Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France et la Sainte-Alliance en Portugal (La)


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France et la Sainte-Alliance en Portugal (la), par M. Edgar Quinet, juillet 1847. Outré du rôle odieux auquel s’abaissait en Portugal le gouvernement français, uniquement pour complaire à l’Angleterre, M. Quinet publia cette virulente brochure, où il infligeait au gouvernement de Louis-Philippe une flétrissure ineffaçable. Voici les faits qui motivèrent cette énergique protestation d’une âme virile et honnète, indignée qu’on avilît son pays par crainte de cette Angleterre que le pouvoir seul en France a souvent paru redouter. En 1830, plusieurs Etats de l’Europe sortirent de leur torpeur pour se demander s’il n’était point temps, à l’exemple de la France, de secouer un joug trop pesant et de faire quelques pas vers la liberté. Le Portugal, énervé par une tyrannie de plusieurs siècles, et qui comptait à peine encore parmi les nations de l’Europe, fut de ce nombre. Il ressaisit sa souveraineté et donna le trône à doña Maria, qui se confondit en serments de fidélité et de reconnaissance éternelle. Sur la foi de ces promesses, la vie reprit en Portugal ; la nation recommença à penser et sembla vouloir remonter au rang qu’elle avait jadis occupé par son commerce et sa civilisation. Cette résurrection ne fut qu’éphémère ; le gouvernement enraya la marche du mouvement, et un jour, en 1846, selon l’expression énergique de M. Quinet, la nation entière fut déclarée suspecte. Les Portugais se révoltèrent ; leur révolte contre le parjure et la tyrannie fut terrible. Cabral, le ministre des violences, s’enfuit sur un brick anglais ; la reine effrayée nomma un minisire populaire, Palmella, et promit de convoquer les cortès. Sur cette assurance, l’émeute quitta la rue, le pays confiant mit bas les armes. C’est tout ce qu’attendait doña Maria. Pendant une nuit d’octobre 1846, elle convoqua son nouveau conseil : « Messieurs, dit-elle, donnez votre démission, sinon vous ne sortirez pas de ce palais. » Ne se croirait-on pas, fait observer M. Quinet, revenu au temps de la Ligue, aux plus tristes époques de l’histoire, où régnait l’assassinat politique ? Le lendemain de cette funeste nuit, le Portugal se réveilla garrotté, les fers aux pieds. Il voulut briser ses liens et commença une seconde révolution. Déjà, la reine était cernée dans son palais ; les insurgés allaient triompher, leurs meilleures troupes étaient concentrées sur une corvette et quelques bâtiments de transport… Nous rougissons, avec M. Quinet, de dire le reste : les flottes de la France de Juillet, celles de l’Angleterre et de l’Espagne étaient apostées avec l’injonction de saisir, de couler bas, de massacrer, au besoin, la flotte de la nation portugaise en révolution. La petite armée entourée, saisie, garrottée, fut jetée pieds et poings liés dans les cachots de Saint-Julien, sous le balcon de la reine.

Le récit seul de ces faits suffit pour faire deviner ce que doit être le pamphlet par lequel M. Quinet les flétrit. Il nous peint le triste tableau de la France, fille aînée de la Révolution, imiter les excès de la Sainte-Alliance, qui n’aurait pas fait mieux, et se joignant à l’Angleterre pour étouffer les cris de désespoir d’un peuple torturé. Le règne de Louis-Philipppe fut sur la fin signalé par de tristes événements, funestes avant-coureurs de la chute du roi ; mais ce que la France ne pardonnera jamais au gouvernement de Juillet, c’est de l’avoir deux fois humiliée devant l’Angleterre. L’indemnité Pritchard et l’intervention en Portugal sont les deux causes principales de la révolution de 1848. Ne nous étonnons donc pas que M. Quinet ait pris à tâche de stigmatiser cette époque tristement mémorable où le droit n’existait plus. La France de Juillet était alors bien bas : une révolution, rapide comme la foudre, allait tenter la régénération du pays. Seul, parmi les hommes marquants d’alors, M. Quinet sut lire dans l’avenir et prédit la révolution de 1848. Cette preuve de sagacité politique restera comme un fait des plus remarquables de son existence, et il en reçut la récompense lorsque, réintégré par la République dans sa chaire au collège de France, il s’entendit appeler par la jeunesse studieuse : le Prophète, le Prophète ! Voici les paroles auxquelles faisait allusion cette ovation glorieuse ; « Je sais qu’il est des temps où les oreilles et les cœurs se ferment, où toute vérité est bonne au plus pour les enfants, où toute parole est inutile à ceux, qui oppriment comme à ceux qui sont opprimés. L’iniquité s’amoncelle en silence sans rien craindre. Ce sont les temps où la Providence se réserve d’agir seule, sourdement, au fond des choses, quand les âmes se sont retirées. Les hommes ne vous écoutent plus ; ils ont trop à faire. Mais la justice continue à travailler en secret et à préparer ses représailles, car tout l’or du monde n’a pas encore acheté en sa source cette conscience souveraine qui renaît éternellement de la mort de toutes les consciences. Son œuvre ne se lasse pas dans la lassitude des hommes ; aucun fait n’est jamais accompli pour elle, et l’iniquité consommée n’est que le commencement de sa justice. Pauvres gens ! que leur serviront à la fin tant d’efforts pour tout corrompre ? Ils n’ont pas encore acheté la Providence, et le châtiment approche ! » On reconnaît ici, comme dans tout le reste de l’ouvrage, le style énergique mêlé de mysticisme de M. Edgar Quinet, habitué à frapper sur les abus au nom de la morale et de la véritable religion.


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