l’avait fait à la Constituante, l’abolition de la peine de mort pour les délits ordinaires, mais il faisait exception pour ces grands crimes publics qui attirent sur une nation le fléau de la guerre étrangère et de la guerre civile ; en un mot, il invoquait la raison d’État.

« Louis doit mourir, disait-il, parce qu’il faut que la patrie vive. Chez un peuple paisible, libre et respecté au dedans comme au dehors, on pourrait écouter les conseils qu’on vous donne d’être généreux. Mais un peuple à qui l’on dispute encore sa liberté, après tant de sacrifices et de combats, un peuple chez qui les lois ne sont encore inexorables que pour les malheureux, un peuple chez qui les crimes de la tyrannie sont des sujets de dispute, doit désirer qu’on le venge… »

Dans le procès, il combattit vigoureusement l’appel au peuple, expédient imaginé par les girondins et qui pouvait allumer la guerre civile, et il vota pour la peine de mort, sans appel ni sursis. Il motiva son vote de la manière suivante : « … Je ne sais pas outrager la raison et la justice en regardant la vie d’un despote comme d’un plus grand prix que celle des simples citoyens, et en me mettant l’esprit à la torture pour soustraire le plus grand des coupables à la peine que la loi prononce contre des délits beaucoup moins graves et qu’elle a déjà infligée à ses complices. Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l’humanité qui égorge les peuples et qui pardonne aux despotes. Le sentiment qui m’a porté à demander, mais en vain, à l’Assemblée constituante l’abolition de la peine de mort est le même qui me force aujourd’hui à demander qu’elle soit appliquée au tyran de ma patrie et à la royauté elle-même dans sa personne. Je ne sais point prédire ou imaginer des tyrans futurs ou inconnus pour me dispenser de frapper celui que j’ai déclaré convaincu, avec la presque unanimité de cette assemblée….. Je vote pour la mort. »

Ce fut lui qui fut chargé par la société des Jacobins de prononcer l’oraison funèbre du représentant Michel Le Peltier, assassiné par le garde du corps Pâris. À cette époque son autorité morale, qui grandissait de jour en jour à la Convention, était déjà prépondérante au puissant club de la rue Saint-Honoré, qui donnait le mot d’ordre à plus de 600 sociétés affiliées dans les départements ; immense corporation qui peuplait des siens les administrations, les municipalités, etc., disposait en beaucoup d’endroits des fonctions, avait une force incomparable. On conçoit quelle puissance réelle avait le chef d’une telle armée ; et Robespierre en devint non-seulement le chef, mais, pour ainsi dire, le prophète et le Dieu.

Il appuya toutes les mesures répressives contre les émigrés et les prêtres rebelles, présenta quelques observations au projet d’établissement du tribunal révolutionnaire, mais n’eut d’ailleurs, quoi qu’on en ait dit, qu’une part indirecte à la création de cette redoutable juridiction. Il n’est pas douteux toutefois qu’il n’y ait donné son approbation, et ses critiques ne portaient que sur des points de détail. Au reste, à cette époque, le sentiment dès périls publics, les attaques journalières dont il était l’objet, les luttes qu’il avait soutenues avaient assombri son caractère, naturellement orgueilleux et concentré. M. Louis Blanc lui-même en convient : « À partir de ce moment, dit-il, l’humeur de Robespierre subit par degrés une altération que chacun remarqua et qui ne tarda pas à paraître sur son visage. Le tic nerveux auquel il était sujet se prononça de plus en plus ; son sourire devint un effort ; ses préoccupations intérieures se révélèrent chaque jour davantage dans l’inquiétude croissante de son regard, et à la douceur naturelle de sa physionomie s’associa insensiblement cette amertume qui, vers la fin, lui imprima quelque chose de sinistre. Et, en effet, son esprit, déjà ouvert aux noires visions, s’enfonça peu à peu dans la région des fantômes. Il crut apercevoir partout des conspirateurs et des traîtres. Doublement égaré par l’admiration excessive de ses séides et l’excessive animosité de ses ennemis, il en vint à s’identifier au peuple, à force d’orgueil, après s’être identifié au peuple à force de conviction ; et une fois sur cette pente dangereuse, devenu aussi implacable envers ses ennemis qu’il s’était montré implacable envers lui-même, il les poursuivit avec une haine d’autant plus terrible qu’il la jugea désintéressée, s’imaginant que c’était la patrie, la République, le peuple, qu’ils avaient voulu tuer dans sa personne, et ne s’apercevant pas jusqu’à quel point il devenait injuste à son tour. »

Sous ces formes oratoires et à travers le fracas de ces antithèses, il y a un aveu d’autant plus intéressant à enregistrer, qu’il émane d’un admirateur enthousiaste de Robespierre.

La trahison de Dumouriez fut une nouvelle occasion pour les partis d’échanger de mutuelles accusations. Précédemment, d’ailleurs, Maximilien avait à plusieurs reprises attaqué ce général, et cette fois ses soupçons étaient fondés, ses prévisions étaient justes. Où il s’égarait, bien évidemment, c’est quand il représentait les girondins comme ses complices. Ce qu’il y a seulement de très-probable, c’est que ceux-ci comptaient sur l’épée du général pour les aider à réduire les sections parisiennes et la Montagne. Mais de part et d’autre on apportait les mêmes préventions aveugles les uns contre les autres. V. sur ces interminables débats, qui se renouvelaient à chaque incident, les articles Convention, Girondins, etc.

Lors des débats sur le projet de constitution (avril 1793), Robespierre y prit une part active. Il présenta aux Jacobins un projet de Déclaration des droits de l’homme, que la société adopta comme sien.et qui est une œuvre fort remarquable. Il en donna également lecture à la Convention et recueillit do chaleureux applaudissements. Plusieurs autres discours qu’il prononça sur le même sujet, et qui étaient en désaccord sur des points importants avec le projet ébauché de la commission (girondine), furent accueillis avec la même faveur. Mais bientôt l’œuvre pacifique de la constitution fut interrompue par de nouvelles discordes. On sait comment se termina cette crise funeste : par le soulèvement de Paris et la chute des girondins qui, si souvent eux-mêmes, avaient réclamé avec acharnement la proscription de leurs adversaires.

Robespierre n’eut point de part directe à cette insurrection des 31 mai-2 juin 1793 ; mais il est hors de doute qu’il avait contribué à la préparer par ses discours et qu’il en approuva les résultats. Il appuya vigoureusement de sa parole les mesures proposées le 31 mai à la Convention par les autorités constituées de Paris, au nom des sections ; tout son rôle se borna là. Il ne figura dans aucun conciliabule, ni à l’Évêché, ni à la Commune, dans aucune des réunions où fut préparé l’événement. S’il a donné son assentiment à la mutilation de l’Assemblée, il ne faut pas oublier que toute la Montagne et Paris entier en ont fait autant, entraînés par une nécessité terrible, et que cette funeste scission avait été rendue inévitable par les continuelles agressions de la Gironde, qui eussent perdu la République et qui rendaient tout gouvernement impossible.

