Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Révolution française (ESQUISSES HISTORIQUES DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS DE LA), par Dulaure

Administration du grand dictionnaire universel (13, part. 3p. 1120).

Révolution française (ESQUISSES HISTORIQUES DES PRINCIPAUX ÉVÉNEMENTS DE LA) [Paris, 1826, 6 vol.], par Dulaure. Dulaure était un ancien conventionnel qui avait été peu remarqué pendant la République ; il siégeait ordinairement dans la Plaine, parmi les timides qui ne pensaient que d’après la pensée des chefs et n’agissaient que sous l’impulsion des autres. Ses Esquisses des principaux événements de la Révolution furent publiées par Baudouin (1826). On y retrouve les opinions indécises d’un membre de la Plaine. Ce n’est pas que Dulaure se montre hostile aux principes de la Révolution, mais il croit utile de les tempérer par les principes constitutionnels dont on parlait beaucoup à cette époque (1826). Il est rare qu’il comprenne non-seulement les mouvements populaires de la Révolution, mais la pensée elle-même. Il raconte tant bien que mal les événements par lesquels cette pensée se manifeste, sans savoir les grouper et en faire ressortir une signification quelconque. Il faut reconnaître, d’ailleurs, qu’il n’avait pas l’intention d’offrir au public une histoire complète de la Révolution, Ce qu’il veut raconter, ce sont les scènes les plus mémorables de ce qu’il appelle assez inintelligemment « cette longue et grande crise politique, » comme si la Révolution n’avait pas plus d’importance qu’un changement de ministère ou de dynastie ! Il n’a pas vu que la Révolution inaugurait une ère nouvelle et qu’elle apportait au monde entier l’idée souveraine par laquelle il doit être transformé. Cette idée est celle de la justice primordiale, universelle et humaine. Les vraies causes de la Révolution ne sont donc pas là où il les place, dans le scandale de l’affaire du collier, dans l’influence des sociétés maçonniques, etc., mais dans le besoin profond d’un nouvel ordre de choses plus équitable. C’est ce qui ressort avec une évidence lumineuse des cahiers de 1788 et 1789. Si Dulaure eût eu conscience de cette idée, mère de la Révolution, la justice, il eût donné à son livre une unité et une grandeur qui lui manquent. C’est un recueil d’anecdotes médiocrement écrites, qui a eu son utilité dans un temps où l’on n’avait encore que très-peu de livres sur la Révolution, mais qui a singulièrement perdu de sa valeur depuis que de grands historiens comme Michelet, Quinet, Louis Blanc, etc., se sont occupés de cette grande époque. L’ouvrage de Dulaure commence à l’ouverture des états généraux et finit au départ de Napoléon pour l’Île d’Elbe. Le tort de Dulaure est d’avoir écrit moins avec ses propres souvenirs que d’après les mémoires des autres. C’est pour cela sans doute que ses Esquisses manquent de chaleur et de couleur, et offrent moins d’intérêt que les quelques pages dans lesquelles il a raconté ses vicissitudes pendant la Terreur. Il rapporte puérilement tous les événements intérieurs de la Révolution à l’or de Pitt et de Cobourg. A-t-il à décrire une scène populaire ; il ne manque jamais de vous y montrer des agents de troubles et des brigands salariés. Or, bien qu’il soit impossible de nier l’influence occulte du ministère anglais dans les affaires publiques de la France, il devient absurde de voir partout des agents de l’étranger. Or, ces agents, Dulaure vous les nomme ; ce sont : Marat, Saint-Just, Robespierre et Danton ! Rappeler cette opinion nous dispense de continuer l’analyse d’un livre qu’on ne peut plus prendre au sérieux quand on y a lu de pareilles absurdités. Dulaure a donc mal jugé non-seulement les événements, mais les hommes. À le lire, on croirait que toute la Révolution s’est passée dans la rue ; il s’appesantit longuement sur les journées de Septembre ; il raconte en détail les émeutes les plus insignifiantes, et il ne nous lait jamais assister à une séance de la Convention, sinon quand elle juge Louis XVI. De sorte que, lorsque vous avez lu son ouvrage, il ne vous reste de cette grande époque qu’une idée de tumulte et de désordre, et que vous seriez bien empêché de dire au nom de quels principes agissaient tous ces hommes. C’est là le défaut capital de Dulaure et ce qui condamne irrémissiblement son ouvrage.