Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DU CAMP (Maxime), littérateur et voyageur français, fils du précédent

Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1324).

DU CAMP (Maxime), littérateur et voyageur français, fils du précédent, né à Paris en 1822. Au sortir du collège, il s’occupa un instant de peinture ; puis il fit un premier voyage en Orient, visitant la Turquie d’Europe et d’Asie, l’Archipel et l’Algérie (1844-1845). De retour, il publia son premier ouvrage : Souvenirs et paysages d’OriLarousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 6, part. 4, Domm-Dz.djvu/254ent (1848, 1 vol. in-8°), dans lequel il décrit ses excursions à Smyrne, à Éphèse, à Magnésie, à Constantinople, à Scio. Les journées de Juin le trouvèrent à Paris. Il fut grièvement blessé dans les rangs de la garde nationale, à la barricade du faubourg Poissonnière et reçut la décoration des mains du général Cavaignac. À peine guéri, il court visiter le Maroc. En 1849, il part de nouveau avec une mission spéciale du ministre de l’instruction publique. Cette fois, il reste trois années absent, parcourt l’Égypte, la Nubie, les bords de la mer Rouge, la Palestine, la Syrie, Chypre, Rhodes, la Caramanie, l’Asie-Mineure, la Turquie d’Europe, la Grèce et l’Épire, rassemblant en chemin une immense collection de clichés photographiques et préparant ainsi le premier ouvrage qui ait allié la typographie au daguerréotype.

C’est pour avoir mené à bonne fin et accompli (gratuitement) sa mission archéologique dans ces divers pays qu’il fut promu au grade d’officier de la Légion d’honneur, en 1851, sous la République, et non en 1853 et sous l’empire, comme le dit M. Vapereau. Il publia la relation de ce troisième voyage sous ce titre : Égypte, Nubie, Palestine et Syrie (1852, in-fol.) M. Du Camp figura ensuite au nombre des cinq fondateurs de la seconde Revue de Paris, à laquelle il collabora activement jusqu’à sa suppression (17 janvier 1858), amenée par un article sur l’attentat d’Orsini. En 1853, il fit paraître le Livre posthume ou Mémoires d’un suicidé (gr. in-18 ; 2e édit., 1855, in-16). Ce livre offre un intérêt très-dramatique, et le public se plut à y voir une autobiographie de l’auteur. À cause du prix (500 fr.), le second ouvrage de M. Du Camp : Égypte, Nubie, etc., n’était accessible qu’à un petit nombre de bourses. Notre voyageur l’a mis à la portée de tous en publiant le Nil ou Lettres sur l’Égypte et la Nubie (1854, in-12). Viennent ensuite les Chants modernes, Poésies (1855, in-8°), dont l’apparition fit du bruit dans le camp de la critique. Le poète rompt en visière avec toutes les traditions poétiques conservées jusqu’à nos jours. La poésie, d’après lui, et nous sommes un peu de son avis, ne saurait avoir désormais une vitalité sérieuse qu’à la condition de diriger le mouvement des idées modernes. C’est la thèse soutenue depuis par M. Laurent Pichat dans ses Poëtes de combat : « Je n’admets pas, dit M. Du Camp, qu’à l’heure où la société est en marche, le poëte reste au dernier rang avec les vivandières et les fourgons pleins de malades ; je n’admets pas même que, pendant la fusillade, il se contente de battre la charge à la queue des pelotons : je le veux toujours en tête, chantant et luttant. » Plus tard, M. Maxime Du Camp affirma de nouveau sa théorie dans un autre volume de vers, intitulé : Mes Convictions (1858, in-8°.). En 1860, il a fait mieux encore : il s’est fait le soldat de son idée et a pris part à la glorieuse expédition des Deux-Siciles.