Couthon et Saint-Just, qui faisaient partie du comité de constitution, firent passer quelques-unes des idées de Robespierre dans la constitution de 1793. Lui-même, dans le cours de la discussion, fit adopter plusieurs modifications importantes ; mais le nouveau pacte social fut loin d’être son œuvre personnelle, comme quelques-uns l’ont répété. Son autorité dans la Convention n’en était pas moins fort considérable, et la disparition des principaux girondins n’avait fait que l’augmenter. Beaucoup même le suivaient, l’appuyaient sans l’aimer. Sa roideur, sa sécheresse éloignaient de lui ; mais son austérité, son intolérance puritaine, l’incontestable sincérité de ses convictions imposaient la déférence, sinon l’enthousiasme et la chaude sympathie que Danton faisait naître autour de lui. En outre, sa position de chef réel des sociétés jacobines le rendait très-fort. On commençait à le craindre ; les ambitieux, les prudents et les habiles se serraient autour de lui ; sans autre titre que celui de député, il devenait peu à peu le dictateur de l’opinion.

Le 26 juillet (1793), il fut appelé au comité de Salut public, un an presque jour pour jour avant sa proscription. Que d’événements dans cette année, au milieu des crises les plus violentes et les plus périlleuses où jamais nation ait été plongée !

À ce moment, le comité n’était pas encore passé à l’état de gouvernement ; le pouvoir exécutif était encore entre les mains des ministres. Le 1er août, Danton proposa d’ériger le comité en gouvernement provisoire ; mais Robespierre demanda et fit voter l’ajournement de cette proposition, se fondant sur la nécessité de ne pas paralyser la puissance exécutive en en modifiant trop brusquement l’organisation. On sait quelles étaient alors les formidables difficultés que la République avait à vaincre : l’insurrection fédéraliste, la rébellion vendéenne, la révolte de Lyon, la défection de Toulon, la crise des subsistances, des trahisons et des complots sans cesse renaissants, l’Europe entière à combattre, etc. Jamais une nation n’avait été si près de sa ruine. Dans une situation aussi désespérée, il y avait quelque courage à accepter le fardeau du pouvoir, et il ne pouvait être exercé qu’avec la plus indomptable énergie. Robespierre eut part à toutes les mesures de salut public, à l’établissement du gouvernement révolutionnaire, à tous les actes de la Terreur. Quoi qu’on en ait dit, il n’a pas plus contribué que ses collègues à ériger ce régime, que nous n’avons pas à juger ici, en système de gouvernement ; et même, dans les premiers temps, il fit quelques efforts pour maintenir un certain équilibre, pour contenir les révolutionnaires ardents, les « enragés, » comme on disait alors, en même temps que les royalistes et les modérés, pour introniser enfin cette politique de bascule qui a été le programme de tant d’hommes d’État dont elle n’a pas empêché la chute. Il n’a donc pas établi la Terreur, comme le veut la légende ; mais il est non moins incontestable qu’il ne tarda pas à s’en servir contre ses ennemis, qui lui semblaient autant d’ennemis publics. Ces ennemis, dantonistes, hébertistes et autres, il ne les attaquait encore que par de vagues et meurtrières accusations, soit aux Jacobins, soit à la tribune de la Convention ! Avec son ascendant, cela suffisait déjà pour les mener fort loin. Être désapprouvé, accusé par le pur, l’incorruptible Maximilien, c’était une espèce d’excommunication ; bientôt même ce sera comme une condamnation anticipée.

Toutefois, dans la séance de la Convention du 3 octobre, il s’opposa à la mise en accusation des 73 représentants incarcérés pour avoir signé la protestation contre le 31 mai. Des historiens royalistes, comme M. de Barante, ont, il est vrai, prétendu que cette conduite lui était inspirée par la prévision qu’il aurait un jour besoin des votes de la Plaine, de l’appui du parti modéré ; mais tout indique qu’il a plutôt obéi à un sentiment d’humanité et de modération.

Au comité de Salut public, Robespierre formait, avec Couthon et Saint-Just, une sorte de triumvirat d’amitié, dans lequel on finit par soupçonner un triumvirat d’ambition. On les nommait, avec plus ou moins d’exactitude, les « gens de la haute main. » Les autres membres, Carnot, Lindet, Prieur, étaient les travailleurs, tout absorbés dans les immenses labeurs de la guerre, des subsistances, transports, administration, correspondance, etc. Maximilien, tout en prenant part aux travaux ou du moins aux délibérations de ses collègues, était surtout chargé des questions d’ensemble, des rapports avec les corps administratifs et les autorités constituées, de certains exposés législatifs, enfin des hautes questions politiques et sociales soumises à la Convention. Plus tard, un bureau de police générale ayant été créé au Comité pour surveiller les fonctionnaires et examiner les dénonciations qui abondaient chaque jour, la direction de ce bureau avait été confiée à Saint-Just, qui, souvent en mission, était remplacé par Robespierre. Toutes ces attributions donnaient à celui-ci une grande puissance, non pas dictatoriale comme on l’a dit, mais bien souvent prépondérante, cela est incontestable. Ce qu’il y a de certain, c’est que ses collègues finirent par surnommer entre eux ses deux disciples et lui les triumvirs. Au comité de Sûreté, il avait deux hommes influents entièrement à lui, le peintre David et Lebas. Toutes les administrations, d’ailleurs, étaient peuplées de ses créatures ou d’hommes placés par ses amis. Cette influence qui s’étendait dans tous les sens, cette autorité qu’il avait partout n’était, dit-on, que l’ascendant de la vertu. Cela est possible, nous ne discutons pas, bien que les chefs de parti soient ordinairement entourés de plus d’ambitieux que de dévoués ; mais, en tout état de cause, il n’en est pas moins vrai qu’il devenait de plus en plus un gouvernement, un chef d’État, ce que ses ennemis ont nommé un « tyran », dans la langue énergique de l’époque.

Ajoutons que les commissaires du comité de Salut public envoyés aux armées et dans les départements, et spécialement les hommes de Robespierre, semblaient avoir et exerçaient en effet une autorité plus haute que les simples représentants en mission, qui s'en plaignirent plus d’une fois. Il suffit de rappeler les missions de Robespierre jeune, de Couthon, de Saint-Just et Lebas, de Jullien de Paris, etc., qui d’ailleurs montrèrent une certaine modération, peut-être calculée.

En novembre 1793, le mouvement qui se produisit dans presque toute la France contre le culte catholique, et qui non-seulement répondait à la Vendée, à la guerre des prêtres contre la République, mais encore qui était la Révolution même, la pensée philosophique du XVIIIe siècle, la révolte contre la tutelle sacerdotale et l’Église du moyen âge, ce mouvement fournit à Robespierre l’occasion de frapper ceux qu’il nommait les ultrarévolutionnaires, les exagérés. Des communes, des municipalités avaient pris l’initiative. Paris reprit l’œuvre et donna la grande impulsion. Cloots, Chaumette, les sections, la Commune s’y mirent avec une passion extraordinaire. L’évêque de Paris, Gobel, vint à la tête de son clergé, à la barre de la Convention, abdiquer ses fonctions épiscopales et sa qualité de prêtre ; les églises furent transformées en temples de la Raison ; partout les prêtres abjuraient par milliers ; les municipalités envoyaient les vases sacrés à l’Assemblée pour être convertis en monnaie ; des fêtes à la Raison étaient célébrées dans toute la France ; on renversait les images, on brisait les vieux fétiches, on punissait la Vendée sur les statues des saints ; partout le peuple rejetait violemment le joug des vieilles croyances, sortait de l’Église de servitude, accomplissait le vœu des philosophes. Les représentants en mission dans les départements s’associaient partout à ce mouvement, que la Convention vit d’un œil favorable et qu’elle encouragea par ses applaudissements presque unanimes. Nombre de ses membres, évêques constitutionnels, ministres protestants, simples prêtres se démirent avec enthousiasme de leurs fonctions sacerdotales. Le prudentissime abbé Sieyès lui-même crut nécessaire de renier la foi que personne ne lui supposait. Enfin, l’Assemblée se rendit en corps à Notre-Dame (10 novembre) pour assister à la fête de la Raison, et le 16, sur la proposition de Cambon, elle décida que les églises, devenant la propriété des communes, serviraient spécialement d’asile aux indigents.

