Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GRANIER DE CASSAGNAC (Paul-Adolphe-Marie-Prosper), publiciste et homme politique français, fils du précédent (supplément 2)

Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 4p. 1336).

  • GRANIER DE CASSAGNAC (Paul-Adolphe-Marie-Prosper), publiciste et homme politique français, fils du précédent, né à Paris

le 2 décembre 1843. — Après la mort du prince impérial (1879), des divisions éclatèrent entre les membres du parti bonapartiste. Le 9 janvier 1880, des messes ayant été célébrées à Saint-Augustin et à Saint-Philippe-du-Roule pour le repos de l’âme de Napoléon III, le prince Napoléon ne fut l’objet d’aucune ovation, tandis que M. de Cassagnac était acclamé par deux ou trois cents personnes. Une polémique s’ensuivit entre le journal « l’Ordre », organe officiel du prince, et le « Pays », organe de M. de Cassagnac. Celui-ci, qualifié par ses adversaires d’ « individualité sans autorité », répliqua par un article où il disait entre autres choses : « Allons ! allons ! le moment est triste et dur, quand les valets relèvent la tête et frappent du plumeau ceux dont ils jalousent l’influence et envient la réputation intacte… Vous êtes dans ce journal des inconnus ou des banquistes, des nullités sans action sur un parti que vous avez ruiné, et sur lequel vous vous appliquez avec la rapacité entêtée des insectes sous-cutanés. » Cette polémique fut l’origine de la scission qui ne tarda pas à se produire entre le prince Napoléon et son fils, le prince Victor.

Lorsque le gouvernement eut demandé à la Chambre l’amnistie pour les condamnés de la Commune et pour les délits politiques commis jusqu’au dépôt de son projet (19 juin 1880), M. de Cassagnac critiqua avec beaucoup de finesse l’argumentation du gouvernement, mais déclara qu’il voterait l’amnistie. Il accusa Gambetta, dont le discours enleva quelques instants après le vote de la Chambre, d’être à lui seul le gouvernement de la France et d’exercer un pouvoir occulte sans responsabilité.

Aux élections du 21 août 1881, M. de Cassagnac ne se représenta pas dans l’arrondissement de Condom, où il fit élire son ami M. Daynaud, mais dans celui de Mirande. « Candidat de la haine contre la république », il fut nommé député par 11.034 voix contre 8,811 données au candidat républicain, M. Lannes de Montebello.

À la suile de l’arrestation du prince Napoléon, en janvier 1883, diverses propositions furent déposées tendant à l’expulsion des membres des familles royales, et à leur radiation des cadres de l’armée. M. de Cassagnac déposa un amendement aux termes duquel les membres desdites familles n’auraient pas été déclarés incapables de remplir un emploi militaire. Rappelant que le ministre de la Guerre avait représenté l’armée française comme étant l’armée de la République, « Il serait peut-être temps, s’écria-t-il, d’en finir avec une affirmation qui est blessante pour la moitié de la France. » Le 24 février 1883, le cabinet Ferry, à peine constitué, fut interpellé par M. Jolibois et le prince de Léon sur les mesures qu’il comptait prendre à l’égard des princes officiers. M. de Cassagnac prit, cette fois encore, la parole pour soutenir cette thèse que les droits de tous les officiers de l’armée française étaient compromis par l’application aux princes d’Orléans de la loi de 1834. La Chambre lui donna tort, et approuva la déclaration du général Thibaudin. Le 10 juillet suivant, MM. Granet et Delafosse interpellèrent respectivement le gouvernement sur les affaires du Tonkin. Cette séance orageuse se termina par une scène d’une violence extrême, provoquée par M. de Cassagnac, qui traita M. Jules Ferry de «  dernier des misérables et de dernier des lâches », après avoir accusé le gouvernement de honteux tripotages. Le président, M. Brisson, proposa immédiatement contre M. de Cassagnac la censure avec exclusion temporaire.

En 1884, M. de Cassagnac amena la scission célèbre entre le prince Napoléon, dont il était depuis longtemps l’adversaire déclaré, et son fils, le prince Victor. À partir de ce moment, il cribla de sarcasmes les bonapartistes non ralliés au prince Victor. Aux élections législatives de 1885, M. de Cassagnac préconisa la concentration des candidatures réactionnaires, et se présenta à la fois dans le Gers, dans l’Aude et dans la Seine. Il obtint un nombre respectable de voix dans l’Aude et dans la Seine, et fut élu dans le Gers par 45.843 voix sur 73.001 votants. Sa situation de chef du parti de l’Appel au peuple se trouva consolidée ; mais bientôt une coterie se forma autour du jeune prince Victor, coterie de jaloux et d’envieux, qui indisposèrent le prince contre celui qui l’avait inventé et qui seul pouvait l’aider du concours de sa puissante popularité dans le parti impérialiste. Froissé et blessé de ce qu’il considérait comme une ingratitude, M. Paul de Cassagnac se retira sous sa tente, gardant ses vieilles opinions plébiscitaires, mais se détachant de toute question dynastique et de toute personne princière.