Le livre de critique intitulé les Beaux-arts à l’Exposition de 1855 (in-16), est contemporain des Chants modernes. Dans le même ordre d’idées, citons : le Salon de 1857 (gr. in-18) ; le Salon de 1859 (gr. in-18) ; le Salon de 1861 (gr. in-18) ; les Beaux-arts à l’Exposition universelle et aux Salons de 1863, 1864, 1865, 1866 et 1867 (gr. in-18). M. Maxime Du Camp connaît à fond les choses dont il parle, et ses jugements en matière d’art font autorité. Toutefois, nous ne saurions admettre sa levée de boucliers contre l’école française actuelle. « On put dès lors, écrit-il (1855), prédire ce que nous voyons aujourd’hui, c’est-à-dire l’abandon du dessin pour la couleur, de la tradition pour la fantaisie, de l’étude pour le laisser-aller, et que la nature servirait de modèle au lieu de n’être qu’un document. Or le dessin, la tradition, l’étude, sont à une œuvre d’art ce que la charpente est aux muscles, ce que l’expérience et le raisonnement sont à l’esprit. Quant à la nature, si elle n’est que le but d’une imitation servile, si elle s’impose au lieu d’inspirer, la photographie est supérieure à la peinture. » (Les Beaux-arts à l’Exposition universelle, etc., Salon de 1863). Il y a dans ces lignes une contradiction flagrante avec les idées qu’il a émises dans sa préface des Chants modernes. Tous les arts se tiennent ; la peinture donne la main à la poésie. Or pourquoi M. Du Camp veut-il imposer aux peintres la tradition dont il prêche aux poètes abolition ? L’époque actuelle veut la vérité partout, elle a horreur de l’abstraction et du mythologisme. Du Camp, si moderne, si actuel, si progressif dans sa littérature, manque complètement de logique en imposant à la peinture la loi de la tradition, l’académisme et la convention du passé.

En 1856, M. Du Camp avait publié l’Eunuque, mœurs musulmanes. Il fit paraître l’année suivante un nouveau roman : les Six aventures (1 vol. gr. in-8°). En 1859 se place la relation d’une excursion dans les pays bataves : En Hollande, Lettres à un ami (in-12). Nous le retrouvons ensuite à Palerme, puis à Naples, dans l’état-major du général Türr, avec le rang nominatif de colonel, payant de sa personne à la journée du 1er octobre 1860. À son retour, il publia l’Expédition des Deux-Siciles (1861, gr. in-18), un de ses plus beaux livres, sinon le meilleur. Rappelons à cette occasion que déjà en 1859 M. Du Camp allait embrasser en Hongrie la cause du parti national, quand l’armistice et la paix de Villafranca vinrent arrêter les plans d’insurrection formés contre l’Autriche.

Notons, en passant, deux autres romans l’Homme aux bracelets d’or (1862, 1 vol. in-18), et le Chevalier du cœur saignant (1862, 1 vol. in-18). En 1865-1866, l’écrivain dont nous traçons la biographie a donné plusieurs articles à la Revue nationale, entre autres : la Justice révolutionnaire, travail très-apprécié, puis un roman, les Forces perdues, réuni en volume (1867, in-18). Après la suppression de la Revue de Paris, il est entré à la Revue des Deux-Mondes et plus tard au Journal des Débats. Il a commencé et continue dans la Revue' de M. Buloz une longue série d’articles sur Paris et son organisation : Administration des postes, télégraphes, navigation fluviale, etc.