Eh bien ! et c’est ici qu’éclate la puissance réelle de Robespierre, contre l’immense majorité de la Convention, contre la presque totalité des révolutionnaires, contre une grande partie du peuple, il entreprit de faire avorter ce mouvement, qui paraissait irrésistible, et il n’eut qu’un mot à dire pour obtenir ce résultat. Outre qu’il détestait tous ceux qui y avaient pris part, les uns parce qu’ils le dépassaient, les autres parce qu’ils échappaient à son influence ou qu’ils l’avaient combattu, ou par d’autres raisons toutes personnelles, il avait encore d’autres motifs puisés dans ses convictions philosophiques.

Disciple exclusif de Rousseau, il avait comme hérité de ses haines, de ses misanthropies, de ses amertumes, en même temps que de ses idées. La profession de foi du vicaire savoyard, le déisme de l’Émile étaient pour lui des articles de foi ; ceux qui ne les acceptaient pas aveuglément étaient des matérialistes abjects, sectaires du philosophisme, athées, contempteurs de la vertu, enfin corrupteurs du peuple, factieux. Son imagination était tellement montée sous ce rapport, il ressentait tellement lui-même les haines personnelles de Jean-Jacques, qu’il avait fait enlever de la salle des Jacobins le buste d’Helvétius. Rousseau était à lui seul la doctrine, la politique, la morale ; il était l’Église, il était l’unique et suffisait à la Révolution ; ses théories devenaient une religion d’État. Et voyez comme ses adversaires furent frappés en la personne de leurs disciples : Camille Desmoulins expie pour Voltaire, Chaumette pour Diderot, Danton pour Helvétius, Anacharsis Cloots pour d’Holbach !

Ajoutons que Robespierre, comme nous l’avons déjà dit, voulait à tout prix, soit par tendance naturelle, soit par tactique instinctive, ménager ce qui restait de l’ancien culte et de l’ancien clergé. Cela était plus près de ses idées que le rationalisme pur, et il était bien assuré d’y trouver un appui pour l’établissement de son déisme.

Enfin il était choqué, lui, révolutionnaire classique, officiel, pour ainsi dire académique, des saturnales de ces révolutionnaires nouveaux, qui portaient sans trembler une main hardie sur les vieux autels et renversaient les idoles de pierre et de bois. Il se scandalisa, s’épouvanta de ce que les réformés du XVIe siècle avaient vu sans se troubler et même avec joie ; et dès lors, il employa toute sa puissance révolutionnaire contre ce développement logique de la Révolution et contre les efforts du peuple pour sortir de la vieille Église. Il eut ainsi la triste gloire de sauver ce qui était l’essence même de la contre-révolution et d’être lui-même le précurseur du concordat.

Toute sa tactique fut de représenter ce mouvement comme une atteinte à la liberté des cultes, comme étant de nature à créer des embarras à la République. De là à en considérer les auteurs comme des ennemis publics, des conspirateurs et des traîtres, il n’y avait qu’un pas. Il le franchit sans embarras dans l’entraînement de sa passion. Sa colère se manifesta d’abord par quelques paroles pleines d’aigreur à Anacharsis Cloots. Peu de jours après, il hasarda quelques vagues allusions dans un grand rapport sur la situation de la République, présenté au nom du comité de Salut public. Puis, dans un discours aux Jacobins, le 1er frimaire an II (21 novembre 1793), il se découvrit tout à fait, s’éleva contre les persécutions dont le culte et ses ministres étaient l’objet (pas un prêtre n’avait été touché), invoqua la liberté des cultes, déclara que celui qui voulait empêcher de dire la messe était plus fanatique que celui qui la disait, enfin à travers toutes sortes de généralités oratoires le plus souvent à côté de la question, il ne manqua pas de représenter, par des allusions transparentes, les promoteurs du mouvement comme de faux patriotes et des agents de contre-révolution. Son pharisaïsme éclatait çà et là par des phrases significatives : « L’athéisme est aristocratique... Le peuple, les malheureux m’applaudissent ; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables... » Enfin, il conclut en proposant à la société de passer tous ses membres à un scrutin épuratoire et de chasser tous les « agents de l’étranger » qui se seraient introduits dans son sein.

Les jacobins applaudirent et votèrent ce que voulait le maître. Cependant, ils étaient si peu préparés à cette marche rétrograde, qu’ils venaient précisément de porter à la présidence Anacharsis Cloots.

Cette espèce de manifeste de Maximilien eut un effet considérable, jusqu’à entraîner Danton, athée notoire, mais qui déjà fléchissait et qui d’ailleurs avait été mordu par Hébert. D’un grand sérieux, il s’éleva à la Convention contre les « mascarades antireligieuses » (que présidaient cependant une foule de représentants en mission) ; puis, flattant la manie de Robespierre, demanda des fêtes publiques dans lesquelles on offrirait de l’encens à l’Être suprême, au Maître de la nature ; « car, dit-il, nous n’avons pas voulu anéantir la superstition pour établir le règne de l’athéisme. »

La « mascarade » était précisément que lui, Danton, prononçât de telles paroles, auxquelles évidemment il ne croyait pas.

Un peu plus tard, Camille Desmoulins sera pris, lui aussi, du même zèle conservateur, et tout en se moquant du catholicisme, percera de ses flèches aiguës ceux qui veulent le supprimer.

Ces complaisances des dantonistes, qui, d’ailleurs, avaient des griefs particuliers contre ceux qu’on nommait les ultras, ces complaisances un peu trop serviles ne les sauvèrent pas, comme ou sait, de l’échafaud.

Cependant, Robespierre poursuivait avec son opiniâtreté habituelle sa guerre contre les exagérés, au comité, aux Jacobins, dans la Convention ; jusque dans ses discours et rapports essentiellement politiques, il continua à déclamer contre les extravagances du philosophisme, à représenter follement les nouveaux réformateurs comme les agents soldés de l’étranger.

Dans les départements, les représentants en mission continuaient à patronner la dëprêtrisation ; mais à Paris, sous l’œil de l’incorruptible, le mouvement s’arrêta ; Hébert et Chaumette eux-mêmes baissèrent la tête. L’étonnant pouvoir de cet homme, qui n’est pas sans analogie avec celui de Calvin à Genève, n’avait jamais mieux éclaté ; il avait intimidé jusqu’à Danton !

Nous avons dit plus haut que Maximilien avait proposé un scrutin épuratoire aux Jacobins. Il fut nommé lui-même membre de la commission d’épuration avec quelques autres sociétaires peu influents. Il défendit Danton, Desmoulins, dont il avait besoin à cette heure, et même Barère, dont la souplesse était utile ; mais il attaqua avec une extrême violence et avec une mauvaise foi insigne Cloots et le fit épurer, c’est-à-dire rejeter de la redoutable société. Cette espèce d’excommunication était un premier pas vers l’échafaud. Cloots avait été l’un des promoteurs du mouvement contre le culte. Quelques jours plus tard, Robespierre l’attaqua non moins violemment à la Convention. C’était décidément le vouer à la mort.

