Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/HACHETTE (Jeanne LAISNÉ, surnommée Jeanne), héroïne française

Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 15).

HACHETTE (Jeanne Laisné, surnommée Jeanne), héroïne française, qui s’est immortalisée au siège de Beauvais, en 1472. Quelques chroniqueurs l’ont appelée Jeanne Fourquet, ce qui a causé quelque incertitude sur sa filiation ; cela tient à ce que plus tard elle se maria en secondes noces à un de ses cousins, Jean Fourquet, et que ces chroniqueurs lui ont donné le nom de ce second mari. Elle était fille de Matthieu Laisné, simple artisan, et dut naître vers 1454. On montre encore à Beauvais la maison où elle est née ; elle est située dans une rue qui, du nom de l’héroïne, a été appelée de nos jours rue Jeanne-Hachette.

En 1472, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, révolté contre Louis XI, envahit la Picardie et se jeta tout d’un coup sur la ville de Beauvais à la tête de 80, 000 hommes. Cette ville était sans garnison, défendue par des fortifications en mauvais état et des murailles d’une médiocre hauteur ; ses faubourgs tombèrent sans obstacle aux mains des Bourguignons. C’en était fait de la ville elle-même si les habitants, soit par attachement pour leur roi, soit par haine de l’étranger, ou soit plutôt dans la crainte de perdre sous un nouveau maître leurs franchises et leurs privilèges, ne se fussent excités l’un l’autre à se détendre vigoureusement. Ils s’armèrent à la hâte et acceptèrent hardiment une lutte inégale contre des troupes aguerries, disciplinées, bien armées et très-supérieures en nombre. Les femmes et les enfants secondèrent puissamment leurs maris et leurs pères ; ils dépavèrent les rues et firent pleuvoir incessamment sur les assiégeants une grêle de pierres et de quartiers de rochers. Plusieurs femmes, plus audacieuses encore, prirent des armes, montèrent sur les remparts et s’illustrèrent par des prodiges d’audace et de valeur. Une d’elles s’y fit surtout remarquer ; c’était Jeanne Laisné, que ses compatriotes surnommèrent Jeanne Hachette, à cause d’une petite hache dont elle se servait en combattant. Cette femme, inspirée peut-être par l’exemple de l’héroïne d’Orléans, monta sur la brèche, arracha le drapeau bourguignon qu’on voulait y arborer, et précipita le soldat qui le portait du haut des murailles dans les fossés. Charles le Téméraire, surpris d’une résistance aussi opiniâtre, ordonna la retraite, et à quelques jours de là Beauvais ouvrait ses portes aux troupes du roi Louis XI, qui s’avançaient pour la dégager.

Voici comment un chroniqueur presque contemporain raconte le fait avec un peu plus de détails : « Au premier assaut (à la porte du Lymaçon), furent plusieurs des Bourguignons tués, entre autres celuy qui avoit planté le principal étendard, d’une arbaleste qui luy fut deschargée… Au regard de l’autre assaut (à la porte de Bresle), ils ne furent pas moins vaillamment accueillis par les habitants, tant à l’ayde de leurs femmes et filles qui leur portoient sur la muraille grosses pierres de toutes sortes, avec grande quantité de trousses, de flesches et de poudres… tant en ce que l’on y porta le précieux corps et digne châsse de la glorieuse sainte Agadrême, patronne de Beauvais… Et n’est à oublier qu’audit assaut, pendant que les Bourguignons dressoient eschelles et montoient sur la muraille, une desdites filles de Beauvais, nommée Jeanne Fourquet, sans autres bastons ou aydes, print et arracha à l’un desdits Bourguignons l’étendard qu’il tenoit et le porta en l’église des Jacobins… » C’est dans cette église qu’était la chapelle de sainte Agadrême, protectrice de Beauvais ; cet acte de piété après la victoire semble démentir l’assertion mise en avant par quelques historiens, d’après laquelle Jeanne Hachette aurait été une fille de mauvaise vie.

Le XVe siècle était l’âge des héroïsmes féminins ; après Jeanne Darc, Jeanne Hachette. « La nature a fait aux femmes, dit à ce propos Lamartine, deux dons douloureux, mais célestes, qui les distinguent et les élèvent souvent au-dessus de la condition humaine : la pitié et l’enthousiasme ; elles s’exaltent. Exaltation et dévouement, n’est-ce pas là tout l’héroïsme ? Elles ont plus de cœur et plus d’imagination que l’homme. C’est dans l’imagination qu’est l’enthousiasme, c’est dans le cœur qu’est le dévouement. Les femmes sont donc plus naturellement héroïques que les héros, et quand cet héroïsme doit aller jusqu’au merveilleux, c’est d’une femme qu’il faut l’attendre. Les hommes s’arrêteraient à la vertu… Quand tout est désespéré dans une cause nationale, il ne faut pas désespérer encore s’il reste un foyer de résistance dans un cœur de femme… »

