Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Homme dans la nature (DE LA PLACE DE L’), par Th. H. Huxley

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 363-364).

Homme dans la nature (DE LA PLACE DE L’), par Th. H. Huxley, traduit par le docteur E. Dally (Paris, 1868). Le but principal que s’est proposé M. Huxiey est de rechercher quels sont, au point de vue anatomique, les rapports précis de l’homme avec les animaux qui l’approchent de plus près:les singes anthropomorphes. La conclusion des naturalistes classiques, admise jusqu’à ce jour, est que les hommes forment un ordre du groupe des primates ; les singes un autre ordre, celui des quadrumanes. La conclusion de M. Huxley est que le singe et l’homme appartiennent au même ordre. La principale démonstration anatomique de M. Huxley a trait aux prétendues mains de derrière des singes. L’extrémité inférieure ou postérieure des singes se termine par un véritable pied, et non par une main ; le pied et la main de l’homme offrent entre eux des caractères différentiels qui se retrouvent, exactement les mêmes, chez les singes ; en sorte que le terme de quadrumanes, adopté depuis Cuvier, consacre une erreur, et que la distinction des deux ordres de primates est, sous ce rapport, effacée. Quant au cerveau, la conclusion est la même. On avait dit que le lobe postérieur, la corne postérieure et le petit hippocampe étaient des particularités anatomiques propres à l’homme. M. Huxley prouve que ce sont précisément les caractères de structure cérébrale les mieux marqués comme étant communs à l’homme et aux singes, « Les différences anatomiques entre l’homme et les singes anthropomorphes, conclut le savant naturaliste anglais, nous autorisent certainement à le considérer comme formant une famille distincte; mais comme il diffère moins de ces singes qu’eux-mêmes ne différent d’autres familles du même ordre, il n’y a aucune raison pour le placer dans un ordre distinct. Ainsi se trouve justifiée la sagace perspicacité du grand législateur de la zoologie méthodique, Linné, et un siècle de recherches anatomiques nous ramène à sa conclusion : que l’homme est un membre du même ordre que les singes et les lémuriens, auquel la dénomination linnéenne de primates doit être conservée. Cet ordre peut maintenant se diviser en sept familles d’une valeur systématique à peu près égale : 1° les anthropiniens (hommes) ; 2° les catarrhiniens (singes de l’ancien monde) ; 3° les platyrrhiniens (tous les singes du nouveau monde, excepté les marmousets) ; 4° les arctopithèques (marmousets) ; 5° les lémuriens ; 6° les chéiromyens ; 7° les galéopithéciens (lémuriens volants). Aucun ordre de mammifères ne se présente peut-être avec une série aussi extraordinaire de gradations que le fait celui-ci, qui nous conduit insensiblement du sommet de la création animale à des êtres qui ne sont séparés, comme on le voit, que par un échelon du plus inférieur, du plus petit et du moins intelligent des mammifères à placenta. Il semble que la nature elle-même ait prévu l’orgueil de l’homme, et, avec une cruauté toute romaine, ait voulu que son intelligence, au sein même de ses triomphes, fît sortir les esclaves de la foule pour rappeler au vainqueur qu’il n’est que poussière. »

La conclusion anatomique de M. Huxley conduit à l’hypothèse de l’origine de l’homme par voie de transformation simienne. Cette hypothèse, selon notre auteur, rentre dans la grande théorie du transformisme, dont elle est une application logiquement irréprochable. Elle sera justifiée si le transformisme peut être établi. « L’homme n’étant séparé des animaux par aucune différence anatomique plus importante que celles qui les séparent les uns des autres, il semble que, si l’on peut découvrir un procédé quelconque, causatif de modifications organiques, par lequel se seraient produits les genres et les familles des animaux ordinaires, ce procédé pourrait amplement rendre compte de l’origine de l’homme. En d’autres termes, si l’on pouvait établir que les marmousets, par exemple, se sont formés et élevés, par des modifications graduelles, des platyrrhiniens, où que marmousets et platyrrhiniens sont des rameaux modifiés d’une même souche primitive, on ne trouverait aucune raison solide pour mettre en doute que l’homme peut avoir pris origine, en vertu de modifications graduelles, d’un singe anthropomorphe.… C’est pour quoi la question des relations des hommes avec les animaux se fond d’elle-même, quant à présent, dans le problème plus large de la possibilité ou de l’impossibilité des vues de Darwin. » Examinant le théorie darwimienne, M. Huxley n’hésite pas à déclarer que, « si elle n’est pas exactement vraie, elle s’approche de la vérité pour le moins autant que l’hypothèse de Copernic, par exemple, par rapport à la véritable doctrine des mouvements célestes. » Il reconnaît toutefois que, si elle explique suffisamment la diversification des formes anatomiques, il manque un anneau dans l’enchaînement des preuves qu’elle invoque : il faudrait qu’elle nous mon- trât des races différentes sorties d’une commune origine par voie de sélection, et réalisant les caractères des espèces naturelles, c’est-à-dire stériles entre elles comme ces espèces.

M. Dally a fait précéder l’ouvrage de M. Huxley d’une curieuse introduction. Au lieu d’écarter, à l’exemple de l’école positiviste, le problème des origines comme insoluble, il pose bravement ce problème, qu’il faut, dit-il, résoudre sous peiné de « renoncer













à toute part importante dans la direction mentale de l’humanité. » Quelle solution lui donne-t-il ? Il n’en admet pas d’autre que l’éternité du monde, l’éternité de la vie et la série sans commencement des métamorphoses. « Pour ce qui est de l’origine des choses, nous croyons qu’il faut désormais affirmer qu’il n’en est pas de concevable, c’est-à-dire qu’il n’en est point… L’impossibilité de concevoir un commencement aux choses, jointe à la certitude de l’apparition non simultanée, mais successive, des êtres vivants, oblige l’esprit à admettre que cette succession a pour condition nécessaire la conversion permanente des forces qu’ils personnifient… Il n’y a pas de place entre ces deux termes : ou admettre une création de toutes pièces ex nihilo, ou reconnaître que la substance a toujours été, ou tout au moins (ce qui revient au même pour nous) que nous ne pouvons concevoir son commencement… Tout a toujours été en puissance. Une transformation continue suppose qu’en réalité aucun moment de la durée n’a marqué une forme complètement nouvelle ; l’une n’avait pas cessé d’être quand l’autre commençait, en sorte que, dans cet incessant mouvement vers un devenir inconnu, il est impossible de tracer une limite qui ne soit de pure convention. » Le transformisme, selon M. Dally, se rattache à cette solution nécessaire du problème des origines.