Dans sa marche difficile entre le modérantisme et l’exagération, Robespierre oscilla souvent, suivant les besoins de sa politique, déroutant ainsi ses disciples fidèles, et même il s’allia un moment, plus ou moins directement, avec les hébertistes, qu’il allait frapper. La publication du Vieux cordelier, où Desmoulins attaquait si visiblement le gouvernement révolutionnaire et demandait un comité de clémence, le rejeta à gauche. Il réclama, lui, un comité de justice, ce qui d’ailleurs, dans la situation, était plus politique. Il défendit dédaigneusement la personne de Camille, aux Jacobins, mais en demandant que ses numéros fussent brûlés. Le lendemain (8 janvier 1794), il attaqua violemment Fabre d’Églantine, un dantoniste, qui fut arrêté quelques jours après. Puis, comme pour se défendre de partialité contre les indulgents, il prêta les mains (cela n’est pas douteux) à l’arrestation de Roux, Varlet et Leclerc, tribuns de quartier, de ceux qu’on nommait les enragés, en même temps qu’il couvrait de sa protection Vincent et Ronsin, deux hébertistes ; et tout cela en quelques jours, sans qu’on pût bien discerner la ligne précise qu’il suivait. Peut-être avait-il quelque velléité de concilier, de rapprocher les partis qui divisaient la République ; mais le plus probable, c’est qu’il flottait d’une heure à l’autre au gré de ses incertitudes et de ses passions.

Nous ne pouvons, on le conçoit, gonfler démesurément cet article en entrant dans le détail de toutes les péripéties du drame révolutionnaire, si compliqué, si prodigieusement surchargé d’épisodes ; nous devons nous borner aux lignes générales. On trouvera d’ailleurs d’autres renseignements dans ce dictionnaire aux notices consacrées aux autres acteurs et aux événements. V. Desmoulins, Danton, Fabre, hébertistes, etc.

Une chose qui honore Robespierre, c’est sa lutte contre certains représentants qui, dans leurs missions, avaient abusé de leurs pouvoirs, comme Carrier, Tallien, Fouché, Fréron ; mais le malheur de son imagination soupçonneuse et de ses défiances, c'est que sa monomanie d’épuration le poussa jusqu’à attaquer une foule de commissaires conventionnels qui étaient purs et dévoués ; ce qui augmenta le nombre de ses ennemis et le fit accuser d’aspirer à une espèce de dictature judiciaire, de position de grand censeur, lui qui n’avait jamais quitté son siège et ne s’était pas trouvé en présence des difficultés.

Lindet, Merlin de Thionville, Philippeaux, Dubois-Crancé, Baudot, Lacoste et tant d’autres qui s’étaient trouvés dans des situations terribles, ne lui pardonnèrent pas ses attaques.

Tué par Robespierre, Cloots avait été exclu de la Convention, comme étranger, puis arrêté bientôt, au commencement de mars (1794) ; le puissant parti des hébertistes, appuyé sur la Commune et l’armée révolutionnaire, poussé à bout par les persécutions robespierristes, s’était cru capable de composer un gouvernement et avait imprudemment annoncé aux Cordeliers une insurrection. À la suite d’un rapport foudroyant de Saint-Just, le bras droit de Robespierre, leurs chefs les plus énergiques furent arrêtés (24 ventôse, 14 mars), puis bientôt jetés à la guillotine, avec l’infortuné Cloots et autres victimes. Un peu plus tard, ce fut le tour de Chaumette et des autres promoteurs du mouvement anticatholique. Le déisme et Rousseau étaient bien vengés ! La Commune fut largement épurée, peuplée de robespierristes fervents. À la place du procureur Chaumette, magistrat élu, on mit, comme agent national, nommé par le comité de Salut public, Payan, un homme capable, mais fanatique de Robespierre. Un autre dévoué, Fleuriot-Lescot, fut nommé maire à la place de Pache.

L’administration de Paris se trouvait ainsi robespierrisée. On entrait, pour ainsi dire, dans la royauté.

Quelques jours plus tard, le 27 mars, l’armée révolutionnaire fut dissoute (son chef, Ronsin, avait été guillotiné avec les hébertistes).

Mais ce n’était pas assez de tant de tragédies ! La Révolution, suivant le mot si connu de Vergniaud, devait successivement dévorer tous ses enfants.

L’heure de la faction des indulgents était arrivée.

Chargé précédemment de préparer un rapport sur la «faction » Fabre d’Églantine, Robespierre n’y avait pas compris Danton. Il est probable qu’il voulait conserver encore quelque temps ce parti comme contre-poids. Cela était, du moins, dans les habitudes ou dans les fluctuations de sa politique, si tant est qu’il eût une politique bien dessinée. Billaud-Varennes ayant proposé dans le comité l’arrestation de Danton, Robespierre se récria d’abord, effrayé peut-être d’un tel coup, qui allait être son brumaire à lui, lui donner toute la puissance ; mais bientôt il se laissa convaincre. Les historiens qui ont fait de lui le seul homme nécessaire de la Révolution, la pierre angulaire, voudraient dégager ici sa responsabilité en constatant que ce ne fut pas lui qui prit l’initiative de ce nouveau sacrifice humain. Sans entrer dans des discussions qui nous mèneraient beaucoup trop loin, remarquons que cette extermination des indulgents, venant après l’égorgement des exagérés (que les premiers avaient servi à abattre), était horriblement conforme à la fumeuse thèse incessamment ressassée par Maximilien, que le modérantisme et l’exagération étaient également funestes, également contre-révolutionnaires ; et enfin, pour s’en tenir aux choses hors de doute, que s’il est conjectural qu’il ressentit une grande douleur en livrant Danton, Desmoulins, ses amis de vingt ans, il est, au contraire, bien positif qu’il les poursuivit, dès lors, avec la haine la plus implacable. Comment concilier cela, comment expliquer ce passage subit de l’amitié à une fureur que rien ne justifiait, car les fameuses conspirations au nom desquelles les révolutionnaires s’exterminaient sont depuis longtemps reléguées parmi les chimères ? Quoi qu’il en soit, par délibération des comités, Danton, Camille Desmoulins, Lacroix et Philippeaux furent arrêtés le 11 germinal an II (31 mars 1794). Le même jour, à l’ouverture de la Convention, il y eut comme un frémissement ; Legendre, ému, demanda qu’au moins les illustres accusés fussent entendus à la barre. Mais Robespierre s’élance à la tribune, menaçant et haineux : « ... Il s’agit de savoir si quelques hommes aujourd’hui doivent l’emporter sur la patrie..., si l’intérêt de quelques hypocrites ambitieux doit l’emporter sur l’intérêt du peuple français... N’avons-nous donc fait tant de sacrifices héroïques que pour retourner sous le joug de quelques intrigants qui prétendraient dominer ? ... En quoi Danton mérite-t-il un privilège (celui d’être entendu) ?... Quiconque tremble est coupable... Les complices seuls peuvent plaider la cause des coupables... Nous verrons si la Convention saura briser une idole pourrie, ou si, dans sa chute, elle écrasera la Convention !... »

On voit si c’est là le langage d’un homme qui se résigne à un sacrifice douloureux, ou si ce n’est pas plutôt le réquisitoire furieux d’un implacable ennemi.

