Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BEAUHARNAIS (Fanny, comtesse DE), femme poète

Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 2p. 434-435).

BEAUHARNAIS (Fanny, comtesse de), femme poète, née à Paris en 1738, morte en 1813. Fille d’un receveur des finances de la Champagne, elle prit, dans sa jeunesse, le prénom de Fanny et devint, en 1753, la femme du comte de Beauharnais, oncle de François et d’Alexandre de Beauharnais. S’étant séparée de son mari après quelques années d’union, elle se livra à son goût pour les lettres et la poésie, et forma à Paris un salon, où elle réunit les littérateurs et les savants, au nombre desquels on remarquait Dorat, Mably, Dussaulx, Cubières, Bitaubé, etc. Bonne, spirituelle, aimable, bienfaisante, simple dans son élégance, et sans aucune prétention, Fanny de Beauharnais n’en fut pas moins assez maltraitée par un certain nombre de ses contemporains, à cause de ses productions littéraires. Au nombre de ces derniers se trouvaient La Harpe, Palissot, qui l’appelle Caillette et qui, écrivant à Lebrun à son sujet, lui dit : « Je l’ai assez vue pour être bien sûr qu’elle n’a pas même le mérite d’avoir fait ses vers ; » enfin Écouchard Lebrun, qui dirigea contre elle cinq épigrammes, dont l’une, aussi fine que cruelle, est devenue célèbre :

Églé, belle et poëte, a deux petits travers :
Elle fait son visage, et ne fait pas ses vers.

Bien que La Harpe ait déclaré que ses ouvrages étaient si mauvais qu’il n’y avait pas de raison pour les lui disputer, la paternité en fut attribuée à Dorat et à d’autres membres de sa société intime, Laus de Boissy, Cubières, Palmezeaux, etc. En 1767, elle fit jouer au Théâtre-Français une comédie intitulée la Fausse Inconstance. La pièce tomba sous les sifflets d’une cabale formidable, et sans avoir été écoutée. La comtesse produisit ensuite un drame, qu’elle n’osa faire représenter et qui fut traduit en anglais. Dégoûtée de Paris, elle se rendit en Italie, se fit recevoir, à Rome, membre de l’académie des Arcades, puis elle se retira dans son château en Poitou. Là fut représentée, en 1790, la Bonne Mère de Cubières, qui dit avoir calqué son héroïne sur la figure de Mme de Beauharnais. Celle-ci revint à Paris pour s’y cacher pendant la tourmente révolutionnaire ; mais, dénoncée bientôt après, elle fut emprisonnée à Sainte-Pélagie (1793). Il est à croire que la protection efficace de son ami Cubières ne contribua pas peu à la sauver de l’échafaud. On n’entendit plus parler d’elle avant le 18 brumaire, et, dans sa retraite, elle cultiva les lettres jusqu’à sa mort. La comtesse Fanny de Beauharnais était tante de l’impératrice Joséphine et marraine de la reine Hortense, mère de l’empereur Napoléon III. Elle fut en relation avec Mercier, Rétif de la Bretonne, Bailly, Buffon, Voltaire, Vigée, etc. Son portrait fut gravé en 1785 par Bartolozzi. On compte jusqu’à quatorze ouvrages de Mme de Beauharnais : nous n’en donnerons point la liste, composée de romans, de contes et de nouvelles qui, aujourd’hui, n’offrent plus d’intérêt. Les seuls que nous puissions citer sont : les Lettres de Stéphanie (1778, 3 vol. in-12), et les Mélanges de poésies fugitives et prose sans conséquence, (1773). La modestie de ce titre n’a pu désarmer la critique. On trouve d’elle des pensées et des espèces de madrigaux dans notre ancien Parnasse français, d’où nous extrayons le quatrain suivant :

Beauté, fatal présent des dieux,
Les peines sont votre partage ;
Vous armez un sexe envieux,
Fixez-vous un sexe volage ?