Le chroniqueur du Beauvoisis, Loysel, nomme Jeanne Hachette sous son nom de Jeanne Laisné, car le surnom de Hachette ne se trouve nulle part dans les écrits du temps, en compagnie d’une autre héroïne moins célèbre. « Qu’est-il besoin, dit-il, de nommer particulièrement Jeanne Laisné, ni la femme de maître Jean de Bréquigny, qui fut si hardie que d’arrêter son évêque par la bride de son cheval, lorsqu’il voulait sortir de la ville, craignant le siège des Bourguignons, attendu que toutes les femmes de la ville, en général, se montrèrent si vaillantes en ce siège qu’elles ont surmonté la hardiesse des hommes de plusieurs autres villes ! »

En l’honneur de la défense de Beauvais, Louis XI ordonna qu’il serait fait annuellement dans la ville une procession solennelle le jour de la fête de sainte Agadrême, et que les femmes prendraient le pas sur les hommes {ordonnance royale du mois de juin 1473). Cette même ordonnance conférait aux femmes de Beauvais un des privilèges des femmes nobles. Il y est dit, en effet : « Que toutes les femmes et filles qui sont à présent et seront à tout jamais en ladite ville se pourront, le jour de leurs nopces, et toutes autres fois que bon leur semblera, parer, vestir, et couvrir de tels vestemens, paremens, joyaux et ornemens que bon leur semblera, sans que, pour ce, elles puissent estre aucunement notées, reprises ou blasmées, de quelque estat ou condition qu’elles soient. »

Dans ce document, Jeanne Hachette n’est pas nommée, mais elle eut personnellement part aux libéralités royales. Louis XI la maria, la dota probablement et exempta les deux époux de tailles, leur vie durant. Voici le texte longtemps inédit de cette ordonnance : « Pour la considération de la bonne et vertueuse résistance qui fut faite l’année dernière passée, par nostre chière et amée Jeanne Laisné, fille de Matthieu Laisné, demeurant en nostre ville de Beauvais, à l’encontre des Bourguignons, tellement que elle gaigna et retira devant elle ung estendard ou basnière desdits Bourguignons, ainsy que nous estant derrenièrement en nostredicte ville avons esté informé, nous avons, pour ces causes, en faveur du mariage d’elle et de Colin Pilon, conclu et accordé que lesdits Colin Pilon et Jeanne sa femme soient, leur vie durant, francs, quictes et exempts de toutes les tailles qui sont et seront d’ores en avant mises sus, et aussy de guet et de garde-portes. Si vous mandons, etc. Donné à Senlis, le 22 février, l’an de grâce 1474. »

Jeanne Hachette retomba dans l’obscurité. Colin Pilon mourut en 1477, parmi les défenseurs de Nancy, lors du siège de cette ville par Charles le Téméraire. Elle épousa quelque temps après en secondes noces un de ses cousins maternels, Jean Fourquet, capitaine d’aventure, que Louis XI attacha quelque temps à la garde de sa personne. On ignore l’époque de la mort de l’héroïne et sa descendance. Toutefois, il existait encore, sous la Restauration, un nommé Pierre Fourquet d’Hachette, auquel Charles X faisait une petite rente de 1,500 francs, à titre de descendant de Jeanne Hachette, et l’article, beaucoup trop romanesque, de la Biographie Didot, est signé Fourquet d’Hachette. La ville de Beauvais a continué, depuis Louis XI, à fêter annuellement, par une procession commémorative, la défaite des Bourguignons et l’heureuse audace de son héroïne. Le 6 juillet 1851, une statue en bronze de Jeanne Hachette, due au sculpteur Debay, a été inaugurée sur la place publique de la ville.

L’étendard conquis par Jeanne Hachette existe encore ; malheureusement on le porta longtemps à la cérémonie annuelle, car ce n’est qu’en ce siècle-ci que l’on eut l’idée d’en faire une reproduction, et les couleurs en sont presque effacées. C’est un des rares monuments de ce genre que l’on ait du XVe siècle ; il est en toile blanche, fleuronnée et damassée, exécuté en double œuvre et ne porte aucune broderie. Les figures et les armoiries sont peintes et dorées sur le tissu. Il devait avoir la forme d’un long pennon, avec une ou deux pointes effilées, suivant la coutume de l’époque. Les ornements de cet étendard constatent son origine bourguignonne. Il portait en caractères dorés le mot Burgundia, dont on n’aperçoit plus que les premières lettres. Deux arquebuses croisées et entourées de flammèches rouges rappellent que le collier de la Toison d’or portait des doubles fusils et des pierres à feu jetant des flammes avec ces mots : Ante ferit quam flamma micat (il frappe avant que la flamme ne brille). À côté de saint Laurent tenant son gril, on lit la célèbre devise de Charles le Téméraire : Je l’ay emprins (je l’ai entrepris). Auprès de la hampe sont deux écussons ; le premier est surmonté d’un bonnet ducal en forme de mortier, signe caractéristique de la dignité d’électeur de l’empire. Il est entouré du collier de la Toison d’or, et porte « une aigle éployée de sable en champ d’argent, avec un écu écartelé de France et de Castille. » L’écusson inférieur porte « d’argent, au lion de gueules ou de pourpre, couronné d’or, » et est probablement l’écusson de Luxembourg. Quant à la présence de saint Laurent sur cette toile, on ne peut guère l’expliquer qu’en supposant qu’il était le patron de la commune à laquelle appartenait l’étendard. Le culte de ce saint était, du reste, très-populaire en Bourgogne.