La Convention terrifiée baissa la tête. Beaucoup de montagnards étaient d’ailleurs en mission, et la droite et la Plaine, outre leur lâcheté, ne pouvaient voir qu’avec une joie barbare les révolutionnaires se dévorer les uns les autres.

Saint-Just lut ensuite son rapport meurtrier et calomnieux, dont l’original existe, surchargé de notes venimeuses de la main de Robespierre. On en a publié le fac-similé (1841, chez France).

L’Assemblée vota le projet de décret qui renvoyait devant le tribunal révolutionnaire Danton, Desmoulins, etc., perfidement accolés à des hommes accusés de faux, Chabot, Fabre d’Églantine et autres.

La procédure fut inique. Les accusés se défendant vigoureusement, Saint-Just arracha encore un décret qui les mettait « hors des débats. »

Le tribunal, peuplé de robespierristes, les jeta à l’échafaud (16 germinal an II, 5 avril 1794).

On a posé cent fois la question, assez vaine aujourd’hui, de savoir si Robespierre visait à la dictature. Ce qu’il y a de certain, c’est que son parti l’y poussait fatalement, et qu’après tant d’épurations elle devenait son seul asile, sa nécessité. Il n’y eut, au reste, aucun projet à cet égard ou, du moins, on n’a rien connu que quelques mots de Saint-Just, dont l’authenticité même n’est pas parfaitement établie.

« J'entraîne Robespierre ! » avait dit Danton à ses derniers moments. Nulle parole ne s’est trouvée plus-vraie. Le premier châtiment du vainqueur des hommes de 1793 fut un redoublement de sa maladie noire, défiances, soupçons, terreurs secrètes, toutes les misères. La lâcheté même de ceux qui avaient abandonné leurs amis, les Legendre, les Fréron, les Tallien et autres, ne lui donnait aucune sécurité ; il flairait la haine sous leur bassesse, en quoi il ne se trompait pas, et la pire de toutes les haines, la plus implacable, celle qui est doublée de la peur. Il était, d’ailleurs, dans la logique des choses qu’il fût frappé par les débris de tous les partis que lui ou ses amis avaient écrasés.

Le dénoûment va bientôt se précipiter.

Deux jours après le supplice des dantonistes, le doucereux Couthon vint annoncer un projet de fête à l’Éternel. Comme préliminaires, on livra à la guillotine des prisonniers comme Chaumette, l’ex-évêque Gobel, coupables d’avoir voulu effacer toute idée de la divinité (ne se croirait-on pas au moyen âge ?), puis la charmante femme de Desmoulins, la femme d’Hébert, etc.

Cette affaire de restauration religieuse fut menée avec prudence et habileté, en trois actes : d’abord, l’annonce de Couthon ; puis, un mois plus tard (18 floréal, 7 mai), un long discours de Robespierre sur les idées religieuses et morales, discours travaillé, poli, vraiment éloquent, suivi d’un décret que la Convention s’empressa de voter et dont le premier article est ainsi conçu : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. » En outre, nouvelle confirmation de la liberté des cultes, ce qui, implicitement et en fait, rendait les églises aux catholiques. Enfin, un mois plus tard encore (20 prairial, 8 juin), l’acte décisif, la fête à l’Être suprême (v. Être suprême). Robespierre fut le pontife de cette cérémonie, traînant la Convention, qu’il présidait à ce moment, des Tuileries au Champ-de-Mars, prononçant des discours pompeux, mettant solennellement le feu à un mannequin représentant le monstre de l’athéisme, s’épanouissant enfin dans sa gloire et dans sa rhétorique. Beaucoup de représentants étaient sombres et irrités, non-seulement à cause du rôle singulier qu’on leur faisait jouer, mais encore parce qu’ils pensaient que Maximilien voulait ainsi s’assurer l’appui du parti religieux. Il entendit derrière lui plus d’une injure et plus d’une imprécation, des mots jetés en l’air comme Tarquin, roche Tarpéienne, tyran, Brutus, etc. Dans la foule, un sans-culotte dit ce mot : « Le b, … ! il n’est pas content d’être maître ! il lui faut encore être dieu ! »

Le soir, il rentra chez les Duplny, pâle et dévoré des plus noirs pressentiments.

On croyait qu’il allait proposer une amnistie ou tout au moins une atténuation au régime de la Terreur. Cela l’eût fait roi, en quelque sorte ; il serait apparu comme le grand pacificateur, l’éternel sauveur des sociétés.

Mais, déception effrayante, deux jours après avoir rendu cet hommage à l’Être suprême, il fit présenter par Couthon l’affreuse loi du 22 prairial, son œuvre personnelle, et qui fut présentée à l’insu du comité ou tout au moins de la majorité du comité, et comme en son nom. Cette loi, sous prétexte d’améliorer le tribunal révolutionnaire, supprimait les défenseurs, l’interrogatoire préalable, les dépositions écrites et les témoins. En outre, elle comprenait dans les « ennemis du peuple » ceux qui parlent mal des patriotes, ceux qui dépravent les mœurs, etc. C’était l’inquisition pure. Enfin, elle permettait aux comités (implicitement) d’envoyer les représentants au tribunal, même sans un vote de l’Assemblée.

Et il y a des historiens qui prétendent que Robespierre voulait enrayer la Terreur.

Il y eut un orage à la Convention ; mais Maximilien parla, la loi fut votée.

En quarante-cinq jours, elle fit à Paris 1,285 victimes.

L’effroi était tel dans la Convention, que plus de soixante députés n’osaient plus coucher dans leur lit. Sans prendre à la lettre ce qu’on a dit des proscriptions que Robespierre voulait exercer dans l’Assemblée, il est bien certain qu’il avait résolu de frapper quelques représentants qui s’étaient rendus odieux dans leurs missions, les Carrier, les Fouché, les Tallien, etc. Mais qui pouvait assurer qu’il ne comprendrait pas ses ennemis personnels dans cette hécatombe prévue ? Où s’arrêterait-il ? La terrible ivresse du glaive ne se dissipe pas comme celle du vin.

Le lendemain du vote de cette loi, il avait cessé de paraître au comité, par suite de dissensions dont le retentissement se produisait déjà au dehors, et peut-être aussi pour laisser toute responsabilité à ses collègues. Mais sa loi gouvernait pour lui. En outre, il était bien maître de toutes les forces vives de la République ; il dominait la Convention ; il tenait la Commune, les Jacobins, la force armée par Hanriot, etc.

Un premier coup lui fut porté par la divulgation de la ridicule affaire de Catherine Théot, vieille insensée qui tenait chez elle des réunions de mystiques, où le nom de Robespierre était adoré comme celui d’un messie. Pour le frapper, au moins par le ridicule, ses ennemis du comité firent arrêter toute la secte, feignirent de croire a un complot, firent présenter un rapport par Vadier, etc.

Irrité de l’éclat, le messie fit une chose audacieuse ; il ordonna à Fouquier-Tinville de ne pas juger, prit les pièces et les garda.

Dans cette dernière période, tout se réunissait pour ajouter à l’horreur de la situation, l’accélération des jugements, les exécutions par fournées, la terreur partout ; on sentait approcher quelque sinistre dénoûment ; tous les partis s’accusaient mutuellement de conspiration. Dans le fait, les Fouché, Rovère, Bourdon (de l’Oise), Guffroy, Tallien, Thuriot, Lecointre, etc., se sentant menacés, préparaient leurs mines pour faire sauter le tyran. Et, d’autre part, Robespierre était poussé, pressé d’agir par son parti, qui n’était plus couvert que par lui et qui ne voyait de salut que dans des mesures vigoureuses, bien certainement dans un coup d’État. Robespierre fit un discours !

