Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre V

Garnier Frères (p. 381-382).

Chapitre V - Explication de la Messe

Il y a un argument si simple et si naturel en faveur des cérémonies de la messe, que l’on ne conçoit pas comment il est échappé aux catholiques dans leurs disputes avec les protestants. Qu’est-ce qui constitue le culte dans une religion quelconque ? C’est le sacrifice. Une religion qui n’a pas de sacrifice n’a pas de culte proprement dit. Cette vérité est incontestable, puisque chez les divers peuples de la terre les cérémonies religieuses sont nées du sacrifice, et que ce n’est pas le sacrifice qui est sorti des cérémonies religieuses. D’où il faut conclure que le seul peuple chrétien qui ait un culte est celui qui conserve une immolation.

Le principe étant reconnu, on s’attachera peut-être à combattre la forme. Si l’objection se réduit à ces termes, il n’est pas difficile de prouver que la messe est le plus beau, le plus mystérieux et le plus divin des sacrifices.

Une tradition universelle nous apprend que la créature s’est jadis rendue coupable envers le Créateur. Toutes les nations ont cherché à apaiser le ciel ; toutes ont cru qu’il fallait une victime ; toutes en ont été si persuadées, qu’elles ont commencé par offrir l’homme lui-même en holocauste : c’est le sauvage qui eut d’abord recours à ce terrible sacrifice, comme étant plus près, par sa nature, de la sentence originelle, qui demandait la mort de l’homme.

Aux victimes humaines on substitua dans la suite le sang des animaux ; mais dans les grandes calamités on revenait à la première coutume ; des oracles revendiquaient les enfants même des rois : la fille de Jephté, Isaac, Iphigénie, furent réclamés par le ciel ; Curtius et Codrus se dévouèrent pour Rome et Athènes.

Cependant le sacrifice humain dut s’abolir le premier, parce qu’il appartenait à l’état de nature, où l’homme est presque tout physique. On continua longtemps à immoler des animaux ; mais quand la société commença à vieillir, quand on vint à réfléchir sur l’ordre des choses divines, on s’aperçut de l’insuffisance du sacrifice matériel ; on comprit que le sang des boucs et des génisses ne pouvait racheter un être intelligent et capable de vertu. On chercha donc une hostie plus digne de la nature humaine. Déjà les philosophes enseignaient que les dieux ne se laissent point toucher par des hécatombes, et qu’ils n’acceptent que l’offrande d’un cœur humilié : Jésus-Christ confirma ces notions vagues de la raison. L’Agneau mystique, dévoué pour le salut universel, remplaça le premier né des brebis ; et à l’immolation de l’homme physique fut à jamais substituée l’immolation des passions, ou le sacrifice de l’homme moral.

Plus on approfondira le christianisme, plus on verra qu’il n’est que le développement de lumières naturelles et le résultat nécessaire de la vieillesse de la société. Qui pourrait aujourd’hui souffrir le sang infect des animaux autour d’un autel, et croire que la dépouille d’un bœuf rend le ciel favorable à nos prières ? Mais l’on conçoit fort bien qu’une victime spirituelle, offerte chaque jour pour les péchés des hommes, peut être agréable au Seigneur.

Toutefois, pour la conservation du culte extérieur, il fallait un signe, symbole de la victime morale. Jésus-Christ, avant de quitter la terre, pourvut à la grossièreté de nos sens, qui ne peuvent se passer de l’objet matériel : il institua l’Eucharistie, où, sous les espèces visibles du pain et du vin, il cacha l’offrande invisible de son sang et de nos cœurs. Telle est l’explication du sacrifice chrétien, explication qui ne blesse ni le bon sens ni la philosophie ; et si le lecteur veut la méditer un moment, peut-être lui ouvrira-t-elle quelques nouvelles vues sur les saints abîmes de nos mystères.