Obligé par les amis du prince Jérôme à quitter le « Pays », devenu la propriété de M. de Loqueyssie, jérômiste militant, il fonda, le 25 février 1886, l’Autorité, qui obtint un succès considérable et dont le tirage dépasse cent mille. Grâce à ce journal à un sou, populaire et batailleur, où il est tout à fait chez lui, il est arrivé à exercer une action sérieuse sur le parti conservateur et catholique.

Au mois de juillet 1886, M. Paul de Cassagnac fit à Armentières une conférence politique qui fut l’occasion d’une bagarre violente ; il rappela les élections du 4 octobre 1885, le nombre des sièges gagnés par les conservateurs, l’approche de l’heure où la France serait sauvée par les princes ; il déclara que toutes ses préférences étaient pour l’Empire, mais qu’il aimait mieux n’importe quel souverain que la ruine de la patrie. Depuis déjà quelque temps M. de Cassagnac avait préconisé dans son journal cette théorie du « n’importequisme » ou « solutionnisme », et, s’il condamnait la loi d’expulsion du 22 juin, il s’en applaudissait sous certains rapports. « Dans le pays qui se lasse et se dégoûte de la République, on se lamentait de n’avoir que des princes en porcelaine de Saxe, élégants, plaisants à voir, mais qui se tenaient sous vitrine, de peur qu’on ne les cassât en s’en servant. Leurs serviteurs jaloux les époussetaient soigneusement tous les soirs et nous ne soulevions contre nous que cette opposition soignée et léchée, opposition d’opéra-comique, rappelant les mâles revanches dynastiques juste autant que les bergers de Trianon rappelaient les rudes mœurs pastorales. Et voilà qu’aujourd’hui, grâce à vous, républicains, les sombres nuages qui nous cachaient l’horizon sont dissipés soudain… Républicains imbéciles, merci ! » Peu de temps après, M. de Cassagnac donna sa démission de président des comités impérialistes de la Seine, tenant à conserver entière son indépendance et à servir à son gré les intérêts de l’alliance conservatrice. À quelqu’un qui lui demandait exactement son opinion, il répondit : « Être bonapartiste, c’est être exclusivement attaché aux personnes, et ce n’est pas mon cas. Être impérialiste, c’est être au contraire partisan d’un système nettement défini, c’est être attaché aux idées. Et j’en suis là depuis longtemps, depuis la mort Du prince impérial. Un Bonaparte ne donne pas toujours l’Empire, témoin le prince Napoléon. Et on peut obtenir l’Empire, à l’extrême rigueur, d’un autre que d’un Bonaparte. » En février 1888, il reprocha amèrement au prince Napoléon d’avoir fait entrer son fils cadet dans l’armée italienne. « Un Napoléon, dit-il, peut-il demeurer plus longtemps dans les rangs d’une armée qui s’organise contre la France, qui est à la solde de l’Allemagne et qu’un traité place à notre frontière pour la menacer et au besoin pour l’envahir ? »

Dans la séance du 19 mars 1888, M. de Cassagnac interpella le gouvernement sur la mise en non-activité du général Boulanger; il soutint que les faits allégués par le ministre de la Guerre n’étaient que des peccadilles, que la révocation du général n’était nullement justifiée et qu’on l’avait sacrifié à l’Allemagne. S’expliquant sur les menées boulangistes, quelques semaines plus tard, il donna la raison décisive qui, selon lui, déterminerait les conservateurs à voter pour le général. Cette raison se résume en ceci: après ce que nous avons, il ne peut rien arriver de pire.

D’une indépendance fière et jalouse, d’une rare audace, maniant avec habileté la plume et la parole, d’une violence souvent calculée pour influencer plus sûrement l’opinion publique, M. Paul de Cassagnac joue dans la presse et au Parlement un des premiers rôles, et un des plus en évidence. Ses amis politiques sont obligés de compter avec lui; ses adversaires le redoutent à cause de son indomptable énergie, et ceux qui l’ont vu de près l’estiment, pour la franchise et le désintéressement de son caractère. De son mariage avec une Alsacienne d’un esprit distingué, il a eu deux fils.

En dehors de ses articles de journaux, M, Paul de Cassagnac a publié:Empire et royauté (1873, iN-8°) ; le Mémorial de Chiselhurst (1873) ; l'Aigle, almanach (1875, in-16) ; Histoire populaire de Napoléon III (1874-1875), en collaboration avec son père; Bataille électorale (1875, in-32).