Chose remarquable, il lui fallait toujours au moins une apparence de légalité. Disposant de tant de forces, il comptait encore une fois l’emporter par la parole, imposer un vote.

Le 8 thermidor, il vint lire à la Convention son fameux discours, très-travaillé, très-étudié, où des appels à la conciliation étaient mêlés à d’aigres accusations et à des menaces, et comme toujours à sa propre apologie. Évidemment, il voulait rallier la droite et le centre, qui flottaient encore irrésolus. Mais ses ennemis travaillaient sous terre, s’agitaient avec fureur, racolaient de tous les côtés.

Le soir, aux Jacobins, au comité de Salut public, scènes violentes qui n’annonçaient que trop le drame du lendemain.

On connaît, par mille récits, cette journée grandiose et tragique, qui ne fut qu’un combat. Dès l’ouverture de la séance, Saint-Just monte à la tribune pour lire un discours qu’il avait préparé la nuit ; mais à peine en avait-il prononcé quelques lignes, que Tallien lui coupe la parole, demande que le voile soit déchiré. Billaud reprend : « L’Assemblée, dit il, est entre deux égorgements, elle périra si elle est faible ! » Puis, il accuse Robespierre avec violence, Tallien, en impudent comédien, montre un poignard, jure qu’il s’en percera si le nouveau Cromwelt triomphe. Le duel était entamé ; il n’y avait plus maintenant de solution que l’extermination de l’un des partis. Robespierre paraît à la tribune, mais la masse des conjurés l’écrase des cris A bas le tyran ! et toujours, ainsi chaque fois qu’il voulait ouvrir la bouche. Probablement il n’avait pas prévu un si grand soulèvement de la part d’hommes qui deux jours auparavant semblaient encore à ses pieds. Il était atterré, mais luttait néanmoins avec un courage inutile. Attaqué par des gens dont beaucoup étaient méprisables, il l’était aussi par des républicains sincères et, de plus, abandonné par le groupe des plus purs montagnards, les Romme, les Ruhl, les Soubrany, etc., qui ne se joignirent pas à la meute, mais qui ne voyaient au bout de la victoire que la dictature et qui restèrent immobiles.

Épuisé, le malheureux se tourna vers la Plaine : « C’est à vous, hommes purs, que je m’adresse, et non pas aux brigands ! »

Il était loin du jour où il les appelait les serpents du Marais.

Mais la Plaine aussi était soulevée contre lui.

Hors de lui, il cria à Collot d’Herbois, qui présidait : « Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole ! »

Garnier de l’Aube cria : « Le sang de Danton l’étouffe ! »

Et toujours le s mêmes clameurs terribles : « À bas le tyran ! »

Une voix cria enfin : « L’accusation ! »

Toute l’Assemblée se lève,

Saint-Just, Couthon, Robespierre jeune, Lebas sont également décrétés. On entraîne les prisonniers à la prison du Luxembourg.

On connaît assez tous les détails de cette tragédie. Enlevé par la Commune, qui se mit en insurrection, conduit à l’Hôtel de ville, Robespierre, cependant, toujours formaliste et peu propre à l’action, refusa de signer l’appel aux armes ; mais son parti agissait sans lui. En apprenant la rébellion, la Convention mit hors la loi tous les accusés et les membres de la Commune. Hanriot, commandant de la force armée, et qui s’était joint aux robespierristes, fut arrêté, puis s’échappa, mais s’épuisait à rassembler des forces ; la majorité des sections se prononçait pour la Convention. L’Hôtel de ville fut attaqué dans la nuit. Robespierre alors, se voyant perdu, se tira, dit-on, un coup de pistolet qui lui fracassa la mâchoire. Selon une autre version, un jeune gendarme du nom de Merda (v. Merda), qui accompagnait le détachement conduit par le représentant Léonard Bourdon, pénétra dans le palais et brisa la mâchoire de Robespierre d’un coup de pistolet.

La version du suicide est affirmée dans les mémoires de Barras. Ces mémoires, restés entre les mains de Rousselin de Saint-Albin, sont encore en grande partie inédits. Le fils de Rousselin, M. Hortensius de Saint-Albin, conseiller à la cour d’appel, en a publié (1873) un chapitre, le Neuf thermidor. Barras, qui commandait la force envoyée contre l’Hôtel de ville, nie la relation posthume du gendarme Merda, qu’il traite de fable et dont il montre les invraisemblances. Suivant lui, Robespierre s’était tiré le coup de pistolet au moment où Merlin de Thionville pénétrait le sabre à la main dans la salle des délibérations. Les médecins, dans leur rapport, auraient reconnu par la direction même du coup de pistolet qu’il avait dû se le tirer lui-même. On comprendra notre réserve à propos de ce problème si difficile à résoudre ; mais nous devions rapporter ce témoignage.

Quoi qu’il en soit, Robespierre vaincu, pansé à la hâte, fut conduit le lendemain à l’échafaud avec vingt et un de ses amis, le 10 thermidor an II (28 juillet 1794). Le 29, autres exécutions de quatre-vingt-deux victimes, la presque totalité du conseil de la Commune.

Une période nouvelle allait bientôt commencer et la plus triste de l’histoire révolutionnaire, la « réaction thermidorienne ».

Nous ajouterons ici quelques extraits de différents auteurs qui mettront le lecteur à même d’apprécier mieux encore le caractère de celui que quelques-uns appellent le grand martyr de thermidor et qui n’est pour d’autres qu’un homme funeste et un tyran.

Dans sa grande compilation (Histoire parlementaire de la Révolution), le néo-catholique Buchez, tout occupé de sa réhabilitation paradoxale de la Terreur et de l’inquisition, s’est montré plus que favorable à Robespierre, à cause de son christianisme sentimental, de sa guerre contre l’école philosophique (Cloots, Chaumette et autres promoteurs des fêtes de la Raison) et de sa conception de l’Être suprême.

Par un motif contraire, M. Michelet, qui, d’ailleurs, incline vers Danton, traite, en général, Robespierre fort durement et le représente comme un « faux Rousseau, » comme un homme au « tempérament prêtre, » un autoritaire, tranchons le mot, comme un tyran.

Pour M. Louis Blanc, c’est le vrai chef de la démocratie moderne, le pontife de la Révolution, l’un des plus grands apôtres de l’humanité.

Sont également écrites dans l’esprit robespierriste la compilation fort oubliée de M. Cabet et l’Histoire des montagnards d’Esquiros.

MM. Thiers et Mignet jugent le célèbre conventionnel avec assez de sévérité.

Lamartine (Histoire des girondins) l’apprécie plus en artiste qu’en historien et parfois le maudit, parfois l’exalte avec un lyrisme qui dépasse autant la mesure que ses malédictions.

M. Villiaumé, d’ailleurs favorable à Danton, condamne Robespierre, mais avec modération.

Naturellement, dans les travaux royalistes, comme l’Histoire de la Convention de M. de Barante, l’Histoire de la Terreur de M. Mortimer-Ternaux, Robespierre est simplement traité comme un pur scélérat.

Enfin, dans la Révolution de Quinet, les appréciations sont à peu près semblables à celles de M. Michelet.

— Bibliogr. Biographie de Robespierre, par J. Lodieu (Arras, 1850), assez malveillante.