M. Maxime Du Camp paraît avoir renoncé au roman. Nous ne rechercherons pas le motif de cette détermination ; mais qu’il nous soit permis de regretter la détermination elle-même. L’auteur des Buveurs de cendres, un de ses derniers ouvrages, nous semble, en effet, avoir merveilleusement compris la mission nouvelle et toute sociale du romancier. Voici l’origine de cette production remarquable. En 1860, pendant son séjour en Sicile, l’auteur avait appris d’un ami l’étrange histoire d’un « investi », ou chef de société secrète. Il choisit trois épisodes de cette histoire et les fit éditer (1866, 1 vol. in-18). Ce titre bizarre mais exact, de Buveurs de cendres, est la traduction du mot grec téphrapotes, nom et mot de ralliement adopté par les adhérents d’une société secrète dont les trois premiers fondateurs, disciples de Savonarole, après avoir bu du vin où étaient mêlées des parcelles de la cendre du réformateur et du sang humain, avaient juré de combattre jusqu’à ce qu’ils eussent rayé de la surface de la terre le pouvoir pontifical et les puissances qui en dérivent. L’introduction est une étude historique, neuve et fort attrayante, où l’auteur indique à grands traits le rôle politique des téphrapotes en Europe, depuis Savonarole jusqu’aux temps actuels : en Orient contre les Turcs, en Allemagne contre l’Autriche, en Italie contre le pouvoir temporel du pape, et en France contre les vestiges du droit divin. Il y a dans cette étude une page des plus curieuses sur les événements qui suivirent immédiatement le supplice du grand réformateur florentin.

Dans son livre, M. Du Camp s’est posé cette question : puisque les idées abstraites, si pures qu’elles soient, deviennent presque toujours relatives et parfois odieusement relatives, lorsque les hommes tentent de les appliquer, y a-t-il des natures assez fortement trempées pour que la vérité abstraite puisse leur suffire ? En d’autres termes, peut-il exister des apôtres politiques ayant une « âme assez impersonnelle » pour vouer leur existence à des abstractions et « mourir en paix dans leur foi inébranlable ? » pour réaliser le justum ac tenacem propositi virum, et jamais « ne rien donner de leur cerveau » à une faiblesse humaine quelconque ? pour renoncer au bonheur et « chercher par une vie de labeurs sans exemple et de fatigues sans pareilles quelque chose de plus introuvable encore, la justice ? » Il est inutile, ce nous semble, de faire ressortir la portée sociale de cette thèse, que l’auteur résout affirmativement, avec Fédor dans Vasilissa, avec Flavio Mastarna dans Sylvérine, et avec Samla dans Jeanne. La réponse est dans la lettre si belle et si noble que Flavio, au moment de marcher à la mort, écrit à Sylvérine : « Ce n’est pas une folie de sauver l’homme malgré lui-même, c’est un devoir, un devoir absolu de guider les troupeaux vers la lumière… On les a volontairement enveloppés d’obscurités confuses, afin de les conduire et de les maintenir dans les abrutissants chemins de la servitude. C’est à nous qu’il appartient d’apporter le flambeau, la torche au besoin. C’est notre devoir, notre seul devoir ; celui qui y manque est coupable… Ce sont les ténèbres qui empêchent l’humanité de reconnaître sa vraie route. À tout prix, il faut les dissiper, à tout prix !… »

Les Buveurs de cendres (1866, in-18) sont écrits dans une belle langue, claire et harmonieuse ; on y heurte à chaque mot le poëte des Chants modernes ; le même souffle généreux circule à travers ces pages. Cependant l’auteur a tort, selon nous, de placer la femme à un rang inférieur et de la croire seulement accessible aux sentiments du cœur, par conséquent rebelle aux théories abstraites d’une cause ou d’un parti, capable seulement de se dévouer pour un homme et plaçant son amour au-dessus des idées de patrie et de justice.

Tour à tour peintre, voyageur, soldat, poète, romancier et journaliste, M. Maxime Du Camp est certainement une des physionomies intéressantes et sympathiques de notre génération. Quoiqu’il vive aujourd’hui à l’écart, l’avenir lui garde une belle place parmi les écrivains du progrès.

Ajoutons à la liste des ouvrages que nous avons cités : les Beaux-arts à l’Exposition universelle de 1867 (1867, in-18) ; l'Orient et l’Italie (1868, in-18), souvenirs de voyages ; Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie (1869, in-8°, 1er vol.), série d’études intéressantes et très-remarquées, qui ont paru dans la Revue des Deux-Mondes, et dont la suite est en cours de publication.