Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Joyeuses commères de Windsor (LES) (Die Lustigen Weiber von Windsor), opéra-comique allemand, musique d’Otto Nicolaï

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1060).

Joyeuses commères de Windsor (LES) (Die Lustigen Weiber von Windsor), opéra-comique allemand, musique d’Otto Nicolaï, représenté à Berlin au mois de mai 1849, et pour la première fois à Paris, sur le Théâtre-Lyrique, le 25 mai 1866. Le livret allemand de Mosenthal a été adapté à la scène française par M. Jules Barbier, qu’une nouvelle étude de la vieille pièce de Shakspeare, Merry Wives of Windsor, aurait pu mieux inspirer. D’après le livret français, un juge de paix a une fille nommée Anna ; il veut la marier à Nigaudin, sorte d’idiot, mais riche. À Nigaudin, la femme du juge de paix, Mme Page, préfère un capitaine matamore ; mais la jeune fille a fait son choix : c’est un jeune poète qui possède son cœur et qui finit par obtenir sa main. Une seconde intrigue, qui ne se rattache presque par aucun lien à la première, forme la partie principale de la pièce. Le libertin et ivrogne Falstaff est arrivé à Windsor et envoie des billets doux à toutes les femmes. Deux commères, Mmes Ford et Page, jurent de lui faire payer cher son insolence. M. Ford, trompé par les apparences, soupçonne la fidélité de sa femme et a beaucoup de peine à croire à son innocence. Falstaff se laisse mettre dans un sac qu’on jette à la rivière ; il est berné de cent manières par les joyeuses commères ; il boit un peu trop, mais il n’est pas méchant du tout. Dans cette pièce, les brigands, les voleurs et les spadassins ont l’air d’être les plus honnêtes gens du monde, tandis que la jeune fille, l’innocente Anna, se moque de son père, ment à sa mère, donne des rendez-vous à son amant et se fait enlever par lui. Le dénoûment de l’action, en ce qui regarde Falstaff, est puéril. On l’attire dans une forêt, près d’un chêne hanté par les revenants, et là, au lieu de l’effrayer par des apparitions funèbres, ce sont des génies, des dryades et des hamadryades, des nymphes gracieuses qui dansent autour de lui. Le divertissement n’était pas le moyen le mieux choisi pour guérir Falstaff de ses excès de galanterie.

Cet ouvrage est loin de mériter la réputation dont il a joui avant qu’on le connût en France, sur la foi de l’enthousiasme germanique. L’ouverture, exécutée en 1864 aux concerts populaires de musique classique, y a été chaleureusement accueillie ; c’était sans doute l’effet d’une surprise, car rien n’est plus mesquin que le plan, rien n’est plus pauvre que l’orchestration. Sauf quelques dessins de violon assez élégants, le reste est bruyant et plat. On remarque, dans le premier acte, un duo assez gai entre les deux commères, chanté par Mlle Saint-Urbain et Mlle Dubois ; une romance dite avec goût par Mlle Daram ; un duo entre le ténor et le juge de paix. Le troisième acte est le meilleur ; il offre deux morceaux bien traités : l’un est le Rule Britannia, qui est repris par le chœur dans le finale ; l’autre est le trio chanté dans la forêt et dont l’harmonie est distinguée. Tout se termine par des motifs de danse et un galop vulgaire. Ismaël a joué en acteur consommé le rôle de Falstaff, et Gabriel était assez amusant dans celui du juge de paix. Les autres rôles ont été tenus par Wartel, Troy jeune, Gerpré, Du Wast, Mlles Saint-Urbain, Daram et Dubois. La traduction que M. Carvalho a fait faire de cette pièce a suggéré à M. Gustave Bertrand la judicieuse observation suivante : « Les chefs-d’œuvre seuls ont droit au bénéfice de ce libre échange de l’admiration internationale ; le génie seul a droit de voyager et de se survivre. Quant au talent, il doit se contenter de réussir (et, la plupart du temps, il réussit mieux que le génie même) dans le pays et la génération où il s’est produit. Il en est des œuvres d’art comme des bons vins : il n’y a que les grands crus qui méritent les honneurs de l’exportation. »