Vie secrète, politique et curieuse de Maximilien Robespierre, par L. Duperron, an II (in-12 de 38 pages), avec une gravure qui représente une main tenant par les cheveux la tête de Maximilien.

Portrait de Robespierre, par Merlin de Thionville (in-8o de 12 pages), libelle dont le véritable auteur serait Rœderer.

Souvenirs d’un déporté, par Pierre Villiers, an X. C’est un recueil d’anecdotes parmi lesquelles plusieurs pages sont consacrées à Robespierre, dont l’auteur avait été secrétaire en 1790.

L’Intrigue dévoilée ou Robespierre vengé des intrigants et des calomnies des ambitieux, par Delacroix (1792), brochure intéressante pour l’étude des luttes contre la Gironde avant la Convention.

Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, dont on a assez légèrement contesté l’authenticité. Ces notices étaient bien de la main de Charlotte, qui était une personne instruite et distinguée ; elle les remit à Laponneraye, qui les publia en 1835, peut-être en les remaniant un peu, mais sans toucher au fond. On y trouve beaucoup de détails intimes. Les appréciations sont naturellement empreintes de la tendresse partiale des sentiments de famille.

Causes secrètes de la révolution du 9 thermidor, par Vilate, an II. Ce Vilate, ancien juré du tribunal révolutionnaire, avait été arrêté après la chute de Robespierre. Pour se concilier les vainqueurs et mériter sa grâce, il écrivit plusieurs brochures calomnieuses qui ne le sauvèrent cependant pas. C’est à cette source suspecte que des écrivains de parti ont puisé des anecdotes qui ont passé dans l’histoire et dont la plupart sont probablement apocryphes.

Rapport fait au nom de la commission chargée de l’examen des papiers trouvés chez Robespierre et ses complices, par E.-B. Courtois, député de l’Aube (séance du 10 nivôse an III), imprimé par ordre de la Convention (in-8o de 408 pages). Rapport sur les événements du 9 thermidor, présenté le 8 thermidor an III, par le même (in-8o de 220 pages). Le premier de ces rapports se compose de deux parties distinctes : le rapport proprement dit et les pièces à l’appui. Courtois s’était acquitté de sa mission avec autant de mauvaise foi que de partialité. Il omit en premier lieu toutes les pièces qui pouvaient être favorables à Robespierre, celles qui étaient de nature à compromettre des hommes engagés dès lors dans la réaction, en restitua une partie aux intéressés et s’appropria le plus grand nombre. Portiez de l’Oise en recueillit aussi beaucoup. Les unes sont à jamais perdues pour l’histoire ; d’autres ont passé dans des collections particulières.

En 1828, Alexandre Martin a publié : Papiers inédits trouvés chez Robespierre, SaintJust, etc., supprimés ou omis par Courtois (3 vol. in-8o), ouvrage curieux et qui complète les rapports du conventionnel thermidorien..

Histoire de la conjuration de Robespierre, par Montjoie (Lausanne, 1795, in-8o). C’est un pamphlet royaliste.

Hymne dithyrambique sur la conjuration de Robespierre et la révolution du 9 thermidor, par Rouget de l’Isle (l’auteur de la Marseillaise), an II. Un couplet de cette élucubration donnera une idée de l’esprit dans lequel elle est conçue :.

   Voyez-vous ce spectre livide
   Qui déchire son propre flanc ;
   Encore tout souillé de sang,
   De sang il est encore avide.
   Voyez avec un rire affreux
   Comme il désigne ses victimes.
   Voyez comme il excite au crime
   Ses satellites furieux !
Chantons la liberté, couronnons sa statue !

Cela se chantait sur l’air même de la Marseillaise !

Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction, du 9 au 10 thermidor, brochure sans nom d’auteur, publiée au lendemain de l’événement et rédigée avec plus d’impartialité qu’on n’en pouvait attendre en un pareil moment.

La vie, les crimes et le supplice de Robespierre et de ses principaux complices, par Desessarts (1797), ouvrage dont le titre indique assez l’esprit.

Enfin, il faudrait ajouter les centaines de pamphlets publiés après le 9 thermidor, la plupart aussi dégoûtants que mensongers. Nous nous bornerons à citer les titres de quelques-uns, car de pareilles pièces échappent à toute analyse et à toute critique.

La Queue de Robespierre, par Mehée ; les Anneaux de la queue ; Jugement du peuple souverain qui condame à mort la queue de -Robespierre ; Défends ta queue, par Mehée ; Rendez-moi ma queue ou Lettre de Robespierre à la Convention ; Coupez-moi la queue ou la Chanson des carmagnoles (en vers) ; Ode à la Calomnie en réponse à la queue de Robespierre ; la Chute de Robespierre et complices, ode à la Convention, par Dejean ; Capet et Robespierre, par Merlin de Thionville ; Testament de Robespierre ; Véritable portrait de Catilina Robespierre ; la Nouvelle Montagne en vaudevilles ou Robespierre en plusieurs volumes, par Martainville ; Robespierre peint par lui-même et Conjuration formée contre Robespierre, par Lecointre ; Observations sur le caractère, la politique et la conduite de Robespierre, le dernier tyran, etc., etc.

Robespierre. Iconogr. Un des collectionneurs les plus connus de notre époque, M. Eudoxe Marcille, possède un tableau représentant Robespierre jeune, vu jusqu’aux genoux et de grandeur naturelle, ayant une perruque poudrée à frimas, un tricorne sous le bras, un habit noir, une cravate formant jabot et des manchettes de mousseline, la main gauche appuyée sur la poignée d’acier d’une petite épée, la droite tenant le revers de l’habit et posée sur la poitrine. Le visage est rond, le nez légèrement relevé du bout, la physionomie empreinte de fatuité. On ne reconnaît pas là le terrible révolutionnaire ; c’est un avocat de province fashionable, prétentieux, vaniteux, content de soi. Cette peinture curieuse, dont l’exécution n’a, d’ailleurs, rien de remarquable, a été attribuée à Danloux ; mais le fils de cet artiste a protesté énergiquement contre une pareille attribution, en alléguant que son père n’avait jamais eu de relations d’aucune sorte avec Robespierre. Il fut un temps où, loin de se défendre d’avoir des relations avec le député d’Arras, les gens recherchaient fort sa compagnie et les artistes le plus en renom l’honneur de retracer ses traits. David, qui, à la vérité, était un révolutionnaire enthousiaste, a fait de lui un portrait très-calme que l’on voyait, en 1845, dans la collection de M. Saint-Albin. Beljambe a gravé, d’après Gros, un portrait de profil qui dut être exécuté vers 1790. De la même époque à peu près doit être l’excellent portrait, également de profil, gravé par Fiesinger, d’après J. Guériu : front fuyant, nez et menton pointus, air froid et compassé. Au Salon de 1790, Mme Guyard exposa un bon portrait de Robespierre qui, avant de venir poser chez elle, lui avait écrit une lettre des plus aimables, conservée aujourd’hui au British Muséum, et commençant ainsi : « On m’a dit que les Grâces voulaient faire mon portrait… » Un médaillon en plâtre, sculpté par Collet, au mois de septembre 1791, appartenait, il y a quelques années, à M. Ph. Lebas et a été gravé par Flamens. D’autres portraits du temps ont été gravés par Coqueret (d’après Delaplace), Vérité, Levachez, B. Gautier (d’après E. Bonneville, J.-D.-E. Cann, etc.). Sur l’estampe de Vérité, on Ht ces vers en l’honneur de Robespierre :

Du superbe oppresseur ennemi redoutable,
Incorruptible ami d’un peuple qu’on accable,
Il fait briller au sein des viles factions
Les vertus d’Aristide et l’âme des Catons.

