Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Histoire universelle (INTRODUCTION À L’), par M. Michelet

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 309).

Histoire universelle (introduction à l’), par M. Michelet, publiée en 1831. Ce livre pourrait, comme le dit l’auteur dans son éloquente préface, être intitulé : Introduction à l’histoire de France ; en effet, M. Michelet est arrivé par la logique et par l’histoire à cette conclusion unique, que « notre glorieuse patrie est désormais le pilote du vaisseau de l’humanité ; » mais, ajoute-t-il, « ce vaisseau est emporté par la tourmente, » tourmente éminemment progressive et dont notre révolution est certainement la phase la plus importante. C’est ce mouvement, bien digne à coup sûr de l’attention d’un esprit élevé et d’un grand écrivain, que l’auteur a voulu comprendre et expliquer dans son Introduction à l’histoire universelle, la première en date de ses œuvres historiques. Il commence par poser en principe que depuis la naissance du monde il s’est établi une lutte entre l’homme et la nature, l’esprit et la matière, la liberté et la fatalité. La liberté a toujours réclamé dans la société ; il est temps qu’elle réclame dans la science, que cette dernière vienne lui donner sa plus légitime consécration et que les temps modernes apprennent à respecter cette force restée toujours vivace dans les sociétés antiques, si décriées aujourd’hui. Si l’œuvre de M. Michelet atteint son but, l’histoire apparaîtra comme l’éternelle protestation, comme le triomphe lent, mais progressif, de la liberté.

Telle est l’idée fondamentale de l’Introduction à l’histoire universelle. On devine ce que doit être le corps de l’ouvrage quand on connaît la base ; ce ne sont que des preuves à l’appui de la thèse que soutient l’auteur, et une revue des histoires des différents peuples au point de vue de la liberté. Dans les temps anciens, la liberté humaine, qui ne meurt pas, poursuit son affranchissement de l’Égypte à la Judée, comme de l’Inde à la Perse. Mais il est un pays où elle rencontre des entraves plus grandes qu’ailleurs, c’est en Asie, le pays de la nature. Ce n’est point ici le lieu de discuter cette opinion de M. Michelet et de rechercher si, bien réellement, l’Asie, plus qu’un autre pays, s’est opposée au mouvement progressif de la liberté et si la cause de cette opposition découle du panthéisme. M. Michelet lui-même soutiendrait-il aujourd’hui cette opinion ? Nous en doutons fort. L’auteur nous montre ensuite l’homme, dans les sociétés modernes, se séparant du monde naturel de l’Asie et se faisant par l’industrie, par l’examen, un monde qui relève de la liberté. Voulez-vous savoir d’où nous vient la liberté, à nous Français ? N’allez pas chercher son origine en Allemagne, cette patrie de la féodalité. Non ; l’Allemagne, trompée par le fini, s’adressa à l’infini. Après s’être immolée à son seigneur, à sa dame, que refusera-t-elle à son Dieu ? Rien ! ni sa moralité, ni sa liberté ; elle jettera tout dans cet abîme ; elle confondra l’homme dans l’univers et l’univers en Dieu. Elle adoptera le panthéisme de Schelling, et l’adultère de la matière et de l’esprit sera de nouveau couronné. L’Allemagne c’est l’Inde en Europe. Chez elle, la liberté dans les actes n’appelle pas celle de la pensée, témoin Luther, qui déclame contre la tyrannie des papes et supprime le libre arbitre. Le pays qui nous a transmis la liberté, c’est l’Italie ; car l’Italie, au contraire de l’Allemagne, fait descendre Dieu à elle, le matérialise, le forme à son gré et ne voit, pour ainsi dire, en lui qu’un objet d’art. Elle ne se donne pas à l’homme ; son poème chevaleresque Orlando Furioso est une violente satire de la chevalerie ; enfin l’Italie a eu une architecture civile avant les autres nations et, pendant que ces dernières bâtissaient des églises, elle construisait des routes. Voilà les principales opinions émises dans cette œuvre, remarquable à plus d’un titre par la hardiesse des idées et quelquefois aussi par leur incohérence. Imagination ardente, M. Michelet ne voit devant lui que la liberté : elle le fascine, l’aveugle ; il l’exalte où il croit la voir, elle le grise, qu’on nous pardonne le mot, et sa plume laisse échapper de ces dithyrambes dont ses adversaires se sont malignement emparés depuis pour les lui opposer. On devine de quel passage nous voulons parler : « J’ai baisé de mon cœur la croix de bois qui s’élève au milieu du Colisée. Vaincue par elle, de quelles étreintes la jeune foi chrétienne dut-elle la serrer, lorsqu’elle apparut dans cette enceinte entre les lions et les léopards ! Aujourd’hui encore, quel que soit l’avenir, cette croix, chaque jour plus solitaire, n’est-elle pas pourtant l’unique asile de l’âme religieuse ? L’autel a perdu ses honneurs ; l’humanité s’en éloigne peu à peu, mais, je vous en prie, oh ! dites-le-moi, si vous le savez : s’est-il élevé un autre autel ? » Voilà qui est certainement fort éloquent en faveur de la foi chrétienne ; il est vrai que M. Michelet n’entonne pas des hymnes moins splendides en l’honneur de la liberté. L’Introduction à l’histoire universelle restera comme un des plus beaux plaidoyers qui aient été écrits en faveur de la liberté, à laquelle M. Michelet a donné ses grandes lettres de naturalisation dans l’histoire universelle.