Génie du christianisme/Partie 4/Livre 6/Chapitre XII

Chapitre XII - Récapitulation générale

Ce n’est pas sans éprouver une sorte de crainte que nous touchons à la fin de notre ouvrage. Les graves idées qui nous l’ont fait entreprendre, la dangereuse ambition que nous avons eue de déterminer, autant qu’il dépendait de nous, la question sur le christianisme, toutes ces considérations nous alarment. Il est difficile de découvrir jusqu’à quel point Dieu approuve que des hommes prennent dans leurs débiles mains la cause de son éternité, se fassent les avocats du Créateur au tribunal de la créature et cherchent à justifier par des raisons humaines ces conseils qui ont donné naissance à l’univers. Ce n’est donc qu’avec une défiance extrême, trop motivée par l’insuffisance de nos talents, que nous offrons ici la récapitulation générale de cet ouvrage.

Toute religion a des mystères ; toute la nature est un secret.

Les mystères chrétiens sont les plus beaux possibles : ils sont l’archétype du système de l’homme et du monde.

Les sacrements sont une législation morale et des tableaux pleins de poésie.

La foi est une force, la charité un amour, l’espérance toute une félicité, ou, comme parle la religion, toute une vertu.

Les lois de Dieu sont le code le plus parfait de la justice naturelle.

La chute de notre premier père est une tradition universelle.

On peut en trouver une preuve nouvelle dans la constitution de l’homme moral, qui contredit la constitution générale des êtres.

La défense de toucher au fruit de science est un commandement sublime, et le seul qui fût digne de Dieu.

Toutes les prétendues preuves de l’antiquité de la terre peuvent être combattues.

Dogme de l’existence de Dieu démontré par les merveilles de l’univers ; dessein visible de la Providence dans les animaux ; enchantement de la nature.

La seule morale prouve l’immortalité de l’âme. L’homme désire le bonheur, et il est le seul être qui ne puisse l’obtenir : il y a donc une félicité au delà de la vie, car on ne désire point ce qui n’est pas.

Le système de l’athéisme n’est fondé que sur des exceptions : ce n’est point le corps qui agit sur l’âme, c’est l’âme qui agit sur le corps. L’homme ne suit point les règles générales de la matière ; il diminue où l’animal augmente.

L’athéisme n’est bon à personne, ni à l’infortuné, auquel il ravit l’espérance, ni à l’heureux dont il dessèche le bonheur, ni au soldat, qu’il rend timide, ni à la femme, dont il flétrit la beauté et la tendresse, ni à la mère, qui peut perdre son fils, ni aux chefs des hommes, qui n’ont pas de plus sûr garant de la fidélité des peuples que la religion.

Les châtiments et les récompenses que le christianisme dénonce ou promet dans une autre vie s’accordent avec la raison et la nature de l’âme.

En poésie, les caractères sont plus beaux, et les passions plus énergiques sous la religion chrétienne qu’ils ne l’étaient sous le polythéisme. Celui-ci ne présentait point de partie dramatique, point de combats des penchants naturels et des vertus.

La mythologie rapetissait la nature, et les anciens, par cette raison, n’avaient point de poésie descriptive. Le christianisme rend au désert et ses tableaux et ses solitudes.

Le merveilleux chrétien peut soutenir le parallèle avec le merveilleux de la fable. Les anciens fondent leur poésie sur Homère, et les chrétiens sur la Bible ; et les beautés de la Bible surpassent les beautés d’Homère.

C’est au christianisme que les beaux-arts doivent leur renaissance et leur perfection.

En philosophie, il ne s’oppose à aucune vérité naturelle. S’il a quelquefois combattu les sciences, il a suivi l’esprit de son siècle et l’opinion des plus grands législateurs de l’antiquité.

En histoire, nous fussions demeurés inférieurs aux anciens sans le caractère nouveau d’images, de réflexions et de pensées qu’a fait naître la religion chrétienne : l’éloquence moderne fournit la même observation.

