Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Gordon (Eléonore-Marie Brault)


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GORDON (Eléonore-Marie Brault, femme), cantatrice et femme politique française, née à Paris en 1808, morte en 1849. Fille d’un officier, elle fut élevée, jusqu’à dix-huit ans, dans le couvent des Dames de la Congrégation, rue de Sèvres, accompagna ensuite son père en Espagne et se signala, dès cette époque, par quelques traits qui révélaient un caractère des plus romanesques. Revenu à Paris, où il avait fondé un établissement industriel, M. Brault essaya en vain de lutter contre le désir de sa fille, qui se sentait entraînée vers la carrière artistique. Elle entra au Conservatoire de musique et remporta le grand prix de chant. Elle partit alors pour l’Italie, où elle eut des succès comme cantatrice et comme femme galante. Elle était d’une remarquable beauté. De retour à Paris, en 1831, elle essaya d’entrer aux Italiens, et, n’ayant pu y réussir, passa en Angleterre. Elle y connut le prince Louis-Napoléon, dont elle devint dès lors un des agents secrets les plus actifs. Elle épousa à Londres M. Gordon-Archer. Quelques jours après son mariage se produisit un fait dont on n’eut jamais l’explication : la jeune femme, se promenant, dans le parc de Saint-James, au bras de son époux, reçut dans la figure un coup de poignard de la main d’un homme qui resta inconnu. Le coup fut heureusement mal porté et ne fit qu’une blessure légère qui laissa à la cantatrice tout le charme de sa beauté.

Mme Gordon continua de briller dans les concerts ; elle repassa le détroit, vint à Paris, puis partit pour Naples ; elle donna aussi des soirées musicales à Rome et à Florence. En avril 1836, elle était de retour à Paris. Ce fut là qu’elle apprit qu’elle était devenue veuve. Son mari, nommé commissaire des guerres dans la légion anglaise de Biscaye, avait été emporté par le typhus. Le deuil de cette femme remuante dura peu. Trois mois après, on la retrouve à Strasbourg, dans les salons du général Voirol, qui la comble d’égards et de politesses, elle y fait la connaissance du colonel d’artillerie Vaudrey, et noue les premiers fils de la conspiration bonapartiste, qui se tramait secrètement et devait éclater quelques mois plus tard. De Strasbourg elle se rendit à Bade, dans le but apparent de donner des concerts. Louis-Napoléon s’y trouvait ; ils eurent ensemble de fréquentes conférences. Elle repartit ensuite pour Paris, se mit en rapport avec de Bruc, déploya le plus grand zèie et la plus grande activité pour la réussite du complot, dont le principal agent devait être le colonel Vaudrey. L’intimité de ses relations avec ce dernier et l’empire qu’elle avait sur lui sont, suivant l’acte d’accusation dans le procès de Strasbourg, des faits absolument avérés. « Elle a essayé sur cet homme, y lit-on, tous les moyens qui étaient de nature à agir sur sa volonté : à l’homme essentiellement vain, elle a prodigué la flatterie ; au vieux soldat et à l’homme qui l’aimait, elle a fait entendre tantôt que reculer, après une promesse donnée, serait lâcheté, tantôt qu’elle ne pouvait appartenir qu’à l’homme qui se dévouerait entièrement au succès de l’entreprise… Elle conduisit Vaudrey, dans les derniers jours d’octobre, à Fribourg, où Persigny avait donné rendez-vous. Elle partageait le logement de Vaudrey ; s’attachant plus que jamais à sa personne, elle ne s’est séparée de lui qu’au moment où il était irrésistiblement entraîné vers l’abîme. » Enfin, le 30 octobre, éclate la tentative préparée : le prince Louis-Napoléon apparaît à Strasbourg, revêtu de la redingote grise, coiffé du petit chapeau ; le régiment de Vaudrey crie : « Vive l’empereur I » mais les régiments de ligne refusent de suivre le mouvement, et la plupart des chefs des conjurés sont arrêtés. On retrouve à ce moment Mme Gordon dans l’appartement de M. de Persigny, « avec qui, dit l’acte d’accusation, elle avait des rapports fort intimes. » Elle l’aide à brûler des papiers compromettants et parvient à le faire sauver. Traduite devant la cour d’assises de Strasbourg, elle fut acquittée. Elle revint à Paris, mais ne put obtenir l’autorisation d’y donner des concerts.

Tantôt à Londres, tantôt à Paris, cette femme, que la police surveillait attentivement, fut, pendant plusieurs années, un des plus actifs instruments du parti bonapartiste. Quoiqu’elle ne soit pas nommée dans le procès qui suivit l’affaire de Boulogne, il n’est pas douteux qu’elle n’ait contribué à préparer cette nouvelle tentative. Elle ne cessa d’intriguer et de comploter jusqu’à la révolution de Février. A cette époque, elle avait perdu beaucoup de ses charmes, et, la jugeant dès lors inutile à leurs desseins, ceux qu’elle avait servis semblèrent préférer qu’elle se tint à l’écart ; il paraît même qu’on fut ingrat envers elle. Elle ne profita pas des libéralités que Napoléon III accorda a plusieurs de ceux qui depuis si longtemps préparaient son avènement au pouvoir ; on la laissa mourir dans le délaissement et dans l’oubli.


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