Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolutions (LES), par Pascal Duprat

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1125).

Révolutions (LES), par Pascal Duprat (Paris, 1868). Ce sont des pensées détachées sur les révolutions, les faux jugements dont elles sont l’objet, leurs conditions de légitimité, les qualités qu’elles exigent, les causes qui les produisent, les moyens qui en assurent le succès, les causes qui les font échouer ; sur les révolutions militaires, les révolutions de palais, les contre-révolutions ou réactions politiques, les dictateurs et dictatures, l’esprit révolutionnaire, etc. Pour donner une idée de la manière de M. Duprat et de l’esprit dans lequel est écrit son ouvrage, nous citerons les réflexions suivantes:

« Le plus grave reproche qu’on adresse aux révolutions, c’est de troubler la marche des faits. Voilà ce qu’a dit et répété bien des fois cette école historique dont Savigny a été le chef en Allemagne et dont Burke exprimait déjà les idées en Angleterre quand il publia son pamphlet contre la Révolution française. On fait ainsi de l’histoire une sorte de végétation qui doit être abandonnée à la nature et sur laquelle l’homme ne peut porter la main sans commettre une espèce de sacrilège. Doctrine fausse et dangereuse ! Spontanée à son origine, comme tous les faits humains, l’association politique ou la cité, pour employer l’expression des anciens, devient plus tard une œuvre scientifique.

« Il a été question plus d’une fois de l’inutilité des révolutions. Cette doctrine n’est pas d’accord avec l’histoire… On peut dire, à la honte des gouvernements, que les droits les plus précieux ont dû être conquis. Comment l’Europe est-elle sortie du servage ? Par le soulèvement des communes, qui prit quelquefois le nom peu pacifique de conjuration. Il a fallu quarante ans de luttes pour arracher l’Angleterre au despotisme des Stuarts. Un soulèvement national a fondé l’indépendance de la Hollande. Cette république des États-Unis, qui fera bientôt équilibre à l’Europe, a eu la même origine. Enfin, n’est-ce point par un effort sans exemple dans le monde que la France a brisé, sur la fin du dernier siècle, toutes les tyrannies du passé ?

« Toute révolution qui introduit un droit ou une liberté dans le monde doit être considérée comme légitime, car elle agrandit le patrimoine de l’humanité.

« Toute révolution qui n’a point pour objet le triomphe d’un droit contesté ou d’une liberté méconnue doit être considérée comme illégitime. Ce n’est qu’une course de forbans à travers la société.

« Malheur au peuple que tous les changements attirent ! Il ressemble à ces arbres des bords de la mer que le souffle des tempêtes secoue sans cesse et qui ne tardent pas à être déracinés.

« Malheur au peuple qui accepte et subit tous les changements avec une sorte d’indifférence ! Il marche à grands pas vers la servitude, s’il n’est point déjà dans les mains d’un maître.

« Pascal a dit, dans cette satire amère que lui a inspirée le spectacle de l’humanité : « La justice sans la force est impuissante ; ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Voilà, en effet, comment se sont fondés en général les gouvernements. Or, il y a des révolutions qui, en changeant les conditions du pouvoir, ont pour but de mettre la force dans les mains de la justice ; comment contester leur légitimité ? Toutes celles qui tendent à mettre la justice dans les mains de la force ne font que ramener l’humanité en arrière et sont par la même illégitimes. »