Restes des beaux-arts, solitudes des monastères, charmes des ruines, gracieuses dévotions du peuple, harmonies du cœur, de la religion et des déserts, c’est ce qui conduit à l’examen du culte.

Partout dans le culte chrétien la pompe et la majesté sont unies aux intentions morales, aux prières touchantes ou sublimes. Le sépulcre vit et s’anime dans notre religion : depuis le laboureur qui repose au cimetière champêtre jusqu’au roi couché à Saint-Denis, tout dort dans une poussière poétique. Job et David, appuyés sur le tombeau du chrétien, chantent tour à tour la mort aux portes de l’éternité.

Nous venons de voir ce que les hommes doivent au clergé séculier et régulier, aux institutions, au génie du christianisme.

Si Shoonbeck, Bonnani, Giustiniani et Hélyot avaient mis plus d’ordre dans leurs laborieuses recherches, nous pourrions donner ici le catalogue complet des services rendus par la religion à l’humanité. Nous commencerions par faire la liste des calamités qui accablent l’âme ou le corps de l’homme, et nous placerions sous chaque douleur l’ordre chrétien qui se dévoue au soulagement de cette douleur. Ce n’est point une exagération : un homme peut penser telle misère qu’il voudra, et il y a mille à parier contre un que la religion a deviné sa pensée et préparé le remède. Voici ce que nous avons trouvé après un calcul aussi exact que nous l’avons pu faire.

On compte à peu près sur la surface de l’Europe chrétienne quatre mille trois cents villes et villages.

Sur ces quatre mille trois cents villes et villages, trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze sont de la première, de la seconde, de la troisième et de la quatrième grandeur.

En accordant un hôpital à chacune de ces trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze villes (calcul au-dessous de la vérité), vous aurez trois mille deux cent quatre-vingt-quatorze hôpitaux, presque tous institués par le génie du christianisme, dotés sur les biens de l’Église et desservis par des ordres religieux.

Prenant une moyenne proportionnelle et donnant seulement cent lits à chacun de ces hôpitaux, ou, si l’on veut, cinquante lits pour deux malades, vous verrez que la religion, indépendamment de la foule immense de pauvres qu’elle nourrit, soulage et entretient par jour, depuis plus de mille ans, environ trois cent vingt-neuf mille quatre cents hommes.

Sur un relevé des collèges et des universités, on trouve à peu près les mêmes calculs, et l’on peut admettre hardiment qu’elle enseigne au moins trois cent mille jeunes gens dans les divers États de la chrétienté [NOTE 39]. Nous ne faisons point entrer ici en ligne de compte les hôpitaux et les collèges chrétiens dans les trois autres parties du monde, ni l’éducation des filles par les religieuses.

Maintenant il faut ajouter à ces résultats le dictionnaire des hommes célèbres sortis du sein de l’Église, et qui forment à peu près les deux tiers des grands hommes des siècles modernes : il faut dire, comme nous l’avons montré, que le renouvellement des sciences, des arts et des lettres, est dû à l’Église ; que la plupart des grandes découvertes modernes, telles que la poudre à canon, l’horloge, les lunettes, la boussole, et en politique le système représentatif, lui appartiennent ; que l’agriculture, le commerce, les lois et le gouvernement lui ont des obligations immenses ; que ses missions ont porté les sciences et les arts chez des peuples civilisés et les lois chez des peuples sauvages ; que sa chevalerie a puissamment contribué à sauver l’Europe d’une invasion de nouveaux barbares ; que le genre humain lui doit :

Le culte d’un seul Dieu ;

Le dogme plus fixe de l’existence de cet Etre suprême ;

La doctrine moins vague et plus certaine de l’immortalité de l’âme, ainsi que celle des peines et des récompenses dans une autre vie ;

Une plus grande humanité chez les hommes ;

Une vertu tout entière, et qui vaut seule toutes les autres, la charité ;

Un droit politique et un droit des gens inconnus des peuples antiques et par-dessus tout cela l’abolition de l’esclavage.

Qui ne serait pas convaincu de la beauté et de la grandeur du christianisme ? Qui n’est écrasé par cette effrayante masse de bienfaits ?