Le peintre Ducreux exposa un portrait de Robespierre au Salon de 1793. De notre temps, un buste en plâtre a été sculpté par M. J.-C. Rousseau (Salon de 1872).

Robespierre une fois tombé fut fort maltraité par les artistes. Tassaert, le graveur, l’a représenté comme un vrai buveur de sang, tenant un cœur qu’il presse au-dessus d’une coupe ; cette image est accompagnée de huit vers tirés de la Virginie de Laharpe :

Ce maître impérieux n’est plus qu’un vil coupable…

Une autre gravure nous montre « Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillotiner toute la France » ; il est assis, en costume officiel, sur un tombeau de forme pyramidale sur lequel on lit : « Cy-gît toute la France. » Sous ce titre : Gouvernement de Robespierre, une petite pièce représente le bourreau Samson sur la place de la Révolution ; on y lit ces vers :

Admirez de Samson l’intelligence entière :
Par le couteau fatal il a tout fait périr ;
Dans cet affreux état que va-t-il devenir ?
    Il se guillotine lui-même.

Citons encore une gravure de Poisson intitulée : l’Horrible conspiration de Robespierre dévoilée, et une autre, sans nom d’auteur, qui porte ce titre pompeux : le Miroir du passé pour sauvegarder l’avenir ou Tableau parlant du gouvernement cadavéro-faminocratique sous la tigrocratie de Robespierre et compagnie.

Les événements du 9 et du 10 thermidor ont été représentés par divers artistes contemporains, notamment par Harriet, composition d’une exécution médiocre, mais rendant assez bien l’horreur de la scène, le fracas des coups de pistolet, la lueur des torches (gravé par Tassaert) ; Lethière (composition académique grave par Coqueret ; Barbier, gravé par Sloane ; Duplessis-Bertaux, Levachez, Helman, etc. La scène de l’Arrestation de Robespierre a été représentée avec talent par un artiste bavarois, M. Maximilien Adamo, dans un tableau qui a été exposé au Salon de 1870. Au centre de la composition, Robespierre est assis sur une chaise et comme affaissé sous le poids des accusations lancées contre lui. Vadier, Collot d’Herbois et quelques autres conventionnels l’entourent, l’invectivent, le menacent. Un huissier de la Convention l’a saisi au collet et tient en même temps Saint-Just, qui est debout, à gauche, assez calme et assez digne, au milieu d’une foule irritée. Fouché et Carnot se serrent la main comme pour se féliciter de la chute du dictateur. Billaud-Varennes est à la tribune ; près de lui, Tallien agite son poignard. Le président Thuriot cherche inutilement à calmer l’assemblée et à diminuer le tumulte en secouant la sonnette. Les spectateurs gesticulent dans les tribunes et interpellent les députés. Le soleil de thermidor éclaire vivement le fond de la salle ; à la muraille est accroché le tableau de David représentant Marat assassiné dans sa baignoire.

Dans un tableau exposé au Salon de 1870, M. Andrieux a représenté un épisode du 9 thermidor : la Convention refusant d’entendre Robespierre. M. Briguiboul a peint Robespierre dans la salle du comité de Salut public le 10 thermidor (Salon de 1863). Un sculpteur franc-comtois, M. Max Clauqet, a exécuté une statue de Robespierre à la Convention le 9 thermidor (Salon de 1873).

Robespierre (vie de) [Arras, 1850]. C’est un ramassis de tous les libelles contre le vaincu de thermidor. Il est attribué (v. Quérard) à l’un des chanoines de la cathédrale, l’abbé Proyard, et n’est qu’une espèce de contrefaçon d’un autre libelle, la Vie et les crimes de Robespierre, surnommé le Tyran (Augsbourg, 1795, in-8o), publié sous le pseudonyme de Leblond de Neuvéglise, mais écrit en réalité par un autre abbé Proyard, parent du chanoine dont nous avons parlé plus haut et qui était préfet des études à Louis-le-Grand à l’époque où Robespierre y faisait ses études. Ces élucubrations n’ont aucune valeur historique et ne sont que des productions de la haine et de la calomnie. Mais elles font partie de cette riche littérature de mensonges, où tous les scribes de la réaction sont allés puiser.

Robespierre (HISTOIRE DE), d’après les papiers de famille, les sources originales et des documents inédits, par M. Ernest Hamel (Paris, Lacroix, 1865-1867, 3 vol. in-8o). C’est la plus volumineuse biographie que l’on ait faite du célèbre conventionnel ; elle ne comprend pas moins de 2,100 pages in-8o, chargées et surchargées de notes. Ce n’est pas à proprement parler une histoire, mais un panégyrique, une apologie à la manière des chrétiens. Les bollandistes n’ont pas parlé autrement de leurs saints. Ici toute critique est absente ; nous entrons dans l’histoire auguste, c’est-à-dire maximilienne ; M. Hamel, avec un fétichisme bien étonnant pour notre époque d’analyse, d’examen, de froide et impitoyable critique, nous parle de son héros comme certains historiens parlaient autrefois de Louis XIV, et même avec plus de vénération, car à plusieurs reprises il le compare à Jésus. M. Louis Blanc, non moins exclusif, mais plus habile, fait quelquefois des concessions ; M. Hamel, jamais ! Robespierre est l’idéal de la perfection ; il est la Révolution même, et les autres acteurs du drame n’ont de valeur qu’autant qu’ils se rapprochent de lui, le prennent pour étoile et pour guide. Tous les adversaires de Robespierre sont nécessairement les ennemis de la Révolution. Ses amis participent de sa sainteté : Saint-Just, Couthon, Lebas, etc., sont autant de Télémaque et autant de Grandisson. Cela tourne à la légende, à la sanctification.

Rien de plus fastidieux qu’un plaidoyer aussi exclusif et systématique. Les historiographes de cour avaient moins de complaisance pour les idoles monarchiques. Certes, nous sommes pénétrés de respect et d’enthousiasme pour les grands citoyens qui ont donné leur sang pour la cause du peuple et le salut de la patrie ; mais nous n’admettons pas aujourd’hui qu’on les sacrifie l’un à l’autre, qu’on incarne la Révolution dans un seul homme et qu’on immole tous les autres au fétiche idéal qu’on a créé de ses mains. De tels procédés sont aussi contraires à l’équité qu’à la vérité historique, et sont à peine supportables dans les fictions littéraires et le roman historique.

Ces réserves faites, il ne nous en coûte rien de reconnaître que le travail de M. Hamel, malgré sa partialité, contient des recherches neuves et intéressantes, ainsi que des réfutations souvent heureuses des calomnies banales et traditionnelles contre Robespierre. Jamais ce sujet n’avait été traité avec autant de détail et d’étendue. Dans son pieux enthousiasme pour son héros, l’auteur s’est livré aux plus laborieuses investigations et il a été assez heureux pour trouver de nombreux renseignements inédits. Seulement, son livre gagnerait certainement à être moins prolixe et moins surchargé d’épisodes parasites, de digressions, de détails étrangers au sujet ou très-souvent oiseux. Le style en est lâché, déclamatoire et, disons le mot, ennuyeux ; c’est évidemment un ouvrage manqué, mais qui renferme incontestablement des matériaux suffisants pour un travail sérieux.